Introduction - 13 -
etimplique un génitif objectif latent: répertoire théâtral, musical ou chorégra-
phique, ou plutôt répertoire d’ouvrages, sinon d’œuvres théâtrales, musicales ou
chorégraphiques. Le répertoire réie les arts vivants, en en faisant quelque chose
d’appropriable et de manipulable par diérents acteurs – salle, nation, public,
directeur d’institution, metteur en scène, etc. En individualisant des opus et en
les transformant en objets patrimonialisables, le répertoire participe à la consti-
tution du concept d’œuvre dans le champ des arts vivants, au croisement des
intérêts parfois divergents qui ont conduit aux plateaux de signication du
répertoire. Reprenant le vieil adjectif juridique de «répertorial 1», nous appellerons
répertorialisation ce processus de listage entraînant une modication ontologique
de son objet, pour le distinguer du simple fait de répertorier des objets extérieurs
sans inuence sur ce qui est ainsi catalogué. Pouvant implicitement prendre la
forme d’une liste écrite, susceptible d’agencements et de réagencements divers
dans l’espace, le répertoire est un outil taxinomique permettant le classement de
ses objets selon des critères historiques, génériques ou esthétiques. L’œuvre ainsi
individualisée peut donc devenir objet de connaissance, chef-d’œuvre classique ou
patrimoine immatériel. Sa perception esthétique s’en trouve égalementmodiée.
Si toute répertorialisation tend à transformer son objet en œuvre, toute œuvre
dans le champ des arts vivants implique-t-il la catégorie de répertoire ? Autrement
dit, le répertoire et l’œuvre sont-ils pour les arts vivants des notions relatives ?
Oul’idée de répertoire ne fait-elle que mettre à jour un concept toujours déjà
approprié aux arts vivants ? En outre, si les diverses acceptions du répertoire
correspondent toujours à l’armation d’un détenteur légitime, dans quelle mesure
l’utilisation du concept d’œuvre dans les arts de répertoire est-il le fruit d’intérêts
politiques, économiques ou sociaux particuliers ?
C’est la musique qui est le meilleur révélateur du répertoire. L’opéra, où les
débats sur le répertoire sont les plus vifs, rassemble tous les répertoires et s’avère
le point de passage entre répertoire théâtral et répertoire musical. L’étude du
répertoire musical, qui exige de se pencher tout particulièrement sur le répertoire
lyrique, pose donc les prémisses d’une étude plus générale du répertoire, à laquelle
nous ne pouvons pas procéder ici.
D’un autre côté le répertoire musical a gagné son autonomie en s’arrachant
àtout contexte théâtral: ainsi le répertoire symphonique est-il devenu pour nous
le paradigme du répertoire musical. Il permet donc de penser ce que produit en
propre le répertoire sur son objet. Dans sa particularité, il est une sorte de répertoire
absolutisé, pouvant apparemment être détaché du monde théâtral. Cette sépara-
tion est-elle réelle ou seulement supercielle ? Le répertoire peut-il être abstrait des
• 1 – Qu’on trouve dans les décrets impériaux de1806 et1807 sur les spectacles.
« Esthétique du répertoire musical », Maud Pouradier
ISBN 978-2-7535-2752-2 Presses universitaires de Rennes, 2013, www.pur-editions.fr