Vers une neutralité épaisse ?
Libéralisme politique et libéralisme compréhensif
Alain Policar
Chez Rawls, on le sait, les doctrines compréhensives sont caractérisées par la
prétention à la vérité universelle et/ou une conception de la nature essentielle de
l’homme. Le libéralisme politique rawlsien, s’appliquant exclusivement aux
questions politiques et sociales, se veut profondément différent. Alors que les
doctrines compréhensives, autrement dit globales, sont l’œuvre de la raison
théorique et non de la raison pratique et, dès lors, cultivent « naturellement » une
prétention au vrai, la problématisation rawlsienne consacre la supériorité du
raisonnable. Dans les sociétés contemporaines caractérisées par le pluralisme
éthique, le fait du pluralisme raisonnable est « le résultat inévitable des facultés de la
raison humaine à l’œuvre dans le cadre d’institutions à la fois libres et durables »1.
Le libéralisme politique met ainsi l’accent sur « la capacité de chacun à raisonner de
façon autonome plutôt que sur la valeur de l’autonomie »2, tandis que le libéralisme
compréhensif estime qu’il est bon d’être autonome et, ainsi, peut assigner pour
tâche aux institutions politiques l’obligation de protéger et de favoriser l’autonomie
de chacun3. Il s’agit fondamentalement pour le premier d’éviter d’avoir recours à
une conception profonde de la nature humaine, ainsi que le font Kant et Mill, pour
justifier le libéralisme4.
1 Rawls, Libéralisme politique, trad. fr., Paris, PUF, 1995, p. 75.
2 Munoz-Dardé, « Le partage des raisons », Revue de philosophie économique, no 7,
premier semestre 2003, p. 98.
3 Celle-ci n’est donc pas présumée. L’Etat est fondé à intervenir, non seulement
pour la protéger, mais également pour la développer. Ce paternalisme est, à notre
sens, parfaitement compatible avec le libéralisme. On consultera, avec profit,
Magni-Berton, « Care, pzternalisme et vertu dans une perspective libérale », Raisons
politiques, 44, nov. 2011, pp. 139-162.
4 Sur ce point important, voir Larmore, Modernité et morale, trad. fr., Paris, PUF,
1993, p. 161-191.