22 LA NOUVELLE ÉCONOMIE L’expression « nouvelle économie » désigne l’entrée dans un âge nouveau où les TIC (technologies de l’information et de la communication) prennent une part prépondérante dans la croissance économique. Mais cette nouvelle économie n’est-elle pas un mythe ? LA NOUVELLE ÉCONOMIE : DU MYTHE À LA RÉALITÉ q La construction d’un mythe La notion de nouvelle économie est plus une expression diffusée et popularisée par les médias qu’un concept scientifique défini par les économistes. Apparue dans la deuxième moitié des années quatre-vingt-dix, la nouvelle économie a été, le plus souvent, associée au développement d’Internet et à la mondialisation de l’économie. Mais, surtout, après vingt ans de crise, et à partir de l’exemple américain, la nouvelle économie a été analysée comme le fondement d’une nouvelle période de croissance, identique à celle des Trente Glorieuses. q La critique du mythe Si le mythe s’est répandu aussi rapidement, c’est sans doute parce que les populations des pays développés étaient prêtes, après plus de deux décennies de crise, à accepter un discours qui leur laissait entrevoir la Les contours de renaissance d’une société capitaliste à la nouvelle économie bout de souffle malgré l’effondrement du bloc communiste. La nouvelle économie a Pour définir le contenu de la nouvelle également donné lieu à des analyses économie, on peut s’inspirer des trascientifiques qui, à partir d’enquêtes et vaux de l’OCDE qui retient trois grands secteurs liés aux TIC : de débats, ne contestent pas le rôle crois• les secteurs producteurs de TIC (fabrisant des nouvelles technologies dans cation d’ordinateurs et matériel inforl’activité économique, mais remettent en matique, de TV, de radios et de télécause l’idée de la diffusion d’un nouveau phones, d’appareils d’instrumentation et modèle économique et social capable de de mesure, de connectique) ; résoudre tous les maux connus par les • les secteurs distributeurs de TIC sociétés développées depuis la première (commerce de gros de matériel informarévolution industrielle. tique, y compris les importateurs) ; L’effondrement du cours des valeurs • les secteurs de services de TIC (services des télécommunications, services boursières liées à la nouvelle économie, informatiques, y compris la location de depuis 2000, témoigne de son aspect matériel informatique et les services mythique. Ainsi, l’indice du NASDAQ, aux audiovisuels). États-Unis, qui correspond à la cotation des principales entreprises du secteur des nouvelles technologies, a-t-il chuté de plus de 70 % entre février 2000 et septembre 2002. 54 NOUVELLE ÉCONOMIE ET CROISSANCE q Nouvelles technologies et productivité Les nouvelles technologies permettent-elles une accélération de la productivité du travail? Jusqu’au milieu des années quatre-vingt-dix, l’économie américaine n’a pas connu une relance de ses gains de productivité. Un économiste, Robert Solow, a résumé ce paradoxe de la manière suivante : « On voit des ordinateurs partout, sauf dans les statistiques de productivité. » Perplexes, les économistes ont recherché les causes de ce paradoxe, ce qui a donné lieu à de nombreux débats, notamment sur la fiabilité des statistiques. Mais, depuis 1995, les gains de productivité sont plus importants aux États-Unis et on peut faire l’hypothèse que ce redressement a comme origine les TIC. Cependant, les gains de productivité restent encore inférieurs à ceux dus aux « anciennes technologies » pendant la période 1960-1973. q Nouvelles technologies et emploi Les données statistiques, notamment aux États-Unis, ne montrent pas une forte croissance des emplois liés aux TIC. Si l’informatique et Internet semblent susciter beaucoup d’embauches, c’est essentiellement parce que, à l’origine, le nombre des emplois dans ces domaines était très faible. Ainsi, entre 1986 et 1996, aux États-Unis, 618000 emplois ont été créés dans le secteur des services contre 2,94 millions dans celui de la santé. En outre, les études réalisées par les institutions américaines montrent que, sur les 30 professions en tête des créations d’emplois sur la période 1996-2006, trois seulement correspondent à une spécialisation dans les TIC. Les effets des TIC sur l’emploi concernent surtout les conditions de travail. Ainsi, on peut constater que les entreprises adoptent de nouvelles pratiques, caractérisées par une plus grande flexibilité, remettant en cause l’organisation taylorienne du travail. La flexibilité peut s’analyser de deux La revanche de la nouvelle manières. La première consiste à considééconomie rer que la volonté d’une meilleure réponse à une demande plus exigeante impose une Google, c’est pour l’instant l’entreprise plus grande autonomie des salariés. Mais, qui réconcilie les marchés financiers derrière cette responsabilisation des traavec la nouvelle économie. L’entreprise a mobilisé 2,3 milliards de dollars lors de vailleurs regroupés en équipes autonomes, son introduction en Bourse et la presse on trouve de nouvelles contraintes : tâches financière n’a eu que louanges pour sa très spécialisées, délais très courts, etc. stratégie depuis. Depuis ses débuts au De plus, le monde doré d’Internet a son Nasdaq, le marché des valeurs des nourevers. Les « petits génies » ne travaillent velles technologies à New York, à l’été 2004, l’action de Google a vu son cours pas seuls. Ils sont assistés de nouveaux grimper de plus de 160 %. C’est aujoursalariés qui réalisent des travaux répétitifs d’hui la Net company la mieux valorisée, et connaissent une forte précarité de l’emavec une capitalisation boursière de près ploi et des salaires. Les TIC ont également de 63 milliards de dollars. leurs ouvriers spécialisés qui sont peu proSource : Alternatives Économiques , n° 237, tégés par la législation du travail qui, dans juin 2005. ce secteur, reste très incertaine. 55