Toutes les sources indiquent que Beyer s’était entièrement dévouée à la musique
contemporaine. Pourtant il semble que de son vivant, elle n'eut pas l'occasion d'entendre jouer
ses compositions plus d'une douzaine de fois. Sur l’ensemble de son oeuvre seulement
quelques compositions furent exécutées. La majorité le fût par des étudiants ou lors de
répétitions d’orchestres, une minorité par des professionnels. Les concerts de la New Music
Society d’Henry Cowell, le Composers-Forum Laboratory, basé à New York, et le groupe de
Percy Grainger, à New York (qui répéta deux de ses pièces pour orchestre), auxquels
s’ajoutent des initiatives particulières, apportèrent leur contribution.
Le groupe des ultramodernes se situait, bien entendu, tout à fait en marge de la scène
musicale traditionnelle. Mais les femmes engagées dans le mouvement en souffraient
doublement dans la mesure où elles étaient marginalisées non seulement par le courant
traditionnel, mais aussi par de nombreux hommes misogynes qui étaient hostiles à leur
engagement dans la musique moderne. Si comme le remarque Straus, « (Ruth) Crawford était
une "outsider" parmi les outsiders »,4 Beyer, elle, l’était encore plus. Ceux qui l’ont connue
garde d’elle le souvenir d’une personne « presque douloureusement timide », « étrange et
difficile à connaître », « manquant d’assurance », et probablement « sans beaucoup d'amis
dans la scène musicale de New York ».5 Compte tenu de cette situation, son engagement sans
relâche dans la composition de musique expérimentale apparaît encore plus extraordinaire. Le
réseau de compositeurs ultramodernes avait sans aucun doute une grande importance pour
Beyer dont elle partageait le profond attachement aux principes de dissonance exposés en
détail par Charles Seeger dans son traité pédagogique de composition Manual of Dissonant
Counterpoint 6 (Traité de contrepoint dissonant) et par Henry Cowell (l’un des disciples de
Seeger) dans son livre New Musical Resources7 (Nouvelles ressources musicales).
Lorsque Joseph Straus analyse les liens qui unissent les ultramodernes, il parle d’« un
noyau commun d’intérêts musicaux »8 plutôt que de caractéristiques de style identifiables.
Les analyses qui suivent visent à examiner de quelle façon ces préoccupations musicales
communes se manifestent dans la musique de Johanna Beyer. Elles suivent quatre catégories
3 Larry Polansky et John Kennedy, “ ‘Total Eclipse’: The Music of Johanna Magdalena Beyer: An Introduction
and Preliminary Annotated Checklist.” The Musical Quarterly, vol. 80 no.4 (1996): 719-798.
4 J.N. Staus, The Music of Ruth Crawford Seeger, p. 223.
5 Kennedy et Polansky, “ ‘Total Eclipse’”, p. 720.
6 Charles Seeger, “Part II: Manual of Dissonant Counterpoint in Tradition and Experiment in (the New) Music.”
in Studies in Musicology II, pp. 163-229.
7 Henry Cowell, New Musical Resoures. (New York: Alfred Knopf, 1930; repr. edn.New York: Something Else
Press, 1969).
8 J.N. Straus, The Music of Ruth Crawford Seeger, p. 220.
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