manière, cet existant monte vers un plus-être. Il se produit en lui-même un changement, ou un
saut qualitatif. Entre l'étant d'avant et celui d'après, il y a une progression et un
approfondissement. Eh bien, si cette réflexion d'Aristote sur le mouvement entre dans les
fondements de sa réflexion sur l'éternité du monde, c'est parce que le "mécanisme" interne de
cet acte plonge ses racines dans les profondeurs de l'être qui porte tous les existants. Ce qui
est impliqué dans l'acte dépasse cet acte. Cet acte qui est l'acte de cet existant, n'est pas que
l'acte de cet existant, mais dans cet acte, c'est tout l'être qui se donne une effectuation, et, en
ce sens, cet acte qui est le mouvement fait participer celui-ci à l'éternité de l'être qui est
continuel surgissement à l'existence concrète. Mouvement et éternité sont inséparables. C'est
parce qu'il y a mouvement qu'il y a éternité. Ainsi, on comprend qu'une réflexion sur l'éternité
du monde implique préalablement une réflexion sur le mouvement qui est en même temps
continuité et infinité. -- (2) Cela va devenir encore plus évident dans la réflexion d'Aristote
sur le temps qui est le deuxième élément sur lequel nous avons à réfléchir. Qu'est-ce que le
temps ? C'est au Livre IV de la Physique, chapitre 10-14, qu'Aristote étudie cette question,
mais elle est présente également dans les Livres V, consacré au thème "Le Mouvement et ses
espèces", et VI, consacré au thème "Le Mouvement et ses parties". Partons de la célèbre
définition du temps que donne Aristote au Livre IV de la Physique : "Le nombre du mouvement
selon l'antérieur postérieur, voilà ce qu'est le temps" (IV, 11, 219,b,1). Surprenante définition !
Arrêtons-nous d'abord au mot "nombre". Aristote écrit, à la suite de cette définition : "Le temps
n'est donc pas mouvement, mais n'est qu'en tant que le mouvement comporte un nombre" (IV, 11,
219,b,2). Qu'est-ce qu'un nombre ? La réponse est claire : le nombre est ce qui permet dans une
énumération de calculer la somme des éléments présents ici. Il y a ici 10 livres. Voilà ce
qu'est le nombre. Mais Aristote apporte encore une précision en distinguant entre le nombre
"nombrable" et le nombre "nombré". Cette distinction est très fine. Aristote veut dire que si le
nombre est le moyen de compter les éléments en présence, c'est parce qu'ils sont
"nombrables" et le résultat de l'opération de nombrer est que les choses sont, de ce fait,
"nombrées". Si cela est clair pour toutes les choses matérielles comme des pommes ou des
livres qui se trouveraient là (il serait facile de les compter), cela n'est pas si clair pour le
temps. Et c'est précisément cela qu'il faut essayer de comprendre. Il est également "nombré"
et "nombrable". Expliquons cela : quand on parle du temps, il y a nécessairement "l'antérieur"
et le "postérieur", c'est à dire "l'avant" et "l'après". De ce fait, le temps est "nombrable" et il
est aussi "nombré" car "l'antérieur" existe, d'une certaine façon par rapport au "postérieur".
Ceci nous amène à dire que le temps a une dimension objective et réaliste. Chaque chose et
chaque être ont commencé d'être et finissent, un jour, d'être. Donc, on peut parler d'objectivité
du temps. Par rapport au mouvement dont nous avons parlé ci-dessus, on peut dire que le
temps est le cadre dans lequel se déroule le mouvement. Mais cette déclaration suppose que le
temps et le mouvement sont deux éléments qui s'emboitent l'un dans l'autre. Or, cela ne peut
être le cas, car il faut une unité antérieure qui les fonde l'un et l'autre; C'est là qu'intervient la
matérialité. C'est elle qui fait que les choses existent concrètement. Pourquoi ne pas dire alors
que la "matérialité" est la concrétisation dans l'espace, de la "temporalité". La matérialité des
choses n'est rien d'autre que leur temporalité rendue visible et palpable. Ceci nous amène à
dire que le mouvement est la temporalité en devenir dans la matérialité, et c'est de ce
mouvement que nait l'espace. Ainsi, tant qu'il y aura des choses, il y aura toujours temporalité
et mouvement. Et du fait qu'il y a des choses, il n'est pas possible de penser qu'elles ne
puissent être. Et c'est cela qui fonde l'éternité de la temporalité et de la matière qui, dans son
mouvement, passe toujours de la puissance à l'acte de manière éternelle et indéfinie. Ceci
constitue ce qu'on peut nommer "l'objectivité" du temps.
Mais Aristote, creuse encore plus profondément du côté de ce qu'on peut appeler "la
subjectivité" du temps. Voyons deux passages de son texte : le premier texte précède
immédiatement la définition que nous venons d'analyser ; le voici : "Quand donc nous sentons
l'instant comme unique au lieu de le sentir ou bien comme antérieur et postérieur dans le mouvement, ou