CARNET DE L’ÉDITRICE
Les rapports que nous entretenons avec le travail, les conséquences de
celui-ci sur notre santé mentale ne sont pas loin de rappeler parfois les
relations amoureuses Vous trouvez la comparaison douteuse? Peut-être un
peu. Il n’en demeure pas moins que le travail, tout comme la vie amoureuse,
peut à la fois être néfaste à notre équilibre mental et nous procurer un
riche sentiment d’accomplissement, d’utilité, de sens à notre vie. Rares
sont ceux qui au cours de leur vie au travail n’auront pas touché un tant soit
peu ces extrêmes, y compris parfois dans le même emploi.
C’est avec un grand plaisir que nous abordons dans ce numéro cette
complexe relation. En fait, ce thème sera traité dans deux numéros du
partenaire. La prochaine édition portera sur l’intégration au travail des
personnes qui vivent avec un problème de santé mentale après une longue
rupture avec le marché de l’emploi, ou qui l’intègrent pour la première fois.
Le numéro actuel se concentre davantage sur les liens entre le travail et les
troubles mentaux courants.
Après notre chronique du Franc-tireur, nous vous offrons, pour mettre la
table, Travailler sans bon sens, un texte savoureux, caustique, qui décrit nos
rapports au travail tout en situant ce dernier dans son contexte sociétal
actuel. Histoire de peaufi ner cette « mise à table », nous présentons
ensuite Santé mentale et travail : quelques données de cadrage afi n de situer
le phénomène des troubles mentaux chez la population au travail. On en
découvre d’ailleurs toute l’importance : le tiers des travailleurs souffriraient
de détresse psychologique modérée ou élevée.
On pourra mieux comprendre les causes de la détresse psychologique
au travail grâce au texte suivant, Les conséquences du travail sur la santé
mentale, qui met l’accent sur certaines dimensions de l’organisation
du travail et des pratiques de gestion pouvant être associées à une
incidence accrue de dépression, d’épuisement professionnel et de
détresse psychologique élevée. La surcharge de travail, une faible
autonomie, un manque de soutien, de reconnaissance ou de justice
organisationnelle sont pointés ici du doigt. Fait intéressant, il a
été démontré qu’il est possible de faire de la prévention par une
approche organisationnelle, au-delà de l’approche
individuelle classique.
Les pratiques gagnantes du retour au travail viennent
ensuite, pratiques qui se doivent d’aller plus loin que
l’accompagnement individuel de la personne en se
préoccupant aussi de l’environnement où elle évolue
au travail. Le retour au travail peut d’ailleurs être
une étape diffi cile dans un parcours professionnel,
et certaines personnes connaîtront plusieurs allers-
retours comme en témoigne le texte qui suit, La
maladie mentale et le travail : mon parcours sinueux.
Un écrit intimiste, courageux, dans lequel l’auteure s’interroge et nous
incite à nous interroger aussi.
Nous nous sommes intéressés également au monde de la recherche sur la
santé mentale et le travail au Québec. L’équipe RIPOST1, très active dans
le domaine, en dresse un portrait et dévoile ses travaux. La prévention et
la création d’outils concrets sont à l’ordre du jour. Le rôle de la CSST en
matière de harcèlement psychologique fait l’objet du texte suivant.
Dans Favoriser l’intégration au travail appelle à la révolution culturelle,
l’auteur analyse les travaux de l’OCDE2 portant sur l’effet des politiques et
des mesures de soutien relatives à la maladie et à l’invalidité. Il en retire
des constats pertinents pour le Québec et dresse des orientations pour
infl uencer les politiques et les organisations en ce qui a trait à l’intégration
au travail. Un avant-goût de notre prochain numéro!
Surtout, ne manquez pas de lire la chronique Nous avons lu pour vous qui
s’enrichit cette fois-ci du volet Nous avons rencontré pour vous. Je vous
laisse découvrir cette belle rencontre entre notre chroniqueuse et l’auteure
du livre La dépression n’était pas dans mon plan de carrière.
Bonne lecture!
Esther Samson
Éditrice
Santé mentale et travail, entre mal-être et bien-être
Esther Samson
Éditrice
Mise en art et en mots d’une étape de vie.
De gestionnaire performante à personne en arrêt
de travail, brûlée.
Ma santé globale tenue pour acquise, des réussites
antérieures, cette conviction d’invincibilité.
L’engagement, l’hyper-adaptabilité,
la performance à outrance.
Grisée de défi s, par la mobilisation, les résultats,
mon infl uence.
Défi citaire en soutien et sous-charge excessive.
Vint l’évacuation du plaisir et de ma créativité.
L’obsession du rendement, l’acharnement,
l’enfermement sur soi.
L’étau se resserrant, causant des brèches
dans ma forteresse professionnelle.
Malade de performer.
Tombant de très haut. Dans le vide. Tout près de la mort.
La douleur se cristallisant dans ma psyché
et dans mon corps.
Vivre un trouble mental dans le monde compétitif
du travail m’a isolée, stigmatisée.
Cette approche du travail me tuait.
Malade de performer.
Ma fi n du monde. Sans travail. Dépossédée.
Je m’en suis remise.
Avec du temps, de l’aide et de l’amour.
Par l’expression et les arts.
Au travers, une réadaptation.
Par l’intégration d’un heureux équilibre dans ma vie.
Et une révision complète du soi
personnel et professionnel.
Mon rétablissement passant par le travail, devenu sain.
Sur la page couverture :
Malade de performer, techniques mixtes
sur toile, papier journal, transfert
photo, acrylique, 2007
L’artiste, Sophia Thériault, décrit ainsi
le contexte de son oeuvre :
1 Recherches sur les interrelations personnelles, organisationnelles et sociales du travail.
2 Organisation de coopération et de développement économiques.