Adrian J. Boas (ed.), The Crusader World

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Francia­Recensio 2016/3
Mittelalter – Moyen Âge (500–1500)
Adrian J. Boas (ed.), The Crusader World, London, New York (Routledge) 2015, XXII–726 p., 10 fig. (Routledge Worlds), ISBN 978­0­415­82494­1, GBP 130,00.
rezensiert von/compte rendu rédigé par
Alain Demurger, Paris
Conformément à l’esprit de la série »Routledge Worlds«, ce volume entend faire le point sur les aspects les plus divers de la croisade. Réunis par Adrian J. Boas, quarante spécialistes essentiellement britanniques et israéliens, ont rédigé l’un des 38 chapitres­articles regroupés en huit rubriques: »Idéologie, croisade, guerre et paix«, »L’Occident des croisades«, »L’Orient latin«, »Byzance médiévale«, »À la rencontre de l’Islam«, »Archéologie des croisades«, »Art et littérature«, »Étudier les croisades«.
Il n’est évidemment pas question, sauf par exception, de rendre compte de chacun de ces articles, accompagnés de notes abondantes et d’une bibliographie à jour, mais d’en faire une approche globale. Celle­ci fait apparaître deux lignes de force: la prédominance d’études factuelles et thématiques; la place écrasante qu’y tient la croisade d’Orient.
Le champ couvert par la croisade étant vaste, il est normal de voir ici rassemblées des études de mise au point assez large et d’autres plus fouillées, apportant du neuf sur un sujet ou un cas précis. Retenons parmi les premières »La guerre au XIIe siècle« (4), »La guerre de succession d’Antioche« (12), »La Chypre latine et ses relations avec le sultanat mamelouk, 1250–1517« (24) ou encore »L’engagement des femmes dans la croisade« (3), »Les champs de bataille des croisades: perspectives environnementales et archéologiques« (27), »La vie domestique en Orient latin« (30); et parmi les secondes, »Le retour des franciscains en Terre sainte (1333) et le Mont­Sion: pèlerinage et mission apostolique« (15), »La chute de Jérusalem (1187) vue par les Byzantins« (18), »Le château hospitalier de Belvoir« (28), »Le commerce maritime dans l’Orient latin tel que reflété par les importations de céramiques« (29).
Le point de vue de l’autre ainsi que les influences réciproques entre croisés et orientaux donnent matière à un solide corpus apportant des informations nouvelles: ainsi sur la notion de trahison dans les alliances interreligieuses en Orient latin (6). Les deux articles consacrés à Byzance et la croisade, l’un sous l’angle des contacts avec l’Occident (16), l’autre sous l’angle historiographique (17) nuancent et corrigent le tableau traditionnellement présenté de l’incompréhension des Grecs face à la croisade. De même les deux études en miroir (19 et 21) qui contredisent l’image traditionnelle d’une ignorance réciproque de la part des chrétiens et des musulmans.
Le second constat est plus surprenant: le »Crusader World« est un monde de la Méditerranée orientale. La liste des illustrations est parlante: sept pour l’Occident, deux pour l’Espagne, neuf pour Lizenzhinweis: Dieser Beitrag unterliegt der Creative­Commons­Lizenz Namensnennung­Keine kommerzielle Nutzung­Keine Bearbeitung (CC­BY­NC­ND), darf also unter diesen Bedingungen elektronisch benutzt, übermittelt, ausgedruckt und zum Download bereitgestellt werden. Den Text der Lizenz erreichen Sie hier: https://creativecommons.org/licenses/by­nc­nd/4.0/
l’espace balte, mais soixante­quinze pour la Syrie­Palestine et Chypre; et on ne trouve que trois articles sur les »croisades« et le monde germanique et baltique (8, 9 et 31) et un seul centré spécifiquement sur la péninsule Ibérique (10). Voilà qui cadre mal avec la vogue actuelle de la conception large, dite »pluraliste«, de la croisade qui considère comme croisade tout affrontement entre chrétiens et musulmans d’Orient et d’Occident, où toute guerre contre les païens de l’espace baltique et les hérétiques de tout poil; ce qui contribue en outre à prolonger démesurément le temps des croisades, jusqu’au seuil du XIXe siècle pour certains et même, ces derniers temps jusqu’à notre époque! Deux articles posent le problème de la pertinence de la qualification de croisade accordée aux opérations de conquête et de colonisation menées dans ces deux secteurs.
Darius von Güttner (9) s’interrogeant sur le caractère de croisade des campagnes nordiques de conquête et de conversion aux dépens des païens, privilégie plutôt la notion de guerre missionnaire commencée avant, et poursuivie après, l’appel de Clermont d’Urbain II.
Luis Garcia Guijarro mène une réflexion parallèle pour l’espace ibérique (10): reconquête ou croisade? La croisade a certes pu apporter quelque prestige aux entreprises de reconquête (à l’époque on parlait de restauratio (sous­entendu de »l’Espagne wisigothique«). Mais celle­ci est une construction idéologique indigène et c’est elle, et non la croisade qui fonde la longue lutte (sept siècles) contre l’Islam en péninsule Ibérique. Au passage, l’auteur fait un sort – et ce n’est pas pour me déplaire – à la »soi­disant croisade de Barbastro« de 1065.
L’article de Paul E. Chevedden consacré à Urbain II et l’idéologie de croisade (2) pose la question de l’identité de la croisade. Selon lui, les historiens des croisades, polarisés sur la seule croisade de Jérusalem n’ont jamais tenu compte de la perspective méditerranéenne globale. Urbain II a cette vision »mondialiste« et se place dans le contexte délibérément panméditerranéen de libération du christianisme de l’Islam et non dans celui de la seule Jérusalem. La »croisade de reconquista« (analyse fouillée de l’action du Cid) va de pair avec la »croisade de régénération ou de restauration de l’Église« (deux expressions prêtées à Urbain II alors qu’elles sont de l’auteur). Il y a un cycle de la croisade, opératoire sur tous les terrains d’affrontement avec les adversaires du christianisme et de l’Église: reconquête, restauration de l’Église, évangélisation. Pour l’auteur, »la croisade commence quand les pouvoirs occidentaux entament leur controffensive contre l’Islam« et »Urbain II a trouvé la croisade dans l’Histoire«. C’est là que le bât blesse: notre auteur ne perd pas son temps (comme le font vainement ses collègues) à démontrer, à définir, à analyser le vocabulaire et le contenu de cette »croisade« dont il nous parle tant. Il pose en préalable qu’elle existait déjà, sortie toute armée des ondes de la Méditerranée, quand Urbain II s’en est emparé. Mais qu’est­ce donc que cette »croisade«? On le sait, en 1095, le mot croisade n’existe pas et les contemporains, Urbain II en tête ont utilisé d’autres termes: via, iter, negotio, peregrinatio. Preuve de la nouveauté et de la singularité de la chose qu’on Lizenzhinweis: Dieser Beitrag unterliegt der Creative­Commons­Lizenz Namensnennung­Keine kommerzielle Nutzung­Keine Bearbeitung (CC­BY­NC­ND), darf also unter diesen Bedingungen elektronisch benutzt, übermittelt, ausgedruckt und zum Download bereitgestellt werden. Den Text der Lizenz erreichen Sie hier: https://creativecommons.org/licenses/by­nc­nd/4.0/
ne sut pas »nommer« tout de suite. L’auteur n’en a cure. De même ne fait­il aucune référence à la guerre sainte et ne dit pas un mot des travaux reconnus de Jean Flori à ce sujet. Pas un mot non plus du »croisé«, car si à Clermont Urbain II n’a pas prêché la croisade mais ce qui allait s’appeler la croisade, le croisé, le cruce signatus, est né à Clermont. Sa réponse à l’appel du pape est un élément constitutif, au même titre que l’appel, de l’idée de croisade.
Qu’Urbain II ait été l’un des promoteurs d’une politique panméditerranéenne de reconquête et restauration religieuse à la fin du XIe siècle, pourquoi pas. Il y avait différents moyens, il y a eu différentes idéologies pour la mener et la soutenir. Dont la croisade, nouvelle, spécifique, singulière, même si – c’est bien connu – c’est avec du vieux qu’on fait du neuf. Nombreux sont les chapitres de ce volume qui le montrent.
Je laisserai le mot de la fin à Gary Dickson qui dans son article conclusif »Que sont les croisades?« écrit fort sagement: »Ce que sont les croisades n’est pas nécessairement ce qu’elles ont été historiquement et historiographiquement.« Remarquons bien que l’on peut dire la même chose du djihad!
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