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Criticisme et chose en soi chez Kant et Fichte
Maria Hotes1, Université de Montréal.
Résumé :
En 1797, à la suite des objections adressées à la philosophie kantienne par Jacobi (1787)
et Schulze (1792), Fichte entend « sauver » le criticisme en débarrassant le discours
théorique des choses en soi. En radicalisant ainsi l’idéalisme transcendantal, Fichte
prétendait fournir une version cohérente du criticisme. Pourtant, en 1799, Kant se
dissocie publiquement du projet fichtéen, auquel il refuse l’épithète « critique », et ce, en
raison de l’absence d’un « objet réel » dans la Doctrine de la science de Fichte. Comme
nous le verrons, c’est le statut de la chose en soi qui est problématique. Cet article se
propose alors de montrer que le criticisme kantien peut rendre compte, grâce à un usage
bien précis du procédé analogique, de la chose en soi comprise comme fondement
transcendantal des phénomènes.
Mots-clés : Kant, Fichte, chose en soi, criticisme, analogie.
Abstract:
In 1797, subsequent to Jacobi’s (1787) and Schulze’s (1792) objections against Kantian
criticism, Fichte intends to “save” critical philosophy by evacuating the thing in itself of
theoretical discourse. By doing this, Fichte sets out to develop a coherent – and definitive
– version of critical philosophy, which amounts to a radicalised account of transcendental
idealism. Yet, two years later (1799), Kant publicly dismisses Fichte’s project, refusing to
characterise it as “critical.” What Fichte’s Wissenschaftslehre is missing, is precisely a
foundation grounded on a “real object”. As we shall see, it is the status of the thing in
itself which is highly problematic. This paper intends to show that Kantian criticism can
coherently claim, thanks to a specific use of philosophical analogy, that the thing in itself
transcendentally grounds phenomena.
Keywords: Kant, Fichte, thing in itself, criticism, analogy.
1. Kant et Fichte sur la chose en soi : criticisme ou dogmatisme ?
Dans un article intitulé « L’antidogmatisme de Kant et de Fichte », Martial Guéroult
résume les positions conflictuelles de Kant et de Fichte relativement au criticisme et au
dogmatisme de la manière suivante :
[P]our Kant, ce qui distingue, avant tout, la “critique” du “dogmatisme”, c’est
l’abîme qui sépare le phénomène de la chose en soi, l’hiatus infranchissable entre
1 Inscrite au baccalauréat en philosophie à l’Université de Montréal depuis janvier 2009, je suis aussi
auxiliaire de recherche –dans le cadre de divers projets en philosophie allemande– depuis l’hiver 2011. Dès
l’automne 2012, j’entamerai mes études de maîtrise : mon mémoire, financé par le CRSH, portera sur le
problème de la chose en soi chez Kant. En ce moment, je travaille également sur la Wissenschaftslehre
1804 de Fichte et, parmi mes autres intérêts de recherche, on peut mentionner le post-kantisme, le néo-
kantisme, la phénoménologie ainsi que la philosophie de l’histoire.