Œuvres complètes
de
Sainte Thérèse d'Avila
BULLE DE LA CANONISATION DE LA BIENHEUREUSE
VIERGE THÉRÈSE.
GRÉGOIRE, ÉVÊQUE,
SERVITEUR DES SERVITEURS DE DIEU.
A PERPÉTUELLE MÉMOIRE.
Le Tout-Puissant Verbe de Dieu, étant descendu du sein de son
Père en ce bas monde, pour nous retirer de la puissance des ténèbres,
après avoir accompli le temps de sa dispensation, et devant retourner
de ce monde à son Père,n'a point choisi beaucoup de personnes
nobles, ni beaucoup de philosophes du siècle, pour propager, dans
l'univers entier, l'Église de ses élus qu'il avait acquise par son sang,
comme aussi pour l'instruire par la parole de vie, pour confondre la
sagesse des sages du monde, et pour détruire tout orgueil qui s'élevait
contre Dieu ; mais il a fait choix des personnes du peuple, qui étaient
comme la lie et le rebut des hommes, lesquels pussent s'acquitter de
la fonction à laquelle il les avait prédestinés de toute éternité, non
point dans la sublimité du style, ni dans les paroles d'une sagesse
humaine, mais dans la simplicité et dans la vérité. Et aussi dans la
suite des temps, lorsque, suivant ses décrets éternels, il a daigné
visiter son peuple par ses fidèles serviteurs, souvent il a employé
pour ce ministère des hommes simples et humbles, par le moyen
desquels il a communiqué de grands biens à l'Église catholique, leur
révélant ainsi, suivant ses paroles, les mystères du royaume du ciel
cachés aux grands du monde, les illuminant de grâces divines si
abondamment, qu'ils enrichissent l'Église par les exemples de toutes
les vertus, et lui donnant un nouvel éclat par la gloire des signes et
des prodiges. Mais, en nos jours, il a opéré un salut signalé par les
mains d'une femme, en suscitant dans son Église, comme une
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nouvelle Débora, la vierge Thérèse, laquelle, avant remporté une
victoire admirable en domptant sa chair par une virginité perpétuelle,
triomphant du monde par une humilité merveilleuse, et terrassant
toutes les embûches du démon par un grand nombre de vertus
éminentes ; aspirant à de plus hauts exploits, et s'élevant au dessus de
la condition et de la portée de son sexe par la grandeur de son
courage, elle a ceint de force ses reins, et a formé un bataillon de
personnes fermes et valeureuses, qui combattissent avec des armes
spirituelles pour la maison du Dieu des armées, pour sa loi et pour
ses commandements, laquelle vierge, pour l'accomplissement d'un si
grand œuvre, Notre-Seigneur a remplie de l'esprit de sagesse et
d'entendement, et l'a tellement inondée des trésors de sa grâce, que sa
splendeur, comme une étoile dans le firmament, éclate et brille dans
la maison de Dieu pour une éternité. Nous avons donc jugé digne et
convenable que celle que JÉSUS-CHRIST, Notre Seigneur, fils unique du
Père éternel, a daigné manifester à son peuple, comme une épouse
ornée d'une couronne et parée de ses joyaux dans la gloire des
miracles ; suivant notre sollicitude pastorale dans l'Église universelle,
à laquelle, bien que sans le mériter, nous présidons ; nous avons, dis-
je, jugé convenable de décréter d'autorité apostolique, qu'elle soit
honorée comme une sainte et une élue du Seigneur, afin que tous les
peuples confessent Dieu dans ses. merveilles, et que tout homme
connaisse que ses miséricordes ne sont point taries ; en sorte que,
bien que nos péchés exigeant les fléaux de sa justice, il nous visite
avec la verge de son indignation, il ne retient pas néanmoins, ou ne
retire point ses miséricordes et ses largesses par les traits acérés de sa
colère, lorsque, dans nos afflictions, il nous munit de nouveaux
secours, et va multipliant ses amis, qui défendent et protègent son
Église par les suffrages de leurs mérites et de leurs intercessions ; et
afin que tous les fidèles de JÉSUS-CHRIST entendent quelle abondance
de son esprit Dieu a versé sur sa servante, et qu'ainsi la dévotion
croisse de jour en jour à son égard, nous avons trouvé à propos
d'insérer ici quelques-unes de ses vertus signalées et éminentes, et
aussi quelques merveilles de celles que Dieu a opérées par elle.
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Thérèse naquit à Avila, au royaume de Castillc, l'an de notre
salut 1515, de parents nobles de race et de vertu, par lesquels étant
élevée en la crainte de Dieu, elle donna des témoignages admirables
de sa future sainteté, dès son jeune âge, d'autant que, lisant les
actions et les exploits des saints martyrs, son cœur fut tellement
pénétré du feu du Saint-Esprit, qu'elle s'enfuit de la maison de ses
parents avec son frère, qui était encore dans l'enfance, pour passer en
Afrique, et y répandre son sang pour la foi de JÉSUS-CHRIST. Mais
étant détournée de son dessein par la rencontre de son oncle,
déplorant par des larmes continuelles la perte de l'heureux partage
qu'on lui avait ravi, elle compensa le désir ardent du martyre par des
aumônes et autres œuvres pieuses. Étant parvenue à l'âge de vingt
ans, elle se consacra entièrement au service de JÉSUS-CHRIST, et
suivant la vocation du ciel, elle prit l'habit de religieuse dans le
monastère de l'ordre de Notre-Dame du Mont-Carmel, qui gardait la
règle mitigée, afin qu'étant plantée dans la maison du Seigneur, elle y
poussât des fleurs. Après dix-huit ans de profession dans cette
maison, affligée de maladies graves, et tourmentée par diverses
tentations, sans être soulagée des consolations d'en-haut, elle
supporta le tout avec l'assistance de Dieu, si constamment, que, par
cette preuve de sa foi, elle fût trouvée plus précieuse que l'or qui est
affiné par le feu, et digne d'honneur, de louange et de gloire au jour
de la révélation de JÉSUS-CHRIST. Et parce que, pour élever un haut
édifice des vertus chrétiennes, il a fallu mettre le fondement de la foi,
Thérèse l'a posé si ferme et si stable, que, suivant la parole du
Seigneur, elle doit être comparée à l'homme sage qui a bâti sa maison
sur la pierre ; d'autant qu'elle croyait et révérait tellement les saints
sacrements de l'Église et les autres points et mystères de notre
religion, qu'elle ne pouvait avoir plus de certitude d'aucune chose que
ce fut, comme elle le disait et le témoignait souvent. Étant éclairée de
cette lumière de la foi, elle contemplait si clairement des yeux de
l'âme le corps de JÉSUS-CHRIST au saint sacrement de l'Eucharistie,
qu'elle disait qu'elle ne portait point envie à ceux qui le voyaient des
yeux du corps. Quant à la vertu d'espérance, elle en avait une si vive
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en Notre-Seigneur, qu'elle déplorait sans cesse sa captivité de cette
vie mortelle, qui lui empêchait la jouissance continuelle de sa
majesté, et assez ordinairement étant ravie en extase, et considérant
les joies du paradis, elle croyait y participer. Entre toutes les vertus
de Thérèse, a particulièrement éclaté l'amour de Dieu. Il était si
ardent dans son cœur, que ses confesseurs admiraient et louaient sa
charité, non comme celle d'un homme, mais comme celle d"un
chérubin, laquelle a été aussi augmentée par Notre-Seigneur JÉSUS-
CHRIST en plusieurs visions et révélations, lui ayant fait la grâce de la
prendre pour son épouse, en lui donnant la main droite, et lui disant
ces paroles : « Désormais, comme une vraie épouse, tu soigneras
mon honneur ; maintenant je suis ton unique, et tu es toute à moi. »
Elle a vu aussi un ange qui lui traversait les entrailles avec un trait
ardent ; alors l'amour divin remplissait tellement son cœur, que,
guidée par ce feu sacré, elle fit un vœu bien difficile à exécuter ;
savoir, de faire toujours ce qu'elle connaîtrait de plus parfait, et à la
plus grande gloire de Dieu. Mais, après sa mort, en une vision, elle
déclara à une religieuse qu'elle n'était pas morte par la force de la
maladie, mais par l'excès d'un embrasement de l'amour divin. Rien ne
peut égaler sa charité envers le prochain ; elle pleurait
continuellement les ténèbres des infidèles et des hérétiques ; et pour
obtenir leur conversion, elle offrait au Seigneur des jeûnes, des
disciplines et autres mortifications. Cette sainte vierge résolut aussi
dans son cœur de ne laisser passer aucun jour sans rendre quelque
office de charité au prochain ; en quoi elle a tellement été favorisée,
qu'elle n'a jamais manqué d'occasion pour l'exercer. Quant à ce qui
est d'aimer ses ennemis, elle a merveilleusement suivi notre.
Seigneur JÉSUS-CHRIST, parce que, souffrant de grandes adversités et
d'horribles persécutions, elle aimait néanmoins ceux qui la
persécutaient, et priait pour ceux qui la haïssaient ; les injustices et
les injures qu'on lui faisait redoublaient son amour et sa charité :
aussi de graves personnages avaient-ils coutume de dire que celui qui
voulait être aimé de Thérèse devait l'offenser ou lui nuire. Pour les
vœux qu'elle a prononcés lors de sa profession, elle les a remplis
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avec un zèle scrupuleux ; non seulement elle soumettait toutes ses
actions à l'avis et à la direction de ses supérieurs avec la plus grande
humilité, mais elle prit le ferme propos de conformer toutes ses
pensées à leur volonté. Elle a aussi jeté au feu, en vertu de cette
soumission, un livre rempli d'une insigne piété qu'elle avait composé
sur le Cantique des cantiques, pour obéir en cela à son confesseur.
Elle avait coutume de dire qu'elle pourrait se tromper à discerner les
visions et les révélations, mais non pas à rendre l'obéissance aux
supérieurs. Elle a tellement chéri la pauvreté, qu'elle gagnait sa
nourriture par le travail de ses mains : lorsqu'elle trouvait quelque
religieuse mal vêtue, elle échangeait aussitôt ses habits avec les
siens ; et si quelquefois le nécessaire venait à lui manquer, elle s'en
réjouissait, rendant plus de grâces à Dieu de cette disette que d'un
bienfait signalé. Parmi toutes les vertus dans lesquelles elle a excellé,
comme épouse de notre divin Sauveur, celle de chasteté a paru
encore avec plus d'éclat ; elle a accompli rigoureusement, jusqu'à la
mort, le vœu qu'elle en avait fait dès son enfance, et a conservé, tant
en corps qu'en esprit, une pureté angélique et sans tache. Elle était
humble de cœur. Favorisée de plus en plus des dons de l'Esprit-Saint,
elle demandait au Seigneur qu'il mît des bornes à ses grâces, et qu'il
n'oubliât pas sitôt ses offenses. Pour les insultes et les affronts, elle
les désirait ardemment ; ayant en horreur les honneurs du monde, elle
fuyait jusqu'à la vue des hommes. Patiente à l'excès, sa devise était
pâtir ou mourir. Outre ces présents de la libéralité divine, le Tout-
Puissant l'a encore enrichie d'une infinité d'autres grâces. Il l'a
remplie de l'esprit d'intelligence, de manière que, non seulement elle
laissât dans l'Église de Dieu des exemples de bonnes œuvres, mais
encore qu'elle l'arrosât des pluies d'une sagesse céleste, ayant écrit
des livres de la théologie mystique, et d'autres qui abondent en piété,
desquels les fidèles recueillent des fruit en abondance, y étant excités
à désirer de jouir du séjour des saints. Inspirée par la grâce divine,
elle a commencé la réforme du Carmel, et a réussi non seulement à
l'égard des femmes, mais même à l'égard des hommes.
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