LARCIER
10 PRÉFACE
considérait au contraire que ceux qui ont moins de mérites que d’autres ne doi-
vent pas recevoir les mêmes parts, c’est- à- dire les mêmes droits. Mais l’idée
importante d’Aristote est qu’il existe des égalités et des inégalités entre les
hommes, des ressemblances et des différences et que les inégalités et les dif-
férences doivent être corrigées sous certaines conditions et selon un principe
de juste proportion. De la sorte, lorsque des personnes sont dans des situa-
tions différentes, elles doivent pouvoir bénéfi cier de parts inégales, c’est- à- dire
de droits différents. C’est typiquement ce principe qui est invoqué dans les
actions affi rmatives qui visent à créer des inégalités aujourd’hui pour tenter
de gagner des égalités futures. Mais le principe signifi e aussi que lorsque les
personnes sont dans des situations similaires, elles doivent pouvoir bénéfi cier
de parts égales, c’est- à- dire des mêmes droits.
La justice distributive consiste donc à équilibrer la situation des personnes
juridiques à la fois en leur reconnaissant les mêmes droits initiaux et en leur
redistribuant d’autres droits de manière proportionnelle, c’est- à- dire selon un
principe de similarités et de différences pertinentes. Deux remarques impor-
tantes encore sur ce point.
D’abord, il existe un lien fondamental entre la reconnaissance des droits
et l’action en justice. Lorsqu’on reconnaît à quelqu’un le bénéfi ce d’un droit,
du même droit ou d’un droit différent, cela doit signifi er qu’on lui reconnaît
le pouvoir de prétendre à ce droit devant une institution normalement habili-
tée par une constitution ou par un traité. L’extraordinaire développement des
cours constitutionnelles au cours du siècle dernier a d’ailleurs très largement
fait dépendre les questions de redistribution des droits de celles qui relèvent
des actions en justice, c’est- à- dire de problèmes particuliers à résoudre dans
des contextes historiques déterminés. Ce lien entre les droits et la fonction
juridictionnelle est quasiment absent des travaux de philosophie politique et
d’économie normative consacrés à la justice distributive globale. Et, en consé-
quence, la signifi cation qui peut être donnée aux droits reconnus sur la base
d’un principe de justice distributive globale est largement incertaine.
Ensuite, les actions en justice montrent bien, dans les différends qu’elles
révèlent, que les droits sont des biens qui ont des coûts sociaux. C’est seule-
ment dans cette perspective qu’on peut comprendre pourquoi les droits fon-
damentaux, comme les droits subjectifs, sont des ressources rares au sens
économique. Lorsque le juge donne telle ou telle signifi cation à un droit, en
précise la nature et l’étendue et, a fortiori, lorsqu’il reconnaît un droit nou-
veau, il redistribue en réalité d’autres droits, c’est- à- dire d’autres biens écono-
miques. Or l’analyse des droits fondamentaux en termes de coûts sociaux est
fort absente des travaux des juristes.
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