français actuel. Seul un professeur évoque avec regret “le français pur, le
français châtié, le français qui plaît”.
Évaluation de la situation des langues locales par rapport au français
Les langues locales en Côte d'Ivoire ne sont pas soutenues par le gouvernement
et ne font l’objet d’aucun enseignement scolaire. J'ai noté dans les entretiens 137
termes se référant aux langues locales pour 369 se référant au français (mais ma
question d'enquête portait sur le français). J'ai relevé, par exemple, langue(s)
“nationale(s), locale(s), africaine(s), ivoirienne(s), maternelle(s), à tons, dioula,
baoulé, bété, wè”. Le mot “ethnie” a été utilisé une fois pour signifier
“langue locale”. Lorsque le substantif “langue” est suivi de “maternelle”, il
désigne généralement les langues africaines (11 occurrences), sauf une fois où il
désigne le français. Un possessif (sa, notre, nos, leur, leurs) apparaît devant
“langue(s)” 19 fois pour désigner les langues africaines mais n'est employé que
deux fois devant “français”. La relation personnelle à une langue maternelle
africaine semble donc beaucoup plus étroite que celle entretenue avec le
français.
Plusieurs des interviewés soulignent l’attachement des Ivoiriens aux langues
locales. Un professeur remarque que la motivation à conserver l’intégrité des
langues locales ou à les maîtriser est beaucoup plus forte que pour le français:
“Que vous soyez Baoulé, Dioula ou Bété, […] quand on parle à la maison en
bété, on le parle correctement; celui qui parle mal bété, on va lui dire: non, c’est
pas comme ça qu’on parle. Donc, même nos langues maternelles, nous les
parlons correctement et un effort, un accent est mis sur la maîtrise de ces
langues, il n’y a pas de raison pour que vous n’en fassiez pas autant pour la
langue française”. Certains notent que le dioula est la langue locale la plus
stable. Le nombre de locuteurs natifs de cette langue ne diminue pas, pour des
raisons culturelles, de même celui des locuteurs tardifs, du fait de son rôle
traditionnel de langue véhiculaire.
Les avis sont très partagés sur les avantages qu'apporterait l'utilisation officielle
des "langues nationales" qui actuellement restent à définir. Un éditeur est
sceptique et évoque la “levée de boucliers” provoquée par la récente proposition
du Ministre de l’Éducation d’enseigner en langues nationales: “C’est de la
démagogie, [les autres pays] ne l’ont pas réussi, parce que nous sommes quand
même tributaires de la colonisation”. Un autre éditeur, au contraire, se rattache
aux positions favorables à l'emploi des langues nationales et propose
“d’alphabétiser dans les langues nationales jusqu’à un certain niveau, [...] c’est
une étape qu’on a peur de franchir, mais qu’il faut absolument franchir”. Il
donne en exemple les expériences du Mali et de Madagascar. Mais le souci le
plus évident des enquêtés concerne quel français enseigner et porte donc sur le
dilemme posé par l'opposition entre norme exogène et norme endogène.
Évaluation des normes exogène et endogène du français