Des organismes chimériques : le sexe «lent» des eucaryotes 47
Le chapitre précédent a abor la question de la sexualité « régu-
lière » des eucaryotes, faite d’une alternance de méiose (créant de
nouveaux génomes haploïdes) et de fécondation (cant de nouveaux
nomes diploïdes). Cette forme de sexe est entièrement liée à la repro-
duction, puisque le nouveau génome est formé au sein de l’amorce d’un
nouvel individu, le zygote. On lui oppose souvent le sexe des bacté-
ries (les archées et les eubactéries), qui sont capables de créer de nou-
veaux génomes en recevant de l’ADN du milieu. Celui-ci leur parvient
sous forme d’ADN libre dans le milieu (transformation), empaqueté
dans une particule virale qui l’injecte dans la cellule (transduction)
ou acheminé par un pont cytoplasmique issu d’une bactérie don-
neuse (conjugaison) – ces mécanismes sont détaillés par Yvan Matic au
chapitre 8.
CHAPITRE
3
DES ORGANISMES
CHIMÉRIQUES :
LE SEXE « LENT »
DES EUCARYOTES
Marc-André Selosse
Page de droite :
Chimère, fi lle du géant
Typhon et d’Echidna, la
femme-serpent, est la sœur de
Cerbère, le gardien des Enfers,
et de l’hydre à neuf têtes (bronze
étrusque, probablement Ve siècle
av. J.-C., Musée archéologique
de Florence). Tout comme elle,
le noyau eucaryote cumule
des attributs venus d’espèces
différentes.
48 Des organismes chimériques : le sexe «lent» des eucaryotes 49
ACQUISITION DE GÈNES ISOLÉS AU COURS
DE L’ÉVOLUTION DES EUCARYOTES
Comment reconnaître qu’un gène a été acquis par un eucaryote ?
Plusieurs critères permettent de suspecter qu’un gène a été acquis
récemment par un génome. Le candidat est un gène absent chez les orga-
nismes apparentés, mais semblable à des gènes connus chez des orga-
nismes non apparentés. Ainsi, lors du séquençage du génome humain,
les généticiens s’interrogèrent sur la provenance de 113 gènes inconnus
chez les vertébrés, mais présents chez certaines bactéries et susceptibles
d’être issus du monde bactérien. Après vérifi cation, il se révéla que
nombre de ces gènes avaient seulement été perdus chez certains verbrés.
Les lacunes des banques de données créaient une impression fausse, pro-
bablement parce que les vertébrés dont les génomes avaient été séquencés
avant l’homme avaient été sélectionnés pour leur petit génome, plus
facile à séquencer. Sans doute avaient-ils du coup perdu beaucoup de
gènes au cours de leur évolution. Cela montre bien la diffi culté d’utili-
sation de ce critère. Aujourd’hui, sur les 113 gènes dont la provenance
pouvait être bactérienne, seule une petite dizaine reste en lice.
Lorsque les banques de données sont suffi samment riches en gènes
homologues, un gène transféré se repère néanmoins aisément à la posi-
tion phylogénétique « non conforme » conférée à l’organisme receveur.
Imaginons que l’on reconstitue la position phylogénétique d’un euca-
ryote en utilisant uniquement un gène qu’un de ses ancêtres a reçu d’un
groupe de bactéries : l’eucaryote semblera provenir du groupe de bacté-
ries dont est issu le gène et ne se placera pas au sein des eucaryotes. Le
gène « raconte » en effet sa propre histoire, qui, avant le transfert, n’est
pas celle des organismes le contenant actuellement. Ainsi, Entamoeba
histolytica (une amibe intestinale redoutée des voyageurs) se situe sans
ambiguïté dans le groupe des eucaryotes. Son génome comprend un
gène de superoxyde dismutase la protégeant de l’oxygène qui, si on l’uti-
lise pour réaliser un arbre phylogénétique, place Entamoeba histolytica
au beau milieu des bactéries. L’explication de ce phénomène est qu’un
gène bactérien est venu s’insérer dans le génome de cette amibe – ce que
l’on appelle un transfert latéral.
D’autres signatures sont basées sur les particularités du génome
de chaque espèce. Ainsi, il existe plusieurs façons de coder les acides
aminés (voir l’encadré page suivante). De même, les fréquences d’en-
chaînement des nucléotides (AT, CA…) ne sont pas identiques d’une
espèce à l’autre. Un gène issu d’un autre organisme peut donc différer
du génome où il s’insère par rapport à ces critères. Cependant, ces diffé-
À la différence de ce qui se passe chez les eucaryotes, ce sexe bactérien
n’est ni régulier (il n’est pas cyclique) ni lié à la reproduction (fi gure 1).
Bien au contraire ! Dans les cas de transformation et de transduction,
l’ADN ou les particules virales sont libérés à la mort d’une cellule : il y a
donc nalement moins de cellules qu’au début… Une différence majeure
en résulte : chez les eucaryotes, l’information génétique des organismes
provient entièrement de la génération précédente (les parents). On parle
alors de transmission verticale, car les gènes « descendent » littéralement
dans l’arbre généalogique. À l’inverse, chez les bactéries, l’information
génétique peut provenir d’organismes voisins de la même génération
(qui meurent parfois) : elle se transmet alors de façon horizontale, entre
organismes de même échelon dans l’arbre généalogique.
Selon une idée reçue, seules les bactéries connaîtraient des transferts
horizontaux, alors que la transmission de l’information génétique serait
strictement verticale chez les eucaryotes. S’il est vrai que les enfants res-
semblent souvent à leurs parents, cela occulte le fait que, à l’égal des
bactéries, les eucaryotes renouvellent parfois leur génome en recrutant
des gènes dans le milieu… Nous verrons qu’ils connaissent eux aussi des
transformations et des transductions, et surtout une acquisition de gènes
par un processus qui leur est propre : l’endosymbiose.
Reproduction (tout phénomène
augmentant le nombre d’individus)
Sexualité (production d’un génome
différent, impliquant donc
un transfert de gènes)
L’information génétique des organismes
provient entièrement de la génération
précédente
TRANSMISSION VERTICALE
Une partie de l’information génétique
provient d’autres organismes de
la même génération
TRANSMISSION HORIZONTALE
Reproduction asexuée
(1 2 ou +)
Transformation, conjugaison,
transduction, phagocytose,
endosymbiose
Reproduction sexuée :
2 3, l’individu supplémentaire
possède un nouveau génome
Figure 1.
Quelques défi nitions.
50 Des organismes chimériques : le sexe «lent» des eucaryotes 51
Transferts issus du voisinage (transformation)
Il existe une longue liste de transferts convaincants : l’un des gènes
de la biosynthèse de la pénicilline chez les champignons provient d’une
bactérie ; le gène permettant la digestion de la cellulose chez certains
vers nématodes parasites de plantes est d’origine bactérienne ; les asci-
dies, des organismes marins qui vivent fi xés et protégés par une épaisse
enveloppe de cellulose, ont acquis les gènes de biosynthèse de la cel-
lulose à partir d’algues… On peut supposer que des organismes voi-
sins, du même milieu, ont été la source de ces gènes : des bactéries utili-
sant les mêmes ressources pour les champignons, des bactéries du tube
digestif ou parasites de plantes pour les nématodes, ou enfi n des algues
ltrées par les ascidies pour leur alimentation. Voisins étroits, les para-
sites représentent une source majeure de transferts : les plantes parasites
semblent avoir souvent pris des gènes de leurs hôtes. Ainsi les plantains
ont-ils reçu des gènes de plantes parasites comme les cuscutes ou les
orobanches.
Les organismes multicellulaires favorisent localement des réunions
de micro-organismes, possibles sources d’ADN après leur mort. Le
tube digestif des animaux contient des milliers d’espèces de bactéries
et d’eucaryotes unicellulaires (notre tube digestif contient dix fois plus
de bactéries que notre organisme ne compte de cellules). Autour des
racines, le sol proche (ou rhizosphère), riche en matières exsudées,
attire de foisonnantes communautés microbiennes. Toutefois, l’acquisi-
tion d’un gène ne devient défi nitive que si la cellule receveuse engendre
des descendants. Le processus est plus simple chez les végétaux, car des
bourgeons peuvent se former n’importe où et engendrer une eur, puis
des graines. Chez les animaux, dont seuls les gamètes engendrent les
descendants, les probabilités d’acquisition durable sont plus réduites
mais non inexistantes, nous l’avons vu ! – car ces gamètes sont protégés
du contact des organismes du milieu.
Dans le cas des eucaryotes unicellulaires, toute cellule produit des
descendants par simple division cellulaire. Mieux encore, certains uni-
cellulaires qui se nourrissent par phagocytose côtoient constamment de
l’ADN libéré de leurs proies. La phagocytose comprend l’internalisation
puis la digestion intracellulaire de la proie dans une vésicule, d’où l’ADN
peut s’échapper accidentellement. Ce type d’organismes, commun dans
les eaux et les sols, reste peu étudié, mais on connaît maintenant des
exemples dans lesquels ce processus pourrait avoir joué un rôle dans l’ac-
quisition de caractéristiques nouvelles (voir l’encadré page suivante).
Or, même peu fréquents, les nouveaux génomes ainsi obtenus peuvent
avoir une valeur adaptative en gagnant brutalement des capacis nouvelles,
rences se réduisent au gré des mutations, avec le temps, et ne marquent
que les gènes récemment transférés. L’ensemble de ces critères montre
qu’à diverses reprises les eucaryotes ont renouvelé leur génome par des
transferts horizontaux.
Le code génétique
L’ADN (acide désoxyribonu-
cléique) est une molécule linéaire
formée d’un enchaînement de
quatre nucléotides : l’adénine
(A), la guanine (G), la thymine
(T) et la cytosine (C). La plupart
des gènes permettent la synthèse
de protéines, enchaînements
linéaires d’acides aminés :
l’enchaînement des nucléotides
d’un gène code celui des acides
aminés de la protéine correspon-
dante. La synthèse des protéines
commence par la transcription,
c’est-à-dire la synthèse d’un ARN
(acide ribonucléique) dit « mes-
sager » – un autre enchaînement
de nucléotides, identique à celui
de l’ADN mais où la thymine est
remplacée par de l’uracile (U).
Cet ARN est ensuite transformé en
protéines au niveau de particules
appelées ribosomes : c’est la tra-
duction. À chaque groupe de trois
nucléotides (encore appelé triplet
ou codon) est associé un acide
aminé. Des triplets indiquent la fi n
de l’enchaînement, lorsque l’ex-
trémité de la protéine est atteinte
(codons « stop »). Alors qu’il existe
25 acides aminés et une fonction
stop, 64 codons sont possibles :
certains sont donc synonymes
(voir tableau ci-dessous). Les
espèces diffèrent entre elles dans
leur fréquence d’utilisation des
codons synonymes et montrent
souvent une préférence pour l’un
ou l’autre des codons : on parle de
biais d’utilisation des codons.
Ce code génétique est universel :
tous les organismes le partagent, et
il n’existe que de très rares variantes.
Par exemple, chez les ciliés – des
eucaryotes unicellulaires comme
la paramécie –, un codon « stop »
code l’acide glutamique. Les ex-
ceptions sont plus fréquentes pour
des génomes résidant dans les
cellules eucaryotes, comme ceux
des mycoplasmes – des bactéries
parasites intracellulaires – ou des
mitochondries. Dans les mito-
chondries humaines, par exemple,
AUA code la méthionine et non
l’isoleucine, tandis que AGA et
AGG sont des codons « stop » et
ne codent pas l’arginine.
Deuxième lettre
U
U
UUU phénilalanine cystéine
leucine codon stop
tryptophane
sérine
leucine
histidine
glutamine
asparagine
lysine
tyrosine
codons stop
arginine
arginine
proline
isoleucine sérine
thréonine
méthionine
valine glycine
acide glutamique
acide aspartique
alanine
UCU UAU UGU
CUU CGU CAU CGU
AUU ACU AAU AGU
GUU GCU GAU GGU
UUC UCC UAC UGC
CUC CGC CAC CGC
AUC ACC AAC AGC
GUC GCC GAC GGC
UUA UCA UAA UGA
CUA CGA CAA CGA
AUA ACA AAA AGA
GUA GCA GAA GGA
UUG UCG UAG UGG
CUG CGG CAG CGG
AUG ACG AAG AGG
GUG GCG GAG GGG
U
U
U
U
C
C
C
C
C
A
A
A
A
A
G
G
G
G
G
ACG
Première lettre
Troisième lettre
52 Des organismes chimériques : le sexe «lent» des eucaryotes 53
un gène exotique a été apporté dans une cellule par transformation ou
par transduction.
Il arrive que l’on observe la persistance, à l’état non pathogène, de
ces virus dans les génomes. Ils s’y sont parfois multipliés initialement,
avant que la sélection naturelle n’ait favorisé les cellules limitant leur
prolifération. C’est le cas des rétrotransposons, des séquences d’ADN qui
se multiplient dans les génomes elles se trouvent par l’intermédiaire
d’ARN (voir l’encadré p. 50). Ceux-ci représentent 10 % du génome de
l’homme et 50 % de celui du maïs ! Ils font partie de ce que les spé-
cialistes qualifi ent d’ADN poubelle (voir l’encadré page suivante). Chez
l’homme, ils ne se multiplient plus car leur séquence est souvent incom-
plète. Ces éléments dérivent de virus, les « rétrovirus », chez lesquels
l’ARN multipliant la séquence est emballé dans une particule virale et
peut, sous cette forme, passer d’un organisme à l’autre (le virus du sida
est de ce type). De tels virus arrivent parfois à passer d’une espèce à
l’autre : actuellement, le génome des koalas est en cours de colonisation
par un rétrovirus qui proviendrait… des gibbons !
Les génomes eucaryotes contiennent donc quantité d’anciens
virus. Leur présence est plus qu’une forme de « maladie bénigne » du
génome. Au-delà de leur inclusion dans l’ADN poubelle, certains ont pu
acquérir, au cours de l’évolution, des rôles majeurs. Ainsi, les séquences
qui déclenchent, dans nos glandes salivaires, l’expression du gène de
l’amylase une enzyme digérant l’amidon alimentaire sont tout sim-
plement… d’anciennes séquences régulatrices virales, réaffectées à cette
régulation ! Des gènes de rétrovirus acquièrent parfois une fonction cel-
lulaire. Le placenta est la structure qui accroche le fœtus à la mère chez
les mammifères ; chez l’homme, il est constitué de cellules fusionnées
entre elles. La syncytine est une protéine qui joue un rôle décisif dans
cette fusion. Or elle provient du génome d’un rétrovirus, chez lequel elle
permettait la fusion de la particule infectieuse avec les cellules cibles !
Bien plus, cette protéine comporte un domaine réduisant les réponses
immunitaires, ce qui favorise la tolérance maternelle au placenta. On
comprend donc que l’arrivée de ces séquences dans l’ADN poubelle ait
permis, à maintes reprises, l’émergence de nouvelles fonctions.
En résumé, les génomes eucaryotes actuels comportent des gènes
issus d’autres organismes voisins, morts ou digérés (transformation), ou
acquis par le biais de virus (transduction). Ces transmissions horizon-
tales, créatrices de nouveaux génomes, sont peu fréquentes mais
peuvent contribuer à l’émergence de fonctions nouvelles majeures.
Pourtant, la principale source de gènes étrangers dans la cellule euca-
ryote réside ailleurs…
bien plus vite que par mutation à partir de gènes préexistants. C’est là un
point essentiel. Le cas d’eucaryotes unicellulaires ayant secondairement
colonisé des milieux privés d’oxygène, comme les diplomonadines, en
est une parfaite illustration : nombre des gènes de leur métabolisme sont
d’origine bactérienne, ce qui leur a permis de s’adapter à ce milieu inha-
bituel. Chez les champignons, un parasite du blé, Pyrenophora triciti-
repentis, est brutalement apparu dans les années 1940 : on sait mainte-
nant que cette espèce est devenue pathogène après avoir reçu d’un autre
champignon parasite du blé, Stagonospora nodorum, un gène codant une
toxine impliquée dans l’attaque de l’hôte.
Transferts via des virus (transduction)
Des particules virales peuvent transférer des gènes d’un génome
à l’autre : c’est la transduction. La fabrication d’un grand nombre de
particules virales infectieuses s’accompagne d’un faible contrôle de
leur qualité : certaines comprennent un génome viral incomplet, et
d’autres emportent des fragments d’ADN de la cellule d’origine. De
telles défaillances représentent une chance pour la cellule cible, car ces
variants sont incapables de l’occire. La connaissance de ce mécanisme
provient de la découverte des « oncogènes » causant des cancers, comme
le sarcome de Rous ou l’érythroblastose aviaire. Des virus apportent une
copie supplémentaire dite oncogène, souvent altérée, de gènes interve-
nant normalement dans le cycle cellulaire : les cellules infectées engen-
drent alors une tumeur. Ces transductions d’oncogènes suscitent des
maladies et n’ont guère d’avenir évolutif. L’introduction d’autres gènes
moins nocifs demeure possible. Il est toutefois diffi cile de déterminer si
Bigelowiella natans, une
prédatrice de gènes
Une amibe d’eau douce,
Bigelowiella natans, a acquis une
algue verte endosymbiotique
qui est devenue par la suite son
plaste. Comme il arrive à certains
unicellulaires pourvus d’un plaste,
cette amibe conserve la capacité
d’effectuer la phagocytose : les
proies ainsi capturées complètent
son alimentation en azote et en
phosphate. Le génome du noyau
de l’algue verte internalisée s’est
progressivement miniaturisé
et persiste actuellement en un
noyau extrêmement réduit, appelé
nucléomorphe. La synthèse de
nombreuses protéines du plaste
dépend donc de gènes situés dans
le noyau de l’amibe.
Une étude a montré les origines
variées de 78 des gènes recrutés,
dans le noyau de l’hôte secon-
daire, pour fabriquer les protéines
assurant le fonctionnement du
plaste. La plupart sont issus du
noyau de l’hôte primaire, sans
doute lors de la réduction de sa
taille. Mais un cinquième d’entre
eux a été acquis d’autres sources,
très variées : bactéries, autres
algues… Il s’agit probablement de
gènes issus de proies ingérées et
digérées par B. natans ! Cet exem-
ple illustre donc les deux façons
d’acquérir des gènes propres aux
eucaryotes : la phagocytose suivie
de digestion et l’endosymbiose.
54 Des organismes chimériques : le sexe «lent» des eucaryotes 55
étaient en fait des métabolismes de bactéries ; enfi n, au cours des années
1960, de l’ADN avait été découvert dans les plastes et les mitochondries.
La structure de leurs génomes, leurs gènes et les modalités de la tra-
duction en protéines sont typiquement bactériens. Bien plus, ces gènes
permettent de reconstituer des parentés avec des bactéries vivant dans
l’environnement. Considérons le cas des différents génomes du maïs :
le génome des plastes se place au sein de bactéries photosynthétiques
(les cyanobactéries), et celui des mitochondries parmi les alpha-protéo-
bactéries. Cela signifi e que certains organites sont d’anciennes bactéries,
capturées dans la cellule eucaryote par endosymbiose.
Remarquons au passage qu’une tentative d’identifi cation de la posi-
tion du maïs par les séquences de ses plastes aurait conduit à le classer
parmi les cyanobactéries, ce qui constitue bien sûr une aberration ! On
retrouve ici le paradoxe déjà signalé plus haut, et qui est l’une des carac-
téristiques des gènes transférés d’une lignée à l’autre : leur position évo-
lutive n’est pas celle de leur contenant actuel.
Diversité des endosymbioses chez les eucaryotes
On objectera qu’il s’agit d’événements rares ; ce n’est pas si vrai,
et, de plus, ils n’en sont pas moins fondateurs de lignées très diversi-
ées. Considérons l’origine de l’ensemble des eucaryotes eux-mêmes :
on sait maintenant que leur ancêtre commun possédait des mitochon-
dries, même si elles ont été modifi ées dans
certaines lignées. Les eucaryotes sont
donc par essence des organismes chimé-
riques, alliant au moins deux lignées cel-
lulaires. Certes, celles-ci se révèlent très
interdépendantes : par exemple, quand je
dis « je », sont-ce ces bactéries (mes mito-
chondries) ou un eucaryote qui parlent ?
Il existe d’autres endosymbioses.
L’ensemble des eucaryotes photosynthé-
tiques possède, en plus, des plastes qui
sont apparus lors de plusieurs endosym-
bioses plus tardives. Chez les algues rouges,
comme le nori (Porphyra), fréquemment
servi dans les restaurants japonais, les
algues vertes, comme la laitue de mer, et
les végétaux terrestres, le plaste provient
d’une cyanobactérie présente dans les cel-
lules de leur ancêtre commun (c’est le cas
LES EUCARYOTES, DES PRÉDATEURS
DE GÉNOMES
Les eucaryotes contiennent d’autres cellules,
héritables entre générations…
Le métabolisme énergétique des eucaryotes se produit dans deux
organites cellulaires spécialisés (fi gure 2) : chez les eucaryotes qui res-
pirent, la respiration a lieu dans la mitochondrie ; chez ceux qui effec-
tuent la photosynthèse, elle se fait dans les plastes. L’idée que ces orga-
nites seraient des microbes vivant dans nos cellules remonte à la n du
XIXe siècle. Constatant qu’ils se multiplient par division, Andreas Schimper
écrit en 1883 que les plastes sont peut-être des « microbes possédant
des pigments chlorophylliens » présents dans les cellules ; en 1915, Paul
Portier écrit que les mitochondries sont des « symbiotes » des cellules.
Entre les années 1920 et 1940, des études biochimiques élucident les
voies métaboliques de la respiration dans les mitochondries et de la pho-
tosynthèse dans les plastes. Malheureusement, en soulignant l’intrica-
tion fonctionnelle de ces organites dans le métabolisme du reste de la
cellule, elles contribuent à masquer leur origine pour quelque temps.
Dans les années 1970, Lynn Margulis ressuscita l’idée d’une origine
externe à la cellule en s’appuyant sur de nouvelles méthodes. Ainsi la
microscopie électronique fait-elle apparaître deux membranes, dont la
plus externe ressemble à une membrane de phagocytose. De son côté,
la bactériologie avait découvert que la respiration et la photosynthèse
L’ADN poubelle
Une particularité des eucaryotes
est l’existence dans le génome
d’ADN sans fonction cellulaire
connue, et en particulier ne
codant aucune protéine. Il peut re-
présenter, selon les espèces, de 1 à
90 % de la taille du génome. Son
nom d’ADN poubelle (de l’anglais
junk DNA) refl ète sa constitu-
tion, mélangeant des séquences
au rôle inconnu, de nombreux
transposons et d’autres séquences
répétées. On peut, chez la souris,
supprimer des segments entiers
d’ADN poubelle sans désordre
apparent. Pourtant, la séquence de
certaines parties de l’ADN pou-
belle semble très bien conservée
dans l’évolution. On en trouve
même de plus conservées que les
séquences codant des protéines :
toutes les variations apparues par
mutation ont donc été contre-
sélectionnées, ce qui indique que
ces séquences-là jouent véritable-
ment un rôle… encore inconnu
de nous.
Même si certaines parties de
l’ADN poubelle ont une fonction,
les eucaryotes tolèrent donc, à
l’inverse des bactéries (archées et
eubactéries), la présence d’ADN
« inutile ». La raison en reste mal
comprise : on ignore pourquoi
des mutants plus aptes à éliminer
cet ADN, qui éviteraient de payer
le coût de son entretien, ne sont
pas rapidement sélectionnés. En
revanche, dès lors qu’il existe, cet
ADN poubelle est une source de
séquences qui pourront à un mo-
ment ou à un autre être activées et
coder de nouvelles fonctions !
Figure 2. Mitochondries (M)
et plastes (C) dans une cel-
lule végétale. À noter, les deux
membranes qui entourent ces
organites. A : amidon accumulé
dans le plaste ; N : noyau,
visible en partie ; P : peroxy-
some ; PA : paroi ; PN : pores
nucléaires interrompant l’en-
veloppe nucléaire constituée de
deux membranes ; VC : vacuole
de la cellule. Barre : 1 µm.
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