Clarifier le paysage politique
Être de gauche, c’est considérer que le principe de valorisation maximale du capital n’est pas le dernier
mot quant à l’organisation de la vie économique et de la vie en société. Être de gauche, c’est prôner
une démocratie anticapitaliste, un syndicalisme anticapitaliste, un secteur associatif anticapitaliste, un
État anticapitaliste. Le mot fait un peu peur, certes. Il semble démodé et bien peu à même de mobiliser
un électorat important, en dehors de quelques franges dites aujourd’hui d’« extrême gauche ». Mais
voyons ce que cette terminologie implique. Dans la campagne électorale française, le PS a dit craindre
un morcellement de l’électorat de gauche à cause de la multiplication de petits candidats au sein de la
« gauche anticapitaliste ». Il faut donc en inférer qu’il existerait une importante « gauche pro-
capitaliste » (et qui n’est pas anticapitaliste est nécessairement pro-capitaliste par omission). Qu’est-ce
qui distinguerait la gauche pro-capitaliste de la droite ?
La droite pense que la logique de système du capitalisme est la bonne, et que tout changement social
doit s’inscrire à l’intérieur de cette logique capitaliste. La gauche dite « anticapitaliste » prétend, à
l’opposé, qu’aucun changement social durable ne peut avoir lieu sans qu’on porte atteinte à la logique
du capitalisme lui-même. Quant à la gauche pro-capitaliste, elle maintient qu’il est suffisant, pour créer
une société libératrice, de réformer le capitalisme « du dedans », sans toucher à sa logique de fond. La
droite dit que la logique capitaliste ne doit pas être réformée mais, au contraire, servir de point d’appui
pour les avancées sociales, toutes portées peu ou prou par la valorisation de certains capitaux ; la
gauche pro-capitaliste, elle, dit que la logique capitaliste ne peut pas être réformée, mais peut être
« encadrée » par règles et normes, dont aucune ne porte atteinte à la valorisation des divers capitaux.
Au plan des résultats observables, est-ce qu’il y a une réelle différence ? Je ne le crois pas, et c’est ce
qui rend de plus en plus illisible le paysage politique.
Dans la campagne présidentielle française, le seul moment où Ségolène Royal s’est démarquée
comme clairement « de gauche » fut quand elle montra des velléités d’instaurer des mesures fiscales
anticapitalistes, telles qu’une consolidation de l’impôt sur la fortune ou un accroissement des taux
marginaux sur les hauts revenus. Ce qui caractérise ces mesures, c’est qu’elles vont à l’encontre du
principe de valorisation maximale des capitaux et sont donc perçues, par les élites capitalistes, comme
des « confiscations ». La gauche pro-capitaliste crie alors au scandale, ce en quoi elle ne se distingue
en rien de la droite, si ce n’est par une chose fondamentale : la mauvaise conscience |1|. Là où la droite
voit le capitalisme comme le bon système, la gauche pro-capitaliste le voit comme un mauvais système
qui lui a échappé et qu’elle ne se sent plus la force de contester en profondeur. Elle avance alors les
exemples, devenus classiques, des « acquis sociaux » de la social-démocratie : amélioration des
conditions de vie ouvrières, libération de la femme, Sécurité sociale. Question : laissée à elle seule, la
logique du capitalisme aurait-elle permis ces avancées ? Réponse : oui, dans la mesure où des ouvriers
moins pauvres, des femmes émancipées et des citoyens mieux soignés sont nécessaires à un
capitalisme qui fonctionne d’une manière optimale. La mauvaise conscience de la gauche pro-
capitaliste actuelle, et du PS français en particulier, c’est de ne plus se sentir « autorisé » à critiquer le
capitalisme en soi. La social-démocratie est donc, tout autant, un produit du capitalisme qu’une avancée
du socialisme. Du coup, entre la droite et la gauche pro-capitaliste, tout est question de minuscules
degrés, de détails régulatoires, certes importants, mais sans impact sur la vision de fond d’une société
plus libre, plus libératrice puisque devant passer le test de la compatibilité avec la logique capitaliste et
ses contraintes.
L’avenir ? L’économie sociale !
Une gauche pro-capitaliste est, dans une large mesure, un non-sens. Il existe des pro-capitalistes
décomplexés et des pro-capitalistes mal à l’aise. Le rôle de ces derniers est sans doute non