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En un mot, la catégorie de scepticisme modéré que Popkin avait construite dans le
contexte d'une histoire du scepticisme n'est pas forcément adaptée à une histoire du
statut épistémologique des énoncés physiques au XVIIe siècle ; je me demande quelles
catégories lui substituer et dans quel espèce de discours historiques ces catégories
opèrent. Je procéde à cet effet en trois temps. Le schéma interprétatif de Popkin est
fondé sur l'opposition entre le dogmatisme de Descartes et le scepticisme de Mersenne
et Gassendi ; je m'interroge en premier lieu sur la portée de cette opposition, car la
physique concrète de Descartes recourt comme celle de Gassendi à des hypothèses. En
deuxième lieu, alors que Popkin interprète le scepticisme modéré principalement
comme une réaction à la crise sceptique générale amorcée au XVIe siècle, je soutiens
que la conception hypothétique de la physique a partie liée avec la manière dont les
philosophes mécaniques concevaient l'objet de la physique. Enfin, contre l'idée que le
scepticisme modéré a du se réfugier à la Royal Society faute de trouver un terrain
favorable sur le continent, j'examine dans quelle mesure et pour quelle raison le
discours des hypothèses l'emporte également en France à la fin du XVIIe siècle.
1. Les hypothèses de la physique cartésienne
Rappelons succinctement comment Popkin construit la catégorie de scepticisme
modéré. La crise sceptique, initialement occasionnée par des controverses religieuses et
avivée par la redécouverte des textes pyrrhoniens, a selon lui provoqué deux réactions
chez les savants du début du XVIIe siècle. Descartes d'un côté, maintenant l'idéal
aristotélicien et dogmatique de la science, aurait tenté de retourner le scepticisme contre
lui-même en tirant d'un doute radical une certitude métaphysique sur laquelle fonder la
science. D'un autre côté, Peiresc, Mersenne, Roberval, Fermat ou Gassendi, cherchant
une voie moyenne entre le scepticisme et le dogmatisme, auraient élaboré une nouvelle
conception de la science : elle aurait pour objet les apparences et non la nature des
choses ; sa modalité serait celle du vraisemblable et du probable, plutôt que de
l'évidence et de la certitude. C'est cette conception de la science que Popkin appelle
"scepticisme modéré" ou "constructif"6. En peignant Descartes comme un penseur
solitaire, attardé dans la quête vaine d'une certitude absolue, alors qu'une pléiade de
savants auraient depuis longtemps compris qu'il fallait se contenter d'hypothèses
probables en physique, Popkin ne faisait qu'ajouter une pièce à un dossier aussi
vénérable que problématique7.
Le Descartes qui intervient dans ce dyptique est en effet celui des Méditations ; or,
quelle que soit la valeur fondatrice de cet ouvrage, il ne résume pas l'œuvre cartésienne,
et, en particulier, ne préjuge pas de la manière dont Descartes pratique la physique ou de
la façon dont il la thématise à titre de science particulière. Pour argumenter un instant
an-historiquement, il est rare qu'une science particulière (et plus encore tel énoncé