La technique : Explication d`un texte de Descartes extrait de la VI

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La technique : Explication d'un texte de Descartes extrait de la VI° partie du Discours de la
méthode
Sitôt que j'ai eu acquis quelques notions générales touchant la physique, et que, commençant à
les éprouver en diverses difficultés particulières8, j'ai remarqué jusques où elles peuvent conduire,
et combien elles diffèrent des principes dont on s'est servi jusqu'à présent, j'ai cru que je ne
pouvais les tenir cachées sans pécher grandement contre la loi qui nous oblige à procurer, autant
qu'il est en nous, le bien général de tous les hommes Car elles mont fait voir qu'il est possible de
parvenir à des connaissances qui soient fort utiles à la vie, et qu'au lieu de cette philosophie
spéculative, qu'on enseigne dans les écoles, on peut en trouver une pratique, par laquelle,
connaissant la force et les actions du feu, de l'eau, de l'air, des astres, des cieux et de tous les
autres corps qui nous environnent, aussi distinctement que nous connaissons les divers métiers de
nos artisans, nous les pourrions employer en même façon à tous les usages auxquels ils sont
propres et ainsi nous rendre comme maîtres et possesseurs de la nature Ce qui n'est pas
seulement à désirer pour l'invention dune infinité d'artifices, qui feraient qu'on jouirait, sans aucune
peine, des fruits de la terre et de toutes les commodités qui s'y trouvent, mais principalement aussi
pour la conservation de la santé, laquelle est sans doute le premier bien et le fondement de tous
les autres biens de cette vie; car même l'esprit dépend si fort du tempérament, et de la disponibilité
des organes du corps que, sil est possible de trouver quelque moyen qui rende communément les
hommes plus sages et plus habiles qu'ils n'ont été jusques ici, je crois que c'est dans la médecine
qu'on doit le chercher.
DESCARTES, Discours de la Méthode, 1637, VI° partie,
Introduction
Thème
Rapport science / technique
Thèse
La connaissance de la nature ne peut se réduire à une pure spéculation intellectuelle, gratuite et
sans application pratique ; la science doit permettre à l'homme d'agir sur la nature afin de rendre
plus aisée la vie de l'homme sur terre. La science doit donc nous rendre comme maître et
possesseur de la nature.
Problème
Que faut-il entendre par cette formule : comme maître et possesseur de la nature ? Cela signifie-til que l'homme peut disposer de la nature comme bon lui semble, qu'il s'agit d'un ordre des choses
que l'homme pourrait bouleverser au gré de ses désirs dans le simple but d'accéder au bien-être ?
Ou cela signifie-t-il qu'il a en charge cet ordre, qu'il en est le garant et le responsable ?
Enjeu
La place de l'homme dans la nature ; est-il un sujet extérieur, étranger à la nature et pouvant agir
sur elle comme sur un objet malléable à merci, ou est-il celui qui dans la nature (parce qu'il est
esprit) peut agir sur la nature, la transformer afin qu'elle réalise au mieux ses possibilités et accède
à un degré supérieur de perfection ?
1 Les devoirs du savant
- Affirmation de la nouveauté des principes de sa physique et de la nécessité de faire partager ses
connaissances en vue d'applications pratiques concourant au bien général.
==> établissement d'un lien de causalité entre les deux éléments constituant l'affirmation.
==> en quoi ces notions générales diffèrent-elles des principes dont on s'est servi jusqu'à
maintenant
Physique = science de la nature = concerne principalement chez Descartes le mouvement des
corps dans l'espace pouvant être exprimé mathématiquement ==> CF. Dif. partie. Note 8 ==>
optique (=/= phys. spécul. dont il sera question dans la seconde partie).
==> Possibilité d'éprouver les actions réciproques des corps les uns sur les autres et de prévoir
leurs effets ==> Possibilité d'une action de l'homme sur la nature ==> qu'est-ce qu'agir sinon
produire un effet ?
==> Conséquence morale = Nécessité d'en faire profiter tous les hommes. Quel rapport y-a-t-il
entre la technique et la morale ==> toutes deux concernent le domaine de l'action avec cette
différence que l'une définit les moyens tandis que la seconde fixe les fins.
==> La technique nous dit comment faire, tandis que la morale nous dit ce que l'on doit faire.
PB. de Descartes : Que doit-on faire lorsque l'on possède une connaissance dont les applications
dérivées pourraient contribuer au bien général de tous les hommes ? ==> Nécessité morale de
faire partager ce savoir, de le diffuser afin que chacun puisse en bénéficier.
2 Conséquences de cette philosophie pratique
•
•
Philosophie ancienne ==> spéculative = éloignée de l'expérience, de la nature (physique)
et de l'action, philosophie purement théorique (contemplation) et qualitative.
Physique cartésienne ==> philosophie pratique = une connaissance rendant possible une
action efficace.
Comparaison avec les métiers des artisans ==> possibilité de remplacer une technique
approximative fondée sur un savoir empirique par une technique plus efficace fondé sur un savoir
scientifique qui nous rendrait comme maître et possesseur de la nature ==> sens de cette
formule ?
==> Suppose apparemment une extériorité de l'homme par rapport à la nature.
Maître = sujet qui dirige, oriente, commande un être qui lui est extérieur.
Possesseur = sujet qui dispose d'un objet qui est autre que lui, l'avoir, la possession suppose
l'extériorité et l'altérité. sauf si cette possession se réalise sous la forme d'une assimilation, d'une
intégration.
==> La compréhension intellectuelle = prendre avec soi.
==> L'homme est possesseur de la nature non pas parce qu'il s'agit d'un bien dont il dispose mais
parce qu'il la comprend.
==> Nécessité d'insister sur le comme qui exprime l'analogie et non l'identité (d'ailleurs pour
Descartes le seul maître et possesseur de la nature est Dieu).
==> L'homme doit donc contribuer à l'accomplissement de la nature ==> confirmation dans la
deuxième partie.
3 Les fins à poursuivre
==> La santé =rétablissement et accomplissement de l'équilibre naturel du corps.
==> Maintien de l'unité - âme / corps - homme / nature.
Ne pas voir dans Descartes un précurseur de l'exploitation désordonnée de la nature, en tant
qu'œuvre de Dieu la nature est à respecter et la technique contribue plus à son accomplissement
qu'à sa destruction.
Conclusion
Descartes est le premier à établir un lien entre science et technique, entre la connaissance de la
nature et les moyens pouvant être mis en œuvre par l'homme pour la transformer. Mais cette
action ne peut se faire sans règle, elle est au contraire respect des lois immuables de la nature,
lois établies par Dieu qui est le seul et véritable maître et possesseur de la nature.
Autre corrigé
Maître et possesseur de la nature
"Au lieu de cette philosophie spéculative qu'on enseigne dans les écoles, on en peut trouver une pratique,
par laquelle, connaissant la force et les actions du feu, de l'eau, de l'air, des astres, des cieux et de tous les
corps qui nous environnent, aussi distinctement que nous connaissons les divers métiers de nos artisans,
nous les pourrions employer en même façon à tous les usages auxquels ils sont propres, et ainsi nous rendre
comme maîtres et possesseurs de la nature. Ce qui n'est pas seulement à désirer pour l'invention d'une
infinité d'artifices qui feraient qu'on jouirait sans aucune peine des fruits de la terre et de toutes les
commodités qui s'y trouvent, mais principalement aussi pour la conservation de la santé, laquelle est sans
doute le premier bien et le fondement de tous les autres biens de cette vie ; car même l'esprit dépend si fort
du tempérament et de la disposition des organes du corps, que, s'il est possible de trouver quelque moyen qui
rende communément les hommes plus sages et plus habiles qu'ils n'ont été jusqu'ici, je crois que c'est dans la
médecine qu'on doit le chercher."
René DESCARTES. Discours de la Méthode, VI. 1637.
Idée essentielle du texte
Ce texte de Descartes se présente comme une remise en question de la science de son temps et
principalement de l'usage qui en était fait. En effet, Descartes nous présente ici cet ensemble de
connaissances en le qualifiant de « philosophie spéculative », c'est-à-dire comme un savoir procédant d'idées
en idées et orienté uniquement vers la connaissance théorique et la satisfaction de la curiosité intellectuelle
des savants. Or la philosophie que Descartes appelle de ses voeux est une philosophie beaucoup plus en
phase avec l'expérience, avec les réalités concrètes et matérielles auxquelles les hommes sont confrontés
dans leur vie pratique, c'est-à-dire dans le cadre de l'action qu'ils exercent sur le monde et sur la nature.
Descartes souhaite donc que notre savoir nous conduise à une meilleure connaissance de la nature afin de
nous permettre d'exercer une action plus efficace sur celle-ci dans le but de rendre la vie des hommes
meilleure, moins pénible et donc plus propice au bonheur et à la sagesse.
Ce texte peut en quelque sorte être considéré comme l'acte de naissance de la collaboration étroite qui
s'établira entre la science et la technique au cours de l'époque moderne.
Les étapes de l'argumentation
Ce texte est composé de deux parties principales, une première partie dans laquelle Descartes expose la
nature de son projet et une seconde dans laquelle il précise les véritables buts qu'il poursuit en critiquant la
science et la philosophie de son temps au nom d'une approche plus pratique de la connaissance.
Première étape : du début du texte à « ...comme maîtres et possesseurs de la nature. »
Tout d'abord Descartes commence par remettre en question l'enseignement et la conception de la philosophie
en vigueur à son époque, cette philosophie qu'il qualifie de « spéculative » regroupe en fait l'ensemble des
savoirs de son temps, il s'agit donc tout autant de la métaphysique que de la physique que nous appellerions
également aujourd'hui science de la nature. Cette remise en question s'exprime sous la forme d'un souhait
concernant le remplacement de la philosophie qu'il critique (« Au lieu de... ») par une autre qui serait plus
« pratique », c'est-à-dire plus orientée vers l'action et l'efficacité.
Cette philosophie pratique consisterait à utiliser notre connaissance de la nature « connaissant la force et les
actions du feu, de l'eau, de l'air, des astres, des cieux et de tous les corps qui nous environnent, aussi
distinctement que nous connaissons les divers métiers de nos artisans, nous les pourrions employer en même
façon à tous les usages auxquels ils sont propres », le but est donc ici de rendre l'action des hommes sur la
nature plus efficace par une meilleure connaissance de celle-ci. Ainsi les hommes n'auraient plus à subir les
forces de la nature, mais pourraient les utiliser pour vivre plus heureux en dominant la nature au lieu d'être
dominés par elle, en devenant « comme maître et possesseur de la nature ».
Cependant la position de Descartes n'est pas purement matérialiste et ne vise pas simplement le confort
matériel des hommes, mais poursuit des buts plus élevés. C'est pourquoi il va préciser ensuite ce qui motive
réellement son désir de faire évoluer la science dans la voie qu'il vient d'indiquer.
Deuxième étapes : de « Ce qui n'est pas seulement à désirer... » à la fin du texte.
Dans cette seconde articulation du texte Descartes renvoie au second plan l'intérêt matériel que pourrait
représenter une telle évolution « Ce qui n'est pas seulement à désirer pour l'invention d'une infinité
d'artifices qui feraient qu'on jouirait sans aucune peine des fruits de la terre et de toutes les commodités qui
s'y trouvent,... » pour justifier celle-ci dans le cadre de la médecine « pour la conservation de la santé », en
effet une meilleure connaissance de l'organisation de notre corps pourra avoir comme conséquence la
possibilité de mieux agir sur lui lorsqu'il souffre de certains dysfonctionnement.
En effet Descartes considère que la vie de l'Esprit, même si selon lui ce dernier est substantiellement distinct
du corps, est dépendante de l'union de l'âme avec le corps, ce qui fait que la santé du corps à une incidence
sur son équilibre et son activité (il n'est pas difficile en effet de comprendre que la souffrance ou la fatigue du
corps empêche l'esprit de penser avec rigueur et lucidité). C'est pourquoi il affirme que la réalisation de son
projet aurait pour conséquence, en faisant progresser la médecine (qui est une technique avant d'être une
science), de rendre les hommes plus « sages et plus habiles qu’ils n’ont été jusqu'ici,... »
Ainsi en s'opposant à la philosophie spéculative héritée de l'antiquité Descartes se place-t-il en précurseur
puisqu'il annonce la collaboration étroite des sciences et des techniques qui est le propre de l'époque
moderne.
Que veut-dire Descartes lorsqu'il affirme que la philosophie pratique qu'il souhaite développer
pourrait nous rendre « comme maître et possesseur de la nature » ?
Cette formule de Descartes peut sonner aux oreilles du lecteur comme une affirmation sans restriction de la
supériorité de l'homme sur la nature et comme l'annonce de toutes les agressions que l'activité scientifique et
technique fera subir au cours de l'époque moderne à notre environnement naturel.
En effet l'homme « maître et possesseur de la nature » pourra s'accorder le droit de faire subir à la nature
toutes les transformations que nécessite la satisfaction de ses désirs. La nature ne serait plus alors perçue que
comme un objet sur lequel il pourrait exercer sa puissance sans aucun souci des conséquences de son action
sur les générations futures et les autres êtres vivants, sans aucun souci de préserver l'équilibre de la nature.
Or si nous lisons attentivement ce texte, nous remarquons que Descartes ne dit pas exactement cela, il y a en
effet dans la phrase qu'il emploie un terme important qui, cependant, passe souvent inaperçu lors d'une
première lecture, il s'agit du mot « comme », en effet Descartes ne dit pas que l'homme grâce à cette
philosophie pratique va devenir « maître et possesseur de la nature », mais qu'il va de venir « comme maître
et possesseur de la nature ».
Autrement dit, il n'y aura pas entre l'homme et le véritable maître et possesseur de la nature une relation
d'identité, mais une simple similitude, une ressemblance qui limitera donc les pouvoirs de l'homme sur la
nature. D'ailleurs si l'on connaît quelque peu la pensée de Descartes on comprend qu'il n'est pas possible que
l'homme atteigne ce niveau de puissance puisque le seule « maître et possesseur de la nature » est son
créateur c'est-à-dire Dieu. L'homme est donc investi d'une certaine responsabilité vis à vis de la création sur
laquelle il ne peut pas agir à sa guise, simplement pour assurer son confort et satisfaire ses désirs.
Les précisions qu'apporte Descartes sur la finalité de son projet confirment d'ailleurs cette impression, car
l'art de la médecine qui conjugue la connaissance scientifique du corps humain et l'action sur celui-ci pour lui
redonner la santé ne consiste pas à modifier la nature en profondeur, mais plutôt à la seconder pour rétablir
un équilibre rompu.
On ne peut donc, en se référant à cette formule, accuser Descartes d'avoir encourager toutes les dérives
résultant d'un usage irréfléchi des sciences et des techniques au cours de ces derniers siècles, bien au
contraire par les précautions qu'il prend Descartes nous inciterait plutôt à faire preuve de vigilance et de
responsabilité.
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