est relié par un axe qui assure symboliquement leur lien avec Dieu. La croix dressée montre
donc l’axis mundi et une branche horizontale (voire plusieurs branches) rappelant l’étagement
des  différents  niveaux  d’existence.  A  l’intérieur  de  chaque  monde,  une  croix  horizontale
manifeste le déploiement des différentes possibilités, selon le symbolisme des quatre points
cardinaux,  la  trace  de  l’axe  central  étant  manifestée  dans  le  point  de  croisement  des  deux
branches  de  cette  croix.  Ainsi,  le  symbole  le  plus  général  de  l’existence  universelle  est-il,
comme l’a rappelé René Guénon, la croix à six branches, qui représente les six mouvements
possibles, à partir d’une position donnée dans l’échelle des êtres : une exploration d’un degré
d’existence  selon  les  quatre  directions  horizontales,  puis  la  direction  descendante,  vers  les
états inférieurs, et la direction montante, vers les états supérieurs.2 
Avant d’en arriver au Voyage nocturne et à l’Ascension du Prophète Muhammad, dont
le double mouvement, horizontal puis vertical, manifeste justement les deux branches de la
croix, il faut rappeler ici que cette croix cosmique est présente, dans la tradition islamique,
lors de la prière canonique (ce qui explique pourquoi elle apparaît si souvent au centre des
tapis de prière). Lors de trois positions de la prière canonique (qiyâm ou station debout, rukû‘
ou inclinaison, et sujûd ou prosternation), ce sont justement les trois directions de la croix qui
sont parcourues dans un mouvement de « totalisation » ou d’ « intégration », la station assise
finale, ou julûs, représentant l’installation dans la stabilité au centre de la croix. Dans le même
temps, l’orant écrit avec son corps, dans l’espace sacré de la prière, les lettres du nom Allâh,
le qiyâm, le rukû‘ et le sujûd dessinant respectivement un alif, un lâm et un hâ’. La prière est
en effet la traduction éminente de la khilâfat Allâh fî-l-ard, la « lieutenance de Dieu sur terre »
qui est le propre de l’homme.
Revenons  maintenant  au  récit  du  Voyage  nocturne  et  de  l’Ascension  qu’il  s’agit
d’abord  de  replacer  dans  son  contexte.  Cet  événement  prend  place  lors  de  « l’année  du
chagrin » (‘âm al-huzn, 619-620) après que le Prophète eut perdu, en un court laps de temps,
son épouse Khadîja et son oncle Abû Tâlib, son protecteur et le chef du clan des Hâshimites.
L’un de ses autres oncles, Abû Lahab, qui haïssait Muhammad, une fois devenu chef de clan,
le  priva  de  la  protection  de  la  « solidarité  tribale » (‘açabiyya).  Le  Prophète,  orphelin,  et
désormais veuf, isolé, persécuté et banni, dut se réfugier dans l’oasis de Tâ’if où sa vie fut
également  menacée.  Il  put  ensuite  revenir  à  La  Mecque,  sous  la  protection  d’un  notable
mecquois nommé al-Mu’thim Ibn ‘Adiyya. Le 27 du mois de Rajâb 620, alors qu’il passait la
nuit dans la maison de Umm Hanî, sa cousine, fille de son oncle Abû Tâlib et sœur de ‘Alî,
Muhammad,  entre  le  sommeil  et  la  veille  (bayna  nâ’iman  wa  yaqzhan),  se  retrouva  sur  le
parvis (hijr) de la ka‘ba, et reçut la visite de l’ange de la révélation, Gabriel (Jibrîl).
Nous possédons des récits de ce qui advint alors. Selon la version rapportée dans le
Çahîh de Muslim et dans celui de Bukhârî (d’après Anas Ibn Mâlik), on apporte au Prophète
al-Burâq, « une monture blanche, plus grande que l’âne et plus petite que le mulet, dont le pas
atteint  la  limite  du  regard ».  Monté  sur  elle,  le  Prophète  se  dirige  vers  le  Nord3  jusqu’à
Jérusalem (al-bayt al-maqdis). Il attache sa monture à l’anneau où les prophètes attachaient la
leur, et entre dans le temple où il accompli une prière de deux rak‘a. Jibrîl lui propose le vin
(khamr)  et  le  lait  fermenté  (laban).  Muhammad  choisit  le  lait.  Jibrîl  lui  apprend :  « Tu  as
choisi la fitra. » Ils montent alors au premier ciel. Jibrîl demande qu’on leur ouvre : « — Qui
est là ? — Jibrîl. — Qui est avec toi ? — Muhammad — A-t-il été appelé ? — Certes il a été
appelé.  » On leur ouvre et Muhammad rencontre Adam, qui rit sur les âmes des élus, placées
à  sa  droite,  et  pleure  sur  les  âmes  des  réprouvés,  placées  à  sa  gauche.  Adam  salue
Muhammad :  « Qu’il  soit  le  bienvenu,  le  Prophète  vertueux  et  le  frère  vertueux. »  Jibrîl
conduit alors Muhammad au deuxième ciel, où les mêmes questions sont posées.
2Cf. René Guénon, Le symbolisme de la croix, Guy Trédaniel Editeur, Paris, 1996.
3Où, selon certaines traditions, il visite Hébron, le Sinaï et Bethléem respectivement associés aux figures prophétiques d’Ibrâhîm, Mûsâ et
‘Isâ.