54 Des organismes chimériques : le sexe «lent» des eucaryotes 55
étaient en fait des métabolismes de bactéries ; enfi n, au cours des années
1960, de l’ADN avait été découvert dans les plastes et les mitochondries.
La structure de leurs génomes, leurs gènes et les modalités de la tra-
duction en protéines sont typiquement bactériens. Bien plus, ces gènes
permettent de reconstituer des parentés avec des bactéries vivant dans
l’environnement. Considérons le cas des différents génomes du maïs :
le génome des plastes se place au sein de bactéries photosynthétiques
(les cyanobactéries), et celui des mitochondries parmi les alpha-protéo-
bactéries. Cela signifi e que certains organites sont d’anciennes bactéries,
capturées dans la cellule eucaryote par endosymbiose.
Remarquons au passage qu’une tentative d’identifi cation de la posi-
tion du maïs par les séquences de ses plastes aurait conduit à le classer
parmi les cyanobactéries, ce qui constitue bien sûr une aberration ! On
retrouve ici le paradoxe déjà signalé plus haut, et qui est l’une des carac-
téristiques des gènes transférés d’une lignée à l’autre : leur position évo-
lutive n’est pas celle de leur contenant actuel.
Diversité des endosymbioses chez les eucaryotes
On objectera qu’il s’agit là d’événements rares ; ce n’est pas si vrai,
et, de plus, ils n’en sont pas moins fondateurs de lignées très diversi-
fi ées. Considérons l’origine de l’ensemble des eucaryotes eux-mêmes :
on sait maintenant que leur ancêtre commun possédait des mitochon-
dries, même si elles ont été modifi ées dans
certaines lignées. Les eucaryotes sont
donc par essence des organismes chimé-
riques, alliant au moins deux lignées cel-
lulaires. Certes, celles-ci se révèlent très
interdépendantes : par exemple, quand je
dis « je », sont-ce ces bactéries (mes mito-
chondries) ou un eucaryote qui parlent ?
Il existe d’autres endosymbioses.
L’ensemble des eucaryotes photosynthé-
tiques possède, en plus, des plastes qui
sont apparus lors de plusieurs endosym-
bioses plus tardives. Chez les algues rouges,
comme le nori (Porphyra), fréquemment
servi dans les restaurants japonais, les
algues vertes, comme la laitue de mer, et
les végétaux terrestres, le plaste provient
d’une cyanobactérie présente dans les cel-
lules de leur ancêtre commun (c’est le cas
LES EUCARYOTES, DES PRÉDATEURS
DE GÉNOMES
Les eucaryotes contiennent d’autres cellules,
héritables entre générations…
Le métabolisme énergétique des eucaryotes se produit dans deux
organites cellulaires spécialisés (fi gure 2) : chez les eucaryotes qui res-
pirent, la respiration a lieu dans la mitochondrie ; chez ceux qui effec-
tuent la photosynthèse, elle se fait dans les plastes. L’idée que ces orga-
nites seraient des microbes vivant dans nos cellules remonte à la fi n du
XIXe siècle. Constatant qu’ils se multiplient par division, Andreas Schimper
écrit en 1883 que les plastes sont peut-être des « microbes possédant
des pigments chlorophylliens » présents dans les cellules ; en 1915, Paul
Portier écrit que les mitochondries sont des « symbiotes » des cellules.
Entre les années 1920 et 1940, des études biochimiques élucident les
voies métaboliques de la respiration dans les mitochondries et de la pho-
tosynthèse dans les plastes. Malheureusement, en soulignant l’intrica-
tion fonctionnelle de ces organites dans le métabolisme du reste de la
cellule, elles contribuent à masquer leur origine pour quelque temps.
Dans les années 1970, Lynn Margulis ressuscita l’idée d’une origine
externe à la cellule en s’appuyant sur de nouvelles méthodes. Ainsi la
microscopie électronique fait-elle apparaître deux membranes, dont la
plus externe ressemble à une membrane de phagocytose. De son côté,
la bactériologie avait découvert que la respiration et la photosynthèse
L’ADN poubelle
Une particularité des eucaryotes
est l’existence dans le génome
d’ADN sans fonction cellulaire
connue, et en particulier ne
codant aucune protéine. Il peut re-
présenter, selon les espèces, de 1 à
90 % de la taille du génome. Son
nom d’ADN poubelle (de l’anglais
junk DNA) refl ète sa constitu-
tion, mélangeant des séquences
au rôle inconnu, de nombreux
transposons et d’autres séquences
répétées. On peut, chez la souris,
supprimer des segments entiers
d’ADN poubelle sans désordre
apparent. Pourtant, la séquence de
certaines parties de l’ADN pou-
belle semble très bien conservée
dans l’évolution. On en trouve
même de plus conservées que les
séquences codant des protéines :
toutes les variations apparues par
mutation ont donc été contre-
sélectionnées, ce qui indique que
ces séquences-là jouent véritable-
ment un rôle… encore inconnu
de nous.
Même si certaines parties de
l’ADN poubelle ont une fonction,
les eucaryotes tolèrent donc, à
l’inverse des bactéries (archées et
eubactéries), la présence d’ADN
« inutile ». La raison en reste mal
comprise : on ignore pourquoi
des mutants plus aptes à éliminer
cet ADN, qui éviteraient de payer
le coût de son entretien, ne sont
pas rapidement sélectionnés. En
revanche, dès lors qu’il existe, cet
ADN poubelle est une source de
séquences qui pourront à un mo-
ment ou à un autre être activées et
coder de nouvelles fonctions !
Figure 2. Mitochondries (M)
et plastes (C) dans une cel-
lule végétale. À noter, les deux
membranes qui entourent ces
organites. A : amidon accumulé
dans le plaste ; N : noyau,
visible en partie ; P : peroxy-
some ; PA : paroi ; PN : pores
nucléaires interrompant l’en-
veloppe nucléaire constituée de
deux membranes ; VC : vacuole
de la cellule. Barre : 1 µm.