les publics des médias - Centre de ressources en éducation aux

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LES PUBLICS DES MÉDIAS
Ce n’est pas un hasard si l’expression «publics des médias » est plurielle. Elle se réfère à
plusieurs niveaux de réalité qui interagissent presque simultanément, mais de manière
relativement autonome, dans le processus de fabrication des médias et dans les usages
quotidiens que nous en faisons.
En effet, d’une part, les médias ont besoin de connaître qualitativement et
quantitativement les publics qu’ils veulent rejoindre pour communiquer leurs
informations et pour assurer leurs revenus : il s’agit du public cible et client des médias.
D’autre part, à un autre niveau – relié à la sphère de la vie privée –, ces mêmes publics
posent des gestes de consommateur qui les conduisent à choisir, à acheter, à gérer les
informations que leur proposent les médias et à déployer une activité qui leur est propre
au moment de leur usage : il s’agit du public consommateur et récepteur actif des médias.
Enfin, le processus de production des médias et les activités qui sont reliées à leur usage
se déroulent et se répercutent dans la sphère publique, celle de la société, où médias et
usagers ont des droits et des responsabilités : il s’agit de la mission publique des médias
et du rôle des usagers comme citoyens.
Public (en général)
La mot public comporte plusieurs significations. On l’utilise pour caractériser tout à la
fois :
- ce qui « relève du peuple » (du latin publicus);
- une masse ou une foule indéterminée d’individus aux caractéristiques plus ou moins
homogènes ou bien un regroupement de personnes plus réfléchies et organisées;
- une sphère distincte de la vie privée, individuelle, particulière, clandestine, secrète,
domestique, intime;
- les institutions gouvernementales et les services;
- des politiques et des réglementations;
- des services offerts à l’ensemble de la population;
- la sphère relative à la vie démocratique, aux rapports entre les citoyens et aux
activités sociopolitiques de ces derniers (société civile);
- ce qui est rendu transparent ou accessible à tous (rendre « public », du terme anglais
to publish);
- l’ensemble des personnes qui assistent à un spectacle, à une réunion, à une
manifestation (le public de…);
- l’ensemble des personnes qui achètent, lisent, voient, entendent des œuvres (le public
de théâtre, de cinéma);
- l’ensemble des personnes écoutant une station de radio ou regardant une chaîne de
télévision, ou encore une émission (en anglais audience);
- les clients des médias (le marché des médias);
- un groupe ciblé (public cible);
- l’ensemble des personnes qui achètent et lisent un journal (lectorat);
-
des courants d’opinion (l’opinion publique);
un ou des groupe-s partageant une communauté d’intérêt (le public adolescent);
l’intérêt et le bien de tous (l’intérêt public);
une personne investie d’une fonction plus ou moins officielle (homme/femme publicque)
une action, une mission, un rôle;
une intervention, une information, un avis;
une représentativité (représentants, porte-parole publics);
les individus en tant qu’usagers et sujets récepteurs des médias (lecteurs, auditeurs,
téléspectateurs);
des groupes d’appartenance (le public de tel interprète);
une communauté nationale (le public canadien, québécois);
etc.
NOTE : De nombreux débats animent le monde des chercheurs à propos de la notion de public en relation
avec les médias. Pour en savoir davantage, nous vous référons à l’ouvrage Accusé de réception. Le
téléspectateur construit par les sciences sociales, publié sous la direction de Serge Proulx aux Presses de
l’Université Laval en 1998.
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Le public en tant que client et groupe cible des mé dias
Le format d’un journal ou d’un magazine, ses contenus et leur présentation, la formule de
programmation radiophonique et télévisuelle, le genre et le contenu de ses émissions, le
style d’animation… tout dans les médias est défini en fonction du public qu’on veut
atteindre. La définition de cet auditoire cible sert aussi à définir la clientèle commerciale
(les annonceurs) à qui on veut vendre des espaces de publicité et comment ces messages
publicitaires seront produits. La connaissance de l’auditoire permet également de savoir
quels sont les moments de la journée et de la semaine qui comptent le plus grand nombre
de personnes à l’écoute. Par exemple, pour la radio, le matin est la période de la journée
où il y a le plus grand nombre d’auditeurs. Les téléspectateurs sont en plus grand nombre
en soirée, ce qui est souvent appelé « prime time » et, la soirée du lundi est la plus
écoutée de toutes. La place d’une émission dans une grille horaire prend donc une grande
importance en fonction de ces données conjuguées à d’autres stratégies comme celles qui
sont liées à la concurrence des autres médias.
1. Le public en tant que client
Les entreprises médiatiques et leurs artisans ont besoin du public pour vendre leurs
produits et rentabiliser leurs opérations avec les ventes d’espaces ou de temps
publicitaires. C’est le public monnaie-d’échange qui est l’enjeu principal de l’échange
économique liant les diffuseurs aux annonceurs par l’entremise de la vente d’auditoires
spécifiques.
Lectorat et auditoire
Le lectorat est l’audience totale d’un journal, c’est-à-dire non seulement ceux qui
l’achètent mais aussi ceux qui le lisent. C’est le taux de circulation d’un journal. Tout
lecteur n’est donc pas nécessairement un acheteur et la stratégie du journal visera à
maîtriser son taux de circulation. Le lecteur lui-même est considéré comme un « acheteur
indirect ».
Les données qu’un journal parvient à cumuler sur son lectorat servent de mesure
d’échange pour établir les tarifs publicitaires. Ces derniers varient en fonction du tirage
d’un journal établi par un organisme indépendant, l’Audit Bureau of Circulation. Chaque
journal possède donc sa carte de tarifs établis en tenant compte des facteurs suivants :
genre de publicité (nationale, de détail, avis divers), le volume des annonces, leur
fréquence de parution, leur position dans le journal, leur utilisation de la couleur. Dans la
presse écrite, le lectorat est l’équivalent de l’auditoire pour la télévision et la radio qui est
évalué à partir d’outils différents (BBM, Nielsen).
Le marketing
Selon Michèle Martin et Serge Proulx dans Une télévision mise aux enchères, Téléuniversité (1995), le marketing est une stratégie utilisée pour aller chercher des publics
nouveaux tout en gardant les anciens. Pour ce faire, le service de marketing des médias
doit être capable de procurer des informations détaillées sur les différents publics
disponibles, et sur ce qui leur plaît. Il doit rapporter assez d’informations pour que chaque
média soit capable d’offrir des espaces ou des émissions « faciles à vendre » aux
commanditaires et aux annonceurs.
À la télévision et à la radio, le marketing, qui doit essayer de «vendre » les programmes
de la station aux publics, doit travailler de près avec les programmateurs dont la tâche est
d’offrir des programmes « vendables », c’est-à-dire dont les cotes d’écoute, réelles ou
anticipées, attireront les commanditaires. Quatre points sont ici de grande importance :
d’abord, examiner les produits pouvant être offerts; puis, déterminer les publics à qui ils
peuvent être offerts; ensuite, établir les niches qu’on veut exploiter; et enfin, faire la
promotion des programmes inscrits dans ces niches. Notons finalement que si l’espace
publicitaire accordé dépend de plusieurs facteurs, il est certain que la faculté que possède
un sujet ou un thème d’attirer de la publicité entre aussi en ligne de compte.
La mesure industrielle des auditoires
Note : Extraits de l’article de Gérard Malo et Luc Giroux, « La mesure industrielle des auditoires», Accusé
de réception (1995), pages 16-46.
Les chaînes traditionnelles de télévision, la plupart des canaux spécialisés et les stations
de radio, qu’elles soient de service public ou privé, utilisent les informations sur leurs
auditoires (cotes d’écoute – en anglais rating studies) comme moyen d’échange auprès
des annonceurs en établissant, par exemple, la valeur pécuniaire d’un moment de
diffusion; elles s’y réfèrent également en tant qu’outil stratégique pour évaluer les
contenus et les genres d’émission, de même que pour élaborer les grilles de
programmation. Il arrive parfois que des stations de télévision et de radio utilisent la taille
des auditoires pour déterminer les cachets de certains animateurs ou animatrices et pour
établir les budgets de production. Les données sur les auditoires sont aussi utilisées
comme outil de légitimation du choix des contenus offerts auprès de l’opinion publique et
des organismes de réglementation (Malo et Giroux, page 17).
De manière secondaire, les données d’auditoires peuvent aussi avoir une incidence
directe sur l’établissement et l’application de certaines politiques. Ainsi, la loi québécoise
interdit les messages publicitaires dans les émissions pour enfants et ce sont les données
sur l’importance numérique des enfants dans l’auditoire qui permettent d’établir si une
émission doit être considérée ou non comme destinée aux enfants. Par ailleurs, les
organismes de réglementation, tel le Conseil de la radiodiffusion et des
télécommunications canadiennes (CRTC), évaluent partiellement le respect des cahiers
des charges et des mandats des stations en ayant recours à ces données. Lors des
audiences publiques pour le renouvellement des licences d’exploitation, les stations de
radio et de télévision doivent démontrer leur succès auprès des auditeurs et des
téléspectateurs à l’aide de ces données standardisées. Comme les mêmes données sont
accessibles aux stations concurrentes, celles-ci peuvent intervenir publiquement pour
faire valoir leurs vues lors de telles audiences et engager un débat. Ainsi, en 1994, le
réseau privé TVA a utilisé largement les données d’auditoire pour tenter de démontrer
que Radio-Canada ne s’en tenait pas à son mandat de réseau public et pour prier le CRTC
d’intervenir. Selon TVA, certaines émissions de divertissement qui retiennent un fort
auditoire à la programmation de Radio-Canada ne servent qu’à produire des revenus
publicitaires et nuisent financièrement aux réseaux privés. Il est important de souligner,
toutefois, que les groupes de pression de la société civile peuvent difficilement utiliser la
recherche industrielle pour étayer leurs arguments, n’ayant pas accès aussi facilement aux
données (Malo et Giroux ,pages 18-19).
L’arrivée de nouveaux canaux spécialisés visant des créneaux limités de la population, le
grand nombre de canaux de diffusion, l’internationalisation des médias, l’utilisation
répandue du magnétoscope, les satellites de diffusion directe et la convergence des
médias vers l’autoroute électronique remettent en question la possibilité que ce système
de mesure de l’auditoire puisse continuer sous sa forme actuelle. Plusieurs observateurs
affirment que, dans ce contexte changeant, le système actuel de mesure des auditoires fait
face à un enjeu de survie. Les médias qui vivent du système commercial n’en auront
peut-être plus besoin à plus ou moins brève échéance. Car pointe à l’horizon la
généralisation des contenus payables à la carte par l’usager. À ce moment, tout ce qui
importera aux divers médias, ce sera de connaître le nombre exact d’utilisateurs de
chacun des contenus diffusés (Malo et Giroux, page 46).
BBM et Nielsen
Les recherches sur les auditoires de la télévision et de la radio au Canada sont menées par
deux sociétés. Principalement au service des radiodiffuseurs et des agences de publicité,
elles mesurent et rapportent essentiellement des données similaires sur les auditoires des
émissions selon un certain nombre de caractéristiques sociodémographiques :
- BBM (Bureau of Broadcast Measurement). Il s’agit d’une entreprise coopérative à
but non lucratif fondée au début des années 1940 par l’Association canadienne des
radiodiffuseurs pour faire contrepoids à la présence des firmes américaines
d’évaluation des auditoires de la radio. L’organisme regroupe comme membres les
chaînes, les stations individuelles, les agences de publicité et les annonceurs utilisant
les médias électroniques. Elle évalue les auditoires de la radio et de la télévision en
fournissant des données sur l’écoute urbaine et régionale.
- A.C. Nielsen. Établie au Canada depuis 1950, cette société est la filiale de la firme
américaine portant le même nom. Depuis 1964, elle concentre ses activités sur
l’évaluation des auditoires de la télévision en fournissant des données sur l’écoute
nationale (ensemble du territoire canadien) et provinciale. (Malo et Giroux, pages 2226)
Les outils de mesure de l’auditoire
L’échange commercial entre des vendeurs et des acheteurs d’espaces publicitaires se
négocie en attribuant une valeur marchande à des résultats pour lesquels il y a accord
quant à l’interprétation. Parce que les données sur les auditoires servent de monnaie
d’échange, elles doivent être perçues comme objectives et non sujettes à interprétation.
On privilégie des outils de mesure qui, même imparfaits, assurent une stabilité relative
des résultats d’un sondage à l’autre. Ces outils sont le téléphone, le cahier d’écoute et
l’audimètre.
-
L’utilisation du téléphone
Les entrevues téléphoniques peuvent être utilisées de deux façons pour mesurer les
auditoires. La première, le rappel, demande aux répondants d’indiquer soit leur
moment d’écoute de la télévision, de la radio et de la station concernée soit les
émissions spécifiques regardées ou écoutées dans les jours précédents l’entrevue.
L’autre utilisation de l’entrevue téléphonique dite « coïncidente » a pour objectif de
mesurer l’écoute au moment précis de l’appel. Ce type d’entrevue est surtout utilisée
comme mesure étalon pour vérifier la validité d’un outre outil, les cahiers d’écoute.
-
Le cahier d’écoute
Il existe de nombreuses versions du cahier d’écoute et de son utilisation. Les plus
fréquentes sont celles du cahier individuel et du cahier par appareil de télévision.
Dans les deux cas, il est demandé aux répondeurs d’inscrire la station écoutée ou
regardée à l’intérieur de périodes de 15 minutes et, dans le cas de la radio, d’indiquer
l’endroit où ils se trouvent au moment de l’écoute (voiture, maison, travail, etc.). Pour
chaque période, une seule station peut être indiquée. En général, les répondants
participent à ce type de sondage pour une durée d’une semaine au maximum.
Le cahier par appareil de télévision fait appel à une autre approche qui consiste à
expédier aux foyers sélectionnés dans l’échantillon un cahier pour chaque appareil de
télévision que le foyer possède, et à demander à toutes les personnes se servant d’un
appareil donné de s’inscrire dans le cahier correspondant à l’appareil utilisé.
Ces cahiers expédiés par la poste contiennent plusieurs autres questions secondaires
servant à établir le profil socioéconomique du répondant : notamment le sexe, l’âge,
la langue parlée à la maison, le niveau d’études complétées, le nombre d’heures par
semaine au travail et l’occupation. À l’intérieur du cahier, une page est
spécifiquement destinée à recueillir les commentaires du répondant.
-
L’audimètre
Dans sa plus simple expression, cet appareil électronique, branché sur chaque
téléviseur des foyers sondés, permet de connaître la station syntonisée et l’heure de
cette syntonisation, 24 heures sur 24 Les informations sont stockées en mémoire et
transmises par ligne téléphonique à un central. Toutefois, cet appareil ne fournit
aucun renseignement sur les téléspectateurs à l’écoute. Or, aucun système de mesure
ne peut se contenter de données sur les foyers seulement; la mesure doit être
individuelle. Il faut donc obtenir des informations sur les téléspectateurs en utilisant
des cahiers d’écoute comme complément, soit pour les personnes des foyers utilisant
l’audimètre, soit pour des répondants provenant d’échantillons complètement
différents.
L’audimètre dit « individualisé » comble cette lacune en permettant l’inscription des
personnes à l’écoute de l’appareil de télévision. Chaque personne du foyer possède
son code personnel et s’identifie à l’aide d’une télécommande. C’est actuellement la
technique la plus répandue dans le monde. Cette automatisation de la mesure souffre
cependant de nombreuses failles, dont la principale consiste à compter sur une
participation active des répondants. Ceux-ci doivent pour une longue période de
temps, pouvant aller jusqu’à cinq ans, se soumettre à la contrainte d’indiquer quand
ils arrivent devant le téléviseur et quand ils repartent. Or plusieurs études ont
démontré que le comportement des répondants à cet égard est loin d’être toujours
fiable.
La solution semble être de mettre au point un système d’audimétrie dit « passif »,
c’est-à-dire ne requérant pas d’effort conscient de la part du répondant. Deux types
d’audimétrie passive sont en voie de développement, mais aucune ne fait encore
partie des systèmes de mesure. La première forme consiste à installer sur chaque
téléviseur des foyers, en plus du mécanisme d’audimétrie traditionnelle, un dispositif
capable de détecter la présence des personnes et de les identifier automatiquement.
C’est la méthode envisagée actuellement par la firme Nielsen. Cette première
solution, en plus d’être difficile à réaliser sur le plan technique, se heurte à des
problèmes importants de coûts et à une résistance potentielle de la part des
participants aux sondages à se voir « épiés ».
La seconde solution de recherche, envisagée entre autres par BBM, consiste à faire
porter par les participants un petit appareil qui détecterait automatiquement un code
inaudible et invisible inséré dans le signal de chacune des stations de radio et de
télévision. En apparence moins intrusive que la solution précédente, cette méthode se
heurte, elle aussi, à des problèmes d’ordre technique. Par ailleurs, on peut se
demander si elle est vraiment « passive » puisqu’elle repose sur la capacité et la
volonté des répondants de toujours porter sur eux le décodeur. (Malo et Giroux, p. 2935)
Autres moyens
Les médias déploient une variété d’autres mesures :
- les nombreux concours qui, par le nombre de répondants et les réponses apportées
aux formulaires de participation, permettent de recueillir des données ponctuelles;
- la sollicitation d’appels téléphoniques des auditeurs de la radio pour exprimer des
demandes particulières dans le cadre d'une émission permettent non seulement
d’évaluer l’auditoire, mais aussi d’ajuster le style d’animation et même le vocabulaire
de l’animateur.
2. Le public en tant que groupe cible
Que ce soit dans un téléjournal, dans un quotidien ou sur un site Web, il est impossible de
rendre compte de tout ce qui se produit dans une journée. Non seulement parce qu'on
manque de temps et d'espace pour le faire, mais aussi parce que les médias (et les agences
de presse auprès desquelles ils s'alimentent pour une bonne partie de l'information qu'ils
décident de traiter) n'ont pas de correspondants partout sur la planète. De plus, les médias
font une sélection de l'information (sujets et faits) qu'ils traiteront et diffuseront en
fonction de différents critères, dont celui des attentes pressenties de leur public cible.
Qui est le destinataire ? La réponse à cette question importante aura des répercussions sur
la forme du texte, le support médiatique, le choix des mots, des images que les médias
utiliseront pour rejoindre leur public cible. Quand un auteur compose son texte, il se
demande notamment qui est le destinataire. Il formule différemment son message, choisit
de modifier ou d’adapter son contenu selon le lecteur, l’auditeur ou le téléspectateur
auquel il s’adresse (selon qu’il s’agit, par exemple, d’un enfant ou d’un adulte). Les
journalistes font de même au moment de la rédaction d’un texte d’information ou de la
production d’une nouvelle radio ou télévisuelle. Ils tiennent compte de leur public. Si la
population a besoin des médias pour s’informer, les médias, quant à eux, ne sauraient
exister ou n’auraient leur raison d’être sans le public ni la connaissance de ce dernier.
Le public cible, ce sont les usagers actuels et potentiels que les entreprises médiatiques et
leurs artisans ont besoin de connaître pour communiquer efficacement avec eux. Parmi
tous les médias, certains s’adressent à des publics spécifiques et d’autres, mixtes,
s’efforcent de rejoindre autant que possible tous les publics.
Dans la première catégorie, on retrouve les publications et les émissions s’adressant à des
groupes professionnels et des groupes d’intérêt particuliers (les scientifiques, les
consommateurs de tel produit, le milieu de la finance, les amateurs de sport, de chansons
et de musiques, d’histoire, d’ésotérisme, etc.); à des groupes d’âge bien précis (enfants,
adolescents, adultes, personnes retraitées, etc.). Il y a enfin des médias qui s’adressent
plus particulièrement aux hommes, d’autres aux femmes. Dans cette catégorie, même si
l’on cherche à avoir le plus grand lectorat ou auditoire possible, on sait ce dernier limité
par le public bien ciblé qu’on veut rejoindre et on s’efforcera de le conserver.
Généraliste et cherchant à intéresser le plus grand nombre, la deuxième catégorie sera
souvent mixte. Elle cherchera à intéresser des publics particuliers tout en développant une
façon de faire et des contenus susceptibles d’obtenir la fidélité du plus grand nombre.
C’est le cas, par exemple, des chaînes de télévision généralistes, des grands quotidiens,
des hebdos et de certains magazines.
Chacun des médias de ces catégories a tout intérêt à connaître son ou ses publics pour
savoir mieux qui ils sont et leur adresser des informations qui puissent les intéresser et
qui soient pertinentes; pour savoir mieux dans quel langage leur parler et faire en sorte
qu’ils comprennent et s’intéressent à ce qu’on leur dit.
Cette préoccupation des médias est aussi conjuguée à celle de leur rentabilisation par la
vente de produits et d’espaces publicitaires. Elle s’impose aussi avec beaucoup de force
dans un contexte où les médias font face à une grande concurrence qui les incite à
chercher des niches où ils auront l’exclusivité pour l’ensemble de leurs produits ou pour
certains plus spécifiques. Pour les médias, cela pourra correspondre à se trouver une
niche et à la maintenir. Cette niche peut être définie en segmentant le marché d’une
multitude de façons différentes : selon le territoire géographique, l’environnement (urbain
ou rural), l’âge, le sexe, la langue, le revenu annuel, le niveau d’instruction, les intérêts
communs, etc.
C’est ainsi que les médias recourent régulièrement à des études qualitatives qui leur
permettent de déterminer la tendance des goûts, des attentes, des valeurs et des
préoccupations des publics qu’ils veulent rejoindre. Ces études permettent aussi de
connaître les caractéristiques socioculturelles et régionales, le statut (famille, personne
seule, femme au travail, etc.) et le genre d’occupation de ces publics. Pour ce faire, les
médias font appel à des sondages et à des groupes de discussion (focus group) qui leur
permettent de valider certains de leurs projets et certaines de leurs décisions ou encore
d’annuler rapidement certaines de leurs initiatives.
Les types de publicités dans les journaux, dans une émission de radio ou de télévision
sont des indices du public qu’un média cherche à recruter. On annoncera des résidences
de prestige à vendre dans un journal acheté par des clients capables de se les offrir ; on
diffusera à la télé des « spots » ou messages publicitaires sur de la nourriture pour chats à
une heure où l’on pense que leurs propriétaires sont assis devant l'écran; on vantera les
mérites d’un vélo de montagne high tech dans une revue de vélo.
D’où viennent les sondages ?
Les sondages ont 75 ans. Aux États-Unis, terre où sont nés les sondages, on utilisait en
période électorale, et cela dès 1824, ce que l'on appelait les « votes de paille » (straws
votes). Cette méthode de prédiction des résultats d'élection était pratiquée par les
journaux qui demandaient tout simplement à leurs lecteurs d’écrire ou de renvoyer un
coupon-réponse. Le candidat qui totalisait le plus de réponses ou de «votes de paille »
était pronostiqué gagnant.
Cette méthode a fonctionné tant bien que mal jusque dans les années 30, jusqu'à
l'événement fondateur de l'histoire des sondages : les élections américaines de 1936, où
Roosevelt briguait un second mandat. Comme à son habitude, la presse américaine lança
un vote de paille et obtint 2400 000 réponses prédisant la défaite du président sortant.
George Gallup, qui venait de créer le premier ou l'un des tout premiers instituts de
sondage au monde, contesta ce résultat. En s'appuyant sur un échantillon représentatif de
quelques milliers de personnes, selon une méthodologie d'enquête tout à fait nouvelle,
Gallup prédit la victoire de Roosevelt. Et l'élection lui donna raison. Dès lors, les
sondages, tels que nous les connaissons maintenant, étaient reconnus comme moyens
privilégiés et sûrs pour mesurer l’opinion publique sur toutes sortes de questions.
Des sondages pour « peser » l’opinion de qui et de quoi ?
Lorsqu’ils sont conçus et administrés avec rigueur sur des questions qui correspondent à
l’expérience des sondés, les sondages peuvent apporter des informations précieuses.
Certains cependant formulent à leur égard des questions utiles à connaître, ne serait-ce
que pour en relativiser l’importance lorsque cela se présente.
«Les vraies objections aux sondages, écrit Érik Neveu (2001), tiennent à la confusion
entre la nécessaire quête des attentes de l’opinion, comme référent utopique et inévitable
du modèle démocratique, et la croyance dans le fait qu’une méthodologie et une seule
permet de saisir une « vraie » opinion publique. Elles tiennent aux simplismes en cascade
qu’implique l’utilisation monomaniaque du sondage. Il faut poser quelques questions
banales mais importantes : les personnes sondées se posaient-elles les questions qui leur
sont posées ? Quel est leur stock d’informations sur le sujet ? Les réponses recueillies
peuvent-elles être interprétées sans équivoques excessives ? Que fait-on des nonréponses ? Que perd-on par l’usage systématique de questions «fermées » où la réponse
consiste à cocher une case et non à réagir de façon «ouverte » avec ses mots ? N’existe-til pas des formes « mobilisées » et autonomes de prise de parole de l’opinion
(manifestations, pétitions) ? D’autres techniques d’investigation (entretiens prolongés,
observations in situ) ne peuvent-elles constituer des outils de connaissance de
l’opinion ? »
Dans la presse journalistique, « le recours au sondage est devenu la forme par excellence
de support au débat social. Commanditaires et commentateurs de ces sondages, les
journalistes les plus en vue se font les exégètes d’une opinion publique uniquement saisie
à travers les utilisations souvent pauvres (questions fermées) d’une technologie qui n’est
que l’un des moyens de cerner une opinion par définition fluide et floue. Pareille manière
de dire l’opinion induit alors trois risques. L’un est de borner la consultation de l’opinion
aux seuls enjeux jugés porteurs ou intéressants par les rédactions ou les titulaires de
pouvoirs. Un autre serait de dévaluer d’autres expressions pertinentes de l’opinion
comme les mobilisations, l’action d’associations diverses. La surinterprétation
d’informations confuses ou peu éclairantes constitue un autre péril dont Daniel Gaxie
(1990) donne un exemple lorsqu’une question ouverte – peu utilisée par la presse car
financièrement coûteuse – fait découvrir que les «dépenses sociales » qu’une majorité de
sondés acceptent de voir réduire sont dans leur esprit le budget de l’armée et les
rémunérations des dirigeants de l’État ! Le commentaire journalistique transformerait ici
en un ralliement « libéral » à une réduction des dépenses sociales des réponses d’un tout
autre sens. »
Référence : Érik Neveu, Sociologie du journalisme, Éditions La Découverte, Paris, 2001, pp.86-87.
Daniel Gaxie, «Au delà des apparences», Actes de la recherche en sciences sociales, nos 81-82, 1990, pp.
97-112.
Le focus group
Un groupe de discussion (focus group) met en présence généralement 8 à 12 personnes
ciblées ou choisies en fonction du sujet étudié, un projet d’émission, une publicité, etc.
Un animateur fait avancer la discussion en s'assurant que les points clefs utiles à l'étude
sont abordés, en prenant soin de laisser toute liberté aux personnes invitées. Les échanges
sont enregistrés et analysés.
La connaissance des valeurs de la « majorité »
En plus de s’appuyer sur les données spécifiques des sondages et des focus groups, les
médias suivent de très près l’évolution des grandes valeurs auxquelles se rattacheraient la
majorité de la population. Ces informations leur sont apportées par des enquêtes et des
sondages effectuées par divers groupes de recherche universitaires et privés. Si plusieurs
contestent la valeur de ces « photographies » souvent idylliques faites la plupart du temps
à partir de préoccupations liées au marketing, elles n’en demeurent pas moins des outils
de référence constants qui guident l’action des médias et ceux qui les animent.
Ainsi, selon Darcy Kieran, dans les pages 27-30 de son ouvrage, Le métier d’animateur
radio et de directeur de la programmation radio (1996), la période des années 1990… se
caractériserait par le rejet des années 80. Alors que durant les années 80, l’image et la
performance étaient des déesses, les années 90 seraient plutôt dominées par des valeurs
plus profondes. Les valeurs traditionnelles reprendraient de la popularité, alors qu’un
certain vent de conservatisme soufflerait et que le code d’éthique ressortirait du fond du
tiroir. L’honnêteté et la vérité seraient recherchées dans le discours, mais aussi dans les
émotions. On prendrait conscience des horreurs vécues sur la planète et on accorderait
plus d’importance au bonheur quotidien.
Parmi les valeurs traditionnelles qui reprendraient de l’importance, on remarque
notamment la vie familiale. La maison redeviendrait un lieu pour relaxer, pour vivre
pleinement et même, dans certains cas, pour travailler avec ordinateur et modem en
compagnie des êtres qui nous sont chers. La maison reprenant de l’importance, la plupart
des activités domestiques et de loisirs doivent impliquer toute la famille. On réalise que la
surconsommation et l’abondance de biens matériels ne nous ont pas apporté, durant les
années 80, le bonheur escompté. Alors, même les gens qui ne sont pas encore préoccupés
par la protection de l’environnement seraient quand même de moins en moins enclins à
dépenser simplement pour le plaisir de dépenser. Fini l’ère du jeter après usage !
Le règne des entreprises vendant des produits qui ne fonctionnent pas arriverait, enfin, à
sa fin. Fini, les grosses voitures pleines de gadgets défectueux ! On veut des appareils
utiles et fonctionnels. La qualité prime sur la quantité. Place à l’ergonomie ! Le
consommateur des années 90 ne voudrait plus suivre aveuglément les autres, mais obtenir
ce qui satisfait ses besoins propres et vivre selon son style de vie. La mode est de ne pas
suivre la mode ! La production sur mesure remplacerait la production à la chaîne.
On vivrait à une époque où la gestion efficace du temps deviendrait de plus en plus
cruciale alors que, parallèlement, le temps consacré aux loisirs continuerait à prendre de
l’ampleur. Les outils nous permettant d’épargner du temps seraient plus populaires que
les gadgets qui nous en feraient dépenser davantage.
Que les valeurs qui viennent d’être décrites correspondent ou non à celles de notre société
est une question plus ou moins importante, poursuit Darcy Kieran. Ce qui est vital, c’est
d’identifier les cordes sensibles du public auquel on s’adresse. Les valeurs générales de la
société peuvent même, dans certains cas, être diamétralement opposées à celles du public
ciblé.
Dans la production d’un message publicitaire, tout comme dans l’animation et
l’information, on doit être en mesure d’identifier la corde sensible qui fera vibrer les gens
auxquels un message ou une information s’adresse très particulièrement. En publicité, par
exemple, les cordes sensibles sont des thèmes qui, bien développées et bien appliquées,
aideront à pousser un individu à l’action en le faisant réagir positivement au message
publicitaire.
Voici une série de cordes sensibles classiques : la santé, la sécurité financière, la
popularité, la beauté d’apparence naturelle, l’indépendance, la sécurité et le confort
physique.
D’autres cordes sensibles sont « négatives ». Par exemple, la plupart d’entre nous
voulons éviter le ridicule, les risques inutiles, l’embarras en public et l’ennui.
Ces cordes sensibles dites négatives jouent un rôle considérable dans la vente de tous les
produits in : si vous ne vous les procurez pas, vous aurez l’air épais, retardé et ridicule,
vous serez embarrassé en public. C’est notamment la force de frappe des produits rincebouche !
Internet et la connaissance du public
Les producteurs de sites Web désirent également connaître leur public. À l’aide de
logiciels ou par le biais de firmes de sondages spécialisées, ils peuvent procéder à des
sondages de fidélité et à des analyses de circulation. Lors de l'évaluation d’un site,
l’analyse de circulation recueille plusieurs données sur l’achalandage ou le mouvement
dans un site. L’analyse de circulation permet par exemple d’identifier le comportement
d’un internaute, l’efficacité des bandeaux publicitaires, la séquence des pages visitées, le
nombre de textes consultés, le temps moyen d’une visite, les périodes d’achalandage, etc.
Les logiciels d’analyse de circulation permettent aussi d’obtenir le décompte du nombre
de visiteurs depuis la naissance d’un site, entre deux dates déterminées à l’avance, ou
pendant certaines heures de une ou de plusieurs journées. Ils indiqueront aussi si les
visiteurs reviennent, combien de fois ils le font, le nombre de visiteurs en moyenne,
l’heure exacte des entrées et des sorties, les autres sites visités par ces mêmes internautes
et même le lien précédant l’entrée sur le site évalué. À l’analyse de la circulation de tous
les visiteurs d’un site, un tableau de bord personnalisé indique le comportement de tous
les visiteurs du site, depuis leur entrée sur le site jusqu'à leur sortie : nombre de visites
par période, ratio de pages par visite, provenance des visiteurs, facilité à naviguer,
parcours type sur le site, nombre de requêtes de pages, moyenne de pages visitées par
jour, fureteur utilisé, rapidité de changement, qualité du graphisme, efficacité des moteurs
de recherche, temps moyen de visite.
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Le public en tant que consommateur et récepteur actif
1. Le public en tant que consommateur
Un lecteur, un téléspectateur, un auditeur ou un internaute fait des choix. Il choisit par
exemple de lire un journal, d’écouter un téléjournal en entier ou de ne prendre
connaissance que de quelques bribes. Il choisit de lire un texte en diagonale ou de le lire
bien à fond, selon son intérêt, le temps dont il dispose, etc. Il choisit aussi d’acheter ou
non un quotidien, de lire tel journal plutôt qu’un autre, d’en lire un seul ou plusieurs à
tous les jours, de privilégier une station de radio, de télévision, un site Web et d’en
changer quand cela lui plaît.
Il est celui qui achète ou choisit des produits médiatiques et qui gère ses propres usages.
Il prend la décision de « consommer » et de faire usage de tel ou tel produit médiatique
en fonction de critères qui relèvent tout à la fois : de sa propre personnalité et de son
expérience de vie, de son âge, de son sexe, de ses curiosités et de ses désirs, de son
appartenance socioculturelle et de ses conditions économiques, de sa scolarité, du temps
dont il dispose par rapport à ses autres occupations et des priorités qu’il se donne, des
habitudes de son entourage et de ce qu’il connaît de la richesse de l’offre médiatique.
Cette activité se fait par ailleurs dans un contexte de grande sollicitation et de promotion
où chaque média avec ses titres accrocheurs, ses animateurs-vedettes, ses mises en scène,
ses concours et nombre de produits dérivés multiplie les moyens de l’attirer. Car, pour les
médias, les informations étant devenues des marchandises, le consommateur intervient
dans un marché où la mouvance et la concurrence sont grandes.
Le paysage médiatique est vaste et complexe malgré sa relative facilité d’accès. Comme
dans une bibliothèque, il devient nécessaire d’apprendre à y naviguer, conscient de ses
besoins, de ses curiosités et de ce qu’il offre en réponse à ses propres exigences.
Aucun média n’est gratuit
Il y a des journaux, des revues et des magazines qui se vendent à la copie ou par
abonnement et d’autres qui nous sont accessibles gratuitement. À la différence des
premiers qui recourent aussi à la publicité dans leurs pages, ces derniers financent
exclusivement leurs coûts de production et s’assurent de leurs revenus par la vente
d’espaces publicitaires.
À l’exception des coûts de location des systèmes de distribution des signaux (câble,
antenne, téléphone, etc.) et des canaux de la télévision payante, nous n’avons pas,
apparemment, à payer pour avoir accès à des stations de télévision et de radio. Ces
dernières (mais aussi, à certains égards, la presse écrite) financent leurs opérations par
des subsides divers de l’État, des avantages fiscaux et la publicité.
Il importe de souligner toutefois que par les taxes et les impôts divers que nous payons à
l’État, nous nous trouvons à financer indirectement les médias d’information dont nous
faisons usage. Tout comme, lorsque nous achetons un produit proposé par les
annonceurs, nous contribuons indirectement à défrayer une partie des coûts de leurs
publicités dans les médias. Ces coûts sont toujours inclus dans le prix qu’ils nous
demandent de payer pour les produits que nous achetons.
Un marché de variétés
Les nouvelles technologies de communication ont ouvert le paysage médiatique à toute la
planète, ou presque, et à une multitude de produits d’information de tous ordres. Malgré
cela, nos propres habitudes, nos intérêts, nos valeurs et les sollicitations des médias qui
nous sont plus familiers, nous incitent la plupart du temps à diriger nos choix vers les
mêmes offres. Nous lisons toujours le même quotidien, ignorant les autres, de même que
les publications moins connues qui offrent des regards différents sur les réalités de
l’actualité. Nous écoutons la même station de radio et les mêmes musiques, nous
regardons les mêmes genres d’émissions de télévision sur les mêmes chaînes. Par
habitude, par plaisir et aussi par méconnaissance, nous zappons souvent, mais pour nous
retrouver avec les mêmes choses… Ainsi, alors que les choix médiatiques sont
aujourd’hui de plus en plus nombreux, nous nous limitons à ceux que les grandes
entreprises parviennent à nous vendre en faisant miroiter une variété qui n’est pas
toujours si diversifiée qu’il n’y paraît.
Consommateurs, nous composons quotidiennement avec une offre médiatique
caractérisée par une grande variété de produits, dont plusieurs se ressemblent souvent en
proposant un même regard sur les faits réels ou imaginaires. Souvent issus d’entreprises
médiatiques regroupées sous une même propriété (concentration), les grands médias
proposent avec quelques variantes adaptées à leurs lectorats et à leurs auditoires, des
styles de chansons et de musiques, des thématiques, des fictions, une esthétique, des
personnalités et des vedettes, des sujets de réflexions, des informations sur l’actualité qui
tendent vers l’uniformisation.
Gérer l’usage des médias
Quand on s’expose à des contenus médiatiques, qu’on regarde la télévision, qu’on écoute
la radio, qu’on navigue dans Internet, qu’on lit un journal ou un magazine, l’on ne cesse
pas pour autant de percevoir, d’analyser et de juger. Fréquenter les médias est une
expérience totale. À cet effet, tout comme on se développe et on se connaît davantage en
faisant des expériences, on peut apprendre beaucoup sur soi en fréquentant les médias, à
la condition, évidemment, de bien vouloir faire un retour sur l’expérience. Prendre
conscience du temps passé à la fréquentation des médias par rapport à celui consacré à
d’autres activités permet de structurer et d’organiser consciemment la gestion de ses
usages des médias et celle de son temps.
Réfléchir sur ses habitudes de fréquentation des médias de manière à se connaître
davantage comme destinataire et consommateur des médias permet de pouvoir choisir
consciemment ses émissions, ses journaux, ses magazines ou son temps médiatique. Tout
comme, à un autre niveau, se donner les moyens de s’aventurer dans la découverte de
productions médiatiques moins connues ou méconnues, permet de diversifier et
d’enrichir ses sources d’information et de plaisirs.
Référence : Alain Laramée, L’éducation critique aux médias, Télé-université, Sainte-Foy, 1998.
2. Le public en tant que récepteur actif
Le public-usager est actif dans la réception qu’il fait des informations médiatiques. Le
spectateur, l’auditeur ou le lecteur donne du sens à un « document » en fonction de ses
goûts, de son niveau de scolarité, de sa culture, de ses centres d’intérêts, de son groupe
social d’appartenance. Il interagit avec les médias. Rappelons ici le « jeu du téléphone »
où l’on fait l’expérience d’un message transmis d’une personne à une autre, dans une
chaîne de communication. Au bout de la chaîne, le message a bien souvent un sens
quelque peu différent de celui qu’il avait à l’origine. Chacun a eu un rôle à jouer dans la
transmission de l’information. C’est aussi dire que le message n’a pas été compris de la
même manière par tous, pour différentes raisons.
À l’autre bout de la chaîne de communication des informations, le public n’est pas un
réceptacle vide qui ne fait que recevoir ce que l’on y verse. Il réagit aux informations
médiatiques et il les interprète selon plusieurs facteurs tels que ses propres
questionnements, ses attentes et ses besoins personnels, ses satisfactions ou ses
contrariétés de la journée, ses préjugés, son contexte familial, social, économique,
culturel et géographique.
Toute personne qui entre en interaction à un moment donné avec les produits finals des
entreprises de médias « fabrique » du sens avec les informations qu’il va y puiser. Tout
comme dans l’activité de lecture, il a le pouvoir de se transformer en permanence en
abandonnant les sentiers suggérés par les médias dont il fait usage. Il est capable d’une
activité inventive et créatrice tout à fait autonome. Son activité ne se réduit pas à celle
d’une consommation soi-disant passive des médias. Il est acteur-sujet-récepteur appelé à
« braconner à sa guise dans la forêt des signes et des symboles de l’univers médiatique ».
Chaque usager produit du sens pour sa propre existence à l’occasion de la fréquentation
des médias. (Il s’interprète plutôt qu’il interprète…) C’est, par exemple, avec sa vie réelle
que le téléspectateur s’embarque dans la fiction. La fiction télévisuelle lui fournit un
terrain d’exploration.
Les individus, récepteurs de l’information, sont porteurs d’une vision du monde, de
« lunettes » à travers lesquelles ils réagissent à l’événement communiqué par les médias
et au monde qui les entourent. L’information transmise, des médias vers les individus,
peut être acceptée ou rejetée par l’individu, de manière totale ou partielle, selon sa propre
vision du monde.
Mais cette vision du récepteur est constamment sollicitée et remise en cause par
l’abondance, le type, le traitement et la sélection d’informations fournies par les médias.
En effet, il ne faut pas penser qu’étant actif et autonome l’usager s’en trouve pour autant
en situation de se mettre hors circuit du pouvoir « culturel » qu’exercent les médias…
Son activité de réception « intime » se produit toujours à l’intérieur d’un processus incité
par les médias… Être récepteur actif, c’est aussi devenir un accusateur, c’est-à-dire
accusé la réception des informations médiatiques.
Référence : sous la direction de Serge Proulx, Accusé de réception, le téléspectateur construit par les
sciences sociales, Presses de l’Université Laval, Sainte-Foy, 1998.
Les jeunes et la télévision
La télévision remplit trois fonctions dans la vie des jeunes, selon Bonfadelli (1993). Elle
a une fonction d’information, c’est-à-dire qu’elle oriente les jeunes sur certains sujets, les
conseille dans certains domaines ou encore leur transmet certaines connaissances. Elle a
également une fonction sur le plan des émotions que vivent les enfants et les adolescents,
leur montrant que leurs sentiments peuvent être partagés par d’autres du même âge.
Enfin, elle a une fonction sociale en ce sens que ses programmes procurent des sujets de
discussion. Ces fonctions sont importantes puisque la télévision est encore le média le
plus écouté par les jeunes, dont les genres télévisuels préférés sont, par ordre
d’importance, les films, les nouvelles, la musique, les séries de crime, d’aventure et de
western. Ces préférences varient, elles aussi, selon l’âge, le sexe et le niveau d’éducation.
Deux courants se sont développés dans l’analyse des jeunes publics, courants fondés sur
des études plus générales sur la télévision. Les adeptes de l’approche du « pouvoir du
récepteur » affirment que le jeune téléspectateur est le seul responsable de la signification
à donner aux contenus; les tenants de l’approche « pouvoir du texte » soutiennent au
contraire que les contenus de la télévision ont une influence directe sur le jeune
téléspectateur. Cependant, ni l’une ni l’autre approche n’est complète, car aucune ne
prend en considération le contexte social de réception. « Le pouvoir des médias, affirme
Buckingham (1993 : 14), résulte d’une interaction entre les deux courants ». Ce n’est pas
un concept abstrait, mais « un phénomène empirique qui varie selon les publics, les
médias et les contextes sociaux dans lesquels ils sont utilisés ».
Une étude effectuée par Walkerdine (1993) a montré qu’il existe une relation complexe
entre les fantasmes des enfants récepteurs et ceux véhiculés par les émissions qu’ils
regardent. (…) Soulignons toutefois que l’auteure a constaté que les enfants se
reconnaissent ou reconnaissent leurs parents dans certains personnages en conflit et
peuvent juger de façon plus détachée des façons dont ils réagissent. Cette relation aide
souvent les enfants à exprimer leurs sentiments de façon indirecte, à se positionner dans
la famille et à développer leur propre rôle. Cette affirmation rejoint le rôle joué par les
feuilletons télévisés auprès des téléspectateurs (…) et des groupes minoritaires.
Références
Michèle Martin et Serge Proulx, Une télévision mise aux enchères. Programmation, programmes, publics,
Télé-université, Université du Québec, Sainte-Foy (1995), pages 244-250.
H. Bonfadelli (1993) « Adolescent media use in a changing media environment », European Journal of
Communication, vol. 8, pp. 247-249.
D. Buckingham (1993), « Introduction : Young people and the media », dans D. Buckingham (ed.),
Reading the Audiences, Manchester, University of Manchester Press, p. 14.
V. Walkerdine (1993), « Daddy’s gonna buy you a dream to cling to (and mummy’s gonna love you just as
much as she can) : Young girls and popular television », dans D. Buckingham (ed.), Reading the
Audiences, Manchester, University of Manchester Press, p. 77, avec la collaboration de June Melody.
Quelles informations sur les actualités attirent d’abord notre attention ?
Le récepteur des informations ne retient pas tous les sujets traités : il fait des choix. Son
attention se pose d’abord sur ce qui le touche, sur ce qui l’intéresse. Certains facteurs font
en sorte qu’il ne se sent pas toujours concerné de la même façon.
-
L’espace. On est plus sensible à ce qui se passe à sa porte qu’à des événements à
l’autre bout du monde;
Le temps. L’actualité du moment;
-
Les idées que véhicule l’information. Ce qui a trait à ses opinions, à son expérience
personnelle;
La situation socioprofessionnelle. Son métier, le milieu auquel il appartient;
Les préoccupations quotidiennes. Soucis matériels, loisirs…;
Le rapport avec la vie affective et émotionnelle. Sexe-amour, maladie-mort, guerreargent, rêve-jeux…;
L’âge. Enfant, adolescent, adulte;
L’inusité. Ce qui pique la curiosité et étonne.
document
L’intelligence télévisuelle des adolescents
NOTE : Extrait de l’ouvrage de Michèle Martin et Serge Proulx, Une télévision mise aux enchères.
Programmation, programmes, publics, Télé-université, Université du Québec, Sainte-Foy (1995), pages
278-281.
Une intéressante recherche comparative portant sur les jeunes de 12 à 17 ans, et leur
relation à la télévision, a été publiée en 1994 (Bellemarre, Caron-Bouchard, Gruau,
1994). Réalisée auprès de jeunes francophones résidant au Québec, en France et en
Suisse, cette recherche répond à plusieurs interrogations d’intervenants auprès des
jeunes ou de responsables de la production d’émissions jeunesse à la télévision. Par
exemple : Qu’est-ce qui intéresse les jeunes d’aujourd’hui ? Quelle place occupe la
télévision dans leur univers ? Comment se comportent-ils vraiment devant le petit
écran ? Comment situer leur manière de faire usage de la télévision dans l’ensemble de
l’offre de programmes ? Il s’agissait d’une étude qualitative qui a tenté d’offrir une
compréhension en profondeur de ce que peuvent signifier les comportements d’écoute
de la télévision pour les adolescents d’aujourd’hui.
Comme la recherche a été réalisée à partir d’entrevues de groupes de jeunes,
l’approche donne directement la parole aux adolescents. Ils expriment ainsi leurs
opinions et leurs sentiments à propos d’émissions de télévision telles qu’ils les
perçoivent, les apprécient ou les rejettent. Ils décrivent leur manière de composer avec
les éléments très nombreux de l’univers d’électronique domestique dans lequel ils
baignent en permanence : radio et télévision bien sûr, mais aussi télécommandes,
magnétoscope, jeux vidéo, téléphones et répondeur, télécopieur, système audio,
walkman, lecteur CD portatif, micro-ordinateur, etc. Devant cet amoncellement de
machines à communiquer et à divertir, les adolescents pourraient laisser supposer à
leurs parents qu’ils ne sont que des zombies consommateurs passifs de cet
environnement d’images et de sons mur à mur.
L’enquête montre au contraire que les jeunes sont aussi sélectifs – sinon davantage –
que leurs aînés. Alors que ces derniers avaient été habitués à un mode de
consommation individuelle des émissions, les jeunes auraient plutôt une approche
collective de la grille des programmes. Ainsi, non seulement les commentaires et
suggestions de la bande de copains et copines seront déterminants dans les choix
d’émissions, mais même l’écoute proprement dite aurait tendance à se faire en groupe
ou par paires (par exemple : deux ados en tandem par téléphone, commentant
l’émission qu’ils regardent en direct). Le lendemain de la diffusion d’émissions ayant
suscité l’intérêt, les contenus télévisuels deviendront le prétexte aux conversations entre
pairs à l’école, au café, au restaurant. Les usages de la télévision participent ainsi
indirectement au processus d’élaboration de la sous-culture dans laquelle les
adolescents se reconnaissent : cette sous-culture est constituée des valeurs et normes
de comportements jugées acceptables par le groupe de copains et copines (par
exemple, porter des chaussures Doc, arborer telle coupe de cheveux, regarder tel type
d’émissions télé). La télévision, source de conversations, connivences ou consensus,
devient un relais dans les processus de construction identitaire des ados.
De même, le zapping apparaît comme une pratique télévisuelle importante chez les
jeunes : comme si les adolescents préféraient découper le flux d’images à leur guise et
selon leur rythme, se recomposant, à partir de ces multiples fragments télévisuels, un
récit bien à eux et auquel ils s’identifient mieux. Pratique ludique, plus rapide que la
consultation des guides-télé, le zapping donne place à une affirmation d’autonomie
envers la programmation offerte. Cette pratique permet de fuir en effet les temps morts,
la publicité, les images ennuyantes. À côté de ce zapping-évitement, on retrouve le
zapping-plaisir proprement dit qui se pratique même quand on regarde un film qu’on
aime, puisqu’on est à l’affût d’émotions fortes : des coups de feu, une poursuite en
voiture, une bagarre, un baiser… Il y a aussi le zapping qui passe d’abord par l’oreille :
la bande de son du clip vidéo ou de la scène d’action du film diffusé, l’éclat de rire d’une
émission de plateau devient le point d’ancrage du scénario tout à fait personnel, du
découpage en zigzag des images pratiqué par l’ado-téléspectateur.
Le zapping – l’art par excellence des adolescents – apparaît ici comme la métaphore de
leur propre développement biologique et cognitif : grandir par saccades, accéder à
l’intelligence abstraite, exercer intensément sa curiosité, dévorer les images…Une
différence surgit cependant lorsque le zapping est pratiqué en famille : cette manière de
faire n’est alors permise que pendant les interruptions publicitaires et à condition de
revenir ensuite à la programmation initiale. Pendant l’écoute familiale, la télécommande
va et vient de l’autorité parentale pendant le programme principal, du côté des enfants
pendant les publicités. Plusieurs parents voient d’ailleurs d’un mauvais œil cette pratique
du zapping associée bien souvent à une superficialité intellectuelle et à un manque de
concentration. Les chercheures nous indiquent qu’il faudrait plutôt penser autrement :
« Quoi qu’en pensent les adultes, regarder deux ou plusieurs programmes
simultanément représente un effort intellectuel et nécessite une forte concentration. (…)
La recherche d’émotions fortes télévisuelles n’a que des avantages : elle soulage les
tensions internes, déclenche du plaisir et représente enfin une forme de travail
intellectuel qui en vaut bien une autre. Manger, suivre un film et un match de hockey en
même temps, tout en téléphonant à un copain, est une gestion de la complexité qui
mérite plus d’applaudissements que de reproches. » (Bellemarre et al., 1994 : 48) Cette
affirmation des chercheures ne fera certainement pas l’unanimité auprès des parents
d’adolescents. Elle a cependant le mérite de nous inviter à réfléchir de manière critique
sur ces comportements fréquents de nos ados.
En résumé, il ressort de ce portrait optimiste des jeunes téléspectateurs une image
d’adolescents actifs et concernés par les valeurs de l’authenticité et des relations entre
les amis. Ce sont ces valeurs qui sont à la base du processus d’autonomie des jeunes
et qui leur permettront leur entrée dans la vie adulte. L’usage de la télévision joue un
rôle dans ce processus, rôle qu’on a souvent sous-estimé. Cette recherche a le mérite
de souligner la participation active de la télévision – en tant que fournisseur d’un éventail
diversifié de normes sociales et de comportements en évolution – dans le processus de
construction identitaire des adolescents et des jeunes adultes. Ces derniers demeurent
libres d’accepter, de refuser ou d’adapter ces normes sociales offertes à travers le petit
écran.
C’est parce que la télévision a elle-même évolué, qu’elle s’est rapprochée des
problèmes quotidiens des différentes couches de la population, que les adolescents ont
montré un intérêt de plus en plus marqué pour la télé. Même s’il existe une large zone
de la programmation qui ne suscite que très peu leur attention, il demeure qu’ils peuvent
trouver aujourd’hui, à la télévision, des éléments d’information ou de réflexion
susceptibles de nourrir leur quête identitaire et existentielle. Ainsi, les ados sélectionnent
les programmes qui les intéressent, en commentent les contenus avec leurs amis ou
leurs parents, et les réintègrent à l’intérieur de leur propre sous-culture – que les
chercheures appellent culture adovisuelle. Comme pour mieux souligner les manières
bien à eux qu’adoptent les adolescents quand il s’agit de s’approprier l’environnement
électronique et communicationnel dans lequel ils baignent.
Référence
C. Bellemarre, M. Caron-Bouchard et M.C. Gruau (1994), «Allô Caro, qu’est-ce que tu regardes ? »,
L’intelligence télévisuelle des 12-17 ans, Lausanne, Éditions LEP.
q
La mission publique des médias et les citoyens
Bien qu’ils s’adressent à nous dans la sphère de la vie privée, les journaux, les magazines,
la radio, la télévision et les sites Web constituent des éléments cruciaux de l’espace
public. Dans nos démocraties libérales, le pouvoir du citoyen repose sur son droit de
choisir le gouvernement, de nommer son représentant à l’assemblée législative et de
bénéficier de l’arbitrage indépendant des tribunaux en cas de contestation. Or, le citoyen
ne peut exercer pleinement ces droits que s’il est informé. Il lui faut connaître les
programmes politiques de ceux qui lui offrent de le représenter; être informé de leurs
actions publiques; être au courant de la portée des lois; mesurer l’étendue des droits
individuels et collectifs; connaître la diversité des idées, des valeurs et des débats
sociaux, etc. C’est précisément là l’une des responsabilités publiques des médias
d’information.
Les médias ont une responsabilité publique
En Occident, les médias doivent être accessibles aux citoyens (individus et groupes) et à
la pluralité des idées. Cela s’est traduit, par exemple, dès les années 1920, quand le
gouvernement a alors attribué et non « donné » des fréquences aux entreprises de
radiodiffusion en leur confiant le mandat « d’offrir au public l’occasion de prendre
connaissance d’opinions divergentes sur des sujets qui l’intéressent ». La Loi canadienne
sur la radiodiffusion stipule en effet que le système de radiodiffusion doit être la propriété
des Canadiens et sous leur contrôle, et que les fréquences relèvent du domaine public. Ce
n’est donc pas pour leur bénéfice personnel que les propriétaires de stations de radio ou
de télévision exploitent leur entreprise.
Cette responsabilité publique stipule l’égalité des personnes dans l’accessibilité aux
médias. Elle renvoie aussi au pluralisme, c’est-à-dire à la possibilité pour toutes les
perspectives de se faire valoir. La Loi canadienne sur la radiodiffusion de 1991 et tous les
codes d’éthique sur les médias insistent sur le lien entre pluralisme et démocratie. Une
« information complète, exacte et pluraliste est une des garanties les plus importantes de
la liberté et de la démocratie », peut-on lire dans le Guide de déontologie de la
Fédération professionnelle des journalistes du Québec. Ainsi, l’accessibilité de tous et de
toutes aux médias ne suffit pas; le principe implique aussi la représentativité de toutes les
opinions.
Référence
Anne-Marie Gingras, Médias et démocratie. Le grand malentendu, Presses de l’Université du Québec,
Sainte-Foy (1999), pp. 19-20.
Les lois et les règlements qui régissent les médias
L’information est un droit des citoyens qui confère aux médias des responsabilités dont
on retrouve les principes dans des codes d’éthique (déontologie) et des lois.
-
La Charte canadienne des droits et libertés, qui stipule la liberté de presse et des autres
moyens de communication.
Voir : http://www.laurentia.com/ccdl/ccdl.htm
-
La Charte des droits et libertés de la personne du Québec, qui stipule le droit à
l’information.
Voir : http://www.cdpdj.qc.ca/htmfr/htm/4_4.htm
-
La Politique canadienne de la radiodiffusion dont le Conseil de la radiodiffusion et des
télécommunications canadiennes (CRTC) est chargé d’élaborer les règlements et de
garantir l’atteinte des objectifs.
Voir : http://lois.justice.gc.ca/fr/B-9.01/75672.html et http://www.crtc.gc.ca/frn/welcome.htm
-
Le Conseil canadien des normes de la radiotélévision (CCNR) est une société autonome
sans but lucratif, établie par l'Association canadienne des radiodiffuseurs (ACR). Parmi ses
membres, il compte environ 470 stations, services spécialisés et réseaux de télévision et de
radio privés à travers le Canada, qui diffusent de la programmation en français, en anglais et
dans d'autres langues.
Voir : http://www.cbsc.ca/francais/codes/acdirt.htm
-
Le Code canadien des normes de la publicité a été rédigé dans le but de promouvoir la
pratique professionnelle de la publicité. Le Code est administré par Les normes canadiennes
de la publicité (NCP), un organisme mis sur pied par l’industrie de la publicité afin de
susciter et de maintenir la confiance du public dans la publicité. Le Code fixe les critères
établissant ce qu’est une publicité acceptable, ces critères étant la mesure permettant
d’évaluer la publicité ciblée par des plaintes de consommateurs ou des plaintes intra-industrie
formulées par des annonceurs contre leurs concurrents. Il est endossé de façon large par les
annonceurs, les agences de publicité, les médias qui diffusent la publicité, ainsi que par les
fournisseurs engagés dans le processus de la création publicitaire. Les plaintes des
consommateurs acheminées vers les NCP, au sujet de publicités qui sont perçues comme
enfreignant les normes consignées dans le Code, font l’objet d’un examen et d’une décision
par le Conseil des normes national, par les conseils des normes régionaux et par le Conseil
des normes à Montréal.
Voir : http://www.adstandards.com/fr/ccasfr.html
-
Le Conseil des normes de la télévision par câble (CNTC) fut fondé en 1988 avec pour
objectif d’être l’ombudsman de l’industrie du câble au Canada. Le CNTC a été mis sur pied
par l’ensemble des compagnies membres de la Fondation de télévision par câble pour
administrer les normes, les codes et les engagements qu’elles se sont donnés afin d’assurer un
service de qualité, de répondre aux plaintes du public concernant le service de télévision
câblée et de promouvoir l’autodiscipline de l’industrie du câble. Les normes du CNTC ont été
établies par l’Association canadienne de la télévision par câble.
Voir : http://strategis.ic.gc.ca/SSGF/ca01656f.html#1
-
Le Conseil de presse du Québec est un organisme privé, à but non lucratif, dont la raison
d'être est de protéger la liberté de la presse et de défendre le droit du public à une information
exacte, complète et de qualité. Il doit sa création à l'initiative conjointe de journalistes et de
dirigeants de médias d'information, auxquels ont été associés dès le départ des représentants
du public. Le Conseil a pour mandat de promouvoir le respect des plus hautes normes
éthiques en matière de droits et responsabilités de la presse. Son action s'étend à tous les
médias d'information distribués ou diffusés au Québec, qu'ils soient membres ou non du
Conseil, qu'ils appartiennent à la presse écrite ou électronique. Tout individu, organisme,
entreprise publique ou privée peut déposer une plainte auprès du Conseil au regard de
présumés manquements à l'éthique journalistique dans la presse écrite ou électronique (radio,
télévision). Ces manquements peuvent également concerner l'atteinte à la liberté de presse et
au droit du public à l'information.
Voir : http://www.conseildepresse.qc.ca/
-
La Fédération professionnelle des journalistes du Québec (FPJQ) compte aujourd'hui plus
de 1 500 membres dans les médias écrits et électroniques. C'est la plus importante association
de journalistes au Québec. Elle réunit, sur une base entièrement volontaire, tous ceux et celles
qui ont le journalisme comme occupation principale, régulière et rémunérée pour le compte
de une ou de plusieurs entreprises de presse québécoises. La FPJQ a conçu et adopté en 1996
le tout premier Guide de déontologie des journalistes du Québec.
Voir : http://www.fpjq.org/cgi-bin/bienvenue.cfm?section=1
L’intérêt public dans l’information
Pour qu’un fait se retrouve dans les médias, il ne suffit pas qu’il soit nouveau. Encore
faut-il qu’il ait une certaine importance, qu’il soit porteur de conséquences non seulement
pour les acteurs directs de l’événement, mais aussi pour l’ensemble de la société. C’est la
notion clé de l’intérêt public.
Ce critère (de l’intérêt public) est la caractéristique la plus fondamentale de la nouvelle.
(…) La fonction du journaliste est non seulement de sélectionner et de rapporter des faits,
mais surtout d’en faire comprendre la signification en les replaçant dans un contexte
intelligible.
C’est par l’exercice de son jugement journalistique, (…) que ce dernier (le journaliste)
décidera de ce qui, dans les faits observés, est porteur d’avenir et relève de l’intérêt
général. Mais s’il existe des critères objectifs de signification, ils ne peuvent être jaugés
sans tenir compte du public cible du média en cause. Ainsi, une information transmise par
deux médias sera traitée différemment si leurs publics cibles sont distincts. Par exemple,
la hausse des tarifs autorisés (et donc des revenus) de Bell Canada n’aura pas la même
signification pour les lecteurs d’un journal s’adressant à des investisseurs, comme Les
Affaires, que pour ceux du magazine de consommation Protégez -vous.
Il faut tout de même admettre qu’il y a une grande part de subjectivité et d’intuition dans
l’évaluation de la signification d’un événement. Qu’est-ce qui fait, par exemple, qu’une
journaliste propose un jour à un magazine un reportage sur un phénomène social
marginal…qui, six mois plus tard, fera la une de tous les journaux ? Comment expliquer
que cette journaliste ait senti l’émergence d’une crise qui échappait encore à ses
collègues ? Et que dire de l’intuition avec laquelle un journaliste choisit souvent de
mettre en valeur un aspect de l’information plutôt qu’un autre ?
(…) Il arrive souvent que des journalistes qui sont proches du milieu qu’ils couvrent y
perçoivent certaines tendances avant qu’elles se manifestent au grand jour, et choisissent
de mettre en relief des aspects en apparence marginaux, qui se révèlent ensuite porteurs
d’avenir. Mais on verra aussi, reconnaissons-le, des journalistes d’un secteur se presser
en rangs serrés pour recueillir les propos «tant attendus » dont nul ne se souviendra dans
cinq ans, alors que des faits bien plus importants leur échapperont. Accaparés par les
scandales quotidiens, les crises, les événements et les vedettes, les journalistes n’ont pas
toujours le temps de s’asseoir pour penser et regarder du côté que n’éclairent pas encore
les projecteurs.
Référence
Pierre Sormany, Le métier de journaliste, Boréal, Montréal (2000), p.63-65
Des médias qui reflètent les valeurs dominantes
La presse dans son ensemble s’adresse en priorité à la classe moyenne ou supérieure, à
laquelle appartient la majorité des lecteurs de journaux ou des auditeurs d’information
télévisée. (…) Cela colore nécessairement le contenu des médias.
(La) distorsion plus ou moins explicite des priorités de l’information serait moins lourde
de conséquences si les entreprises de presse représentaient, chez nous, l’éventail des
acteurs sociaux et des groupes d’intérêts. (…) La presse d’ici, comme son modèle
américain, est une presse de « centre », qui fonctionne pour l’essentiel dans un système
de type capitaliste et adopte d’emblée les grilles d’analyse propres au libéralisme
économique. Un exemple ? La majeure partie de la couverture syndicale porte sur des
grèves ou des négociations difficiles (lorsqu’il y a perturbation du système économique),
alors qu’au contraire les patrons ont droit aux gros titres surtout lorsqu’ils annoncent des
investissements, des contrats internationaux, des profits. Pas étonnant que les entreprises
soient de plus en plus perçues comme des agents de développement collectif…et les
leaders syndicaux, comme des nuisances !
On pourrait généraliser cet exemple en affirmant que la presse libérale tend à accorder
d’autant plus de poids aux « acteurs sociaux » qu’ils sont investis de puissance
économique ou politique. Une conférence de presse du Conseil du patronat ou de
l’Association canadienne de l’industrie du médicament sera beaucoup mieux couverte
qu’une conférence de presse du Regroupement pour la défense des personnes assistées
sociales ou du Mouvement action-jeunesse. Et plus les groupes sans voix officielle
reconnue tiennent un discours qui remet en cause les valeurs dominantes, plus ils
deviennent suspects aux yeux de la presse, qui les tient alors pour insignifiants. Il y a
parfois des exceptions à cette règle, quand des groupes marginaux réussissent des coups
d’éclats, comme ce fut le cas pour la marche des femmes contre la pauvreté en 1995. Une
porte-parole efficace avec les médias, une organisation hors pair, et l’événement a fait les
manchettes. Mais c’est l’exception. L’espace médiatique reste encore dominé par les
détenteurs du pouvoir économique et politique, ne serait-ce que parce que leurs décisions
risquent, a priori, de porter plus de conséquences.
Cette tendance de la presse à refléter les valeurs dominantes ne joue pas que dans la
sélection des idées et des causes qu’elle défend. Elle détermine aussi le choix des images
qu’elle véhicule. Quand un journaliste écrit, il doit souvent se représenter mentalement le
lecteur type à qui il s’adresse. Au Québec, il s’agira le plus souvent d’un individu d’âge
moyen, un Québécois de « souche », de race blanche, hétérosexuel, plus ou moins
scolarisé selon les médias. C’est par rapport à ce stéréotype que seront définis les
personnages que l’information mettra en scène, et on ne précisera l’origine ethnique, la
race ou les préférences sexuelles des acteurs que si elles se distinguent de ce portrait type.
En se conformant à ce stéréotype, les journalistes font qu’une partie de la population ne
se reconnaît pas dans les médias. Comme ces étrangers, ces minoritaires, ces marginaux
ou ces gens des classes les plus démunies qui étaient, hier, fort mal reçus sur la place du
marché !
Référence
Pierre Sormany, Le métier de journaliste, Boréal, Montréal (2000), p.40-42.
La variété n’est pas nécessairement un signe de pluralité
On se méprend souvent en croyant que la variété des médias est le signe d’une pluralité
de sources d’information, de contenus et de représentations de la réalité. Dans le mémoire
qu’elle présentait au printemps 2001 devant la Commission parlementaire sur la
concentration des entreprises de presse, la Fédération professionnelle des journalistes du
Québec (FPJQ) soulignait alors que « le pluralisme en information est au cœur de la
démocratie. Il favorise l’expression et la circulation de faits et d’opinions contradictoires,
ce qui reste le meilleur moyen de permettre à chacun de se faire son idée sur les enjeux de
la société et d’exercer son libre arbitre. Si la réalité ne correspond pas toujours à l’idéal
de diversité, il faut travailler à s’en rapprocher. À ce titre, nous croyons que la
concentration de la propriété des médias, sans expliquer à elle seule le manque de
diversité de l’information, contribue à amplifier le problème. »
« Lorsque nous parlons de pluralisme, poursuit la FPJQ, nous parlons en fait de trois
types de pluralisme, pour reprendre une classification souvent utilisée. Ces trois types de
pluralisme sont nécessaires et interreliés.
Le pluralisme le plus fondamental, celui sans lequel on ne peut assurer les deux autres,
c’est d’abord le pluralisme des sources ou en d’autres mots le pluralisme des titres. Le
public doit avoir accès à une multitude de médias différents qui appartiennent à des
propriétaires différents. On ne pourrait concevoir qu’un seul média puisse rendre compte
de tous les aspects de la réalité à lui seul et de façon continuelle. Chaque média ou
chaque groupe de presse possède sa propre approche de la réalité et, si excellente soitelle, elle doit être complétée ou contredite par d’autres médias qui voient et pratiquent
l’information différemment. La multiplicité des titres indépendants les uns des autres et
leur concurrence constituent en soi un facteur structurel central qui rend possible le
pluralisme des contenus. C’est ici, dans le pluralisme des titres, que se situent les enjeux
principaux de la concentration de la propriété.
La seconde forme de pluralisme, le pluralisme des contenus, ne peut exister sans le
pluralisme des titres, bien qu’il n’en soit pas un effet automatique. Le pluralisme des
contenus permet d’éviter la pensée unique et l’uniformisation. Il découle d’un grand
nombre de mesures internes au milieu journalistique comme la formation des journalistes,
les ressources attribuées à la rédaction, le courage individuel de faire autrement,
l’indépendance d’esprit de chacun, l’adoption de codes de déontologie, l’indépendance de
la rédaction par rapport à la publicité, les politiques rédactionnelles judicieuses, etc.
C’est ainsi que se mène au jour le jour, média par média, le combat pour livrer au public
l’information la plus sérieuse, la plus variée, la plus pertinente possible. Sans pluralisme
des sources, face à un tout petit nombre de puissants groupes de presse, cette lutte
professionnelle a peu de chance d’être gagnée.
Enfin, la troisième forme de pluralisme, le pluralisme de représentation, fait référence à
la place des groupes minoritaires, ethniques, linguistiques, politiques et autres, dans la
production de l’information et comme sujet de l’information. Ce pluralisme doit
permettre aux groupes minoritaires de faire entendre leur voix dans les médias de
manière à contrebalancer le discours majoritaire .»
La responsabilité des citoyens
Peu de citoyens sont informés des obligations de service public auxquelles les médias
sont assujettis par les lois ou encore par les codes de déontologie. Ils ignorent aussi qu’ils
disposent de recours pour faire entendre leur point de vue et faire respecter le droit à
l’information. L’action des citoyens usagers des médias est pourtant nécessaire à la
préservation du droit de la population à des informations de qualité qui tiennent compte
du pluralisme d’expression et de création. La société est en effet le lieu où les citoyens
peuvent s’organiser et se mobiliser pour influencer la vie publique et intervenir dans le
développement du paysage médiatique. C’est uniquement lorsque le législateur (l’État) et
ceux qui dirigent les entreprises médiatiques sont interpellés par la revendication
démocratique de citoyens vigilants qu’il est possible d’assurer que la responsabilité
publique des médias ne sera pas galvaudée par leur recherche de rentabilité.
Apprendre à dire tout haut ce que (parfois) l’on pense tout bas
L’une des premières conditions pour s’exprimer sur les médias commence par
l’obligation de développer soi-même un regard personnel et critique sur les productions
médiatiques que nous consommons et de se tenir informer sur les grands débats que
suscitent le développement des médias.
Plusieurs moyens s’offrent aux citoyens pour exprimer leur point de vue sur les médias.
1. Faire des médias un sujet de discussion et de débat dans leur entourage;
2. Faire valoir leurs points de vue au Conseil de presse du Québec en portant plainte
devant ce dernier quand ils se croient lésés dans leur droit à l’information;
3. Faire valoir leurs points de vue au CRTC, tout particulièrement lorsque ce dernier
convoque une consultation et une audience publique;
4. Faire valoir leurs points de vue au Conseil des normes sur la publicité en portant
plainte devant ce dernier lorsqu’ils ont connaissance qu’une publicité dans les médias
contrevient aux codes sur la publicité;
5. Écrire aux médias en s’adressant à leur ombudsman, à leur direction, aux journalistes
et aux animateurs, etc., ou encore dans les médias écrits, en adressant une lettre ou un
texte à publier dans les sections consacrées aux lecteurs et aux débats d’idées;
6. Mener une action collective en s’associant ponctuellement avec des gens de son propre
milieu, en rédigeant une pétition, en faisant appel à une association dont on est déjà
membre ou à des organismes voués à la défense des droits du public dans le champ
médiatique. Ces derniers interviennent sur les politiques et la réglementation; sur la
défense des consommateurs; sur la couverture de l’information internationale dans la
presse; sur la qualité des programmations jeunesse; sur les problématiques de la
violence, des stéréotypes et de l’image des femmes dans les médias; etc.
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