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RÉSUMÉ
La musique est très souvent considérée comme un loisir
et non comme une activité professionnelle à part entière et
rares sont les personnes qui sont au fait des spécificités de
la vie d’un musicien professionnel, de ses contraintes et de
ses risques. Cet article a pour objectifs de dresser un inven-
taire, non exhaustif, des pathologies et des troubles de
santé les plus fréquemment associés à la pratique musicale
intensive, et en particulier à l’activité orchestrale.
Les troubles musculosquelettiques sont au premier plan,
et aucune famille instrumentale n’est épargnée, seules dif-
fèrent leurs localisations. Il faut remarquer tout particuliè-
rement les dystonies de fonction dont la symptomatologie
apparaît uniquement lors de la réalisation de certains
gestes professionnels très précis.
La prévalence des anomalies de l’audition est également
importante ainsi que les manifestations de la sphère buc-
cale et les problèmes stomatologiques, particulièrement
fréquents chez les instrumentistes à vent. Notons égale-
ment des problèmes dermatologiques de localisation par-
fois curieuse. L’impact des troubles visuels sur la posture
de travail est évoqué ainsi que la gestion du trac.
Mots clés: musiciens, TMS, maladies professionnelles
SAMENVATTING
De muziek wordt dikwijls beschouwd als een vrijetijds-
besteding en niet als een activiteit waar je professioneel
mee bezig bent; er zijn weinig mensen op de hoogte van
de specifieke kenmerken van het leven van een professio-
neel muzikant, zijn belasting en risico’s.
Dit artikel heeft als doelstelling een inventaris op te stel-
len, zij het onvolledig, van de pathologieën en de gezond-
heidsproblemen die het frekwents voorkomen bij inten-
sieve beoefening van de muziek, en vooral bij hen die spe-
len in een orkest.
De musculo-skeletale aandoeningen komen het meest
voor. Iedere familie van instrumenten wordt hierbij gevi-
seerd. Afhankelijk van het instrument treden er wel ver-
schillende pees-spier-bot- aandoeningen op. Zeer in het
bijzonder noteren we de functionele dystonie, waarbij de
symptomen enkel voorkomen bij het uitvoeren van wel-
bepaalde zeer preciese bewegingen.
De prevalentie van gehoorsafwijkingen is eveneens
belangrijk, alsook stomatologische aandoeningen en aan-
doenongen in en rond de mond. Deze laatste problemen
vindt men vooral bij blazers. We merken ook dermatolo-
gische aandoeningen op , soms op ongewone plaatsen. De
invloed van visusafwijkingen op de werkhouding wordt
aangehaald, alsook het omgaan met plankenkoorts.
Trefwoorden: muzikanten, RSI, beroepsziekten
ZUSAMMENFASSUNG
Musik wird sehr häufig als ein Hobby angesehen, nicht
als Beruf, selten gibt es Personen, die über das spezifische
Leben eines Musikers, seine Belastungen und Risiken
Bescheid wissen.
Das Ziel dieses Artikels ist es, eine Auflistung über die
häufigsten Krankheiten und Beschwerden, die mit dem
berufsmäßigen Praktizieren von Musik, v.a. im Rahmen
eines Orchesters, verbunden sind, zuerstellen. Diese Liste
kann nicht vollständig sein.
An erster Stelle stehen Erkrankungen im Muskel-Skelett-
Bereich, keine Instrumentengruppe tritt besonders hervor,
Unterschiede bestehen in der Lokalisation. Besonders her-
vorzuheben sind, die fokalen Dystonie des Musikers, die
nur während bestimmte Instrumentalspiele auftreten.
Ebenfalls bedeutend sind Hörstörungen wie auch
Probleme im Mund -und Zahnbereich, besonders zahlreich
bei den Musikern der Blasinstrumente. Hauterkrankungen
treten zum Teil an seltsamen Stellen auf. Erwähnenswert ist
der Einfluss von Sehstörungen auf die Arbeitshaltung, wie
auch der Umgang mit Lampenfieber.
SUMMARY
Music is usually considered as a leisure and not as a pro-
fessional activity and very few people are really aware of
the specificities of the life of a professional musician, of
its constraints and of its risks. The objective of this article
is to make an inventory, non exhaustive, of the diseases
and health disorders most frequently encountered by musi-
cians, in particular those playing in orchestras.
Musculoskeletal disorders are the most frequent for all
groups of musicians, with only differences in the sites of
these disorders. In particular, must be noted the muscular
MÉDECINE DU TRAVAIL & ERGONOMIE, VOLUME XL, N° 3 - 2003
ARBEIDSGEZONDHEIDSZORG & ERGONOMIE, BAND XL, N° 3 - 2003
Les troubles de santé des musiciens
DEBÈS I.1,SCHNEIDER M.-P.1,MALCHAIRE J.2
1 Service de santé au travail multisectoriel, Luxembourg
2 Unité Hygiène et Physiologie du travail, Université catholique de Louvain, Belgique
contractions appearing only when some very specific ges-
tures are done.
The prevalence of hearing impairments is also impor-
tant, as well as stomatological problems, particularly
among the wind instruments players.
Some dermatological problems must also be noted
sometimes in strange locations. The influence of visual
disorders on the working posture is described, as well as
the management of stage fright.
Keywords: musicians, RSI, occupational disorders
INTRODUCTION
Les pathologies des grands musiciens, à l’instar de
celles de toutes les personnalités ayant marquées l’histoire
de leur sceau, ont toujours soulevé de grandes interroga-
tions et de nombreuses recherches historiques: la surdité
de Beethoven, la mort de Mozart ou de Mahler, la main de
Paganini en sont des exemples très connus.
Il en est tout à fait autrement des pathologies engendrées
par une pratique professionnelle d’un instrument.
Les premiers écrits datent de Ramazzini au 17ème siècle
et de Krishaber qui inclut un chapitre " Hygiène des musi-
ciens " dans son Dictionnaire Encyclopédique des
Sciences médicales en 1876. Franck à la fin du 19ème
siècle s’intéresse plus particulièrement aux pathologies
liées à la pratique des instruments à vent et différents trai-
tés voient le jour attribuant des vertus ou des méfaits fan-
taisistes à la pratique instrumentale.[6]
De nombreuses études, principalement épidémiologiques
et en majorité anglo-saxonnes, ont été réalisées depuis une
quinzaine d’années. Elles concernent essentiellement les
pianistes et les instrumentistes à cordes qui forment la popu-
lation la plus nombreuse. Par contre, les travaux concernant
les autres musiciens sont beaucoup plus rares.
La profession de musicien d’orchestre est très mal
connue, tant par le grand public que par les médecins. Elle
est encore très souvent considérée comme un loisir et non
comme une activité professionnelle à part entière. Rares
sont les personnes qui sont au fait des spécificités de la vie
d’un musicien professionnel, de ses contraintes et de ses
risques. Cet article a comme objectifs de lever une partie
du voile qui entoure cette profession en décrivant les par-
ticularités du travail d’orchestre et de dresser un inventaire
des pathologies et des troubles de santé les plus fréquents
associés à la pratique musicale intensive.
Dans un article ultérieur, nous tenterons d'étudier les
caractéristiques propres à un orchestre symphonique, de
les comparer aux données de la littérature et de formuler
des propositions concrètes de " bonne pratique musicale "
avec des conseils généraux et des mesures préventives.
LE RISQUE DE TROUBLES
MUSCULOSQUELETTIQUES (TMS )
1. Physiopathologie
Un musicien professionnel fait subir à son organisme des
violences anatomiques équivalentes à celles de grands
sportifs. Leur quotidien à tous deux est fait d’entraînement,
d’apprentissage, de répétitions et de pratique. Mais contrai-
rement aux sportifs, les musiciens qui utilisent certaines
chaînes neuromusculaires spécifiques 5 à 8 heures par jour
ne bénéficient d’aucun suivi médical ou entretien physique.
L’effet cumulatif des contraintes physiques, différentes
selon les instruments mais toujours présentes, peut se faire
sentir à court terme. Mais le plus souvent la contrainte
mécanique et les postures incorrectes ont des répercus-
sions à plus long terme.
Le travail dans une position souvent anti-physiologique va
entraîner des perturbations importantes des axes de travail
articulaires, à l’origine de tensions musculaires accroissant
la fatigue. Pour compenser cette fatigue, les muscles avoisi-
nants sont sollicités et deviennent à leur tour surmenés.
L’effort, la répétitivité et les postures extrêmes dans une
contrainte de temps conditionnent le poids des sollicitations.
Les capacités fonctionnelles sont modulées par la condition
physique, l’âge, le stress et des facteurs individuels.
La prévention des TMS doit être un objectif prioritaire.
2. Les pathologies
Les TMS sont classifiés en 3 grands groupes: les affec-
tions articulaires et tendineuses, les syndromes canalaires,
les dystonies de fonction.
Les manifestations articulaires et tendino-ligamen-
taires
La précision et la rapidité du mouvement, alliées à la
force nécessaire à l’exécution du mouvement sont respon-
sables de ces manifestations. Elles touchent surtout le
membre supérieur. Elles correspondent au overuse syn-
drome, au repetitive strain injuries ou au playing related
musculoskeletal disorders des anglo-saxons.
On distingue les tendinites, inflammations des tendons
et les ténosynovites, inflammations des tendons et de leur
synoviale. En dehors de ces deux entités, on décrit égale-
ment des pathologies articulaires dont certaines sont rares
dans la population générale comme l’arthrose du pouce
chez les violonistes ou les pianistes.
Aucune famille d’instruments n’est épargnée mais la
prévalence et les localisations sont très différentes.
Les musiciens à cordes sont particulièrement concernés
en raison de contraintes énormes au niveau des deux
membres supérieurs, du fait de la posture même, mais
aussi en raison de cette particularité du jeu des cordes
qu’est le vibrato [2].
Les syndromes canalaires
Ils sont à l’origine d’une série de manifestations cliniques
et électromyographiques, expression de la souffrance
d’un nerf lors de son passage dans un canal ostéofibreux.
La symptomatologie en est variée: paresthésies,
crampes, fatigabilité, radiculalgies d’effort et quelque-
fois syndrome de Raynaud.
Névralgie cervicobrachiale [2, 8]
Les cervicalgies et l’arthrose cervicale sont fréquentes chez
LES TROUBLES DE SANTÉ DES MUSICIENS
110
les musiciens. Ils peuvent souffrir également de névralgie
cervicobrachiale (NCB), en particulier les violonistes. La
NCB peut être liée soit à une pathologie discale, soit à une
sténose du trou de conjugaison favorisée par des lésions
dégénératives du massif vertébral postérieur.
Syndrome du défilé cervicothoracique [2, 12, 52]
Ce syndrome canalaire est à l’origine de la compression
des vaisseaux sous-claviers et de certains éléments du
plexus brachial lors des mouvements d’abduction du
bras, isolés ou associés à une rétropulsion de l’épaule ou
rotation de la tête. Les symptômes sont majorés par
l’élévation du bras.
•Au niveau du coude,le nerf cubital peut être com-
primé au niveau de la gouttière épitrochléo-olécra-
nienne. Le nerf radial peut l’être au niveau de l’arcade
fibreuse du muscle rond pronateur et du deuxième
radial. [2, 12]
Syndrome du canal carpien [7, 11,12,24]
Une inflammation même minime d’un tendon ou de sa
gaine va engendrer une compression du nerf médian
entraînant son cortège de symptômes.
Le diagnostic en est difficile car la symptomatologie
peut être fruste et n’apparaître que lors du jeu. La confir-
mation diagnostique par l’électromyographie n’est réa-
lisée souvent qu’en préopératoire à un stade évolué. Les
problèmes de poignets concernent de 22 à 50 % des
musiciens selon les études.
Il faut mentionner également l’existence de syndromes
canalaires au niveau des doigts ou des genoux, chez les
harpistes notamment. [36]
La dystonie de fonction
Ce trouble fonctionnel est également surnommé
"crampe du musicien" ou encore "dystonie focale". Elle
touche essentiellement la main des musiciens jouant
d’instruments à cordes ou à clavier mais survient égale-
ment chez les instrumentistes à vent au niveau de la
bouche.
Duchenne de Boulogne individualisa le premier cette
pathologie en 1883 chez des pianistes. Oppenheim en
1911 introduisit l’appellation de dystonie. [10,29,39]
Elle est caractérisée par un trouble de la coordination
manuelle, indolore, survenant au cours d’un geste pro-
fessionnel, répétitif, hautement technique, occasionnant
un dérèglement de la coordination, une perte de rapidité,
voire un blocage d’un ou plusieurs doigts d’une main au
cours du geste. Le tableau clinique peut être très varié
mais la caractéristique commune aux différents modes
d’expression de cette entité pathologique est d’appa-
raître uniquement lors du geste professionnel et, quel-
quefois, uniquement lors d’un passage particulièrement
technique. En dehors de ces circonstances particulières,
aucun dysfonctionnement n’est constaté. En consé-
quence, devant ce problème très technique et spécifique,
le musicien va intensifier sa pratique musicale et accen-
tuer le problème et ainsi consolider un schéma neuro-
musculaire inapproprié. [10,29,39]
Le manque d’information dans le milieu musical et
médical sur ce trouble associé à l’absence de douleurs,
de signes physiques ou électriques (en effet, les examens
complémentaires médicaux et en particulier l’EMG sont
absolument normaux) expliquent que cette pathologie,
hautement invalidante pour le musicien professionnel,
est très souvent diagnostiquée très tardivement et fré-
quemment qualifiée de trouble psychique. [33]
Selon Tubiana et Chamagne, la dystonie est l’aboutisse-
ment et l’extériorisation de dérèglements plus profonds.
Il s’agit d’une perturbation de la commande neuromus-
culaire centrale " automatique ". [14,60,61]
L’entraînement crée, sélectionne et renforce les circuits
cérébraux qui permettent le jeu automatique des mains,
le musicien pouvant alors se focaliser uniquement sur
l’interprétation. Mais cet équilibre entre la main auto-
matique centrale et la main périphérique peut être détruit
par un dérèglement organique ou psychologique: pos-
ture, changement de technique, d’instrument, trauma-
tisme psychologique. Ce déséquilibre s’exercera alors
sur le maillon le plus faible.
En outre, il semble admis par tous les auteurs que les
personnes concernées présentent un profil psycholo-
gique particulier. Elles seraient particulièrement émo-
tives et sensibles, avec un grand désir de perfection et de
dépassement.
Tubiana et Chamagne [13,60] ont élaboré une prise en
charge des musiciens souffrant de ce trouble. Il s’agit
d’une rééducation spécialisée du schéma fonctionnel.
Elle est basée avant tout sur une déprogrammation des
gestes nocifs, suivie d’une rééducation posturale avec
ré-apprentissage tout d’abord de l’équilibre et de la sta-
tique axiale puis de la ceinture scapulaire, du membre
supérieur et finalement de la main et des doigts. Le port
d’une orthèse, la technique de biofeedback et quelque-
fois le recours à des injections de toxines botuliniques
sont des adjuvants utiles. C’est, dans tous les cas, un
traitement intensif et long (1 ou 2 ans), d’autant plus
long que la prise en charge est tardive.
3. Facteurs de risque des troubles
musculosquelettiques
•Facteurs de risque professionnels
Nous avons vu que la haute répétitivité du geste alliée à
une technicité extrême et à une force certaine expliquent
le contexte prédisposant à l’apparition de TMS. Mais
ces conditions sont inhérentes à la pratique instrumen-
tale et pourtant tous ne développent pas de TMS.
Le plus fréquemment, l’anamnèse exhaustive seule peut
mettre en évidence une corrélation entre l'apparition de
troubles et une modification d'ordre professionnel: un
changement de technique ou d’habitude de travail, une
intensité de travail accrue en vue d’un concours ou d’un
concert, l’acquisition d’un nouvel instrument… .
•Facteurs de risque individuels
D’autres facteurs favorisants sont liés à des particulari-
tés individuelles. Des antécédents traumatiques, une
pathologie préexistante, un trouble métabolique, des
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ARBEIDSGEZONDHEIDSZORG & ERGONOMIE, BAND XL, N° 3 - 2003
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troubles dégénératifs ou bien encore un physique inap-
proprié à l’instrument joué ou une prédisposition psy-
chologique vont augmenter les risques d’apparition des
TMS.
•Facteurs de risque extra-professionnels
Ces facteurs de risque ne sont pas à négliger. La pratique
excessive d’un sport mettant en jeu les mêmes chaînes
neuromusculaires ou bien encore des activités intenses
de bricolage vont créer un surmenage musculotendineux
qui va rompre le fragile équilibre acquis par de longues
années de pratique.
4. Etiologie et traitement
Lorsqu’il existe des facteurs de risque évidents, leur cor-
rection s’impose d’emblée. S’il n’est pas possible d’inter-
dire une pratique à risque, il faut néanmoins informer la
personne des risques encourus et de la nécessité de mettre
le membre concerné au repos et de consulter un médecin
dès l’apparition d’une quelconque symptomatologie indi-
quant un trouble musculotendineux.
Tous les auteurs sont d’accord pour attribuer l’une des
origines des problèmes de TMS à une mauvaise posture de
travail. La posture doit être analysée avec et sans instru-
ment. L’examen attentif de l’instrumentiste jouant de son
instrument confirme le défaut d’attitude que ce soit pour
les tendinites, les compressions nerveuses, les problèmes
vertébraux ou les dystonies.
Le rôle de l’équilibre du corps est fondamental car si la
dextérité de la main est la finalité du geste, la main n’est rien
sans le membre supérieur qui en est le soutien logistique,
lui-même tributaire de la colonne vertébrale et de la statique
pelvienne. Il y a toujours une relation entre tension, vibra-
tion et expression. Il faut avant tout faire comprendre à l’ar-
tiste l’importance de l’ensemble de son corps pour sa pra-
tique instrumentale et l’éduquer à l’ergonomie posturale.
Le traitement de ces pathologies sera, simultanément,
symptomatique et étiologique.
Le traitement symptomatique associe repos, anti-
inflammatoires, kinésithérapie, port d’une orthèse et
quelquefois le recours à la chirurgie.
•Parallèlement, le traitement étiologique comporte une
rééducation posturale réalisée avec un kinésithérapeute
au fait de ces pathologies spécifiques. [13,14,61]
Ce traitement sera effectué le plus tôt possible afin
d’augmenter les chances de guérison et diminuer le risque
de récidive.
Mais encore faut-il que le musicien soit, avant tout,
informé des troubles de santé pouvant se développer du
fait de sa pratique instrumentale et attentif au moindre
signe de souffrance de son corps. Trop souvent encore, le
virtuose pense que la souffrance est le prix à payer de son
art. Ce sujet étant tabou, il n’ose en parler ni à ses
confrères qui sont également ses concurrents, ni à son pro-
fesseur de peur de ne plus être " dans la course ".
Cette information devrait être dispensée à tous les
niveaux du cursus musical. Les professeurs de musique ont
un rôle majeur à jouer dans la prophylaxie de ces troubles
au niveau des écoles de musique et des conservatoires.
5. Prévention
Le musicien s’investit totalement dans son art. Il lui est
difficile d’admettre que c’est celui-ci qui est source de ses
problèmes. La première étape, indispensable, est de lui
faire prendre conscience des contraintes liées à son travail
instrumental. C’est seulement dans un deuxième temps
que l’on pourra envisager de lui faire accepter de modifier
certains automatismes de travail et de le convaincre du
bien-fondé des mesures de prévention.
Le musicien doit respecter, tout comme le sportif, les
règles fondamentales concernant l’appareil musculotendi-
neux. Ces règles sont:
prévoir un échauffement musculaire doux systémati-
quement avant tout effort
compléter avec des exercices d’étirement après l’effort
•ménager des séquences de repos au cours du jeu, chaque
fois que possible avec relâchement de l’instrument et
dégagement des épaules en arrière
•veiller à une posture correcte avec appui pelvien symé-
trique et alignement cervical
utiliser un siège de qualité permettant les réglages à sa
mesure de la hauteur de l’assise et du dossier, avec appui
lombaire et inclinaison de l’assise variable. La hauteur
du pupitre doit aussi être adaptée
dans le cas d’une posture assise prolongée, penser à
effectuer quand c’est possible, des mouvements des
jambes (rotation des pieds par exemple).
Cas particulier de la main du musicien
La main est un instrument de précision et à ce titre doit
bénéficier d’une attention toute particulière.
Le musicien doit bannir tout bricolage qui risque de cou-
per les tendons ou d’écraser la pulpe des doigts. Les sports
qui risquent de luxer les articulations interphalangiennes
doivent être évités. Il devra également se méfier de cer-
taines activités occasionnelles à risque comme, par
exemple, l’ouverture des huîtres!
Le moindre problème concernant la main d’un musi-
cien, d’origine traumatique ou bien fonctionnelle, doit être
confié à un chirurgien spécialisé.
MANIFESTATIONS STOMATOLOGIQUES
1. La dysfonction de l’articulation temporo-
mandibulaire
Elle se manifeste par des douleurs de la région temporo-
mandibulaire, ou bien par des ressauts lors de l’ouverture
ou la fermeture de la bouche et peut s’accompagner de
céphalées, acouphènes, douleurs dentaires ou même d'hy-
poacousie.
Elle survient lorsque l’articulation est soumise de
manière répétée à des pressions exagérées isolées ou asso-
ciées à des mouvements forcés. Cette pathologie appar-
tient, elle aussi, à la famille des TMS. Elle est fréquente
chez les violonistes et les altistes et chez tous les instru-
mentistes à vents. Le stress ou le fait de mâcher régulière-
LES TROUBLES DE SANTÉ DES MUSICIENS
112
ment du chewing-gum peuvent être des facteurs aggra-
vants.
Le traitement est tout d’abord non invasif et consiste à
une épargne articulaire en évitant les facteurs aggravants,
par une alimentation plus moelleuse, en proscrivant la
gomme à mâcher. On y associera, si nécessaire, le traite-
ment habituel symptomatique. Si cela ne suffit pas, un
bilan stomatologique complet sera effectué et un traite-
ment orthodontique pour des malpositions dentaires
pourra être réalisé. [17,27]
2. La rétrognathie temporo-mandibulaire
Certaines études signalent le rôle nocif d’une mauvaise
tenue de l’instrument et une pratique moyenne de plus de
4heures par jour pendant la période de croissance dans
l’augmentation du risque de développement d’une rétro-
gnathie temporo-mandibulaire. Celle-ci touche particuliè-
rement les violonistes et les altistes en raison de la pression
exercée par le menton pour maintenir l’instrument. Il s’agit
d’une dysmorphose dento-maxillaire caractérisée par un
déficit de la croissance de la mandibule. Là encore, la pro-
phylaxie passe par une bonne posture de travail. [17,26,28]
LE RISQUE AUDITIF
La perte d’acuité auditive due à l'exposition à des bruits
industriels élevés a été décrite il y a plus de 150 ans déjà.
Par contre, l’effet nocif de la musique sur l’audition n’est
connu que depuis les années 60, avec l’avènement des
concerts rock. La nocivité de la musique classique est une
notion qui a été longtemps controversée et ce n’est que
depuis une dizaine d’années environ, que l’existence d’une
perte auditive chez le musicien d’orchestre classique fait
l’unanimité. Actuellement, des équipes de recherche vont
plus loin et s’intéressent aux spécificités de l’activité céré-
brale du traitement du son chez le musicien. [38]
Pour l’artiste musicien, l’oreille est l'instrument princi-
pal de travail. En effet, le feed-back auditif est fondamen-
tal, c’est par lui qu’il atteint la perfection de la note, dans
sa justesse, sa précision, sa hauteur, son attaque et l’har-
monise à celle du restant de l’orchestre.
L’intensité du bruit dans un orchestre peut être comparée à
celle d’un atelier de chaudronnerie, à ceci près que la musique
est un bruit domestiqué, façonné et agréable à écouter.
Les études actuelles [32,51] mesurant le niveau sonore
équivalent dans différents orchestres symphoniques ou
lyriques révèlent des niveaux entre 85 et 110 dB(A) et des
pics de 130 dB(A). Quant à l’examen audiométrique des
musiciens, il est pathologique dans 40 à 70 % des cas.
[15,48,51]
1. Facteurs de risques:
Certains instrumentistes sont plus exposés en raison des
fréquences émises par leur instrument, notamment la
flûte piccolo et les trompettes dont les fréquences éle-
vées et de forte intensité sont particulièrement nocives
pour le système cochléaire.
La position dans l’orchestre est également un élément
fondamental, que ce soit en fonction de l’intensité sonore
développée par son propre instrument ou par celle des ins-
truments à proximité. Les niveaux sonores les plus impor-
tants sont constatés au sein des instruments à vent et des
cuivres. La proximité des instruments à percussion est
également un élément délétère en raison de la soudaineté
des effets qui ne permettent pas à l’oreille de se protéger
par la mise en action du réflexe stapédien. [15]
La disposition de l’orchestre et sa taille interviennent
également. Une grosse formation dans une fosse d’or-
chestre étroite engendre une gêne sonore bien plus
importante qu’un concerto dans une grande salle de
concert. Le travail en fosse d’orchestre est un facteur de
risque supplémentaire.
Enfin intervient de manière très importante la suscepti-
bilité individuelle.
2. Prévention
La prévention primaire est impossible. Il n’est en effet
pas concevable de faire jouer l'orchestre moins fort. Par
contre, il est possible d’agir sur d’autres facteurs.
La première action de prévention concerne l’instrumen-
tiste lui-même.
Avant tout, le musicien doit être informé, dès le plus
jeune âge, du risque auditif lié à son instrument et à sa pra-
tique professionnelle.
Il doit alors apprendre à respecter certaines précautions
élémentaires. Il doit, avant tout, se ménager des moments
de repos et de silence. Il doit éviter les expositions sonores
intempestives non professionnelles ou tout au moins en
connaître les risques et s’en protéger. Il doit être à l’écoute
de tout symptôme d’alerte: fatigue auditive, acouphènes et
consulter un spécialiste le plus tôt possible.
Au sein de l’orchestre, il est possible d’intervenir à dif-
férents niveaux. Le plus simple et le plus aisé, si les locaux
le permettent, est d’augmenter la distance entre les instru-
ments incriminés. En effet, l’intensité sonore diminue très
rapidement lorsque les distances croissent (réduction de 6
dB(A) par doublement de la distance, près de la source).
Il existe des écrans acoustiques transparents, isolant les
différents instruments à risques. Ce procédé est à recom-
mander tout spécialement lors des répétitions et au
moment des enregistrements de disque, lorsque la prise de
son est individuelle ou par pupitre. Ce système est utilisé
dans plusieurs grands orchestres. Nous avons constaté que
certains instrumentistes utilisent déjà des écrans de petites
tailles adaptés sur leurs chaises comme des appui-tête.
Leur efficacité paraît cependant très limitée.
Comme les percussionnistes qui les utilisent régulière-
ment, tous les musiciens doivent connaître les dispositifs
de protection individuelle que sont les bouchons d’oreille.
Ils sont très utiles ponctuellement pour des œuvres com-
portant des passages excessivement sonores. Si, dans la
pratique orchestrale, il est utopique d’utiliser un dispositif
efficace au sens " industriel " du terme, on peut cependant
concevoir des protections auditives spécifiques atténuant
modérément mais uniformément toutes les fréquences afin
que l’impact sur la perception de la note soit réduit.
MÉDECINE DU TRAVAIL & ERGONOMIE, VOLUME XL, N° 3 - 2003
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