COMPTE RENDU Colloque Féminismes et autres mouvements sociaux : quels liens, quels enjeux, quels débats? présenté par l’Institut de recherches et d’études féministes dans le cadre du 80e Congrès de l’Acfas, le 8 mai 2012 à Montréal. par Vanessa Gauthier-Vela, étudiante à la maîtrise en science politique avec concentration en études féministes, UQAM Les présentations ont été divisées en quatre thèmes différents. La première séance introduisait la journée avec Politiques de coalition et/ou d’opposition ? Elle comprenait les trois conférencières suivantes : Céline Tignol de l’Institut supérieur de philosophie de l’Université Catholique de Louvain : Féminisme, politique de coalition et démocratie, avec Judith Butler et Chantal Mouffe Stéphanie Mayer, de l’IREF de l’UQAM : De la non-mixité « femmes » à la non-mixité « féministe » : un projet démocratique en question Janik Bastien Charlebois, du Département de sociologie de l’UQAM : À qui appartiennent les griefs d’injustice sociale ? Quand mouvement féministe et contremouvement masculiniste s’entrechoquent. La présentation de Céline Tignol se penchait sur l’analyse de la politique de coalition de Judith Butler et de la démocratie de Chantal Mouffe. Elle démontrait les dynamiques et la renégociation constante des paramètres qui unissent un mouvement social en lui-même ou à d’autres. En effet, les enjeux politiques et l’identification à un groupe sont beaucoup mieux compris quand on identifie les processus. Mouffe, en parlant de la démocratie, comme Butler, en parlant de coalition, soulignent l’importance du dynamisme autant qu’elles mettent en garde contre les dangers de l’essentialisation. Stéphanie Mayer poursuivait dans la voie de cette mise en garde en présentant une analyse critique du mode d’organisation de la non-mixité de groupes de femmes et sa possibilité d’action politique. Si la non-mixité entre femmes s’est formée autour de la conception d’ « expérience commune », il semble qu’elle soit aussi engluée dans la question de l’authenticité, ce qui permet difficilement de faire des liens intersectionnels avec d’autres expériences. Ainsi, le besoin d’un lieu de ralliement pour penser l’action amène l’idée de dépasser la non-mixité femmes par une non-mixité féministe d’où il sera plus facile de viser une action politique. Par rapport au lien entre expérience commune et mouvement social, Janik Bastien Charlebois s’est penchée quant à elle sur les revendications du mouvement masculiniste et a élargit la réflexion sur les concepts de contre-mouvement, de statu quo, et sur les rapports de pouvoir. Ainsi, bien qu’il existe peu de théorisation du mouvement masculiniste étant donné son apparition récente, la chercheure explique que les revendications mises de l’avant par ce mouvement dévoilent plusieurs problèmes importants, dont une exploration incomplète des rapports de pouvoir qui entraîne une vision symétrique et symbolique des expériences. Une vision totalement détachée d’une lecture matérialiste. La deuxième séance intitulée Alliances d’ici et d’ailleurs a réuni les trois conférencières suivantes: Marcelle Dubé enseignante en travail social de l’Université du Québec à Chicoutimi : Le mouvement des femmes et le mouvement communautaire autonome : convergences, dissonances et résistances Pascale Dufour du Département de science politique de l’Université de Montréal : Un espace de protestation mondiale féministe ? Regard croisé France – Québec Elsa Beaulieu du Département d’anthropologie de l’Université Laval: Les alliances entre mouvements féministes et mouvements paysans au sein de la mouvance altermondialiste : réflexions à partir de la Marche mondiale des femmes au Brésil. Marcelle Dubé a éclairé sur les relations historiques et politiques du mouvement des femmes et du mouvement communautaire au Québec. À partir de la Révolution tranquille, les mouvements des femmes et les groupes communautaires se sont impliqués dans la professionnalisation des relations d’aide et dans la mobilisation de l’État. Dans les années 1990, tous se rejoignaient autour d’actions politiques ou de modes de financement communs. Malgré ces rapprochements, il semble y avoir un retard par rapport à l’interpénétration de pratiques ou d’analyses féministes chez les alliés communautaires. Pascale Dufour a ensuite comparé les effets de l’implication de la lutte féministe dans la lutte contre la mondialisation en France et au Québec. La chercheure a pu constater un réel travail de fond réalisé par les groupes de femmes québécoises, qui ont construit un espace de protestation mondial dans les contenus des revendications, et qui est absent du contexte français, qui ne possède pas les mêmes transversalités de luttes. Elsa Beaulieu, quant à elle, s’est penchée sur l’importance de la Marche mondiale des femmes (MMF) au Brésil et de ses liens avec la Via Campesina (VC) dans la construction d’alliances entre les deux mouvements sociaux. Certains points de convergence (lutte contre la pauvreté et contre la violence de la MMF et lutte pour la souveraineté alimentaire de VC) ont permis à la MMF de nouer des liens plus profonds avec VC et ainsi d’investir un enjeu qui n’avait pas passé par l’analyse féministe. La troisième séance portait comme titre Instrumentalisation des discours féministes et était constituée des trois présentations suivantes : Caroline Bouchard de l’École de service social de l’Université d’Ottawa : La violence envers les femmes en contexte familial « occidental » et « non occidental » : luttes et rapports de domination dans le champ journalistique Josée-Anne Riverin, du Service aux collectivités de l’UQAM : Femmes autochtones : quand l’arbre et l’écorce ne sont qu’un. Articulation des questions de genre dans l’engagement des femmes autochtones en Asie Chantal Maillé, de l’Institut Simone de Beauvoir de l’Université Concordia : Lectures actuelles des questions de racisme et d’anti-racisme dans les féminismes de la francophonie. Caroline Bouchard s’est intéressée au message véhiculé par les journaux québécois par rapport à la violence faite aux femmes. Son but était de dévoiler les idéologies véhiculées dans le discours. Elle a dégagé des schèmes qui relient les violences vécues par des femmes occidentales à l’ordre de l’individuel et du relationnel, tandis que les violences vécues par des femmes non occidentales sont interprétées comme une preuve de l’oppression sexiste dans leur société, ce qui encourage le racisme en plus d’invisibiliser le patriarcat occidental. Toujours dans l’espace québécois, Chantal Maillé, par une analyse des débats entourant la « Loi des accommodements raisonnables », explique le clivage entre deux féminismes (de la majorité et des anglophones) sur la question de l’égalité et de la laïcité. Ainsi, le féminisme dit « de la majorité » s'inquiète plus de la question de la laïcité que celui des anglophones, qui s’inquiète plus de la violence contre les femmes. Il y aurait une insistance par les féministes de la majorité à relier la question de la laïcité à l’égalité hommes-femmes alors que le contexte québécois s’y prête mal. Une instrumentalisation plus nuancée du féminisme se retrouvait dans la présentation de Josée-Anne Riverin sur les tensions identitaires de militantes autochtones asiatiques dans le cadre de leur engagement au sein du mouvement autochtone. Ces femmes sont dans une position particulière, car les revendications autochtones masquent les revendications propres aux femmes autochtones, mais aussi parce que le contexte particulier aux femmes autochtones n’est pas nécessairement porté par les mouvements des femmes. Leur stratégie est double : miser sur les enjeux de nature collective tout en revendiquant les droits de la personne. La stratégie de préservation de l’identité autochtone, peut contribuer à rendre invisibles leurs enjeux en tant que femmes, mais le choix de la réappropriation des standards universels des droits de la personne contribue également à garder ces stratégies en évolution par la négociation constante de ces enjeux. La quatrième séance s’intitulait Obstacles et facteurs de division et a présenté les chercheures et chercheur suivants: Mickael Chacha Enriquez du Département de Sociologie à l’UQAM présentait La lutte contre la transphobie au Québec : perception d’activistes trans à propos des liens entre la militance trans et la militance féministe Éloise Gaudreau, du Département d'Études et interventions régionales de l’UQAC présentait L'articulation des principes d’égalité en matière de rapports de genre et des pratiques militantes libertaires : contradiction, cohérence, tension ? Diane Lamoureux du Département de science politique de l’Université Laval terminait avec Un féminisme à géométrie variable La présentation de Mickael Chacha Enriquez portait sur les liens entre la militance trans et d’autres espaces militants. Il a exposé l’importance des espaces d’alliance, mais aussi la présence de difficultés à partager les mêmes espaces de luttes ou les mêmes ressources étant donné une certaine méfiance de féministes envers les transgenres. Ainsi, des féministes peuvent interpréter ce rapprochement stratégique comme une demande de privilèges de la part de gens qui sont systématiquement privilégiés, les hommes. Par une étude de cas de deux groupes libertaires ayant des valeurs antiautoritaires et antioppression, Éloise Gaudreau donnait un bon exemple d’obstacle au féminisme en identifiant les principaux endroits où les pratiques s’éloignent des idées. Ainsi, malgré un idéal libertaire, la chercheure a aussi décelé une logique patriarcale qui semble inhérente à la culture militante. Par contre, étant donné l’habitude et la volonté de mettre de l’avant des pratiques féministes, il est possible de critiquer les pratiques patriarcales et de les exposer au groupe dans une volonté d’amélioration. En continuant sur cette lancée, Diane Lamoureux terminait la séance en invoquant trois raisons qui expliquent la difficulté à intégrer le féminisme dans d’autres mouvements sociaux et qui font le plus souvent confondre intégration des femmes et intégration du féminisme. Tout d’abord la difficulté à percevoir le patriarcat comme une structure sociale globale, ensuite la difficulté à définir et dégager ce qui est politique ainsi qu’à interroger les postures de domination et, finalement, la difficulté à rompre avec l’hétéronormativité et à promouvoir l’autonomie des femmes. Ainsi, en étant conscientes des rapports de pouvoir dans leurs propres organisations militantes, ainsi que par leur autonomisation face à leurs collaborateurs, les femmes auront plus de facilité à mettre de l’avant des pratiques et des critiques féministes qui rejailliront sur le groupe. La journée s’est close par une synthèse de Jules Falquet, maîtresse de conférences en Sociologie et coresponsable du Centre pour l’enseignement, la documentation, la recherche et les études féministes (CEDREF) à l’Université de Jussieu-Paris Diderot. Elle s’est exprimé sur la multiplicité des féminismes et a rappelé l’importance des féministes qui ont précédé et qui ont connu les mêmes questionnements en matière d’alliances. Aussi, elle a constaté tout au long de la journée une réaffirmation de l’importance des liens entre la théorisation et la pratique, ce qui l’a amené à évoquer l’importance d’étudier des sujets concrets et de ne pas oublier que l’activisme et les alliances qui en découlent sont le fruit d’un travail concret et pas seulement d’un idéal. Dans ce contexte néo-libéral et individualiste, elle a invité à ne pas perdre de vue la dimension structurelle des raisons de lutte et a dit que l’analyse des rapports sociaux lui semble encore la manière la plus effective pour prendre en compte les différentes imbrications oppressives. Elle a par contre prévenu contre les dangers de l’essentialisation d’un « nous-femmes » contre lequel un « nous-féministe » demeure beaucoup plus intéressant politiquement. De la même manière, elle avance que les alliances doivent être un choix politique. Que les alliances sont nécessairement à la fois conflictuelles et politiques étant donné que ces alliances doivent être faites sur des objectifs précis davantage que sur des considérations d’inclusion. Elle a terminé sur une note d’espoir en rappelant l’importance de prendre en compte à la fois les rapports sociaux de sexe, de race et de classe pour que l’analyse féministe ne soit ni le seul apanage des groupes de femmes, ni instrumentalisé par d’autres mouvements.