Zen le torrent immobile Points sur l'Asie Collection dirigée par Philippe Delalande La collection a pour objet de publier des ouvrages brefs, (200 à 500 pages), sur l'actualité politique, économique, sociale, culturelle en Asie. Ils traitent soit d'un pays d'Asie, soit d'un problème régional, soit des relations de ces pays avec le reste du monde. Ces ouvrages s'apparentent à des essais aisément accessibles, mais sur des bases documentaires précises et vérifiées. Ils s'efforcent, au-delà de l'analyse de l'actualité de prolonger la réflexion sur l'avenir. La collection voudrait, autant que faire se peut, pressentir les questions émergentes en Asie. Elle est ouverte à des témoignages, des expériences vécues, des études systématiques. Les auteurs ont tous une connaissance pratique de l'Asie. Les lecteurs visés sont des personnes soucieuses de s'informer de l'actualité en Asie: investisseurs, négociants, journalistes, étudiants, universitaires, responsables d'ONG, cadres de la fonction publique en relation avec cette Asie en rapide mutation; où vit la majeure partie de la population du monde. Déj à parus Sabine TRANNIN, Les ONG occidentales au Cambodge. La réalité derrière le mythe, 2005. Stéphanie BESSIERE, La Chine à l'aube du XXIème siècle, 2005. Nathalène REYNOLDS, L'enjeu du Cahemire dans le conflit indopakistanais,2oo5. N. SIMON-CORTES et A. TEISSONNIERE (Textes réunis par), Viet Nam, une coopération exemplaire, 2004. Hua LIN, Tribulations d'un Chinois en Europe, 2004. Sang-chun JUNG, Les relations commerciales franco-coréennes,2004. Maria Linda TINIO, Les droits de l 'homme en Asie du sud-est, 2004. Hsiao-Feng LEE, Histoire de Taiwan, 2004. Claire ROULLIERE, mondiale Association au Japon, La mémoire de la seconde guerre 2004. d'Amitié Franco-vietnamienne, sur le Vietnam actuel, 2003. Laurent METZGER, La minorité musulmane Ombres et lumières de Singapour, 2003. ASIE 21-Futuribles internationale, L'Asie demain, 2003 Thierry COVILLE, L'économie de I '[ran islamique: entre ordre et désordres, 2002. Kyong-Wook SHIM, La Russie D'Orient à la dérive, 2002. Jean-Paul Beaudouin Zen le torrent immobile Préfacede Bruce Harris Sôun L'Harmattan 5-7, rue de l'École-Polytechnique 75005 Paris France L'Harmattan Hongrie 1053 Budapest Kossuth L.u. 14-16 HONGRŒ L'Harmattan Italia Via Bava, 37 10214 Torino ITALŒ @ L'Harmattan, 2005 ISBN: 2-7475-8215-9 EAN : 9782747582155 Préface L'essence du zen ne dépend ni de la recherche scolastique, ni d'une connaissance approfondie du bouddhisme, ni du zazen. L'essence du zen réside uniquement dans le fait de voir la nature même du coeur humain. Le zen ne prêche ni la compassion, ni la pleine conscience, ni la moindre manière de vivre imposée de l'extérieur. Dans le zen, notre attention est simplement orientée vers la source même de notre propre existence. En rencontrant cette source et en la reconnaissant directement, en nous familiarisant de plus en plus intimement avec notre condition naturellement ouverte, éveillée et libre, toutes les qualités si estimées par les êtres humains commencent à se montrer naturellement la chaleur du coeur, la compréhension compatissante pour les autres. Dans ce sens, "voir", ici, ne se limite pas à une compréhension intellectuelle: c'est déjà expérimenter le coeur qui vit dans toute sa spontanéité et créativité. Bien que l'on ait dans cette branche du bouddhisme qu'est le zen des moyens spécifiques, l'objectif ultime de la pratique ne se limite pas au bouddhisme. C'est la libération du coeur humain qui est le sens principal. Pour réussir à exprimer une telle libération du coeur, une participation totale et un engagement déterminé sont demandés à l'étudiant, accompagné en cela par un guide expérimenté. Cet accompagnement fait partie de ce que l'on appelle la transmission du Dharma*. On peut examiner tous les moyens de pratique (l'expérience méditative zazen, l'étude des koans ou la relation individuelle avec un maître zen), mais sans l'engagement total de la part de l'étudiant - avec un courage maintenu dans la durée - ce que l'on appelle la pratique du zen reste une méthode, des techniques, plus ou moins superficielles. Car il n'y a rien de mécanique dans un tel processus: tout dépend du participant lui-même et de la plénitude avec laquelle il se donne à la pratique. L'effort impliqué comme ce qui est réellement exigé est difficile à décrire. Néanmoins, cette libération du coeur nous appelle. C'est en suivant pleinement cet appel que l'être humain qui suit une telle voie peut accomplir sa libération ou plutôt reconnaître définitivement qu'il a toujours été libre. Bruce Harris Sôun Bruce Harris Sôun pratique le zen depuis trente ans. D'origine américaine, il quitte son pays pendant la guerre du Vietnam, en tant qu'objecteur de conscience. D'abord moine au sein de l'école zen Rinzai: il étudie alors sous la direction de Soko Morinaga Roshi à Kyoto. Il se tourne ensuite vers l'école Sambô Kyôdan du zen, pratiquant sous la direction de Kôun Yamada Roshi à Kamakura puis sous la direction de ses successeurs Jiun Kubota Roshi et Ryôun Yamada Roshi. Ayant reçu la transmission du Dharma dans cette école issue du zen Rinzaï et du zen Soto, il enseigne en France (région de Montpellier) et aux Etats-Unis. * La définition des termes en italique est donnée dans le glossaire en fin d'ouvrage. 10 Introduction Il Y a 2500 ans, dans la vallée du Gange, le Bouddha, méditant sous un figuier, parvient à l'Eveil. Il perçoit que l'attachement au monde crée l'illusion d'entités stables et séparées alors que tout n'est qu'impermanence. Il voit que cette conception illusoire de l'existence empêche les hommes de percevoir leur vraie nature, les enchaînant ainsi à l'existence et donc à la souffrance. Cette "vue" est tout entière résumée dans un dialogue avec l'un de ses disciples, Ananda : - "Comment le Bienheureux voit-il le monde ?" demande Ananda. - "Vide et merveilleux", lui répond le Bouddha. Après avoir longuement hésité - car il pensait que ce qu'il avait vu, compris et réalisé était trop difficile à transmettre - Siddhârta Gautama dit le Bouddha (l'Eveillé), se résout à enseigner la Voie de libération, consacrant le restant de ses jours à cet enseignement, soit près de cinquante années. C'est alors qu'il met en mouvement "la roue du Dharma" en prononçant le Sermon de Bénarès. Dans ce Sermon, le Bouddha expose les Quatre Nobles Vérités: - La noble vérité de la souffrance. - La noble vérité de l'origine de la souffrance. - La noble vérité de la cessation de la souffrance. - La noble vérité de la voie qui mène à la cessation de la souffrance. La voie qui mène à la cessation de la souffrance est l'Octuple Sentier: compréhension juste, pensée juste, parole juste, action juste, moyens d'existence justes, effort juste, attention juste, concentration juste. Le courant tardif du bouddhisme que nous évoquerons plus loin (Mahayana) , réinterprétera l'Octuple Sentier. Ce seront les Six Perfections: générosité, éthique, patience, énergie, concentration et sagesse. Avec le Sermon de Bénarès, le Bouddha inaugure la Voie Graduelle du bouddhisme. Un autre jour, sur le Mont des Vautours, le Bouddha tend un bouquet de fleurs devant l'assemblée en souriant et sans dire un mot. L'ensemble des participants en est étonné, ne comprenant nullement le sens de ce geste. Seul Mahakasyapa lève les yeux vers le Bouddha avec un sourire de compréhension. Le Bouddha dit alors à Mahakasyapa : "Vous êtes le seul à me comprendre en dehors des paroles. Je vous transmets le Vrai Trésor de la Connaissance." Le Bouddha inaugure ainsi l'enseignement en dehors des mots et, par la même occasion, la Voie Abrupte du bouddhisme. Pendant les siècles suivant, le Dharma va connaître une grande expansion, expansion soutenue par un Sangha - communauté des pratiquants - de plus en plus nombreux. Dans ce bouddhisme originel (comme dans le bouddhisme Théravada très vivant aujourd'hui dans les pays du sud-est asiatique), la libération ne peut être le fait que des moines, moines qui se sont retirés des activités mondaines. Les laies, quant à eux, contribuent à leur entretien et, par cette action, créent les conditions qui leur permettront, dans une vie future, de devenir moine à leur tour et de parvenir à la libération. Le Sangha désigne alors les seuls moines. Ces moines cherchent à parvenir à l'état d'Arhat : celui qui a mis un terme au désir et à l'attachement, et qui, ayant quitté ce monde, demeure dans le Nirvana. 12 Mais progressivement, les laïcs manifestent leur aspiration à la bouddhéité, donnant ainsi naissance, au début de notre ère, au deuxième grand courant du bouddhisme, le bouddhisme Mahayana. Le Mahayana s'adresse alors à tous, que l'on soit laïc ou moine. La figure dominante du Mahayana est le Bodhisattva, l'Eveillé qui reste en ce monde pour venir en aide à ses semblables et les amener à la délivrance. Cinq siècles après que le Bouddha ait mis en mouvement la Roue du Dharma, le boudhisme offre donc plusieurs voies de libération: la Voie Graduelle et la Voie Abrupte, le Theravada et le Mahayana. Le Zen, qui apparaîtra plus tard en tant qu'école du bouddhisme à part entière, se situera dans la double filiation de la Voie Abrupte et du Mahayana. C'est au sixième siècle de notre ère que cette école est introduite en Chine avec l'arrivée d'un moine indien, Bodhidharma. Le bouddhisme est alors présent en Chine depuis le premier ou le deuxième siècle de notre ère et l'empereur Wou-ti est un fervent bouddhiste. Bodhidharma est invité au palais impérial, à Nankin. Lors d'une entrevue, Wou-ti lui demande: - "Depuis le début de mon règne, j'ai contribué à l'édification de nombreux temples ainsi qu'à la copie de nombreux sûtras. J'ai aussi fourni des subsides à une foule de moines. Y a-t-il quelque mérite à cela ?" - "Aucun mérite!", lui répond le moine indien. - "Quel est le premier principe de la doctrine sacrée ?" poursuit l'empereur. - "Un vaste vide sans rien de sacré dedans!" - "Qui se tient devant moi ?" demande finalement Wou-ti. - "Je ne sais pas l" répond Bodhidharma. Puis il quitte le palais. 13 La Voie Abrupte va alors prendre racine en Chine et connaître un grand développement. Houei-neng (638-713) est le premier maître du Zen (en chinois Chan). Il est souvent considéré comme l'égal du Bouddha. Dans tous ses enseignements, il accorde une importance capitale à l'expérience vivante de l'Eveil. C'est ainsi que le Chan s'affirme comme une Voie dépouillée de toute spéculation philosophique et met l'accent sur le vécu de l'Eveil dans les actes de la vie quotidienne. Il réduit la méditation à zazen et donne une grande place à la relation maître/élève. Des dialogues entre maître et élève va naître une pratique spécifique à l'école Zen: le koan. Après être passée d'Inde en Chine, la Voie Abrupte du Mahayana arrive en Corée, au Viêt-nam ainsi qu'au Japon où elle prend le nom de Zen. Dans ce dernier pays, elle va influencer durablement et profondément l'ensemble de la société. Aujourd'hui, comme d'autres écoles du bouddhisme, le Zen se déploie en Occident. 14 LE COEUR DU BOUDDHISME ZEN Ploc Ploc Ploc Le son du monde Sans lieu, sans temps Cerisier en fleurs Vent glacial Frissons Clair de lune Aboiements Nuit calme Crissement des pas Carillon Le son Tit ti ti ti ti Bruissement des feuilles Ciel rougeoyant Chuintements et sifflements Secoué par les bourrasques Immobile Sur la branche du rosier pleureur La goutte de rosée Mille feux 18 Soleil d'hiver et crépitements Fumée Senteur Les arbres, le sol, ce corps Les gens ici, là-bas Même battement 19 LE COEUR DE L 'HOMME, LIEU DU COEUR DU BOUDDHISME ZEN Maître Houei-neng, le sixième patriarche, considéré comme le fondateur du bouddhisme zen, s'exprimait ainsi: "Amis dans le bien, l'homme est naturellement, tout au fond de lui-même, riche de la sagesse de la bodhi et de la prajnâ. Cependant, son esprit erre au gré des circonstances et il ne peut s'en rendre vraiment compte par lui-même. C'est pourquoi il doit recourir à un grand ami dans le bien qui lui montrera la Voie et lui fera voir son essence."* Ces quelques lignes résument tout le paradoxe de l'être humain: étant de manière inaltérable, originellement et fondamentalement éveillé, il lui faut cependant rechercher aide afin de se retirer de la vue erronée * Le sûtra de l'estrade du sixième patriarche Houei-neng, Fa-hai, section12, page 30 - Traduit et commenté par Patrick Carré - Points Sagesses - Editions du Seuil. qu'il a formée quant à sa propre condition. Cette vue erronée, mode cognitif ordinaire, que nous nommerons aussi "attitude mentale dualiste" ou "attitude existentielle égotique"*, fait obstacle à la prajnâ. Le mode cognitif ordinaire Cette vue erronée, ces attitudes, se constituent de par un mode cognitif où le mental, opérant en permanence un mouvement de saisie de l'objet, donne réalité à ce dernier et à lui-même en tant que formes séparées. En d'autres termes, ce que nous pouvons aussi qualifier de relation sujet/objet accorde réalité à des phénomènes sans existence intrinsèque et impermanents. C'est ainsi que l'être humain dirige toute son attention avec le projet de rendre stables et immuables les objets physiques et mentaux avec lesquels il entre en relation. Investissant toute son énergie psychique dans ce mouvement, il construit alors un ensemble d'idéations qualifiées de subtiles et nobles ou encore de profanes et vulgaires. En tout cela, l'esprit humain poursuit avec constance le même projet: se démontrer qu'il existe de manière unique, individuelle, permanente. Se prouver à lui-même qu'il existe en tant que moi séparé. Ce mode cognitif ordinaire généralement à l'oeuvre chez l'être humain, se structure autour du Moi. Cette structuration est le mouvement par lequel l'individu se constitue en personne, c'est-à-dire en une entité consciente de sa propre identité et de son autonomie, mais consciente * Nous emploierons ces expressions - sans doute peu élégantes - et non le terme égo, car parler d'égo c'est, à travers le langage, donner corps à une réalité qui n'en estpas une. 22