Philosophie, biosymbolique de l'humain et représentation du réel Collection Ouverture philosophique dirigée par Dominique Chateau et Bruno Péquignot Déjà parus Benoît THIRIO, L'appel dans la pensée de Jean-Louis Chrétien, Contexte et introduction, 2002. Nasser ETEMADI, Concept de société civile et idée du socialisme, 2002. Didier JULIA, Fichte, la question de l 'homme et la philosophie, 2002. Pierre-Etienne DRUET, La philosophie de l 'histoire chez Kant, 2002. Brigitte KRULIC, Nietzsche penseur de la hiérarchie. Pour une approche « Tocquevillienne » de Nietzsche, 2002. Xavier ZUBIRI, Sur le problème de la philosophie, 2002. Mahamadé SAVADOGO, La parole et la cité, 2002. Michel COVIN, Les écrivains et l'alccol, 2002. Philibert SECRET AN (dir.), Introductions à la pensée de Xavier Zubiri, 2002. Ivar HOUCKE, Emouvoir par raison, architecture de l'ordre émergent, 2002. Laurent JULLIER, Cinéma et cognition, 2002. François-Xavier AJAVON, L'eugénisme de Platon, 2002. Alfredo GOMEZ-MULLER, Du bonheur comme question éthique, 2002. Th. BEDORF, S. BLANK (Eds.), En deçà du principe de sujet / Diesseits des Subjektprinzips, 2002. Dominique LETELLIER, La question du hasard dans l'évolution, la philosophie à l'épreuve de la biologie, 2002. Miklos VETO, Le fondement selon Schelling, 2002. Bertrand SOUCHARD, Division et méthodes de la science spéculative: physique, mathématique et métaphysique, 2002. François BESSET, 11 était une fois ... le mal, 2002. Michaël HA Y AT Philosophie, biosymbolique de l'humain et représentation du réel Volurne 6 de l'ouvrage général: Dynamique des formes et représentation: vers une biosymbolique de l 'humain L'Harmattan 5-7, rue de l'École-Polytechnique 75005 Paris FRANCE L'Harmattan Hongrie Hargita u. 3 1026 Budapest HONGRIE L'Harmattan Italia Via Bava, 37 10214 Torino ITALlE @L'Hannatlan,2002 ISBN: 2-7475-3081-7 Entre sciences de la nature et philosophie, reste à explorer les sciences de I'homme: l'anthropologie paléontologique, en étudiant l'émergence des représentations et de la symbolisation à travers la technique, le langage et l'art et plus globalement celle de la culture par le réseau de relations sociales, nous permet de mieux comprendre la transformation de l'évolution naturelle de I 'humain en histoire. Cette perspective consolide, du double point de vue du devenir de l'espèce et de l'ethnie, notre interprétation biosymbolique de l'humain. Elle ouvre du même coup à une philosophie non métaphysique de I'histoire de I 'humanité qui s'enracine dans le biologique et se comprend comme histoire de la symbolisation et des techniques de représentation. Or, cette histoire est productrice de troubles et de compensations: il s'agit dès lors de repenser, à partir de l'hominisation et de l'histoire humaine, les conditions d'une humanisation. Seul le dialogue entre siences et philosophie permet de constituer une éthique à la fois rationnelle et raisonnable. Mais l'enracinement de 1'humain dans le biologique nous oblige aussi à régresser vers les origines physiques de la vie. Dans notre effort d'unification, cette régression doit nous permettre de réfléchir à la possibilité d'une ontologie générale de la réalité. Or, cette régression à l'originaire, vers le physique, nous conduit du même coup vers les modes formellement les plus « élevés »de la 7 représentation, vers la physique mathématique, que nous refusons d'abstraire entièrement de ses sources à la fois bio-cérébrales et culturelles. Dans la méthodologie moniste, matérialiste, non réductionniste, transformiste et historique à horizon ontologique qui est la nôtre, elle est une traduction de lems formes dynamiques. En ce sens, il nous est apparu que tout système du monde fondé sur le modèle des systèmes physiques et sur les seules mathématiques restait insuffisant, malgré la puissance de ces derniers, pour comprendre la complexité hmnaine et qu'à l'inverse, si toute science est représentation, l'effort pour démêler cette complexité sans la réduire à un modèle de niveau «inférieur »(physique) ou « supérieur »(mathématique) ne pouvait qu'aider à mieux comprendre sciences formelles et sciences de la nature. Mais, nous y avons assez insisté dans les volmnes précédents, il ne s'agit pas d'en revenir à une théorie subjectiviste des conditions a priori de la connaissance scientifique: nous nous orientons au contraire vers un réalisme des formes et de la représentation. Il convient donc à la fois de penser le transport, dans l'étude de 1'homme, des représentations du réel en sciences de la nature, notamment celle qui constitue la clé de voûte de notre hypothèse globale, la représentation des formes, et l'intérêt, en retour, d'une meilleure compréhension de la pensée et de la culture pour saisir le caractère représentationnel des sciences, qui devrait conduire à soupçonner toute prétention scientifique à constituer une ontologie générale, tout en justifiant pleinement lem effort de modélisation. C'est une telle approche qui nous permet de dépasser les dualismes avoués ou masqués entre vie, représentations mentales, symbolisation, langage, opérativité technique, représentations artistiques et représentations scientifiques. Pour le comprendre, remontons d'abord aux origines de 1'homme. 8 1) Représentation et symbolisation à la lumière de la paléontologie anthropologique: continuité biologique et discontinuité symbolique, l'aporie des origines? Pour démêler le processus complexe de 1'hominisation, il convient d'éclairer les conditions d'émergence anatomo-motrices, techniques et symboliques des représentations humaines du double point de vue de l'espèce et de l'ethnie. Cette perspecti ve phylogénétique et paléontologique s'impose pour une double raison: mieux comprendre la différence humaine par rapport à l'animal dans un cadre évolutionniste et matériel, ouvrir à la réflexion sur l'histoire des moyens de représentations et de symbolisation. a) De l'évolution biomorphologique à l'émergence de la culture: genèse de la technique et du langage humains dans l'anthropologie de Leroi-Gourhan Pour André Leroi-Gourhan, « le premier et le plus important de toUS» les « critères communs à la totalité des hommes et de leurs ancêtres», c'est la « station verti cal e »1. «Deux autres critères sont corollaires du premier: ce sont la possession d'une face courte et celle d'une main libre pendant la locomotion »2. En effet, la station verticale est « l'une des solutions données à un problème biologique aussi ancien que les vertébrés eux-mêmes, celui du rapport entre la face comme support des organes de préhension alimentaire et le membre antérieur comme organe non seulement de locomotion, mais aussi de préhension »3. Il y a bien de ce point de vue, celui de l'évolution anatomo-motrice, continuité phylogénétique entre l'animal et 1'homme. L'originalité de l'analyse de Leroi-Gourhan, à l'époque où il écrit, est de mettre en avant cette prééminence de la station verticale, donc du critère de mobilité, par rapport au critère cérébral: l'évolution de la mobilité conditionne celle du cerveau, à tel point qu'un « bipède aussi en retrait cérébralement que l'Australopithèque» est humain, tandis qu'un hypothétique « quadrupède à cerveau déjà 1 A. Leroi-Gourhan, Le ceste et la parole. I, p. 32 2 id. 3 id., p. 34 9 humain »ne le serait pasI. On peut déceler divers types d'organisation dynamique des êtres vivants, liés à leur mode de nutrition: le végétal a adopté un mode de nutrition uniquement chimique qui ne nécessite pas la locomotion2, chez les animaux, on peut distinguer deux types d'embranchements, qui correspondent à leur organisation dynamique, l'une où «le corps est construit suivant un plan de symétrie radiale, (où la locomotion joue un rôle nu1...), l'autre où les parties du corps s'ordonnent suivant un plan de symétrie bilatérale» et dont l'évolution principale conduit aux espèces mobiles, qui mènent à l'homme3. Grâce à cette mobilité et « dans une perspective qui va du poisson de l'ère primaire à I'homme de l'ère quaternaire», on peut alors légitimement croire «assister à une série de libérations successives: celle du corps entier par rapport à l'élément liquide, celle de la tête par rapport au sol, celle de la main par rapport à la locomotion et finalement celle du cerveau par rapport au masque facial »4 5. Cette série de libérations successives s'inscrit donc dans une continuité phylogénétique de l'animal à I'homme, et en particulier chez les primates, où la main acquiert progressivement une « prééminence préhensive » par rapport au pied qui ouvre «à une station assise de plus en plus redressée, à une denture de plus en plus courte, à des opérations manuelles de plus en plus complexes et à un cerveau de plus en plus développé »6. Il est étonnant mais plein d'enseignement pour le philosophe de voir la manière dont l'association de la paléontologie et de la biologie peut analyser l'émergence de la conscience: du point de vue de la relation entre nutrition et mobilité! Si le «monde vivant est caractérisé par l'exploitation physico-chimique de la matière », deux modes d'exploitation peuvent être distingués, « qui impliquent, l'un la mise en valeur de la matière, pourrait-on dire, par affrontement direct de la molécule exploitée par la molécule exploitante, comme pour les virus, 1 op. cité, p. 42 2 Même s'U existe certaines formes de "déplacement de détection" (id.), elles sont considérablement développées que chez les animaux. 3 p.43 4 pp. 5 des organes de capture et du dispositif moins nécessaires à la nutrition et 40-41 n s'agit pour Leroi-Gourhan d'une croyance et d'un" sentiment artificiel" puisqu'on a isolé pour dégager cette série "des fossUes privUégiés", des "formes pertinentes", mais ce choix fait, il devient une "évidence" que l' "on met en lumière une longue piste régulièrement ascendante sur laquelle chaque "libération" marque une acce1ération de plus en plus considérable" (p.41). 6 p. 84 10 l'autre une consommation en quelque sorte hiérarchique qui exploite la matière inerte à travers une chaîne d'êtres vivants, comme pour I'homme mangeant le bœuf au terme d'un long défilé de mangeurs et de mangés successifs »1. Le second mode d'exploitation physico- chimique de la matière correspond à l'embranchement de l'évolution où elle s'accélère par une série de libérations successives et qui tend vers 1'homme (ce qui ne signifie pas qu'il y ait finalité ou élan vital de la conscience qui cherche à s'exprimer). On peut alors remarquer que la nutrition « entraîne depuis un bon milliard d'années une partie des vivants dans la voie de la recherche du contact conscient »2. La conscience, en ce sens, serait la réponse trouvée du point de vue de la sélection naturelle, au problème de l'exploitation physico-chimique de la matière chez les vivants qui, se nourrissant d'autres êtres vivants, doivent, en fonction du milieu extérieur, se déplacer pour trouver leur nourriture et développer des stratagèmes de détection et de capture qui nécessitent une organisation cérébrale plus complexe. Si la conscience naît de la mobilité, elle émerge chez les mangeurs! Des mangeurs qui, se redressant, libèrent main pour l'outil et face pour le langage... Mais cette nouvelle solution à un très ancien problème biologique, la station verticale, va créer une réelle discontinuité, avec l'évolution du langage et de la manipulation d'outils. Déjà, «les conditions humaines de station verticale débouchent sur des conséquences de développement neuro-psychique qui font du développement du cerveau humain autre chose qu'une augmentation de volume »3. Ces conséquences portent d'abord sur l' «outil pour la main» et le « langage pour la face »4, main et face ayant été libérées par la station verticale et la main libérant la parole. Nous pouvons ici reprendre la schématisation dont nous avons usé pour l'évolution en général: il y a bien «saut qualitatif », passage à un niveau d'intégration supérieur qui génère des propriétés nouvelles irréductibles à une quelconque association des ancielmes, même si elles dérivent d'elles par continuité phylogénétique. Nous avons bien affaire à une «catastrophe» au sens thomien : dans la dynamique continue apparaissent des discontinuités créatrices de formes. Mais ce type de discontinuité et de formes est très singulier: il ne se réduit pas à une transformation anatomique et biologique, même si celle-ci le conditionne. Des formes originales de moyens d'expression, de 1 2 3 4 p. 86 id. id,p. 34 id. Il pensée, d'organisation du groupe, de comportements et d'activité sont produites. «L 'homo sapiens réalise la dernière étape connue de l'évolution hominienne et la première où les contraintes de l'évolution zoologique soient franchies et incommensurablement dépassées» 1. Ce saut qualitatif peut donc bien être compris comme un passage à un niveau d'intégration supérieur, au sens que nous avons dégagé avec François Jacob: en constituant l'intégron culturel, il produit une radicale nouveauté qui pomtant émerge de la continuité biologique. Une synthèse des critères d'humanité selon Leroi-Gourhan nous paraît s'imposer, car nous allons voir qu'ils posent un problème fondamental, dont le caractère apparemment aporétique touche de plein fouet notre réflexion, et en accentue l'incertitude: le passage du biologique au symbolique, point aveugle de tout modèle de I 'humain qui veut le comprendre à partir d'une genèse biologique. D'un côté, du point de vue de la chaîne matérielle de conditionnement évolutif continue, la station verticale est bien le premier critère, anatomo-moteur, de définition de I 'homme. De l'autre, du point de vue des conséquences les plus radicalement humaines, impossibles à déduire simplement du plan strictement zoologique (même si elles sont conditionnées par son évolution), la plus profonde discontinuité entre l'animal et I'homme, celle qui ouvre à leur incommensurabilité, serait à chercher dans «les conditions nouvelles de développement offertes à l'outil et au langage» avec I'homo sapiens2 : quand « les territoires moteurs (du cerveau) ont été surpassés par des zones d'association de caractère très différent, qui, au lieu d'orienter le cerveau vers une spécialisation technique de plus en plus poussée, l'ont ouvert à des possibilités de généralisation illimitées, du moins par rapport à celles de l'évolution zoologique »3, on assiste à « une transformation du rythme d'évolution technique », et ces faits coïncident avec « l'apparition d'un dispositif social fondé sur des valeurs culturelles »4; l'ensemble constitue alors une totale humanisation du monde technique et social par leur symbolisation. Mais entre ces deux critères extrêmes de l'évolution humaine, l'un purement zoologique, anatomo-moteur, l'autre culturel, lié à des activités qui engagent un nouveau rapport au monde et aux autres, proprement symbolique, elles-mêmes conditionnées par une ouverture 1 id., nous soulignons 2 id. 3 I, p. 168 4 I, p. 205, 12 nous soulignons indéfinie des possibilités cérébrales, deux propriétés font figure de critères intermédiaires nécessaires et originaires entre le biologiquezoologique et le symbolique-culturel: l'usage d'outils et du langage. Homo serait indissolublement faber et sapiens. Le geste et la parole s'imposent comme les caractères les plus fondamentaux de la production humaine. Ceux-ci sont présentés comme des données irréductibles, mais inséparables: on ne peut ni faire dériver diachroniquement le langage d'une évolution de l'usage d'outils, ni faire dériver diachroniquement celui-ci d'une organisation symbolique du monde par le langage préexistante. «Il n'existe pas deux faits typiquement humains dont l'un serait la technique et l'autre le langage, mais un seul phénomène mental, fondé neurologiquement sur des territoires connexes et exprimé conjointement par le corps et par les sons »1. Comme l'a remarqué A.M. Cirese, la pensée de LeroiGourhan évite un double écueil, le pansémiotisme et le panfabrilisme : le premier pour lequel «l' œuvre de 1'homme dans le monde s'identifie exhaustivement avec la production et la gestion de signes (ou symboles) », le second, selon lequel «le monde n'est ordonné que par le seul faire extra-symbolique: un faire qui préexiste au dire et qui peut exister sans même qu'il y ait à dire2. Tout autant qu'elle se distingue d'un physicalisme réductionniste grâce à sa compréhension du caractère irréductiblement ethnologique, c'est-à-dire culturel, à savoir inséparablement symbolique et artisanal de 1'homme, elle se démarque du structuralisme pansémiotique comme du marxisme panfabriliste. Cette approche est tout à fait compatible avec notre travail, dans la mesure où elle respecte la complexité humaine sans pourtant poser I 'homme par principe comme «un empire dans un empire », selon la formule spinoziste. Elle ne fonde sa compréhension de cet être à la fois zoologique et culturel sur aucune propriété métaphysique dont il déduirait les autres, mais, tout en proposant une genèse biologique de I'humain, ne prétend pas non plus résoudre l'énigme de l'origine à partir de l'émergence strictement zoologique d'une propriété spécifique dont l'évolution entraînerait causalement celle des autres. Mais cette approche de I'homme pose un premier problème: si la technique est une «sécrétion du cerveau» et que langage et technique relèvent d'« un seul phénomène mental, fondé 1 op. cité, II, 260 2 A. M. Cirese, "Homo faber, l'homme. Homo loquens", in André Leroi-Gourhan ou les Voies de Paris, 1988, p.194 13 neurologiquement sur des territoires connexes», qui sont apparus simultanément, alors où situer la frontière entre technicité et « langage» animaux et humains? Pour Leroi-Gourhan, l'usage d'outils est proprement humain dans la mesure où ils sont fabriqués, c'est-à-dire qu'ils ne sont pas des organes naturels, mais « artificiels », qu'ils supposent la libération de la main pour cette fonction précise, et non plus pour les seules préhension et locomotion, d'ailleurs mêlées chez les animaux aux mains les plus libres si l'on excepte 1'homme, les singes, des quadrumanes-quadrupèdes. Quant au langage, il est également spécifique à 1'homme: il est le seul être vivant à posséder cette aptitude à symboliser. Pourtant, l'usage d'outils et l'aptitude au langage semblent bien posséder, comme la vie sociale, une option biologique fondamentale, les inscrivant dans une continuité avec les propriétés animales. Si on les pense sous des formes moins complexes que chez I 'homme, on peut alors légitimement se demander si elles n'existent pas chez certains animaux évolués: on sait par exemple que chez les chimpanzés, il y a usage des organes de préhension pour se nourrir de termites au moyen de fines branches qui sont choisies et parfois modifiées, on sait aussi à quel point le système de communication des dauphins ou des chimpanzés est élaboré, et que ceux-ci sont capables d'apprendre à reconnaître des symboles conventionnels, des « signes». Pour ce qui est de la technique, «il y a un abîme insondable entre l'acte du singe emmanchant deux bambous pour monter sur me caisse et décrocher une banane et le geste de fabrication du Zinjanthrope» l, premier hominidé connu. Certes, l'outil est «une véritable sécrétion du corps et du cerveau des Anthropiens» et en ce sens, «il doit répondre à des formes constantes, à un véritable stéréotype », comme un organe naturel2. Mais si «l'outil n'existe que dans le cycle opératoire »3, «la technique est à la fois geste et outil, organisés en chaîne par une véritable syntaxe »4. Les premiers outils connus, ceux des « Australopithèques» sont des galets sur lesquels a été aménagé un tranchant par percussion directe et par des enlèvements soit sur l'un des bords (choppers), soit sur les deux (chopping-tools) : malgré leur simplicité, ils impliquent selon Leroi1 Leroi-Gourhan, 2 I, p.132 3 4 Le ueste et la parole. l, p. 117 II,p.35 l, p. 164, nous soulignons 14 Gourhan, «un état réel de conscience technique »1. On peut alors supposer que cette conscience doit impliquer une représentation de but, certes, avec l'intention d'un projet, mais aussi et corrélativement une capacité de représentation d'une série d'opérations mentales, de productivité combinatoire dans une séquence temporelle de gestes. On le voit plus nettement dans les techniques déjà très évoluées des Paléanthropiens du Paléolithique moyen (de 200 000-300 000 jusqu'environ 50 000 ans avant notre ère: «l'extraction de la pointe (de type Levallois) exige au minimum six séries d'opérations rigoureusement enchaînées, conditionnées les unes par les autres et supposant une rigoureuse prévision. Ces opérations mobilisent et combinent les deux séries de gestes qui avaient été acquises par les Archanthropiens»2. L'utilisation d'instruments chez l'animal ne nécessite pas un tel projet et une telle productivité combinatoire: même si le chimpanzé choisit sa fine branche, la casse et 1'effeuille pour attraper des termites dans un trou, il ne fait qu'arracher l'objet à son milieu pour l'en dégager afin de l'utiliser immédiatement: il ne l'inscrit pas dans un processus combinatoire élaboré dans lU1projet, et en ce sens sa modification éventuelle ne peut être confondue avec une véritable «fabrication» en vue d'une tâche à accomplir. La représentation technique humaine implique un réel diffèrement par une médiation mentale et opérative. Son second caractère, indissociable du premier, est la libération fonctionnelle de l'objet pour l'ouvrir à une multiplicité de fonctions possibles: comme l'écrit Lucien Malson, « lIDchimpanzé a du mal à percevoir une caisse-siège sur laquelle un congénère est assis comme caisse-échelle-éventuelle dont il pourrait tirer profit pour atteindre un objet... A 1'homme, les objets peuvent apparaître dans la neutralité de leur détermination physique et se laisser ainsi assigner, à volonté, un pluriel de fonctions. A l'animal, les objets se présentent sans équivocité, sans plurivalence »3. Ces caractères sont essentiels pour comprendre la spécificité des représentations humaines en général. Ils rendent possible une relative liberté de l'invention, même si celle-ci est conditionnée par les contraintes physiques, neurologiques et socioculturelles: tandis que la fine branche utilisée par le chimpanzé possède naturellement la forme idoine pour l'usage qu'il veut en faire, les matières premières que 1'homme recueille sont toutes celles que lui propose la nature, plus celles qu'il crée lui-même par transformation 1 I, p. 134 2I,p.145 3 Lucien Maison, Les enfants sauvages ParLY, 1971, p. 37 15 et il peut leur donner des formes infiniment variées, qui sont différentes de la forme naturelle d'origine, qui pouvait sembler la prédestiner à un usage déterminé. La représentation technique humaine permet donc une ouverture à une plurifonctionnalité et à un polymorphisme des transformations relatif à celle-ci. Elle est donc bien un mode essentiel de la libération humaine, qui s'exprime dans l'ouverture à l'invention formelle, même si celle-ci est limitée à la fois par la fonction et par la tradition culturelle. L'art, nous le verrons, approfondira cette dynamique libératrice. Mais si, comme nous l'avons vu dans notre réflexion sur la représentation animale, les animaux peuvent avoir des représentations mentales, les caractères de la représentation technique humaine que nous avons dégagés posent le problème du passage de la représentation de type « biologique» aux représentations proprement humaines. En effet, dans l'analyse du geste technique on « voit l'outil sourdre littéralement de la dent et de l'ongle du Primate sans que rien marque, dans le geste, la rupture décisive »1. Mais comment concilier cette émergence de l'outil sans rupture décisive avec la technicité animale des organes naturels et la nécessité, indissociablement, d'une conscience, d'un projet, d'une organisation combinatoire « syntaxique» d'une séquence temporelle de gestes dans une série d'opérations mentales et l'équivocité ou la plurivalence fonctionnelle des représentations d'objets? Comment passer de la fermeture du comportement spécifique et de la stéréotypie à l'ouverture du culturel et de la création humaine (même si celle-ci est limitée par les traditions)? Nous nous retrouvons face au même problème que lors de notre traversé des champs de la psychanalyse et de la psychologie animale: comment distinguer l'inné et l'acquis dans les représentations mentales et comment penser la transformation des orientations biologiques programmées en représentations « symboliques» ? Chez les premiers hommes, les Australanthropes (de -4 000 000 à -3 000 000 avant notre ère), selon Leroi-Gourhan, l'outil est une sécrétion du corps et du cerveau, chez les Archanthropes encore (de -2 000 000 à -600 000), « l'outil reste une émanation directe du comportement spécifique »2. Or, celui-ci, d'après les biologistes et les éthologistes, est déterminé par la mémoire génétique. Comment comprendre alors que l'évolution humaine ait pu générer le passage à une organisation « syntaxique» des opérations techniques dans un projet volontaire, et dans une mémoire sociale? 1 II,p. 40 21,p.140 16 S'il y a « syntaxe », n'est-ce pas qu'il y a « langage» ou plus globalement structuration « symbolique» de la pensée et des actes? A la différence de la pince du crabe, où « se confondent» « l'outil et le geste »1, « l'outil manuel est devenu séparable du geste moteur»2 : cette extériorisation est liée à sa spécificité, qui est d'être « amovible »3 et qui permet une manipulation plus libre, associée à une « manipulation» mentale du geste et de l'objet sous forme « syntaxique» de séquences d'opérations. Mais il faut ajouter une autre spécificité: «ses caractéristiques (sont) non pas spécifiques, mais ethniques» 4. Comment alors penser une fabrication d'outils qui ne s'inscrive pas déjà dans une tradition, donc un langage qui précède cette fabrication et la rend possible, au lieu de naître avec elle? Le langage humain ne peut être conçu comme entièrement déterminé génétiquement: « le Zinjanthrope... livre alors un langage... constitué par des symboles disponibles et non pas totalement déterminés »5. La question de l'origine biologique des comportements spécifiquement humains, langage et fabrication d'outils, entre alors dans un cercle et semble indéterminable: tout se passe comme s'il fallait toujours présupposer la dimension symbolique, sans laquelle on retomberait dans la technicité et la communication animales. Pourtant, la voie ouverte par Leroi-Gourhan s'impose selon nous comme la plus pertinente, même s'il faut pour la suivre entrer dans de tels cercles que certains peuvent penser aporétiques, stériles et mal engagés. Nous croyons qu'en l'état des connaissances, il est peut-être plus prudent méthodologiquement de poser, à l'instar de l'anthropologie ethnologique structuraliste, le fait humain total comme sorte de condition transcendantale de la réflexion sur l'homme, mais que l'on n'arrivera pas par cette voie à éclairer l'énigme humaine sur le plan ontologique, qui suppose selon nous, comme y invite la pensée de Leroi-Gourhan, malgré ses difficultés, l'analyse du passage du biologique au symbolique. Pour cela, il faudrait lancer un programme de recherches qui prenne exactement le contre-pied de la formule de Lévi-Strauss: « le langage n'a pu naître que tout d'un coup, les choses 1 II,p.35 2 II,p. 41 3 II, 36 4 id. 5 I,p.l64 17 n'ont pas pu se mettre à signifier progressivement »1. Nous pensons qu'il en va du langage comme de la vie: son apparition paraît si improbable par rapport à ce qui le précède et sa combinatoire formelle produire des objets si complexes que l'on se refuse à penser qu'il est pourtant le produit d'une évolution animale. Mais l'évolution biologique est elle-même si lente et si complexe, buissonnante, faite d'une « mosaïque de changements» à plusieurs vitesses, qu'elle peut conduire à l'émergence progressive du langage, la vie elle-même étant certainement le résultat d'une longue évolution physico-chimique. Ce qu'il faut dégager, ce sont les ruptures qualitatives de la continuité, qui produisent de nouvelles propriétés et de nouveaux rythmes, sans pourtant rompre totalement le lien qui rattache le postérieur à l'antérieur, même si l'antérieur est tellement transformé par la nouvelle intégration qu'il devient méconnaissable. Ainsi, le langage humain est spécifique en tant qu'il engage une véritable intelligence symbolique. Les chimpanzés peuvent apprendre un certain nombre de signes: Washoe a appris 130 signes gestuels du langage des sourdsmuets en quatre ans2, Sarah 127 «mots» représentés par des morceaux de plastique de forme et de couleur variées. Mais trois différences fondamentales avec l'homme sont à noter: il ne s'agit pas de leur mode de commwrication naturel et spontané, les singes qui ont appris ces signes ne vont pas transmettre leur savoir à leurs congénères et les messages qu'ils adressent à l'homme relèvent plutôt du mot que de la phrase, même quand ils associent plusieurs signes. Les petits enfants qui apprennent à parler ne sont pas des chimpanzés intelligents à qui on a appris des signes: avec quelques mots, ils combinent déjà spontanément des phrases pour produire de nouvelles significations et ces premiers mots ont moins la valeur informative que nous leur conférons qu'une fonction de structuration psychique qui les rendent aptes à l'exercice du langage »3. Chez les animaux, au contraire, la combinaison de signes ne semble pas relever d'un début de compréhension syntaxique spontanée parce qu'elle ne génère pas de signes nouveaux: soit ils répètent les signes appris, soit « s'ils en prennent de nouveaux, ils ne semblent pas modifier la signification 1 Lévi-Strauss, anthropolo~ie. 2 "Introduction à l'œuvre Paris, 1966, p. XL VII de Marcel Mauss », in M. Mauss, Sociolo~ie et R. A. Gardner & B.T. Gardner, "Teaching Sign Language to a chimpanzee ", in Science, 165,1969, PP. 664-672 3 A. Vinter, C4Lesfonctions de représentation et de communication", Mounoud et J.-P. Bronckart, Psychologie. pp. 417462 18 in J. Piaget, P. essentielle d'une expression à deux signes »1. Seul l'humain organise spontanément les signes dans une structure discursive et narrative. Quand le chimpanzé Nim exprime le message suivant: «donnerorange-moi -donner -manger -donner -moi -manger -orange-donner -moitoi », non seulement il est répétitif, mais l'information est élémentaire et ne fait que véhiculer une donnée immédiate, lié à la réalisation de ses propres affects, motivation ou émotion. Au contraire, chez l'enfant, il y a d'emblée tentative de combinaison de signes pour générer des significations, ébauche d'organisation syntaxique et usage des signes pour signifier le monde et non pour exprimer un besoin ou une réaction émotionnelle immédiats. «On observe chez l'enfant tout le contraire de ce qui se passe chez le jeune singe. Les premiers mots netteme.nt émis sont destinés à décrire l'environnement, et jamais à exprimer la motivation ou l'émotion »2. On peut conclure de ces analyses que l'apprentissage du langage chez l'enfant paraît marqué par trois spécificités: une relative anticipation globale du sens qui sous-tend la tendance à la combinaison spontanée pour créer de nouvelles significations et donc l'ébauche d'une intelligence syntaxique, au contraire d'une construction par association de signes dont il faudrait d'abord apprendre un par un ce qu'ils représentent ~l'usage du langage pour représenter symboliquement le monde afin de lui donner forme intelligible ou humaine, qui implique une fonction sémantique ~ son usage, à l'instar de la technique manuelle, comme outil pour donner forme au monde et le transformer, médiation qui suppose une mise à distance par rapport à l'imlnédiateté biologique, qui implique une manipulation consciente, intentionnelle, de représentations médiatrices en dehors du contexte, en l'absence de la situation qui les a fait naître. Nous avons vu que ces caractéristiques sont aussi celles de la Pensée représentative humaine et qu'elles renvoient à la difficile question du pouvoir cérébral de perception-création de totalités ou d'anticipations synthétiques globales qui ne peuvent s'expliquer par la simple sommation d'éléments saisis localement. On comprend à quel point la question de l'origine d'une telle aptitude à la symbolisation peut être énigmatique dans une perspective évolutionniste qui cherche à penser l'émergence du culturel-symbolique à partir d'une évolution zoologique-biologique, même s'il ne s'agit pas de réduire celui-là aux lois de celle-ci. D'autant plus que les limites entre les formes humaines et les formes animales de représentation et de 1 2 D. R. Griffin, Lapensée animale. Paris, 1988,p.195 R. Chauvin, L'étholofie histoire naturelle des mœurs, Paris, 1983, p. 185 19 communication restent incertaines. N'y a-t-il pas chez l'animal au moins l'ébauche d'une aptitude représentationnelle à donner forme au monde, une capacité de médiation mentale qui engage une relative mise à distance par rapport à l'immédiat? Nous avons vu que cette hypothèse était probable. Et si le langage humain, comme l'explique la psychogenèse piagétienne, n'est qu'un aspect particulier de la capacité de représentation, on peut postuler qu'il y a continuité entre la communication animale et ce dernier. TI faudrait alors distinguer, comme le fait Piaget, un premier système de signalisation qui se retrouve à tous les niveaux de la vie biologique, du comportement animal et jusqu'à seize mois environ chez 1'homme, de fonctions de représentation et de communication plus complexes: la fonction sémiotique ou symbolique, dont les unités peuvent être de deux types, les symboles et les signes (dans la terminologie piagétienne). Il conviendrait aussi de creuser la distinction que fait Leroi-Gourhan concernant le langage humain: «la possibilité physique d'organiser des sons ou des gestes expressifs et la possibilité intellectuelle de concevoir des symboles expressifs, transformables en sons ou en gestes »1. En effet, si, pour l'anthropologue, on peut accorder la première possibilité à la première forme zoologique d'humain, l'Australanthrope, il est probable que l'on peut la retrouver chez certains animaux. C'est la seconde qui s'impose comme le propre de 1'homme, avec homo sapiens. Reste à en dégager les sources dans les formes antérieures, qui, dans notre modèle général de l'émergence, la conditionne sans qu'elle leur soit réductible ou en soit déductible. Mais, si la manipulation de symboles implique la conscience, c'est alors à l'énigme de son origine qu'est confrontée cette recherche. On comprend du même coup pourquoi il peut être plus facile pour la cohérence de l'étude de l'homme de poser le symbolique comme ooe réalité originaire qui toujours déjà baignerait la pensée, les comportements et les productions humaines et leur donnerait sens a priori. Mais la cohérence structuraliste risque fort de masquer le devenir des formes dynamiques de la vie. Quitte à errer longtemps, nous pensons qu'il est nécessaire de s'engager dans la voie d'une véritable genèse, aussi bien pour l'individu que pour l'espèce. En résumé, ce serait donc, pour Leroi-Gourhan, un certain type de rapport à la technique, qui implique la fabrication d'outil et un 1 Le geste et la parole. I, p.126-127 20 certain type de système de communication, qui implique une fonction symbolique et qui constitue ce qu'il nomme, comme l'usage commun, « le » langage, qui introduiraient la réelle discontinuité humaine dans la continuité évolutive. Le premier implique la fabrication d'outils manuels amovibles par des bipèdes: la main ayant été libérée pour l'outil, elle n'est plus celle d'un quadrumane, dans l'indistinction fonctionnelle entre préhension et locomotion et cette libération va de pair avec celle de la face pour le langage. Le second suppose la symbolisation, corrélative d'une articulation, d'une syntaxe et d'une sémantique et impliquant sa transmission comme vecteur d'une tradition. Ces deux propriétés, langage et fabrication d'outils seraient non seulement constitutives de l'humanité sur un plan qui est conditionné par l'évolution anatomo-motrice sans s'y réduire, mais elles seraient inséparables. « En d'autres termes, à partir d'une formule identique à celle des Primates, 1'homme fabrique des outils concrets et des symboles, les uns et les autres relevant du même processus ou plutôt recourant dans le cerveau au même équipement fondamental. Cela conduit à considérer non semement que le langage est aussi caractéristique de I 'homme que l'outil, mais qu'ils ne sont que l'expression de la même propriété de 1'homme» 1. La grande énigme humaine serait donc celle de la nature et de l'origine de cette propriété commune au langage et à la fabrication et l'usage d'outils, dont dépend celle de leur origine. Mais cette énigme prend chez Leroi-Gourhan la forme d'un cercle, cercle de l'origine: comment comprendre que le langage soit supposé exister chez les plus anciens hominidés si cette humanité est encore, selon l'anthropologue, toute zoologique; et comment comprendre que le culturel émerge progressivement de l'évolution hlUllaine, si sa propriété fondamentale, l'organisation langagière de la pensée, de la production et des actes existe d'emblée chez les premiers humains du point de vue zoologique? En d'autres termes, peut-on penser l'origine du symbolique? Et si on le peut, doit-on nécessairement supposer l'aptitude au langage comme inséparable de l'espèce humaine dès son apparition? Nous retrouvons ici, dans le champ phylogénétique, le problème sur lequel nos analyses psychogénétiques sont venues échouer et que la pensée freudienne, à la fois dans son ambiguïté et 1 Leroi-Gourhan, Le geste et la parole. op. cité, l, p.162-163 21 son aspiration à la synthèse, a su manifester dans toute sa puissance et son énigme. Retenons, pour y revenir, que la question de la représentation est marquée par cette ombre portée de son origine, et que nous ne pouvons espérer comprendre sa genèse bio-psychique, mais aussi la relation pré-conceptuelle et pré-Iogico-mathématique, en particulier imaginative, esthétique et poïétique, qu'entretiennent avec ses formes concrètes externes nos corps pensants, sans réfléchir son lien avec les premières symbolisations. Retenons, par conséquent, que ces points ne pourront être éclaircis sans préciser le sens de ce signifiant si souvent employé, mais dont le signifié est si mal connu, le « symbolique », dont la polysémie exprime probablement toute la difficulté à démêler ce qui, dans la représentation, relève « du »langage ou d' « un »langage. Mais revenons d'abord à la pensée de Leroi-Gourhan, pour mieux saisir les raisons et le chemin qui la mènent à ces problèmes. Les conditions radicalement nouvelles, irréductibles au zoologique, qui émergent avec l'évolution humaine, sont celles du développement du corps social sous forme culturelle grâce à la symbolisation, dans la mesure où « les coupures des espèces et des races sont submergées, chez l'homo sapiens, par celles des ethnies dont la physiologie est fondée sur l'organisation de la mémoire collective du groupe »1. Cette mémoire sociale, qui se substitue progressivement au « dispositif biologique de l'instinct» aura en effet des conséquences sur l'évolution des techniques et de la transmission du langage incommensurables avec celles de l'évolution zoologique, même si la locomotion reste le « fait déterminant de l'évolution sociale actuelle» comme elle l'a été pour l'évolution biologique2 et qu'elle dépend, en tant que fait déterminant de cette évolution sociale, d'une modification importante du cerveau. L'évolution des techniques et de la transmission du langage permettront à la fois l'humanisation de l'esthétique par la symbolisation artistique et des comportements sociaux par l'organisation symbolique du temps et de l'espace, ainsi que du corps social, chacun des champs de cette humanisation interagissant avec les autres. Nous retrouvons ici les grands traits de notre réflexion sur l'esprit humain, la représentation et leur rapport avec l'activité, initialement conditionnés par la matérialité corporelle, en particulier celle qui permet la mobilité et le développement lI,p.34-35 2 p.42 22