Réseaux blazés binaires : définition La méthode établie de fabrication des optiques diffractives consiste à imposer à la surface des composants des reliefs continus (échelette) séparés par des discontinuités, voir figure a). Quelques PME américaines et quelques Instituts de recherche commercialisent des composants à la demande. Alternativement, on peut a) imaginer des réseaux blazés en indice (voir Fig. b) qui, aux pertes par réflexion de Fresnel près et pour de grandes périodes, sont strictement équivalents aux réseaux échelettes si n(x)h = nh(x), expression traduisant simplement l’égalité des chemins optiques b) à la côte x entre un réseau (blazé en indice) de hauteur h constante présentant un profil d’indice n(x) et un réseau (échelette) gravé dans un matériau homogène d’indice n et de hauteur variable h(x). Il est très difficile de fabriquer des réseaux blazés en c) indice, mais on peut s’en approcher en considérant des composants structurés à une échelle plus fine a) profil continu type réseau à échelette classique que la longueur d’onde. Sur la Fig. c), le motif (période Λ). Aux pertes de Fresnel près, ce réseau est comporte plusieurs traits par période. La largeur de 100% efficace aux grandes périodes : il diffracte toute ces traits augmente progressivement de la gauche la lumière dans son ordre utile, l’ordre 1 en général. vers la droite sur une période ; la lumière incidente b) composant imaginaire appelé réseau blazé en dans la partie gauche « ressent » plutôt un matériau indice. Le réseau n’a pas de relief ; il est simplement de faible indice, celle incidente dans la partie droite modulé en indice et cette modulation est un gradient plutôt un matériau de fort indice. L’augmentation d’indice parallèle au substrat. c) approximation binaire d’un composant blazé en progressive de la largeur des traits mime ainsi un gradient d’indice parallèle au substrat. Le composant indice. est blazé et son profil est binaire. Sur cette idée, grâce aux progrès récents en modélisation électromagnétique des réseaux, notre équipe, en collaboration avec le LMM à Bagneux, a obtenu en 1998-2000 des composants diffractifs qui opèrent en régime d’indice effectif. La photographie ci-contre obtenue au microscope électronique à balayage montre un exemple de réalisation*. Il s’agit d’un réseau de période 3λ constitué de cinq piliers par période qui est conçu pour être blazé à 633 nm. Son efficacité de diffraction en incidence normale est de 82% en lumière non polarisée. * S. Astilean, Ph. Lalanne, P. Chavel, E. Cambril and H. Launois, Opt. Lett. 23, 552-554 (1998). Ph. Lalanne, S. Astilean, P. Chavel, E. Cambril and H. Launois, Opt. Lett. 23, 1081-1083 (1998). Ph. Lalanne, S. Astilean , P. Chavel, E. Cambril and H. Launois, Optics & Photonics News 9, 21-22 (Déc. 1998). Ph. Lalanne, S. Astilean , P. Chavel, E. Cambril and H. Launois, J. Opt. Soc. Am. A 16, 1143-1156 (1999). L. Lee, Ph. Lalanne, J.C. Rodier and E. cambril, Opt. Lett. 25, 1690-1692 (2000). Réseaux blazés binaires : état de l’art en 2000 Nos composants sont parmi les tout premiers et détiennent actuellement les records d'efficacité de diffraction dans le domaine résonnant, comme en témoignent les figures ci-dessous. 1 00 o : c o m p o s a nt s e n s i b le à la p o la ri s a ti o n 95 Efficacités de réseaux blazés binaires réalisés dans différents laboratoires autres que l’IOTA. (1-2) : Cornell University, OL 20, 121 (1995), OL 21, 177 (1996). (3) : Sandia Lab. OL 20, 1441 (1995). ( ???) : US Army, Caltech OL 25, 381 (2000), bizarrement, l’efficacité n’est pas donnée dans l’article. x : c o m p o s a nt " i ns e ns i b le " à la p o la ri s a ti o n 90 85 e ffic a cité 80 75 (? ?? ) 70 (3 ) 65 60 55 (1 ) (2 ) 50 5 50 6 00 6 50 7 00 7 50 8 00 8 50 9 00 9 50 1 00 0 1 05 0 1 10 0 lo ng u e u r d 'o nd e (n m ) Comparaison entre les réseaux blazés binaires et les réseaux blazés échelette. Les efficacités sont données en lumière non polarisée, pour une incidence normale et en transmission. Résultats expérimentaux dans le visible: triangles : réseaux IOTA-LMM. + : réseaux blazés échelette obtenus par écriture laser par l’équipe du CSEM [Appl. Opt. 37, 4069 (1998)]. o : réseaux blazés échelette fabriqués par écriture électronique (Japonais en 1982 et Finlandais en 1999) Résultats théoriques : Courbe en trait continu : efficacité des réseaux blazés échelette gravés dans du verre (le profil triangulaire est idéal) 100 90 Efficacité (%) 80 70 60 50 40 0 10 1 2 10 10 Λ /λ • • Il apparaît que : si on ne compare que les résultats expérimentaux entre eux, les réseaux blazés binaires offrent de meilleures efficacités tant que la période Λ est plus petite que 20λ. Si on compare nos résultats expérimentaux avec des résultats issus d’un calcul électromagnétique (le profil triangulaire est supposé parfait), , les réseaux blazés binaires offrent de meilleures efficacités tant que la période Λ est plus petite que 5λ (angle de déviation dans l’ordre 1 supérieur à 11°). Aux grandes périodes, les résultats expérimentaux obtenus pour les réseaux blazés binaires ne sont pas concluants. Ceci est dû à des problèmes de fabrication, notamment comme le montre des résultats de tests interférométriques, la taille des piliers fabriqués s’écarte sensiblement de leur taille nominale. Il est clair que échantillonner une phase lentement variable avec des motifs sub-λ n’est pas une solution naturelle et représente un challenge technologique dans le visible. 2 Effet de guidage : “réseau phasé” Les composants diffractifs blazés à échelette offrent des efficacités de diffraction remarquables quand les périodes locales sont grandes devant λ. Par contre, dès que les périodes locales sont de l’ordre de quelques λ (angles de déviation dans l’ordre 1 allant de quelques degrés à quelques dizaines de degrés, on parle également d'optiques diffractives opérant dans le domaine résonnant), la performance des optiques blazées chute très sensiblement. A cela deux raisons. La première est d’ordre technique : lors de l’écriture sous faisceau convergent, il est délicat onde plane incidente de maîtriser simultanément des doses linéairement zone morte variables (profil échelette) et des transitions abruptes (parois verticales en bord de zone). La seconde raison est d’ordre fondamental : pour les petites périodes, la structure à échelette, même idéale, n’offre pas une efficacité de 100%, c'est-àdire qu'elle ne permet pas de dévier toute la lumière dans son ordre 1. Ce point est illustré de manière simplifiée par le tracé de rayons sur la figure cidessus. direction ordre 1 Ce problème est d’importance car il restreint en pratique l’impact des optiques diffractives aux seuls composants qui, en quelque sorte, n’interagissent que faiblement avec la lumière : correction des aberrations géométriques et achromatisation de systèmes optiques ou, plus généralement, synthèse de composants de mise en forme de faisceaux qui ne dévient que faiblement la lumière. Un des enjeux majeurs des recherches menées actuellement est de concevoir et fabriquer des composants diffractifs efficaces dans le domaine résonnant. Nous avons expliqué† pourquoi les réseaux blazés binaires ne souffraient pas de ce problème en montrant que les gros piliers (ceux qui sont placés notamment dans la zone morte) agissent comme des guides d’onde verticaux qui confinent le champ et canalisent le flux d’énergie lors de la traversée du réseau. Ce point est illustré sur la figure ci-contre qui représente (en niveau de gris) le champ magnétique dans un réseau constitué de 4 piliers. Il apparaît dans les deux piliers de droite des ventres et des nœuds de champ qui correspondent à la présence d’ondes stationnaires. La distance entre deux nœuds est typiquement λ/2/neff. Le vecteur de Poynting représenté par de petites flèches blanches est relativement vertical, ce qui atteste que l’effet de guidage canalise le flux d’énergie et réduit, ou même annule, l’effet d’ombrage. A notre avis, ce phénomène est intrinsèque aux structures de dimension légèrement sub-λ et est particulièrement important dans des matériaux de fort indice comme le TiO2 que nous utilisons pour nos réalisations dans le visible. Cet effet devrait être accentué dans l’infrarouge avec des matériaux semiconducteurs. † Ph. Lalanne, "Waveguiding in blazed-binary diffractive elements", J.Opt. Soc. Am. A 16, 2517-2520 (1999). 3 Tenue à l’incidence des optiques blazées binaires A l’effet de guidage précédent peut être donnée une autre interprétation. Eclairé par une onde laser spatialement cohérente, l’ensemble des petits piliers se comporte comme un ensemble d’émetteurs cohérents dont la phase est contrôlée par la largeur des piliers. C’est l’équivalent optique des réseaux phasés des radaristes. Cette image reste valable si l’illumination a une incidence oblique comme le montre le schéma ci-contre. Par rapport à l’ordre zéro transmis, l’onde transmise par le réseau subit un déphasage (ψ 1, ψ 2, ψ 3) semblable à celui que subirait une onde en incidence normale. En conséquence, les réseaux blazés binaires (ou de manière générale, les optiques blazées binaires) restent efficaces même pour des incidences fortement obliques. Nous avons vérifié expérimentalement cette φ3 φ2 φ1 propriété‡ pour deux réseaux constitués de 3 et 6 piliers et de périodes Λ = 990 nm et 1980 nm. Par exemple, pour le réseau à 3 piliers, nous avons observé que l’efficacité (les croix sur la figure cidessous) à 633 nm en lumière non-polarisée est supérieure à 70% sur un large intervalle angulaire ψ1 +φ ψ2 + φ2 ψ3 + φ3 1 de plus de 60°. Cette efficacité passe par un maximum pour sin(θ) ≈ λ/2Λ qui correspond à une incidence type Littrow. A titre de comparaison, les efficacités de diffraction théoriques d’un réseau ordre zéro échelette de même période gravé dans le verre (courbe en pointillé), et d’un réseau binaire multiniveaux [Noponen et al., AO 31, 5910 (1992)] composé de 4 marches en escalier optimisées pour maximiser l’efficacité dans l’ordre 1 en incidence normale (courbe en trait continu) sont représentées. 0 .9 0 .8 b la z ed -b ina ry E f f icie nc y 0 .7 o p tim iz e d m ultilev e l 0 .6 0 .5 0 .4 0 .3 0 .2 é chele tte 0 .1 0 -8 0 -6 0 -4 0 -2 0 0 20 a ng le (in a ir) Expérimentalement, nous avons de plus vérifié que l’efficacité des réseaux blazés binaires est peu sensible à l’incidence quand le plan d’incidence est perpendiculaire au vecteur réseau. Au bilan, ce travail suggère que les optiques blazées binaires peuvent être utilisées dans des systèmes d’imagerie hors axe et/ou avec des champs objet et image importants. De manière plus générale, cette propriété de tenue à l’incidence qui est unique en optique diffractive, atteste que nos premiers résultats obtenus en incidence normale ne sont pas fortuits et que l’approche « blazée binaire » est saine. ‡ M.S.L. Lee, Ph. Lalanne and J.C. Rodier, "Wide-field-angle behavior of blazed-binary gratings in the resonance domain", Opt. Lett. (Déc. 2000). 4 Modélisation des composants blazés binaires synthétisant des fonctions de phase lentement variables Cette étude concerne les optiques diffractives de grandes périodes devant la longueur d’onde, c’est-àdire dont la phase varie lentement à l’échelle de la longueur d’onde. Les composants concernés sont très courants : des phases lentement variables se rencontrent par exemple dans les zones centrales des lentilles diffractives ou dans les optiques hybrides dédiées à la compensation d’aberrations géométriques ou chromatiques dans les systèmes d’imagerie notamment infrarouge. Dans le visible, Canon a récemment développé un objectif photo (de focale 400 mm et d’ouverture f/4) qui contient un élément diffractif multiniveaux. En optique diffractive classique, les performances de ces composants sont calculées à l’aide de la théorie scalaire. Dans le cas des structures blazées binaires, on ne peut se contenter de cette approche car les composants, bien que présentant des phases lentement variables, sont structurés à l’échelle de λ. Comme dans le domaine résonnant, il faut de fait utiliser la théorie électromagnétique. Cependant pour des raisons de limitation de mémoire, le cas des optiques blazées binaires de périodes supérieures à typiquement dix longueurs d’onde ne peut plus être traité. Nous avons donc mis en * œuvre un modèle approché permettant de prédire les performances (spectrale et angulaire) d’une optique diffractive blazée binaire dont la fonction de phase quelconque varie lentement à l’échelle de la longueur d’onde. Ce modèle repose sur des principes physiques simples et utilise à la fois la théorie électromagnétique et la théorie scalaire. Il exploite notamment la notion de transmittance couramment utilisée en optique de Fourier. Cette notion est complètement légitime ici car la phase, étant une fonction lentement variable de λ, localement à l’échelle de plusieurs λ, la structure est équivalente à un réseau sub-λ qui ne diffracte que dans ses ordres zéro. Afin de valider ce modèle, nous l’avons confronté à des résultats de calculs électromagnétiques obtenus pour des réseaux blazés binaires de période croissante. Ces résultats ont été extrapolés afin d’obtenir la limite de l’efficacité pour des périodes infiniment grandes à l’échelle de la longueur d’onde (λ/Λ → 0). Nous avons obtenu un très bon accord entre les valeurs extrapolées et les prédictions du modèle, voir la figure ci-dessous. 97 5 97.5 Efficc ac ité d ans l'ordre 1 (% ) P réd ic tio n s d u m o d è le 97 Figure : Efficacité de diffraction dans l’ordre 1 de réseaux blazés binaires en fonction du rapport de la longueur d’onde sur la période. Les ronds et les croix correspondent respectivement à une illumination du réseau en polarisation TM et en polarisation TE. Le rond et la croix représentés en gras correspondent aux prédictions de l’efficacité obtenues à l’aide du modèle (λ/Λ → 0). 96.5 96 95.5 95 94.5 C a llc u ls l é le ctro m a g n é tiq u e s 94 93.5 0 0.02 0.04 λ /Λ 0.06 0.08 0.1 Bien qu’il ait été testé pour des réseaux, ce modèle s’applique aux composants blazés binaires présentant une fonction de phase quelconque. C’est un outil efficace qui devrait permettre d’optimiser les performances des optiques hybrides conçues avec une approche « blazée binaire ». * M.S.L. Lee, Ph. Lalanne and P. Chavel, "Blazed-binary diffractive elements with periods much larger than the wavelength", J. Opt. Soc. Am. A. 17, 1250-1255 (2000). 5 Réseau séparateur de polarisation Dans le cadre du contrat européen RODCI, nous avons démontré la faisabilité de réseaux de diffraction lamellaires§ qui se comportent comme des cubes séparateurs de polarisation, les ondes polarisées TE et TM étant diffractées respectivement dans les ordres zéro et un. Des composants diffractifs se comportant comme des cubes séparateurs de polarisation sont connus depuis fort longtemps (au moins depuis le modèle de Kogelnik des hologrammes de volume). L’originalité de notre travail réside dans le fait que nous avons considéré des réseaux de reliefs obtenus par gravure binaire. L’intérêt de tels réseaux réside dans le fait que • La hauteur du réseau étant typiquement de l’ordre de grandeur de λ, le composant s'intègre bien dans des systèmes de microoptique. • Le composant est susceptible d’être dupliqué en masse et donc d’être fabriqué à bas coût. En collaboration avec le LMM à Bagneux, des réseaux ont été fabriqués dans une couche de TiO2 déposée sur un substrat de verre, voir figure ci-dessous. Les tests expérimentaux ont montré des rapports d’extinction supérieurs à 150 (le rapport d’extinction est défini dans chaque ordre par le rapport entre l’énergie transmise avec la polarisation désirée et le résidu dans l’autre polarisation). A titre comparatif, notons que les cubes séparateurs de polarisation conventionnels (multicouches) du catalogue Melles Griot, par exemple, sont donnés pour une valeur nominale de 80. Photographie au microscope électronique à balayage d’un réseau lamellaire agissant comme un cube séparateur de polarisation à 633 nm en transmission. Eclairé depuis le substrat de verre à 45° d’incidence, la lumière polarisée parallèlement aux traits du réseau est quasiment transmise en totalité dans l’ordre zéro, alors que celle polarisée perpendiculairement aux traits du réseau est transmise dans l’ordre un. Les traits sont gravés dans une couche de TiO2 déposée sur un substrat de verre. En 1999, ce résultat expérimental établissait l’état de l’art dans le domaine des réseaux séparateurs de polarisation. § Ph. Lalanne, J. Hazard, P. Chavel, E. Cambril and H. Launois, "A transmission polarizing beam splitter grating", J. Opt. A: Pure Appl. Opt. 1, 215-219 (1999). 6