Note d’intention
D’OLIVIER DESBORDES
Mon propos est de replacer cette « comédie musicale » dans son contexte historique,
et de ne pas obéir aux critères contemporains inuencés par le rythme télévisuel.
Le magnique lm de Bob Fosse a fait oublier l’oeuvre originale créée pour le théâtre,
la version scénique est plus resserrée et aborde les sujets de façon plus directe.
Ainsi, les personnages de Frau Schneider et de Herr Schultz, oubliés dans le lm, prennent
une grande importance. Le va-et-vient entre les drames privés, le contexte historique
et la joie surfaite du cabaret sont la richesse de cette œuvre.
Dans le Lac d’Argent de Kurt Weill, dans les revues de Spoliansky, dans les livres de
Klaus et Erika Mann, dans l’Ange Bleu d’Heinrich Mann et de Von Sternberg, j’ai trouvé
les origines de Cabaret, les sources d’inspirations des auteurs de la comédie musicale.
Se servant à la base de l’ouvrage de Christopher Isherwood : Adieu à Berlin, ils se sont
extrêmement bien documentés sur le Berlin des années 25-33 et ont ainsi voulu traiter
le sujet dans son contexte culturel et politique.
J’ai demandé à Patrice Gouron et à Jean-Michel Angays d’organiser un univers de
coulisses de cabaret comme je les ai connus dans les années 70/80 lorsque je travaillais
au Casino de Paris ou au Lido comme simple technicien. Un « condensé du monde »,
un échantillonnage de l’espèce humaine est représenté... soit dans une solitude au
milieu du groupe, soit dans une cohabitation forcée parée d’un cabotinage de cir-
constance.
J’imagine aussi les coulisses d’un cirque où se rencontrent dompteurs, ballerines, jongleurs,
clowns, techniciens, garçons de piste...
Récemment, j’ai revu la scène magique du music hall dans le « Loulou de Pabst » où
se jouent à la fois un spectacle sur scène, une comédie en coulisse et un drame dans
les loges... le monde du théâtre est un résumé de l’humanité, avec ses joies et ses
compromissions.
Le maître de cérémonie de ce cabaret, comme un magicien, nous fait passer sans
cesse de l’intime sur une petite scène de théâtre à la grande scène du cabaret s’eni-
vrant de plaisirs aveuglants. C’est pour cela que le décor sera à la fois : la coulisse,
la scène, les loges... une ruche avec un petit théâtre en son cœur.
Le vieux marchand juif sera inévitablement le clown sur qui l’on envoie des balles de
tissu pour focaliser les angoisses générales, tel autre aura son brassard nazi, tel autre
son étoile jaune ou son triangle rose... c’est le génie de cette oeuvre très humaine
que je vais chercher à révéler avec les artistes que j’ai choisi ou qui m’ont choisi !
Le lieu du cabaret permet comme dans le cinéma muet expressionniste, de grossir
le trait, c’est le sens des costumes que nous préparons avec ses « fantômes » de la
mythologie des années 30, le décor « constructiviste » permet de rendre irréaliste et
énigmatique les rapports entre ces marionnettes énormes non dépourvues d’émotion,
de vie et d’humanité. La musique inoubliable ajoute à cette poésie...
« Ni pièce ni chanson ne pouvait arrêter cette marche vers l’inhumanité »
Douglas Sirk