La vulnérabilité, dimension constitutive de l’être vivant ?
Bien au-delà des situations de dépendance…
Pour Paul Ricoeur, elle apparaît déjà comme fragilité de l’existence tributaire de l’opinion
d’autrui. Il élabore plusieurs figures de l’homme capable dont celles du pouvoir dire, pouvoir
faire, pouvoir raconter et pouvoir imputer. L’approche anthropologique des vulnérabilités
conduit à se questionner sur les trajectoires des individus et le sens que celles-ci revêtent pour
eux. Quelle lecture en font-ils ? Quel lien établissent-ils entre leur vie rêvée et leur vie vécue ?
Il ne s’agit donc pas de la seule marque commune à toute personne en situation de dépen-
dance (handicap, vieillesse, situation de soins), mais aussi de la vulnérabilité que créent cer-
tains évènements de vie (annonce d’une maladie grave, perte d’un être cher, perte
d’emploi…) et de la vulnérabilité secrétée par notre organisation sociale (par manque d’accès
aux droits, manque du droit aux droits, violence institutionnelle lorsque le bénéficiaire n’est
pas « dans les normes » du fonctionnement prévu par la structure…). L’approche socio-
anthropologique conduit à interroger les fonctionnements institutionnels eu égard aux besoins
de l’individu : quelle écoute est faite de leur singularité ? En toile de fond, sont interrogées les
valeurs fondant notre éthique professionnelle [9].
Roland Gori et Marie-José Del Volgo nous incitent à penser notre médecine contemporaine et
disent que « l’exigence de réintroduire en médecine l’éthique le monde des valeurs s’avère
inséparable du progrès de sa conceptualisation qui tend toujours davantage à éloigner da-
vantage le corps en tant que matériau biologique du corps comme expérience vécue et parlée
[…] La médecine tend toujours davantage à mesurer, évaluer, normaliser, randomiser sur
des populations où la notion de singulier disparaît et repose sur un modèle du développement
scientifique qui laisse en retrait la notion d’être singulier » [10]. Cette absence de débats sur
des questions de santé publique où la controverse est présente, l’absence de prise en compte
par les politiques publiques des conditions d’existence montrant le non-respect des droits fon-
damentaux, réels facteurs agissant sur la santé et conditionnant le développement optimal des
capacités, des aspirations des êtres humains, le développement d’un « arsenal technique » en
réponse à des problèmes institutionnels sont autant d’interrogations sur la place de l’humain
dans notre époque qualifiée par certains auteurs de « post-moderne » et sont autant de signes
appelant à questionner la place de l’humain aujourd’hui, dans la multiplicité de ses dimen-
sions créatives, dans la multiplicité des ses « facultés raisonnantes ».
Le culte de la santé et du bonheur que suggère l’OMS, « grand hypnotiseur des masses »,
selon Gadamer [11], comme étant une mission relevant du médical tend à remplir le vide spi-
rituel laissé par l’effondrement des religions, des idéologies politiques et des illusions cultu-
relles. Souvenons-nous qu’en 1938 « être et rester en bonne santé n’est pas uniquement une
affaire personnelle, c’est votre devoir » [12].
L’approche socio-anthropologique questionne la norme sociale qui définit ce qui est attendu,
convenu en regard de chaque être cherchant à se déployer. Comment lire et lutter contre les
désadaptations ou les inadaptations des êtres humains confrontés à un système qui sape, au
nom de divers productivismes, l’humanité en chacun de nous en des lieux divers, de l’école
au lieu de travail, sinon en réinvitant une réflexion sur la conception de l’homme dans notre
société ? Cette démarche précède à notre sens celle du développement de l’empowerment et
du management du stress. Aujourd’hui, les outils de l’autonomie sont la pensée critique du
réel et la capacité de résister à l’aliénation dans ses différentes formes.
Comment les vulnérabilités sont-elles prises en compte ?
Les travaux de Declerck [13] et de Quesemand-Zucca [14] éclairent l’insuffisance
d’accompagnement psychologique de personnes en errance allant de structures en foyers, de
foyers en centres d’hébergement, révèlent le morcellement des interventions, renvoyant à un
être éclaté, histoire du manque de liens, histoire de ruptures répétées. Cependant, le modèle