LES CAHIERS DE LA SOCIÉTÉ QUÉBÉCOISE DE RECHERCHE EN MUSIQUE,
VOL. 9, N
OS
1-2, p. 81-91.
Chez les groupes rock québécois, la présence du violon s’insère dans une culture où
la différenciation nationale, en lien avec un patrimoine musical et un folklore à
revitaliser, ressort comme un facteur incontournable. Il n’y a pourtant rien de
nouveau a priori dans cette approche et dans ce désir de revitalisation
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. Plusieurs
groupes québécois de musique traditionnelle s’évertuent depuis bon nombre
d’années à faire connaître la musique folklorique et à réinventer son discours : on
pense à La Bottine souriante, La Chasse galerie, La Volée d’Castors, Les
Charbonniers de l’enfer, etc. Ainsi, lorsque l’instrumentation traditionnelle a été
évoquée depuis la Révolution tranquille, elle a généralement été associée à une
forme de pérennisation de la musique folklorique québécoise, donc d’une certaine
façon à un passé à réinventer et à préserver, d’où le qualificatif « traditionnel » pour
caractériser cette musique. Dans ce contexte, le violon en est venu à évoquer, au
sein de l’imaginaire collectif des Québécois, le patrimoine culturel issu de la tradition
orale d’avant la Révolution tranquille : on pense aux violoneux, aux rigaudons
d’antan et aux danses populaires autour desquelles se réunissaient les anciens
Canadiens français
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. Ces gigues
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, danses carrées et autres airs traditionnels se
rattachent à l’identité québécoise en ce qu’ils ont marqué notre conception de
l’ancien monde avec ses réunions festives et son caractère rassembleur. Il s’agit
donc ici de s’intéresser à l’intégration du violon dans la structure musicale rock et
d’appréhender les nouveaux horizons d’exploration sonore qu’elle permet. S’attarder
à cette rencontre entre deux univers distincts, mais complémentaires dans la
pratique musicale
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, nous permettra de mieux éclairer la sonorité que proposent ces
groupes et la dimension stylistique sur laquelle elle s’appuie.
Pour comprendre la spécificité sonore mise en place dans cette adjonction du violon
au quatuor rock, débutons par une première distinction. Toujours selon Risset (2004,
142), les instruments peuvent être classés en deux grandes familles en fonction de
l’évolution du son dans le temps : les instruments qui exigent un contrôle constant
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Il convient ici d’évoquer l’instrumentation des groupes d’origine acadienne, qui constituent également
un cas de figure du fait francophone en Amérique du Nord. En effet, la musique cajun louisianaise,
originellement jouée par les Blancs, s’articule essentiellement autour de la culture du violon, qui
remonte au XIX
e
siècle et qui se rapproche de la musique country et du western swing (contrairement
à la branche Zydeco de la musique cajun, originellement jouée par les Noirs et centrée sur
l’accordéon, qui est plus près du blues et du rhythm and blues). Leur formation intègre également
plusieurs instruments issus de la tradition rurale : l’accordéon, la guitare, le triangle, le frottoir (planche
à laver) et l’harmonica (http://fr.wikipedia.org/wiki/Musique_cajun). Le groupe Suroît (1977) est celui
qui tient le mieux compte de cette hybridation possible entre cultures québécoise et acadienne en
offrant une musique folk rock revisitée, qui s’inspire également de la culture celtique. Zachary Richard
est un des pionniers parmi les chanteurs acadiens à avoir jeté des ponts culturels entre les
communautés francophones d’Amérique (Québec, Louisiane, Nouvelle-Orléans).
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Pour une meilleure illustration de cette réalité, voir les images et les commentaires du documentaire
de l’Office national du film intitulé Je chante pour…, mettant en vedette Gilles Vigneault et produit par
la CBC en 1971.
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La gigue n’est pas une invention purement québécoise. On en retrouve sous différentes formes dans
le répertoire folklorique irlandais, mais elle serait d’origine anglaise. En musique de tradition classique,
elle est la première danse à être incorporée à la suite française. Il existe également plusieurs sortes
de gigues issues de la tradition irlandaise, en rythmes binaires ou ternaires : la reel jig ou single jig en
6/8 (la plus proche de la gigue québécoise, qu’on appelle également quadrille), la double jig, aussi en
6/8, mais avec des valeurs diminuées, et la slip jig en 9/8 (voir Joyal 1998-1999).
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Qu’on pense au courant folk rock des années 1960, lancé par Dylan et repris par les Byrds, Simon
and Garfunkel, etc. Il s’agissait précisément d’une rencontre sur fond politique et identitaire, proche du
Mouvement des droits civiques. Le country rock américain offre également quelques exemples, dont
Kansas (« Dust in the Wind »). D’autre part, le violon est incorporé depuis 1975 dans le rock irlandais.