Des attitudes envers le français en Côte d`Ivoire La situation du

Education et Sociétés Plurilingues n°14-juin 2003
Des attitudes envers le français en Côte d’Ivoire
Béatrice Akissi BOUTIN (1)
Presentiamo qui il caso della Costa d'Avorio. Parallelamente alla diffusione del francese
popolare ivoriano e poi del nouchi, si è assistito, negli ultimi vent'anni, all'emergenza di una
norma endogena del francese, e a un atteggiamento differente da parte di chi è preposto alla
difesa di una norma esogena del francese. L’inchiesta, basata su un corpus di dieci interviste
condotte nel dicembre del 1999 con esperti di lingua francese, intende mettere in luce gli
atteggiamenti e le rappresentazioni che potrebbero entrare in gioco nell'ambito
dell'oggettivazione di una norma endogena, analizzando la valutazione della politica
linguistica, delle norme esogena ed endogena, e studiando il ruolo identitario proprio della
norma endogena.
Parallel to the expansion of a folk form of Ivory Coast French and of Nouchi, over the past
twenty years we have witnessed in the Ivory Coast the birth of an "endonorm" in French and a
change in the linguistic attitudes and representations among the very people who are supposed
to defend the "exonorm" (the French of France). The survey, based on ten interviews done in
December 1999 among professionals of the French language, shows up these attitudes and
representations, which could play a role in establishing the endonorm. We study in particular
how the respondents evaluate the current language policy, the exonorms and endonorms and
their opinions concerning the role of the endonorm in forming speakers' identities.
La situation du français, langue officielle en Côte d’Ivoire, ne peut être comprise
qu’au sein de la situation plurilingue générale du pays: plus de soixante ethnies
y sont décomptées, réparties en quatre grands groupes culturels et linguistiques
ayant chacun une langue dominante: groupes mandé (dioula), gur (sénoufo), kru
(bété) et kwa (baoulé). Malgré l’usage important des langues locales, aucune n’a
encore reçu le titre de langue nationale. La Côte d’Ivoire est actuellement dans
une situation de crise, essentiellement politique et financière, qui déborde de ses
frontières, mais qui tire parti de certaines tensions intercommunautaires.
Les représentations et attitudes concernant les langues dans une communauté
tiennent en partie aux politiques linguistiques qu’elle a connues. Il en est ainsi
des communautés qui ont été profondément marquées par l’histoire coloniale.
Lors de la colonisation de l’AOF (Afrique Occidentale Française), le français
parlé a résolument été diffusé dans tous les milieux, urbains comme ruraux, dans
le but d’en faire la langue véhiculaire. La politique linguistique suivie en Côte
d’Ivoire visait à établir le français comme seule langue officielle, avec pour
objectif le développement économique, la formation professionnelle et sa
diffusion par l’école. Cependant, alors que l’école est censée diffuser "le
français de France" (norme "exogène"), de nombreuses variétés qui s’en
différencient se sont imposées dans l'usage courant.
Une norme "endogène" se précise peu à peu, parallèlement à l’apparition du
nouchi (2). La diversité des variétés langagières provoque des commentaires de
la part des locuteurs de tous milieux sociaux. Cette norme endogène se dégage
B.A.Boutin, Des attitudes envers le français en Côte d'Ivoire
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des usages oraux et écrits des locuteurs, dans lesquels des faits de langue
récurrents sont attestés. En outre, nombre d’intellectuels revendiquent le français
ivoirien, lui donnant une expression et une forme littéraires. Mais, alors que la
norme exogène bénéficie de descriptions et d’objectivations, la norme endogène
a été peu décrite (Dagnac, Kouadio N’Guessan, Boutin) et n’est pas prise en
compte dans la politique linguistique locale.
Présentation de l'enquête sur les représentations et attitudes
L’ampleur de l’utilisation du français populaire ivoirien et du nouchi dans la rue,
dans les médias, dans les familles et dans toute situation d’oralité est évidente et
a déjà été étudiée, en relation avec la norme exogène du français (Lafage,
Simard, Ploog). Je souhaite ici illustrer les attitudes et représentations que l’on
rencontre parmi des professionnels utilisant le français comme outil de travail et
qui participent, selon nous, à la formation d’une norme endogène.
Cette étude se situe plutôt dans le registre qualitatif de l'étude de cas. Elle
s'appuie sur dix entretiens semi-directifs, dont neuf ont été enregistrés, avec des
professionnels de la langue française, c'est-à-dire des personnes dont l'outil de
travail est le français. Nous avons ainsi recueilli, sur leurs lieux de travail, les
commentaires de cinq professeurs de français (un de collège, trois de lycée et un
de littérature à l'université), de trois membres des deux principales maisons
d'édition ivoiriennes et de deux inspecteurs de français de l'Enseignement
Secondaire. Deux de ces personnes sont aussi des écrivains ivoiriens renommés
et une autre a été professeur de français pendant seize ans avant de devenir
correctrice. Tous travaillent actuellement à Abidjan. Les quatre femmes et six
hommes sont tous ivoiriens, mais le professeur de collège est originaire d’un
autre pays francophone d’Afrique de l’Ouest et un des éditeurs est d’origine
européenne. Les âges vont de 30 à 55 ans. Le temps de pratique minimale dans
la profession est de 9 ans mais la plupart des personnes enquêtées sont dans leur
domaine professionnel depuis bien plus longtemps.
Le corpus obtenu a été analysé comme "lieu de production de sens". Les co-
occurrences de certains mots et les régularités discursives ont permis de repérer
les représentations et attitudes envers les langues en Côte d’Ivoire. De fait, la
dénomination d’une langue va de pair avec ses fonction et situation sociales
(Tabouret-Keller, 1997). Dans le contexte plurilingue ivoirien, où le français fait
l’objet d’une appropriation différente selon ses variantes, les désignations des
langues et variétés de langues sont d’autant plus intéressantes. Par ailleurs,
comme il arrive souvent lors d'un entretien, l’enquêté manifeste, en interaction
avec l’enquêteur et au fur et à mesure de son discours et des questions abordées,
ses représentations et attitudes. Il peut ainsi y avoir, à première vue dans un
même discours, des éléments contradictoires, mais tous finissent par former la
"position" de l’interviewé.
La mise en œuvre des normes exogènes et endogène dans le discours
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Le questionnaire utilisé prévoyait des questions concernant 1) l’identification du
français de Côte d'Ivoire, 2) la question de savoir quelle norme enseigner et 3)
les causes des spécificités du français de Côte d’Ivoire.
Chez les enseignants et autres professionnels de la langue française, le contexte
d’enquête favorise, en principe, une position de défense et de diffusion de la
norme académique. Et, en effet, la situation du français comme langue officielle
n’a nullement é contestée lors des entretiens. Mais les opinions étaient
partagées quant au prestige du français de France. Par ailleurs, alors que je
n'avais prévu aucune question sur les langues locales, la plupart des locuteurs
ont spontanément donné leur avis sur leur situation.
Évaluation de la position du français de France
Les positions les plus extrêmes (mais opposées) sont celles des éditeurs. Pour
l’un d’eux, il n’existe pas d’autre français que “la norme, le bon français”. Cette
conception de la langue a pour corollaire la dépréciation de tout parler s’écartant
de ce standard: “ou on parle français parce qu’on l’a appris, ou on le parle mal
parce qu’on n’a pas eu l’occasion de l’apprendre, ou parce qu’on l’a mal appris,
ou parce qu’on n’a pas é assez longtemps à l’école”. Pour un autre, au
contraire, les Ivoiriens ont déjà tourné le dos au français de France, appelé aussi
"français académique", parce que c’est celui qui est enseigné à l’école et qui a
perdu tout prestige: “la référence n’est plus le français académique [...] quand
vous parlez le français de France vous êtes tout de suite marginalisé”.
L’appellation “français de France” désigne en effet une langue qui n’est plus
utilisée hors du contexte académique ou littéraire. L’expression “langue
française” (18 occurrences) est toujours utilisée par nos enquêtés en référence à
un contexte académique, normatif ou officiel. Le substantif “le français”, au
contraire, utilisé 269 fois, ne connaît pas ces restrictions. Il peut être objet
d’appropriation, contrairement à langue française”, qui reste plus lointaine, et
contrairement à “langue officielle” (7 occurrences), “langue complexe” (3),
“langue seconde” (2), “langue étrangère” (2), “langue élitiste” (1).
L’ensemble des personnes interviewées perçoivent une baisse de prestige du
français de France. Un professeur constate: “les nouveaux instituteurs ne mettent
plus leur point d’honneur à parler un français châtié”; un éditeur: “le cercle qui
utilise ce français comme référence est très restreint aujourd'hui”. Un autre
éditeur précise: “prestige pour le français de France est trop dire, il est possible
uniquement en littérature où il est la seule langue admise”.
Aucun argument de type culturel ou esthétique (dans le sens de défense de la
culture française) n’a jamais été évoqué pour fendre la norme du français de
France. Je rappelle que les œuvres du programme au collège sont écrites ou
traduites en “français facile”, et que les œuvres de la littérature française
étudiées au lycée sont des œuvres d’auteurs contemporains, ou traduites en
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français actuel. Seul un professeur évoque avec regret “le français pur, le
français châtié, le français qui plaît”.
Évaluation de la situation des langues locales par rapport au français
Les langues locales en Côte d'Ivoire ne sont pas soutenues par le gouvernement
et ne font l’objet d’aucun enseignement scolaire. J'ai noté dans les entretiens 137
termes se référant aux langues locales pour 369 se référant au français (mais ma
question d'enquête portait sur le français). J'ai relevé, par exemple, langue(s)
“nationale(s), locale(s), africaine(s), ivoirienne(s), maternelle(s), à tons, dioula,
baoulé, bété, wè”. Le mot “ethnie” a é utilisé une fois pour signifier
“langue locale”. Lorsque le substantif “langue” est suivi de “maternelle”, il
désigne généralement les langues africaines (11 occurrences), sauf une fois où il
désigne le français. Un possessif (sa, notre, nos, leur, leurs) apparaît devant
“langue(s)” 19 fois pour désigner les langues africaines mais n'est employé que
deux fois devant “français”. La relation personnelle à une langue maternelle
africaine semble donc beaucoup plus étroite que celle entretenue avec le
français.
Plusieurs des interviewés soulignent l’attachement des Ivoiriens aux langues
locales. Un professeur remarque que la motivation à conserver l’intégrité des
langues locales ou à les maîtriser est beaucoup plus forte que pour le français:
“Que vous soyez Baoulé, Dioula ou Bété, […] quand on parle à la maison en
bété, on le parle correctement; celui qui parle mal bété, on va lui dire: non, c’est
pas comme ça qu’on parle. Donc, même nos langues maternelles, nous les
parlons correctement et un effort, un accent est mis sur la maîtrise de ces
langues, il n’y a pas de raison pour que vous n’en fassiez pas autant pour la
langue française”. Certains notent que le dioula est la langue locale la plus
stable. Le nombre de locuteurs natifs de cette langue ne diminue pas, pour des
raisons culturelles, de même celui des locuteurs tardifs, du fait de son rôle
traditionnel de langue véhiculaire.
Les avis sont très partagés sur les avantages qu'apporterait l'utilisation officielle
des "langues nationales" qui actuellement restent à définir. Un éditeur est
sceptique et évoque la “levée de boucliers” provoquée par la récente proposition
du Ministre de l’Éducation d’enseigner en langues nationales: “C’est de la
démagogie, [les autres pays] ne l’ont pas réussi, parce que nous sommes quand
même tributaires de la colonisation”. Un autre éditeur, au contraire, se rattache
aux positions favorables à l'emploi des langues nationales et propose
“d’alphabétiser dans les langues nationales jusqu’à un certain niveau, [...] c’est
une étape qu’on a peur de franchir, mais qu’il faut absolument franchir”. Il
donne en exemple les expériences du Mali et de Madagascar. Mais le souci le
plus évident des enquêtés concerne quel français enseigner et porte donc sur le
dilemme posé par l'opposition entre norme exogène et norme endogène.
Évaluation des normes exogène et endogène du français
B.A.Boutin, Des attitudes envers le français en Côte d'Ivoire
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Les attitudes exprimées sont de deux types. D’une part, dans certains contextes
la norme exogène est valorisée, on parle en termes de compétence en
français; d’autre part, lorsqu’on valorise la norme endogène, on fait entrer en jeu
des critères culturels et identitaires (3).
La valorisation de la norme exogène entraîne des jugements négatifs sur la
compétence en français des personnes placées sous la responsabilité
professionnelle des personnes interviewées: élèves et étudiants pour les
professeurs, auteurs pour les éditeurs, professeurs pour les inspecteurs. Les
professeurs de français, à l’instar de leurs homologues français (Gueunier,
1985), se plaignent ainsi de la baisse de niveau en français des élèves par rapport
aux générations précédentes, sans qu’aucune question de l’enquête n'ait été
nécessaire pour que ce thème apparaisse. Des termes dévalorisants pour le
français sont alors utilisés, tels que “décousu”, “relâché”, “petit français”,
“destructuré”, “sous-français”, “sous produits de français”, “français mal parlé”,
“français à la je-m’en-foutisme”. Les enquêtés soulignent un manque d’intérêt
pour le français "soigné": “des fautes, quelquefois assez graves, que je constatais
en sixième se répercutaient, se perpétuaient jusqu’en terminale, jusqu’à
l’université. On se demande d’où elles viennent, comment ça se fait qu’elles se
sont répercutées si longtemps jusqu’à ce niveau-là”, dit un éditeur. Cette attitude
est constatée aussi par un autre éditeur, y compris chez les doctorants et chez de
jeunes enseignants par un inspecteur.
Dévalorisation de la norme exogène
Les personnes interviewées avancent plusieurs interprétations explicatives de
cette "baisse de niveau" du français constatée chez toutes sortes de locuteurs.
Elle est, pour un inspecteur, due en partie à l’extension de l’enseignement,
appelée parfois “démocratisation”, et au rejet de l’école par un nombre
important d’enfants arrivés au CEPE (Certificat d’études primaires
élémentaires), au BEPC (Brevet d’études du premier cycle) ou même au
baccalauréat. Un professeur le formule ainsi: “Étant donné que tout le monde
peut pas avoir comme ça ce français académique, il y a un sous-français qui se
crée, qui est parlé par ceux qui n’ont pas pu avoir accès aux grandes loges de
l’école, qui se sont arrêtés en cours de chemin. Ces différentes manières de
parler le français sont dues au fait que la langue française est une langue
élitiste”.
Ces raisons sont cependant encore insuffisantes pour expliquer qu’une "baisse
générale de niveau" se constate depuis les deux dernières décennies. Les
enquêtés donnent certaines raisons qui concernent spécifiquement la Côte
d’Ivoire et d’autres qui peuvent aussi être vérifiées ailleurs. Deux des causes
avancées sont communes aux pays les plus développés. Depuis les années 80,
l’approche communicative a réduit la fonction littéraire ou artistique de la
langue:
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