Présentation (Fichier pdf, 154 Ko)

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[« Les antijésuites », Pierre-Antoine Fabre et Catherine Maire (dir.)]
[Presses universitaires de Rennes, 2010, www.pur-editions.fr]
Présentation 1
Le xixe siècle est hanté par une légende noire des jésuites qui est sans
doute la forme la mieux connue – et la plus littéraire – de l’antijésuitisme 2,
mais qui se fonde largement sur des couches antérieures. L’enquête ouverte
au Centre d’anthropologie religieuse européenne, en relation avec un
réseau international de chercheurs s’est proposée de revenir aux sources
modernes de l’antijésuitisme 3. Figure majeure des nouvelles formes d’association religieuse sans clôture, engagées sur le terrain de l’éducation, de la
politique et du travail social, la Compagnie de Jésus a suscité de vives
inquiétudes spirituelles et politiques dans tous les pays européens dès le
xvie siècle, dans une corrélation étroite, jusqu’ici peu approfondie, avec des
événements étrangers, non pas aux puissances européennes, mais au sol
européen : le Brésil et la condamnation – au terme d’une longue histoire –
des réductions indiennes, la Chine et la condamnation – au terme d’une
tout aussi longue histoire – de l’adoption des rites confucéens 4. Au
xviiie siècle, de 1757 à 1773 environ, et après une série d’interdits et de
1. Ce volume est le fruit de deux rencontres organisées en mai et juin 2003 à Paris et à Rome par le
Centre d’anthropologie religieuse européenne de l’École des hautes études en sciences sociales, en
collaboration avec l’École Française de Rome. L’entreprise est née au point de rencontre de deux
constats : celui, par Catherine Maire, de la part essentielle de la critique des structures sociopolitiques de l’institution jésuite – bien au-delà des manifestations les plus spectaculaires de l’hostilité aux
prêtres-moines – dans l’élaboration de la pensée politique du jansénisme européen aux xviiie et
xviiie siècles ; celui, par Pierre-Antoine Fabre, de l’entrelacement étroit de l’histoire de la Compagnie de Jésus et du développement des systèmes de défense de cet Ordre contre le soupçon d’illégitimité qui le frappe dès sa naissance, comme un Ordre de trop.
2. Plusieurs ouvrages récents lui ont été consacrés, comme par exemple ceux de de Michel Leroy, Le
mythe jésuite, Paris, PUF, 1992, ou de Geoffrey Gubbit, The jesuit myth, Oxford, Clarendon Press,
1993. Il faut accorder une place à part, pour le pont qu’il jette entre l’ancienne et la nouvelle
Compagnie, au livre de Jose Eduardo Franco et Bruno Cardoso Reis, Vieira na literatura antijesuitica, Lisbonne, 1997.
3. Que cet âge moderne de l’antijésuitisme ait été peu travaillé dans la période récente n’est certainement pas le fait du hasard. Ces dernières années ont été marquées par une redécouverte de l’histoire
de l’ancienne Compagnie qui n’est pas allée sans une certaine forme de dé-polémisation de cette
histoire elle-même, précisément parce qu’elle devait d’abord contourner le massif – et l’obstacle – de
la culture antijésuite de l’époque contemporaine.
4. Le programme n’a été de ce point de vue que partiellement rempli. Le dossier de la « Querelle des
rites chinois » (qui suit et amplifie une première dispute sur les rites malabars) a pris dans ces
dernières années une telle ampleur, dans tous ses aspects, ecclésiastiques, théologiques et philosophiques, anthropologiques, qu’il excédait les limites de ce volume. Signalons ici l’instrument de
travail précieux que représente pour entrer dans ce dossier Nicolas Standaert, The Handbook of
christianity in China, Leiden, Brill, 2001.
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[« Les antijésuites », Pierre-Antoine Fabre et Catherine Maire (dir.)]
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LES ANTIJÉSUITES
suppressions qui jalonnent l’histoire de l’ordre, cette hostilité se matérialise
par un « passage à l’acte » dans plusieurs États européens : le Portugal, la
France, l’Espagne, l’Autriche, les États de l’Italie pré-unitaire procèdent en
effet à son expulsion, jusqu’à la décision finale de suppression par le pape
Clément XIV. Ce vaste catalogue de griefs et de fantasmes n’a jamais été
étudié dans toute son étendue thématique, chronologique et géographique.
L’enquête s’est efforcée de répondre à quatre types de questions : y a t-il
une trajectoire commune de l’antijésuitisme depuis les interdictions française et vénitienne de la fin du xvie et du début du xviie siècle jusqu’aux
expulsions et à la suppression de la Compagnie dans le dernier tiers du
xviiie siècle ?
Quelles formes l’antijésuitisme a-t-il pris dans les différents états européens du xvie au xixe siècle ? Quelle est sa spécificité dans la littérature antiromaine et anticatholique ? Quels rapports entretient-il avec l’antiprotestantisme et l’antijansénisme à la même époque ? Et avec l’antisémitisme ?
Quelles sont les œuvres majeures (le Catéchisme des Jésuites, les Provinciales 5, les Monita secreta, les Comptes-rendus des Constitutions, etc.) et les
stéréotypes de l’antijésuitisme (régicide, machiavélisme, despotisme, cosmopolitisme, affairisme, laxisme, etc.) et quelle fortune ou quelles transformations vont-ils connaître jusqu’au xixe siècle ? Quelle est l’ampleur du
corpus iconographique, quels en sont les thèmes privilégiés et comment
circule-t-il ?
L’antijésuitisme devait sortir de son ghetto polémique et devenir un
objet d’histoire, dont on s’est attaché à étudier les différentes figures, et
leurs évolutions.
L’ensemble réuni ici aura atteint un double premier objectif si, d’une
part le passage par la compréhension des antijésuitismes dans la diversité
de leurs fronts éclaire d’autres scènes, et montre par exemple comment
l’autonomie du politique s’éprouve, dans ses avancées et dans ces résistances, dans son rapport avec ce que la Compagnie de Jésus persiste à
représenter d’un ordre théologico-politique ; et si d’autre part, le paradoxe,
que chacune des contributions manifeste à sa manière, entre la continuité
d’un certain nombre de motifs antijésuites et l’intensité, l’envergure, les
niveaux de culture extrêmement divers de l’expression de ces motifs, oblige
à ouvrir l’histoire de la Compagnie de Jésus elle-même, dans cette même
durée, à un faisceau de déterminations qui excède largement la conception
qu’elle s’est faite de son histoire, et, en particulier, la course de vitesse
5. Le texte, et le contexte, des Provinciales de Pascal, un continent eux aussi, n’ont pu être contenus
dans une contribution de ce recueil. Il y a sur ce « monument » un certain nombre de travaux
récents dont on trouvera un rassemblement remarquable dans La campagne des Provinciales, Chroniques de Port Royal, 2008.
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PRÉSENTATION
qu’elle a sans cesse tenté entre le jugement de ses adversaires et sa capacité
à en constituer un trait de son propre portrait.
Il nous reste, au terme (sans nul doute provisoire 6), de cette entreprise,
à dire notre gratitude à l’ensemble des auteurs pour leur engagement dans
cette enquête.
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Pierre Antoine Fabre – Catherine Maire
6. La période qui sépare la suppression de la Compagnie de Jésus (1773) de sa Restauration (1814) et
l’histoire de la Restauration elle-même, jusqu’ici peu étudiée et dont le bicentenaire approche, sera
certainement un chantier de recherches important des prochaines années. Un certain nombre de
travaux récents l’annonce, comme par exemple les études réunies par Paolo Bianchini, Morte e
resurrezione di un ordine religioso, Milan, Vita e pensiero, 2006. Le présent volume voudrait aussi
introduire à ce nouveau front, en montrant comment les effets des antijésuitismes modernes sur la
définition de la Compagnie de Jésus par elle-même contribuent à façonner la future « nouvelle
Compagnie » et son idéologie « restauratrice », mais aussi, plus secrètement peut-être, à expliquer
pourquoi toute une série d’ex-jésuites, marqués par l’antijésuitisme catholique des xviie et xviiie siècles,
ne trouveront plus leur place dans une Église qui les avait chassés de son sein.
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