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ETHIQUE DES AFFAIRES : ENTRE
ACTION DE BIENFAISANCE
ET ACTION COMMERCIALE
Jean NKAHAM
Docteur en Sciences de Gestion
Université Nancy 2
Cahier de Recherche n°2008-11
CEREFIGE
Université Nancy 2
13 rue Maréchal Ney
54000 Nancy
France
Téléphone : 03 54 50 35 80
Fax : 03 54 50 35 81
www.univ-nancy2.fr/CEREFIGE
n° ISSN 1760 – 4893
2
Ethique des affaires : entre action de bienfaisance et action commerciale
NKAHAM Jean
Docteur en sciences de gestion (9/11/2007)
39 rue de Laxou
54000 Nancy
Port. : 06.66.95.52.76
Mots clés :
Ethique des affaires, action de bienfaisance, action commerciale, entrepreneurs, valeur
ajoutée.
Business ethics, action of beneficence (charity), commercial action, businessman, added
value.
Résumé
Ethique et affaires, action de bienfaisance et action commerciale, des concepts dont
l’association paraît antinomique. L’objet de l’éthique est la morale, son but élaborer des
règles de conduite en société. Dans les affaires et en entreprise, c’est la recherche du
profit maximum, la compétitivité,... sans état d’âme, ni de morale et de charité. Les
actions commerciales sont opposées aux actions de bienfaisance. Un discours éthique
qui chercherait à concilier les deux, serait un effet de mode ou une hypocrisie.
Cet article démontre le contraire. Partant de trois entrepreneurs et leur gestion qui
intègre l’éthique avec succès, et s’appuyant sur quelques auteurs, l’article montre que
l’éthique donne aux affaires et à l’entreprise de perdurer, et leur procure de la valeur
ajoutée en conciliant actions de bienveillance et actions commerciales.
Ethics and business, action of beneficence and commercial action, concepts the
association of which appears paradoxical (antonymous). The object of ethics is
morality, its purpose is to work out rules of behaviour (conduct) in society. In business
and in firm, it is the research of maximum benefit, competitiveness,... without state soul,
nor morality and charity. Commercial actions are set against actions of beneficence.
Any ethical speech which would try to reconcile both would be an effect of fashion or
an hypocrisy.
This article demonstrates the opposite. Scrutinising the case of three businessmen and
their management which inserts ethics successfully and leaning on some authors, it
shows that ethics gives in business and in firm to continue, bring them added value by
reconciling actions of beneficence or charity and commercial actions.
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Ethique des affaires : entre action de bienfaisance et action commerciale
I N T R O D U C T I O N
Ce titre sort de l’ordinaire. Tel qu’il est formulé avec la préposition « entre » qui, placée
devant un complément l’explique, et avec la conjonction « et » qui lie « action de
bienfaisance » et « action commerciale », l’hypothèse se veut claire dès le départ.
Elle pose dans cet article « action de bienfaisance » et « action commerciale »
comme deux versants de l’éthique des affaires.
Les affaires n’ont pas une vocation morale, mais de profit. L’association de l’éthique et
des affaires dérange les entrepreneurs, même si elle les interpelle. Ce sujet tel qu’il est
posé, laisse penser cependant que « action de bienfaisance » et « action commerciale »,
voire les affaires, ne pas antinomiques. Cette pensée est partagée avec des réserves, bien
qu’un nombre croissant des entreprises aujourd’hui, soutiennent des œuvres caritatives,
des recherches en vue d’améliorer la condition humaine, la santé… L’éthique dans les
affaires semble se traduire dans la qualité des relations avec les parties prenantes, dans
le souci de la transparence et la vérité dans les opérations. La question majeure serait
plutôt : quelle cohérence existe-t-il entre « action de bienfaisance » (en vue du bien de
l’homme) et « action commerciale » (en vue du gain) ? L’agent économique comme
intermédiaire dans la société est appelé à concilier ses intérêts et l’équilibre personnel
de chaque homme.
Pour introduire l’analyse de ce sujet, on partira de la position de trois hommes
d’affaires, managers dans trois entreprises différentes, de trois secteurs différents avec
trois stratégies différentes qui ont tous introduit l’éthique au cœur de leurs activités.
« L’éthique (dit Elisabeth Ducollet) doit imprégner toute l’activité, (…), une éthique qui s’invente tous les
jours, parfois au point de transgresser les règles ! (…). Cette dernière est indispensable dans un
environnement l’on est toujours dans l’obligation de progresser. L’absence de l’éthique, c’est la mort
du social »
1
(Audoyer, 2002).
Pour elle l’éthique n’est pas statique puisqu’elle « s’invente
tous les jours », elle doit bousculer les habitudes et les règles établies « transgresser les
règles » ; sa mort c’est aussi la mort du social « l’absence de l’éthique, c’est la mort du
social ».
Michel Bon pense que dans les affaires, l’éthique doit s’étendre autant sur les
employeurs, que sur les employés : « une entreprise éthique avec des employeurs et des
salariés qui ne le seraient pas (dit-il) ne pourrait être qu’une construction éphémère »
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(Ballot et al, 2005). Un patron a un devoir double : « créer des richesses » (ici
l’efficacité doit dire le dernier mot), et faire « progresser ses collaborateurs ». Dans la
progression des collaborateurs, il y a des gles à suivre, et Michel Bon croit les trouver
dans les règles éthiques, en ce sens qu’elles « sont des règles de bonne gestion que le
patron va mettre en pratique » (Audoyer, 2002).
Un autre homme d’affaire : Bernard Collomb
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pense que les valeurs éthiques ont une
« portée universelle » et se matérialisent dans des « principes d’action qu’il faut
conjuguer avec l’efficacité économique » (Audoyer, 2002). Pour Collomb, il est clair
1
- Elisabeth Ducollet est PDG du groupe Thuasne, dans un entretient avec Audoyer, J-P. 2002. Patrons et
chrétiens. Edition de l’Emmanuel. Paris. P. 63.
2
- Michel Bon, préface de Ballot, A. et al. 2005. L’éthique individuelle, un nouveau défi pour
l’entreprise. L’harmattan. Paris. P. 14.
3
- Bernard Collomb est le PDG du groupe Lafarge, dans un entretient avec Audoyer, J-P. 2002. Patrons
et chrétiens. Edition de l’Emmanuel. Paris. P. 33.
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qu’une « société qui se globalise, qui améliore la communication entre les hommes ne
débouche pas sur l’« horreur économique » », mais à une création d’un monde nouveau.
Il ne s’agit pas pour lui de renoncer aux changements qui s’imposent : licenciement,
fermeture d’entreprise, et cela ne signifie pas que « quand tout va bien on est gentil avec
les gens, on s’en occupe, et quand ça va mal on devient brutal (dit-il) », mais il s’agit de
passer au crible de la raison éthique ce qu’il a à faire. L’homme d’affaire est appelé à
anticiper. Du point de vue de l’éthique des affaires, le mal ne se situe pas, au
licenciement ou à la fermeture des entreprises, il se situe plutôt dans le manque
d’anticipation. Le mal c’est le mépris des agents licenciés ou des gens qui travaillent
dans l’entreprise qui ferme. Ce mépris se traduit par
« le fait que l’on n’anticipe pas, que l’on
n’a pas réfléchi d’avance pour essayer d’éviter les problèmes, que l’on informe pas les gens, ou que l’on
leur cache ce qui va se passer, que l’on n’est pas sincère, ni honnête dans le dialogue et finalement que
l’on ne s’occupe pas des hommes quand ils sont frappés et victimes du changement économique »
(Audoyer, 2002).
Cette position n’est pas partagée par tous. Ricœur pense que l’éthique des affaires ne
peut être qu’une subtilité de l’idéologie productiviste lorsqu’elle est couplée à la
demande d’adhésion à des valeurs d’entreprise définies par la direction. Pour Ballot en
2005, « Le discours éthique sur l’entreprise ou l’éthique d’entreprise me laisse
sceptique. Et en particulier cette idée que l’éthique améliore le climat de l’entreprise,
permet de gagner en productivité et améliore la qualité du produit ». En effet, l’éthique
des affaires n’est pas un acquis. Beaucoup pensent que l’éthique des affaires est un
moyen pour faire adhérer les employés à la cause de l’entreprise :
« L’éthique des affaires
est (…) un moyen d’obtenir du personnel un dévouement, une discipline, d’aboutir à une technique
d’intégration salariale. L’éthique correspond dans ce cadre à une nouvelle forme de culture d’entreprise
visant à modeler les comportements » (Ballet, Bry, 2001), ou que l’éthique des affaires est un instrument
de manipulation des employés « dans le système de valeurs le plus compatible avec la compétitivité de
l’entreprise » (Mercier, 2004)
.
Malgré ces controverses autour de l’éthique des affaires, l’attitude des trois managers
ci-dessus laisse penser qu’un management en cohérence avec l’éthique développe les
affaires, accroît les profits, et crée des conditions favorables pour l’épanouissement de
l’homme. Percevoir les affaires sous le seul angle économique ou de la compétitivité
comporte des risques, et met en danger l’équilibre humain. Peut-on au vue des
perceptions négatives que certains ont de l’éthique des affaires, penser qu’en conciliant
« action de bienfaisance » et « action commerciale », l’éthique pourrait-elle offrir des
atouts aux affaires ?
Les croyances dans ce domaine inclineraient plus vers la négative. Pourtant, la position
des managers ci-dessus démontre le contraire. L’éthique en combinant « action de
bienfaisance » et « action commerciale », apporterait beaucoup de la plus value aux
affaires. Ce qui incite à mener une réflexion pour voir dans quelle mesure l’éthique peut
arriver à combiner « action de bienfaisance » et « action commerciale » pour créer de la
valeur, dans le respect des règles de la gestion. Une telle réflexion offrira de nouvelles
perspectives à la croissance des affaires.
Il est difficile de concilier éthique et affaires. Associée aux affaires, l’éthique comprend
deux versants opposés : le versant de bienfaisance (l’éthique sert et aide les personnes
nécessiteuses. Elle fait respecter la dignité de tout homme dans les affaires), et le
versant du calcul économique (l’éthique rentabilise les actions en faveur des
nécessiteux, en créant des valeurs commerciales qui profitent aux affaires).
Cet article s’articulera sur deux piliers. Le premier pilier traitera de l’éthique à l’éthique
des affaires : comment l’éthique qui au départ ne concernait que l’homme, s’est étendue
aux affaires. Le second s’attellera à analyser le pourquoi de l’éthique dans les affaires,
et tentera de montrer comment elle arrive à combiner « action de bienfaisance » et
« action commerciale » pour créer un peu plus de valeur et accroître le profit.
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La réflexion que mène cet article a un intérêt double : tout d’abord éclairer les
entrepreneurs sur la prééminence de l’éthique dans les affaires de nos jours. A ce sujet,
Jean Loup Dherse et Dom Hugues pose une question pertinente : « L’éthique ou le
chao ? »
4
. Les affaires ne peuvent plus se passer de l’éthique sans créer un malaise
social. Ensuite sur un plan purement théorique et conceptuel, de caractériser la
dimension éthique dans les affaires.
1. Ethique et affaires
Toutes les sociétés sont formées de personnes venant d’horizons divers, et sont appelées
à vivre ensemble dans la liberté et le respect mutuel. Afin de ne pas affecter son
identité, sa cohérence, ses coutumes, toute société pour conserver son harmonie a besoin
de l’éthique (ensemble de règles, de valeurs qui constituent sa tradition, sa manière de
vivre). C’est sans doute ce que veut affirmer Lacoste
5
. L’éthique serait le garant d’une
société et de sa continuité. Ce concept éthique est cependant très ambigu. Il n’est pas
facile à cerner, et devient même très complexe quand il s’applique aux affaires ou à
l’entreprise. Ce qui peut être intéressant ici, est d’essayer (de lui donner un sens. Il
convient de cerner le concept, le pénétrer pour le saisir dans son essence, et l’appliquer
ensuite aux affaires pour comprendre son nouveau contenu.
Dans cette réflexion, l’éthique des affaires se confond avec l’éthique de l’entreprise. Le
choix est délibéré, étant donné que les affaires s’appuient sur les entreprises qui sont
« les agents de la vie économique »
6
. Affaires et entreprises se confondent puisque les
« acteurs principaux des affaires sont les entreprises »
7
. Avant d’aller en profondeur
dans l’éthique des affaires qui fait l’objet de cet article, il convirent tout d’abord de
clarifier le concept éthique.
1.1. De l’éthique à l’éthique des affaires
Il ny a pas très longtemps dans l’enseignement, il était question de morale et rarement
d’éthique. Aujourd’hui la morale est désuète, et l’éthique mis en confiance. Le premier
sens, le sens le plus courant fait de l’éthique le synonyme de la morale. C’est par suite
de glissement que l’éthique est devenue la science du comportement et porte sur tout
jugement moral. Le Petit Larousse définit l’éthique comme « ce qui concerne les
principes de la morale. Jugement moral. ». « Partie de la philosophie qui étudie les
fondements de la morale » ou « ensemble des gles de conduite », l’éthique est avant
tout une science de l’homme et fait partie des sciences humaines. Son objet de réflexion
est l’homme dans le vivre ensemble en société, dans l’harmonie et le respect de la
liberté de chacun et de son identité. L’éthique se présente comme un ensemble de
principes qui s’imposent à la conscience de chaque homme, comme être raisonnable qui
vit dans une société réglée par des conventions. La démarche éthique est personnelle et
4
- L’éthique ou le chao ? Est le titre du livre de Jean Loup Dherse et Dom Hugues Miguet paru aux
éditions de la Renaissance à Paris en 1998.
5
Parlant de l’éthique, Lacoste affirme : « toute société maintient son identité, sa cohérence, sa continuité
à l’aide d’un ensemble de règles, de valeurs et de coutumes qui constituent sa tradition morale (…). Les
êtres humains sont les êtres sociaux qui dépendent les uns des autres et qui ne cherchent pas seulement
leurs intérêts personnels. Cela est nécessaire parce que, ce sont aussi des êtres égoïstes qui ont tendance à
faire passer leur intérêt avant celui d’autrui » (Cf. Dictionnaire de critique théologique. 1998. PUF. Paris.)
6
Le Tourneau, P. 2001. L’éthique des affaires et du management au XXème siècle. Essai. Dalloz-Dunod.
Malesherbes. P. 18.
7
Ibid. P. 19
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