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nord (Rohlfs 1969: §672-673), et la plupart des parlers roumains (Brîncus 1957). Il
semble que l'usage s'accommode fort bien de la quasi-disparition du passé simple dans les
idiomes en question; mais cela ne va pas sans provoquer un certain bouleversement dans
le système des temps et des périphrases verbales. On a l'habitude de dire que le passé
composé a usurpé la fonction narrative du passé simple en français moderne, et en effet
une narration au passé composé est normale dans l'usage oral et à tout le moins possible
dans l'usage écrit. Il ne faudrait cependant pas négliger les autres concurrents du passé
simple dans l'expression de la fonction narrative: d'abord le présent historique, qui con-
trairement au passé composé menace le passé simple sur son propre terrain, c'est-à-dire
celui de l'énonciation historique, comme son nom l'indique; puis, et l'on y pense moins
souvent, le futur simple et le futur antérieur, abondamment employés dans la presse pour,
par exemple, relater dans une espèce de postériorité relative les événements marquants de
la vie d'un personnage contemporain (Steinmeyer 1987). Pour en revenir au présent his-
torique, il est particulièrement intéressant de constater que son emploi avec la périphrase
va + INFINITIF s'est complètement grammaticalisé en catalan, évinçant du même coup la
forme de passé synthétique dans la langue parlée (Colón 1975). En somme, le passé sim-
ple n'est pas menacé que par le passé composé, comme on semble trop souvent le croire.
Ceci dit, le passé composé a quand même bien pris en charge, en français parlé, la fonc-
tion narrative; tant et si bien qu'il n'exprime plus que très mal le caractère résultatif,
accompli ou indéfini d'un événement. D'où l'emploi de nouvelles constructions chargées
de mettre l'accent sur le résultat ou sur les conséquences d'une action, du genre j'ai une
lettre d'écrite, il a trois livres de lus, etc.; ou encore, de souligner le caractère d'accom-
plissement absolu d'un événement, l'un des emplois du passé surcomposé. L'influence du
substrat occitan a donné naissance dans l'usage régional à un passé surcomposé employé
en proposition indépendante avec une valeur de passé indéfini, valeur elle aussi très mal
rendue par le passé composé français, que l'on appellait pourtant autrefois passé indéfini:
par exemple, je l'ai eu rencontré équivaut à il m'est arrivé de le rencontrer (Comitat
sestian d'Estudis occitans: 91; v. aussi Foulet 1925: 231-4 pour de nombreux exemples),
c'est-à-dire un nombre indéterminé de fois, dans un passé indéfini. Cela n'est pas sans
rappeler la valeur du passé composé dans certaines variétés d'espagnol latino-américain (v.
Caviglia et Maluori 1989), comme nous le verrons plus loin.
Le deuxième groupe, d'une certaine façon le plus central et le plus étendu, em-
ploie encore régulièrement les deux formes de præteritum. Il s'agit du français écrit, de
l'occitan, de l'espagnol «castillan» et académique, de l'italien «toscan» et normatif, et du
roumain littéraire. Rappelons également la situation particulière du catalan, qui connaît
dans la langue écrite trois formes de præteritum (le passé composé, la périphrase va + IN-