3.2. La sélection naturelle - Manuel de l`évolution biologique

3.2 - La sélection naturelle
Charles DARWIN occupe ici une place de choix, car la publication de son livre
Origin of Species by means of natural selection, or the preservation of favoured races
in the struggle for life L'Origine des espèces au moyen de la sélection naturelle, ou
la préservation de races favorisées dans la lutte pour la vie »), en 1859, a rendu son
nom inséparable de la notion de sélection naturelle.
3.2.1 - Le concept darwinien
Dans le chapitre 3 de L'Origine des espèces (Paris, Maspero, 1980-1982, p. 67),
on lit : « J'ai donné à ce principe, en vertu duquel une variation si insignifiante qu'elle soit se
conserve et se perpétue, si elle est utile, le nom de sélection naturelle, pour indiquer les
rapports de cette sélection avec celle que l'Homme peut accomplir. Mais l'expression
qu'emploie M. Herbert Spencer : « La persistance du plus apte » est plus exacte et quelquefois
tout aussi commode. » Cette dernière phrase était opportuniste, car H. SPENCER,
intellectuel très en vue, n'était pas darwinien.
Cette définition contient trois points que DARWIN développera dans des
paragraphes ultérieurs :
- Les variations à la base de toute évolution, et soumises à l’action de la sélection
naturelle qui demeure le principal mécanisme évolutif. DARWIN précise que ce principe
extrêmement puissant « fait que les variétés ... ont fini par se convertir en espèces vraies et
distinctes » (ibid., p. 67).
- Le travail de sélection artificielle efficace et remarquable accompli par les
éleveurs, auxquels DARWIN se référera souvent.
- Les mots « sélection naturelle » interchangeables avec « persistance du plus
apte » (survival of the fittest), ou « lutte pour l'existence » (struggle for life). DARWIN
semble assez embarrassé que ces expressions soient mal interprétées ; c'est
pourquoi il reprend une deuxième fois sa définition : « J'ai donné le nom de sélection
naturelle ou de persistance du plus apte à cette conservation des différences et des variations
individuelles favorables et à cette élimination des variations nuisibles » (ibid., p. 86). Il
précise ensuite, d'une part, que la sélection naturelle n'apporte pas la variabilité, mais
conserve les variations favorables survenues, et d'autre part qu'elle n'implique pas un
choix conscient de la part des animaux.
Il en conclut que « dans le sens littéral du mot, il n'est pas douteux que le terme de
sélection naturelle ne soit un terme erroné » (ibid., p. 86) ; plus que l'expression, il importe
surtout d'en saisir le contenu. Ces quelques citations reflètent la prudence de DARWIN
qui craint une mauvaise compréhension du concept.
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En 1838, DARWIN trouve, sans doute dans An Essay on the Principles of
population, as Affects the Future Improvment of Society L'Essai sur le principe de
population »), publié en 1798 par Thomas MALTHUS, professeur d'économie politique,
l'idée que la « persistance du plus apte » est le résultat non seulement d'une
compétition interspécifique, mais également d'une compétition intraspécifique.
T. MALTHUS lui apporte un argument supplémentaire pour soutenir sa théorie de la
sélection naturelle. DARWIN refuse, cependant, d'appliquer à l'Homme les conclusions
de T. MALTHUS qui écrit, en substance, que l'effectif d'une population croît selon une
progression géométrique et beaucoup plus vite que les ressources qui suivent une
progression arithmétique. Aussi cette population est-elle menacée de famine, sauf si
l'équilibre est rétabli par des moyens destructifs (les guerres, les épidémies, la faim et
autres fléaux qui fauchent les excédents), et des moyens préventifs, comme le
contrôle des naissances.
DARWIN reprend, ainsi, certaines de ces conclusions : « La lutte pour l'existence résulte
inévitablement de la rapidité avec laquelle les êtres organisés tendent à se multiplier. C'est la
doctrine de T. Malthus appliquée avec une intensibeaucoup plus considérable à tout le règne
animal et à tout le règne végétal... Les causes qui font obstacle à la tendance naturelle à la
multiplication de chaque espèce sont très obscures » (ibid., p. 69). Mais on doit tenir compte
non seulement de la disponibilité du milieu en nourriture et des épidémies, des
prédateurs et des ennemis, mais encore des variations climatiques. Il reconnaît que la
lutte pour l’existence se retrouve dans la compétition entre espèces, au sein même
d’une espèce et dans la résistance des organismes aux contraintes du milieu.
Ainsi la sélection naturelle entraîne rapidement la mort de nombreux individus ;
DARWIN note également que la nature sélectionne chez les survivants un caractère pour
l'avantage de l'individu lui-même. C'est ici que le travail de la nature se distingue de
celui de l'éleveur qui sélectionne en vue de son propre avantage, et non pas de celui
de l'espèce.
« On peut dire, par métaphore, que la sélection naturelle recherche, à chaque instant et dans le
monde entier, les variations les plus gères ; elle repousse celles qui sont nuisibles, elle
conserve et accumule celles qui sont utiles ; elle travaille en silence, insensiblement partout et
toujours... » (ibid., p. 90) ; « la sélection naturelle n'agit que par la conservation et
l'accumulation de petites modifications héréditaires dont chacune est profitable à l'individu
concerné » (ibid., p. 103). L'adaptation d'un individu à son milieu prouve finalement
l'action de la sélection naturelle. DARWIN cite différents exemples d'adaptation
d'animaux à leur milieu, dont celui du Coq de bruyère qui porte des plumes couleur de
bruyère ; il en profite pour préciser : « Mais ce que la sélection naturelle ne saurait faire,
c'est de modifier la structure d'une espèce sans lui procurer aucun avantage propre et
seulement au bénéfice d'une autre espèce » (ibid., p. 93).
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Mais si la sélection naturelle aboutit à ce que seuls les individus les mieux
adaptés subsistent, alors que les formes intermédiaires disparaissent, « pourquoi les
formes les plus perfectionnées n'ont-elles pas partout supplanté et exterminé les formes
inférieures ? Lamarck, qui croyait à une tendance innée et fatale de tous les êtres organisés
vers la perfection, semble avoir si bien pressenti cette difficulté, qu'il a été conduit à supposer
que des formes simples et nouvelles sont constamment produites par la génération spontanée »
(ibid., p. 134-135). DARWIN ne prend pas position, mais il dit que sa théorie peut se
passer de la génération spontanée, car seuls les microorganismes dont les variations
sont importantes subissent la sélection naturelle et se transforment progressivement ;
les autres se perpétuent identiques à eux-mêmes : « D'après notre théorie, l'existence
persistante des organismes inférieurs n'offre aucune difficulté : en effet, la sélection naturelle,
ou la persistance du plus apte, ne comporte pas nécessairement un développement progressif,
elle s'empare seulement des variations qui se présentent et qui sont utiles à chaque individu
dans les rapports complexes de son existence. Et, pourrait-on dire, quel avantage y aurait-il, ...
pour un animalcule-infusoire, ..., à acquérir une organisation supérieure ? Si cet avantage
n'existe pas, la sélection naturelle n'améliore que fort peu ses formes, et elle les laisse, pendant
des riodes infinies, dans leurs conditions naturelles » (ibid., p. 135). L'évolution des
espèces n'implique pas, comme chez LAMARCK, la disparition des espèces ancestrales.
Le pouvoir de la sélection naturelle est limité. Si la lutte pour la vie implique
l'élimination des individus les moins aptes de chaque espèce, il est difficile d'expliquer
le maintien de populations hétérogènes, ou celui de plusieurs espèces compétitives
dans un même milieu (cf. infra et les sections 4.2.3 : « La théorie synthétique », et
4.3.2 : « La théorie neutraliste »). La clé du problème réside dans l'existence
d'équilibres naturels : la nature possède son propre système de régulation qui accélère
ou ralentit la sélection naturelle.
Le premier facteur qui donne prise à la sélection naturelle est la variabilité des
espèces. DARWIN en a déjà donné une explication partielle, en parlant de petites
variations. La thèse des « petites modifications héréditaires » est l’une des bases de la
théorie darwinienne, dont l'auteur prend à témoin « tous les physiologistes qui admettent,
en effet, que la spécialisation des organes est un avantage pour chaque individu, en ce sens
que, dans cet état, les organes accomplissent mieux leurs fonctions ; en conséquence
l'accumulation des variations tendant à la spécialisation, cette accumulation entre dans le
ressort de la sélection naturelle » (ibid., p. 134).
Le deuxième facteur, qui favorise l'action de la sélection, est l'isolement, qui
« joue aussi un rôle important dans la modification des espèces... L'isolement donne à la
nouvelle variété tout le temps qui lui est nécessaire pour se perfectionner lentement » (ibid.,
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p. 112), et pour se transformer en une nouvelle espèce à part entière. L'isolement
géographique, puis sexuel, est la clef de voûte des hypothèses darwiniennes, car il
peut être à l'origine des spéciations.
Pour résumer la genèse de l'idée de la sélection naturelle chez DARWIN, on peut
reprendre le schéma ci-dessous (fig. 3.12) proposé par P. TORT.
Fig. 3.12
3.2.2 - La sélection naturelle à l'œuvre
La variabilité génétique offre à chaque génération de nouveaux phénotypes, seuls
ceux qui procurent un avantage adaptatif même minime sont retenus par la sélection
naturelle, qui se révèle stabilisante. En revanche, lors des radiations adaptatives, elle
favorise l’exploitation de nouvelles ressources, la sélection naturelle est alors
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diversifiante. Dans les deux cas, la sélection naturelle œuvre pour une adaptation
satisfaisante des organismes à leur milieu ; l’étude du mimétisme et de la coévolution,
qui mettent étroitement en rapport deux espèces, montre la complexité de son action.
Les adaptations
Selon la thèse évolutionniste, les variations du milieu sélectionnent chez les êtres
vivants des caractères morphologiques et physiologiques dont l’ensemble constitue
l’adaptation qui est toujours un compromis entre des conditions de vie antérieure et
actuelles ; l’adaptation est dynamique. Pour les créationnistes, l’adaptation est figée et
parfaite, car elle est donnée aux organismes à leur création.
Le terme adaptation a été popularisé par Ch. DARWIN qui l’a emprunté à William PALEY
(voir la section 4.1.1 : « La théologie naturelle »). Les naturalistes pré-darwiniens
parlent d’acclimatation ou d’accommodement (É. GEOFFROY SAINT-HILAIRE), de l’influence
sur les habitudes (LAMARCK) ou de l’effet des circonstances (G. CUVIER).
- Une adaptation morphologique : le mélanisme industriel
DARWIN était bien en peine de montrer à ses adversaires la sélection naturelle en
action. L’évolution de la Phalène du Bouleau (Biston betularia) est l’un des premiers et
rares exemples, connu sous le nom de mélanisme industriel, qui permette de suivre
directement l'action de la sélection naturelle. Au repos, pendant la journée, les
Phalènes, espèce de Papillons de nuit (fig. 3.13), se tiennent immobiles sur les troncs
d'arbres, les ailes écartées. Leurs ailes blanches, tachetées de noir (forme typica) les
rendent presque invisibles ; de plus, la présence de Lichens rend le camouflage
encore plus efficace. Très répandues dans les forêts d'Angleterre, les Phalènes sont
connues par les dégâts que causent leurs larves. Aux alentours de Manchester,
grande banlieue industrielle, elles étaient communes, mais leur variété noire
carbonaria (fig. 3.13) était rarissime, tout au moins jusqu'en 1850, début de la
révolution industrielle. Les premiers mutants noirs carbonaria ont été reconnus en
1848. Il existe une autre forme mélanique, rare, dite insularia dont il est peu question
dans les travaux des biologistes H. KETTLEWELL (1907-1978) et Edmund Briscoe FORD
(1901-1988).
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