77
Présentation
1
Le e siècle est hanté par une légende noire des jésuites qui est sans
doute la forme la mieux connue – et la plus littéraire – de l’antijésuitisme
2,
mais qui se fonde largement sur des couches antérieures. L’enquête ouverte
au Centre d’anthropologie religieuse européenne, en relation avec un
réseau international de chercheurs s’est proposée de revenir aux sources
modernes de l’antijésuitisme
3. Figure majeure des nouvelles formes d’asso-
ciation religieuse sans clôture, engagées sur le terrain de l’éducation, de la
politique et du travail social, la Compagnie de Jésus a suscité de vives
inquiétudes spirituelles et politiques dans tous les pays européens dès le
e siècle, dans une corrélation étroite, jusqu’ici peu approfondie, avec des
événements étrangers, non pas aux puissances européennes, mais au sol
européen : le Brésil et la condamnation – au terme d’une longue histoire–
des réductions indiennes, la Chine et la condamnation – au terme d’une
tout aussi longue histoire – de l’adoption des rites confucéens
4. Au
e siècle, de 1757 à 1773 environ, et après une série d’interdits et de
1. Ce volume est le fruit de deux rencontres organisées en mai et juin 2003 à Paris et à Rome par le
Centre d’anthropologie religieuse européenne de l’École des hautes études en sciences sociales, en
collaboration avec l’École Française de Rome. L’entreprise est née au point de rencontre de deux
constats : celui, par Catherine M, de la part essentielle de la critique des structures sociopoliti-
ques de l’institution jésuite – bien au-delà des manifestations les plus spectaculaires de l’hostilité aux
prêtres-moines – dans l’élaboration de la pensée politique du jansénisme européen aux e et
e siècles ; celui, par Pierre-Antoine F, de l’entrelacement étroit de l’histoire de la Compa-
gnie de Jésus et du développement des systèmes de défense de cet Ordre contre le soupçon d’illégi-
timité qui le frappe dès sa naissance, comme un Ordre de trop.
2. Plusieurs ouvrages récents lui ont été consacrés, comme par exemple ceux de de Michel L, Le
mythe jésuite, Paris, PUF, 1992, ou de Geo rey G, e jesuit myth, Oxford, Clarendon Press,
1993. Il faut accorder une place à part, pour le pont qu’il jette entre l’ancienne et la nouvelle
Compagnie, au livre de Jose Eduardo Franco et Bruno Cardoso Reis, Vieira na literatura anti-
jesuitica, Lisbonne, 1997.
3. Que cet âge moderne de l’antijésuitisme ait été peu travaillé dans la période récente n’est certaine-
ment pas le fait du hasard. Ces dernières années ont été marquées par une redécouverte de l’histoire
de l’ancienne Compagnie qui n’est pas allée sans une certaine forme de dé-polémisation de cette
histoire elle-même, précisément parce qu’elle devait d’abord contourner le massif – et l’obstacle – de
la culture antijésuite de l’époque contemporaine.
4. Le programme n’a été de ce point de vue que partiellement rempli. Le dossier de la «Querelle des
rites chinois» (qui suit et ampli e une première dispute sur les rites malabars) a pris dans ces
dernières années une telle ampleur, dans tous ses aspects, ecclésiastiques, théologiques et philoso-
phiques, anthropologiques, qu’il excédait les limites de ce volume. Signalons ici l’instrument de
travail précieux que représente pour entrer dans ce dossier Nicolas S, e Handbook of
christianity in China, Leiden, Brill, 2001.
[« Les antijésuites », Pierre-Antoine Fabre et Catherine Maire (dir.)]
[Presses universitaires de Rennes, 2010, www.pur-editions.fr]