Le commerce équitable révèle-t-il la possibilité d`une économie

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Le commerce équitable révèle-t-il la possibilité d’une économie
juste au sens d’Aristote ?
Delphine Pouchain
CLERSE-CNRS, UMR 8019
Institut d’Etudes Politiques de Lille, 84 rue de Trévise, 59000 Lille.
delphine.pouchain@iep.univ-lille2.fr
15 rue Gustave Colin, 62223 Saint-Laurent.
Abstract :
Le commerce équitable se présente explicitement comme une mise en œuvre de la bonne économie telle
qu’Aristote la concevait. Au sein de ce commerce comme dans la bonne chrématistique, les agents économiques
doivent et veulent être justes. C’est cette conception de l’agent économique qui est à la base du commerce
équitable, puisqu’il postule l’existence d’un consommateur s’apparentant à l’agent moral aristotélicien soucieux
des questions de justice, qui ne souhaite pas obtenir un produit au prix le plus bas mais en payant un prix juste.
Cependant, si à un premier niveau le commerce équitable permet de renouer avec la pensée d’Aristote et d’en
saisir l’intérêt actuel, à un deuxième niveau, ce nouveau type de commerce est symptomatique d’une redécouverte
d’Aristote partielle et partiale. Certes, ce commerce illustre l'intérêt et la pertinence de la distinction
aristotélicienne entre une économie juste et la chrématistique, et nous révèle l'actualité de la pensée du Stagirite.
Mais en même temps, le commerce équitable nie implicitement la possibilité d'une économie juste, et nous
rappelle que l'ombre de Platon plane sur l'économie contemporaine, y compris sur l'économie sociale et solidaire.
En effet, le commerce équitable, a priori soucieux de retrouver une conception aristotélicienne de l'économie,
illustre en fait la prégnance des conceptions platoniciennes.
La parenté revendiquée entre le commerce équitable et Aristote est mise à mal par la confusion entre économie et
politique qui ressort des discours sur ce nouveau commerce. Cette confusion révèle au fond une impossibilité
intrinsèque à penser une économie juste. Le commerce équitable se base en réalité sur une interprétation tronquée
d’Aristote, qui empêche de concevoir une économie juste et dégénère finalement en une confusion entre économie
et politique, comme si l’échange économique juste basculait automatiquement dans la sphère politique sans
pouvoir demeurer économique. L’économie est un domaine dans lequel la question de la justice n’aurait pas sa
place, voire n’a pas de sens. On voit bien ici que c’est toute la dimension de la justice particulière aristotélicienne
qui est perdue.
Keywords: Aristotle, Fair trade, Chrematistic, Consumer, Just price.
Classification JEL:
(B.110 – B. 111)
Le commerce équitable peut se définir comme un échange marchand, entre pays du Sud et pays
du Nord, ayant pour objectif l’amélioration des conditions de vie des producteurs les plus pauvres, en se
basant sur le paiement d’un prix considéré comme juste par les échangistes. Ce commerce sera pour
nous un objet d’étude en lui même certes, mais avant tout un prétexte afin de rendre compte de la
pertinence actuelle de l’approche aristotélicienne de l’économie, mais aussi de la difficulté à la penser.
Pour justifier le projet d’un commerce se voulant équitable, la pensée d’Aristote est largement
mobilisée1. De ce point de vue, le commerce équitable est particulièrement intéressant pour redécouvrir
l’intérêt de la pensée aristotélicienne et au-delà les différentes lectures de sa philosophie. Aristote est
régulièrement présenté comme ayant posé les principes dont se réclame le commerce équitable. On
trouve chez les acteurs et théoriciens du commerce équitable de nombreuses références à Aristote et à
ses travaux. Aristote est parfois présenté comme le véritable « père » du commerce équitable. Ainsi, on
peut lire que « L’histoire du commerce équitable […] débute avec Aristote en 384 avant J.-C. avec la
publication de l’ouvrage Ethique à Nicomaque. 2
». De nombreux sites Internet traitant du commerce
1 par exemple Latouche, 2000, Le Velly, 2004, ou Cary 2004.
2 En ligne sur : <http://commercequitable.over-blog.net/>
2
équitable rappellent aussi qu’Aristote fut un des premiers penseurs à réfléchir sur l’équité et l’équitable3.
Dans les chronologies consacrées au commerce équitable4, la première date citée est parfois 384 avant
Jésus-Christ : l’année de naissance d’Aristote, pour ses travaux sur l’éthique et l’équitable. Les
associations de commerce équitable, les chercheurs ayant travaillé sur cet objet, situent donc le
commerce équitable dans la lignée d’Aristote, souvent convoqué pour servir de « caution intellectuelle »
au commerce équitable. Ce commerce se conçoit qui plus est comme une mise en œuvre de la bonne
économie telle qu’Aristote l'entendait. Les associations de commerce équitable tout comme les
chercheurs situent donc le commerce équitable dans la filiation de la philosophie aristotélicienne,
souvent convoquée pour illustrer l’intérêt et l’ancienneté d'un commerce se voulant équitable. Le
commerce équitable témoigne de la pertinence de la pensée aristotélicienne pour comprendre l’économie
contemporaine. Il nous révèle l’intérêt des concepts d’Aristote y compris dans une économie
mondialisée et dominée par la chrématistique.
Mais si Aristote peut certes légitimer la pratique du commerce équitable, il paraît encore plus
intéressant ici de renverser la perspective et de mobiliser le commerce équitable pour redécouvrir l’usage
d’Aristote et la pertinence de ses apports pour la science économique contemporaine. S’il peut être
intéressant d’analyser le commerce équitable au prisme des réflexions aristotéliciennes, il s’agira plutôt
ici de se saisir du commerce équitable comme occasion pour redécouvrir les usages et mésusages
contemporains d’Aristote. En effet, le commerce équitable est surtout révélateur d’une double
interprétation du message aristotélicien. Si, à un premier niveau, le commerce équitable permet de
renouer avec la pensée d’Aristote et d’en saisir l’intérêt, à un deuxième niveau, ce nouveau type de
commerce est symptomatique d’une redécouverte d’Aristote partielle et partiale. Certes, ce commerce
illustre l'intérêt et la pertinence de la distinction aristotélicienne entre bonne et mauvaise économie, et
nous révèle l'actualité de la pensée d'Aristote. Mais en même temps, le commerce équitable nie
implicitement l’existence d'une bonne économie et d’une justice particulière, et nous rappelle que
l'ombre de Platon plane sur l'économie contemporaine, y compris sur l'économie sociale et solidaire. Le
commerce équitable est ainsi extrêmement symptomatique de la difficulté à penser l'économie en dehors
de la logique platonicienne et d’une justice générale. Le commerce équitable, soucieux de retrouver une
conception aristotélicienne de l'économie, illustre en fait la prégnance des conceptions platoniciennes.
En effet, la parenté affichée entre le commerce équitable et Aristote est mise à mal par la confusion entre
économie et politique qui ressort des discours sur ce commerce. Cette confusion révèle au fond son
impossibilité intrinsèque à penser une économie juste. Ainsi, si la pensée d’Aristote a été redécouverte
par le commerce équitable, ce dernier est en fait tributaire d’une interprétation d’Aristote, celle qui nie in
fine la possibilité d’une bonne économie. La philosophie d’Aristote telle qu’elle est mobilisée par le
commerce équitable reste inscrite dans un cadre pragmatiste. Le commerce équitable est ainsi l’occasion
pour nous de mettre en évidence deux interprétations du message aristotélicien, une philosophie
aristotélicienne pragmatiste, mise en évidence par les institutionnalistes et souvent mobilisée pour
étudier l’économie sociale et solidaire, et une philosophie aristotélicienne inscrite dans une dimension
pratique, seule à même de concevoir une économie juste.
Il s’agira donc ici de montrer dans une première partie que le commerce équitable souligne tout
l’intérêt d’une redécouverte d’Aristote. Le commerce équitable se présente comme une incarnation de la
bonne économie, et trouve en Aristote la philosophie légitimant son projet. Pourtant, il s’agira ensuite de
révéler que cette redécouverte reste symptomatique d’une interprétation pragmatiste d’Aristote, qui
manque l’essentiel de la philosophie aristotélicienne. Enfin, nous montrerons que cette interprétation
tronquée d’Aristote empêche de concevoir une économie juste et dégénère finalement en une confusion
entre économie et politique.
Consulté le 26/06/2010. Souligné par nous.
3 « Nous avons également commencé à étudier la question de l’équité dans les échanges économiques au travers de l’histoire,
apprenant que sa pratique était aussi vieille que le commerce. Aristote en parlait déjà il y a 25 siècle... (dans "Ethique à
Nicomaque"). », En ligne sur : <http://www.andines.com/article.php3?id_article=784>
Consulté le 26/06/2010.
4 par exemple dans Jacquiau, 2006.
3
1. Commerce équitable et bonne économie : une redécouverte d’Aristote
1.1. Bonne et mauvaise économie et prix juste
D’une part, il existe une forme d’économie naturelle, organisée par le chef de famille, qui a pour
objectif le bien-vivre de la famille au sein du domaine. Cette économie est l’économie domestique,
encore appelée parfois « bonne chrématistique ». Il s’agit d’un art naturel d’acquérir, « […] une espèce
de l’art d’acquérir qui naturellement est une partie de l’administration familiale : elle doit tenir à la
disposition de ceux qui administrent la maison, ou leur donner les moyens de se procurer les biens qu’il
faut mettre en réserve, et qui sont indispensables à la vie […]. »5. C’est l’acquisition de ces biens qui
permet d’accéder à la véritable richesse et à la vie heureuse. La quantité nécessaire de ces biens est
limitée, puisque c’est « […] de ces biens-là qu’on tire la véritable richesse, car la quantité suffisante
d’une telle propriété en vue d’une vie heureuse n’est pas illimitée. »6. Il importe au consommateur d’en
connaître le terme. Dans cette économie, l’échange a pour but de procurer les biens qui ne sont pas
produits dans et par le domaine. Ce commerce est dit « naturel », du moins tant qu’il a bien pour objectif
de satisfaire une valeur d'usage. Comme le précise bien Aristote, le petit commerce relève bien de l’art
naturel d’acquérir. Les agents économiques sont animés par la volonté de « bien » échanger, ils
n'échangent pas dans la perspective de produire un résultat extérieur à eux-mêmes qui maximisera ex
post leur utilité. Il s’agit donc, comme nous l’expliquerons plus loin, d’un échange qui s’inscrit dans la
praxis.
D'autre part, Aristote explique que cette première forme d’économie peut être subvertie et dériver
en une « mauvaise chrématistique » non naturelle. Dans ce cas, la finalité n’est plus le bien-vivre mais
l’accumulation de richesses illimitée. Au sein de la chrématistique, « […] il semble n’y avoir nulle borne
à la richesse. »7. Entre les deux formes d’économie, il s’agit bien d’une différence de nature essentielle,
et non d’une différence de degré. Cette économie n’a pas de fin en elle-même, et représente une forme
d’économie non naturelle et pervertie. La question de la limite, de la mesure, disparaît : « […] cette
richesse, qui provient de la chrématistique ainsi comprise, est sans limite. […] elle n’a pas de but qui
puisse la limiter, car son but c’est la richesse et la possession de valeurs. […] tous ceux qui pratiquent la
chrématistique augmentent sans limite leurs avoirs en argent. »8. Cette façon d’acquérir et d’accumuler
est intrinsèquement non naturelle. Elle est en outre blâmable car elle s’exerce forcément aux dépens
d’autrui. Dans ce contexte, l’échange n’a plus pour objectif la satisfaction d’une valeur d’usage, mais
seulement une accumulation sans fin de valeur d’échange.
Ce n’est que dans le cadre de cette opposition que peut se comprendre la réflexion d’Aristote sur
le juste prix. Comme nous l’avons dit, le chef de famille qui pratique la bonne économie peut être amené
à entrer dans une relation d’échange, et intervient alors la question du prix. Or, cette économie
domestique « […] n’est pas une organisation d‘instruments ; elle est plus qu’une technique ; elle contient
une partie éthique. »9, et va donc nécessairement se poser la question de la justice du prix. L’échange
économique, pour Aristote, réclame « […] la mise en œuvre de principes vertueux conformes à la
justice. Echange et justice étaient inséparables »10. En effet, pour Aristote, « […] la théorie des prix n’est
pas une théorie économique, mais une théorie de la justice. »11. Justice et économie ne peuvent être
déconnectés. La théorie des prix étant ici une question de justice, il existe donc des prix plus ou moins
justes, des prix qui « […] répondent plus ou moins aux exigences du bien-vivre, qui sont plus ou moins
5 Aristote, 1993 (1990), p. 113.
6 Aristote, 1993 (1990), p. 113.
7 Aristote, 1993 (1990), p. 115.
8 Aristote, 1993 (1990), p. 118.
9 Berthoud, 2002, p. 68.
10 Laval, 2007, p. 31.
11 Berthoud, 2002, p. 61.
4
utiles au bonheur de chaque famille concernée et qui correspondent plus ou moins au sentiment du
juste. »12. Pour Aristote, « […] le prix, lui, regarde la communauté. Il doit être « juste » dans la mesure
où il concerne les relations entre sujets de la même communauté, qui sont frères. […] Chacun doit
recevoir ce à quoi il a droit dans une économie « bonne et loyale ». »13. Qu’est ce alors qu’un prix juste
pour Aristote ?
Le prix juste s’inscrit chez Aristote dans un juste milieu, et trouve sa place au sein de sa théorie
de la justice commutative, celle qui « […] réalise la rectitude dans les transactions privées. »14.
Contrairement à la justice distributive, la justice commutative « […] est fondée sur le principe de la
liberté des échanges et de l’égalité des prestations. […] Le principe est donc absolu et présuppose
l’équivalence entre ce qui est reçu et ce qui est donné en échange. […] Le juste prix est celui qui ne
favorise ni l’acheteur ni le vendeur. »15. La monnaie pour Aristote va mesurer comme il le dit lui-même
« […] combien de chaussures équivalent à une maison ou à telle quantité de nourriture. Il doit donc y
avoir entre un architecte et un cordonnier le même rapport qu’entre un nombre déterminé de chaussures
et une maison (ou telle quantité de nourritures. »16. Dans l’échange, et grâce au prix juste, l’architecte
doit par conséquent pouvoir continuer à vivre comme architecte et le cordonnier comme cordonnier. Le
prix juste doit donc permettre aux échangistes de vivre conformément à leurs besoins. Comme le dit
Aristote, l’objectif est que « […] le rapport entre cultivateur et cordonnier soit le même qu’entre l’œuvre
du cordonnier et celle du cultivateur. »17. Il faut noter qu'il s’agit d’une conception du prix dans laquelle
la notion de besoin revêt une grande importance. En effet, pour que les échangistes puissent continuer à
vivre comme l’exige leur statut, il faut que le prix juste leur permette de satisfaire leurs besoins. Le prix
juste sera le prix négocié entre l’acheteur et le vendeur, et qui permettra aux échangistes de satisfaire
leur besoin. Inversement, un prix sera donc considéré comme injuste si « […] il se trouve à un niveau
qui n’exprime pas ce que chacun attend pour soi de l’attention de l’autre […] »18.
1.2. Du marché mécanique au marché rencontre
Le positionnement dans la logique marchande d’un commerce se voulant équitable nous invite
parallèlement à réexaminer la figure du marché. Le marché est-il intrinsèquement le lieu où s’exerce la
loi du plus fort ? Les échanges marchands sont-ils condamnés à être par essence inéquitables ? Ou, a
contrario, peut-on caractériser les conditions permettant au marché de devenir le lieu d’un échange
équitable ? Nous défendrons ici la thèse selon laquelle le marché peut être le moyen d’échanger de façon
équitable, mais cela suppose sans doute de revoir notre conception du marché. Pour le dire autrement, le
marché walrasien n’épuise pas toutes les formes d’échanges marchands. Le commerce équitable nous
invite à repenser le marché afin de rappeler qu’il n’est pas qu’« un mécanisme de régulation objectif et
impersonnel. »19. Cette conception n’est en réalité qu’une conception du marché, et ne reflète pas toutes
les formes de l’échange marchand.
On peut en effet, en suivant Berthoud [1991], distinguer deux formes idéal-typiques de marché.
Cette opposition permet selon nous de mieux comprendre tant le marché que le commerce équitable. Le
commerce équitable illustre parfaitement l'intérêt de cette opposition, et la pertinence et la viabilité d'un
marché conçu comme « marché-rencontre ».
Partons d'abord de la définition que donne Berthoud de ce qu’il appelle le « marché
mécanique » : « Par marché mécanique, on désigne la représentation que l’Economie Politique se fait de
12 Berthoud, 2002, pp. 60-61.
13 Laval, 2007, pp. 33-34.
14 Aristote, 2007, (1990), p. 242.
15 De Roover, 1971, pp. 43-44.
16 Aristote, 2007, (1990), p. 259.
17 2007, (1990), p. 260.
18 Berthoud, 2002, p. 61.
19 Le Velly, 2008, p. 60.
5
l’échange marchand sous ses formes orthodoxes ou néo-classiques. »20. Le marché mécanique
fonctionne selon le principe d’une totale interchangeabilité des agents. Le marché mécanique est l’effet
d’un mécanisme purement anonyme. Sur un marché mécanique, les échangistes ne se rencontrent pas
véritablement, ne se parlent pas. Le prix est la seule information nécessaire à l’échange. On retrouve ici
le projet d’une partie des économistes cherchant à assimiler les relations entre les hommes à des
relations hommes-choses. Il s'agit d'un marché « […] organisé sur la base d’une nomenclature de biens,
excluant le face-à-face interindividuel, engageant des prix objectifs et proscrivant des transactions hors-
équilibre. »21. Sur ce marché, « L’agent ne joue pas avec son alter ego symétrique, il engage la bataille
contre un écran anonyme, et c’est la mécanique de marché qui institue la rencontre transactionnelle,
réalisée sans contact et identification de l’autre. »22. Absence de face-à-face, voile, écran, tout est mis en
place pour que les agents économiques ne puissent surtout pas se voir, se parler, se rencontrer. La
rencontre, la discussion entre échangistes risqueraient de fausser les résultats du marché, et de nous
écarter d’une situation d’équilibre. La transaction économique instaure alors un rapport entre un agent
économique interchangeable et un marché « interlocuteur dépersonnalisé et anonyme. »23. L’échange
n’est plus qu’un rapport, un contact éphémère. Il s’agit ici de la description non pas du marché mais
uniquement d’un marché. Toutes les formes de marché ne s’inscrivent pas dans le marché-mécanique.
L’échange peut être équitable tout en étant un échange marchand parce que le marché n’est pas qu’un
marché-mécanique.
Ainsi, Berthoud [1992] oppose au marché mécanique le marché rencontre. Cette deuxième forme
de marché, quoique tout aussi marchande, est à même de concilier marché et justice différemment
comme nous le montrerons. Sur ce marché rencontre, « […] les agents discutent pour s’accorder : les
prix d’une part, les utilités et les avantages d’autre part se décident ensemble dans une discussion. Cette
idée prend toute sa portée si l’on entend bien que la discussion marchande est la réalité exclusive et
irréductible de la relation entre les agents. En d’autres termes, la relation entre agents est de discussion.
Et non mécanique comme dans l’économie politique néo-classique. Cette prévalence de la discussion
s’inscrivant dans un mouvement plus général de la volonté qui s’engage sur la fin ou sur la valeur. »24.
Sur le marché rencontre, l’échange s’inscrit dans la praxis et renvoie alors à la conception
aristotélicienne de l’échange économique. Le marché rencontre décrit l’échange tel qu’Aristote le
conçoit, et semble correspondre aux échanges que souhaite instaurer le commerce équitable. Les agents
recherchent une perfection dans l’acte d’échanger : on échange pour bien échanger, pour échanger
toujours mieux. Ainsi, pour Aristote, l’échange économique de la bonne économie doit relever de la
praxis. Dans ce marché, « […] le désir d’échange est « plus » et « autre » que l’intérêt propre […] »25.
Henochsberg rapproche également le marché rencontre de l’échange suggéré par Aristote, et précise que
sur le marché rencontre, « […] un prix de marché n’est pas la conséquence de la seule objectivité
économique, et comme le précise Berthoud dans son plaidoyer en faveur de la discussion, « le prix agréé
dans l’échange est et n’est qu’une opinion sur le juste. »26.. Le marché-rencontre dans une logique
aristotélicienne reconnaît les individus comme des personnes, et met fin à cette interchangeabilité des
agents. Cette reconnaissance réciproque des personnes se substitue à l’indifférence mutuelle des
individus.
1.3. Le commerce équitable incarnerait la possibilité d’une bonne économie
1.3.1. Une même conception du commerce
20 Berthoud, 1992, p. 167.
21 Henochsberg, 2001, p. 139.
22 Henochsberg, 2001, p. 138, souligné par nous.
23 Henochsberg, 2001, p. 146.
24 Henochsberg, 2001, p. 84.
25 Henochsberg, 2001, p. 83.
26 Henochsberg, 2001, p. 85.
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