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équitable rappellent aussi qu’Aristote fut un des premiers penseurs à réfléchir sur l’équité et l’équitable3.
Dans les chronologies consacrées au commerce équitable4, la première date citée est parfois 384 avant
Jésus-Christ : l’année de naissance d’Aristote, pour ses travaux sur l’éthique et l’équitable. Les
associations de commerce équitable, les chercheurs ayant travaillé sur cet objet, situent donc le
commerce équitable dans la lignée d’Aristote, souvent convoqué pour servir de « caution intellectuelle »
au commerce équitable. Ce commerce se conçoit qui plus est comme une mise en œuvre de la bonne
économie telle qu’Aristote l'entendait. Les associations de commerce équitable tout comme les
chercheurs situent donc le commerce équitable dans la filiation de la philosophie aristotélicienne,
souvent convoquée pour illustrer l’intérêt et l’ancienneté d'un commerce se voulant équitable. Le
commerce équitable témoigne de la pertinence de la pensée aristotélicienne pour comprendre l’économie
contemporaine. Il nous révèle l’intérêt des concepts d’Aristote y compris dans une économie
mondialisée et dominée par la chrématistique.
Mais si Aristote peut certes légitimer la pratique du commerce équitable, il paraît encore plus
intéressant ici de renverser la perspective et de mobiliser le commerce équitable pour redécouvrir l’usage
d’Aristote et la pertinence de ses apports pour la science économique contemporaine. S’il peut être
intéressant d’analyser le commerce équitable au prisme des réflexions aristotéliciennes, il s’agira plutôt
ici de se saisir du commerce équitable comme occasion pour redécouvrir les usages et mésusages
contemporains d’Aristote. En effet, le commerce équitable est surtout révélateur d’une double
interprétation du message aristotélicien. Si, à un premier niveau, le commerce équitable permet de
renouer avec la pensée d’Aristote et d’en saisir l’intérêt, à un deuxième niveau, ce nouveau type de
commerce est symptomatique d’une redécouverte d’Aristote partielle et partiale. Certes, ce commerce
illustre l'intérêt et la pertinence de la distinction aristotélicienne entre bonne et mauvaise économie, et
nous révèle l'actualité de la pensée d'Aristote. Mais en même temps, le commerce équitable nie
implicitement l’existence d'une bonne économie et d’une justice particulière, et nous rappelle que
l'ombre de Platon plane sur l'économie contemporaine, y compris sur l'économie sociale et solidaire. Le
commerce équitable est ainsi extrêmement symptomatique de la difficulté à penser l'économie en dehors
de la logique platonicienne et d’une justice générale. Le commerce équitable, soucieux de retrouver une
conception aristotélicienne de l'économie, illustre en fait la prégnance des conceptions platoniciennes.
En effet, la parenté affichée entre le commerce équitable et Aristote est mise à mal par la confusion entre
économie et politique qui ressort des discours sur ce commerce. Cette confusion révèle au fond son
impossibilité intrinsèque à penser une économie juste. Ainsi, si la pensée d’Aristote a été redécouverte
par le commerce équitable, ce dernier est en fait tributaire d’une interprétation d’Aristote, celle qui nie in
fine la possibilité d’une bonne économie. La philosophie d’Aristote telle qu’elle est mobilisée par le
commerce équitable reste inscrite dans un cadre pragmatiste. Le commerce équitable est ainsi l’occasion
pour nous de mettre en évidence deux interprétations du message aristotélicien, une philosophie
aristotélicienne pragmatiste, mise en évidence par les institutionnalistes et souvent mobilisée pour
étudier l’économie sociale et solidaire, et une philosophie aristotélicienne inscrite dans une dimension
pratique, seule à même de concevoir une économie juste.
Il s’agira donc ici de montrer dans une première partie que le commerce équitable souligne tout
l’intérêt d’une redécouverte d’Aristote. Le commerce équitable se présente comme une incarnation de la
bonne économie, et trouve en Aristote la philosophie légitimant son projet. Pourtant, il s’agira ensuite de
révéler que cette redécouverte reste symptomatique d’une interprétation pragmatiste d’Aristote, qui
manque l’essentiel de la philosophie aristotélicienne. Enfin, nous montrerons que cette interprétation
tronquée d’Aristote empêche de concevoir une économie juste et dégénère finalement en une confusion
entre économie et politique.
Consulté le 26/06/2010. Souligné par nous.
3 « Nous avons également commencé à étudier la question de l’équité dans les échanges économiques au travers de l’histoire,
apprenant que sa pratique était aussi vieille que le commerce. Aristote en parlait déjà il y a 25 siècle... (dans "Ethique à
Nicomaque"). », En ligne sur : <http://www.andines.com/article.php3?id_article=784>
Consulté le 26/06/2010.
4 par exemple dans Jacquiau, 2006.