personnes qui quittent leur pays natal sont encore bien souvent des pauvres,
mais de plus en plus des pauvres qui ne devraient pas l’être, c’est-à-dire des
personnes qui disposent d’un capital culturel et éducatif assez élevé mais qui
ont du mal à le faire valoir dans les conditions de leur pays d’origine. Ces
migrants plus informés et actifs, qui ont des compétences à offrir, explorent à
leur façon les chemins de la mondialisation. Ils se dotent en particulier de
cette propriété qui est souvent reconnue comme une qualité pour le bon fonc-
tionnement des marchés du travail : la mobilité. Aujourd’hui, le schéma clas-
sique de l’immigration (d’un pays de départ vers un pays d’accueil bien
déterminé) n’a pas disparu mais évolue pour faire progressivement place à
des circulations migratoires plus complexes dont les origines se diversifient
et dont la destination finale peut être plus lointaine et plus incertaine. Cette
évolution participe à une véritable mobilité internationale qui fait jouer à cer-
tains pays d’accueil un rôle de transit plus ou moins durable pour des migra-
tions répétées. Avec ces migrants plus éduqués et plus mobiles, passe-t-on de
la migration des « misérables » à celle des « élites » ? Il y a débat à cet égard,
lequel ne peut être aussi tranché que par l’observation. Mais ces « élites »
sont souvent invisibles car la transférabilité de son propre capital humain,
d’un lieu à un autre, ne va pas de soi : qui sait voir, derrière le migrant appa-
remment non qualifié parce qu’il effectue un travail considéré comme tel et
qu’il éprouve des difficultés linguistiques, la personne dotée d’un capital cul-
turel et de capacités professionnelles parfois surprenants (comme ce fut le cas
lorsque des sociologues sont allés enquêter dans le camp de Sangatte) ? Nul
besoin d’exagérer : la migration de « misérables » en proie au dénuement
extrême est toujours là (voir par exemple le cas des migrants africains passant
le détroit de Gibraltar). Mais la mixité sociale des mouvements migratoires
est sans doute bien plus mêlée qu’auparavant, sans qu’il soit aisé d’apprécier
correctement leur composition sociale. De fait, dans certains pays d’accueil –
c’est net au Royaume-Uni – les actifs d’origine immigrée sont surreprésentés
dans la population active aux deux bouts de l’échelle des qualifications 1.
Un régime migratoire européen ni stabilisé, ni unifié
Le développement de la mobilité des migrants est facteur d’homogénéisation
de l’espace au sein duquel ils circulent. Mais il s’agit là de très long terme...
L’Union européenne (UE) est encore bien loin de constituer un tel espace
homogène. L’Union européenne (à quinze) est devenue une terre généralisée
d’immigration, ce qu’elle n’était pas jusqu’aux années cinquante, en dépit de
la tradition de recours à l’immigration d’un pays comme la France.
Aujourd’hui, tous les pays de l’Union européenne (hors nouveaux membres
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Deux ou trois idées non reçues sur les migrations
1Un film récent de Stephen Frears, Dirty Pretty Things, met en scène, au Royaume-Uni, le
couple impossible formé par une jeune immigrée turque, venue là pour échapper à l’emprise
familiale et réduite au travail clandestin, et un médecin africain, victime de persécutions juridi-
ques dans son pays et dont seuls les compagnons d’infortune connaissent, pour recourir à ses
services, le véritable métier... jusqu’à ce que quelques trafiquants voient, dans cette qualifica-
tion cachée et cette vulnérabilité, une bonne occasion à exploiter.