N°1 Février 2004 QUESTIONS D’ACTUALITÉ La Radio-Chimiothérapie Concomitante : Une Alternative à la Cystectomie ? ➢ Dr Michaël Peyromaure - Service d’Urologie, Hôpital Cochin, Paris epuis une quinzaine d’années, divers traitements alternatifs à la cystectomie sont évalués dans le cancer infiltrant de vessie. Les alternatives à la cystectomie sont la résection endoscopique seule, la chimiothérapie adjuvante, la chimiothérapie néoadjuvante, la radiothérapie, et la radio-chimiothérapie concomitante (RCC). Peu d’auteurs ont rapporté leur expérience de la RCC pour cancer de vessie. De plus, la plupart des séries publiées sont hétérogènes car elles incluent des tumeurs de stades cliniques différents. Les indications de la RCC et son bénéfice réél restent donc à clarifier. rapportée en 1963 par une équipe américaine [1]. D’autres agents que le 5-fluorouracile ont une forte action radiosensibilisante : le cisplatine essentiellement, le methotréxate, la vinblastine... Les mécanismes précis par lesquels ces agents majorent l’effet antitumoral de l’irradiation sont encore mal connus. Cependant, il a été montré que non seulement ils augmentaient les altérations de l’ADN provoquées par les rayons, mais qu’en outre ils inhibaient la réparation de l’ADN lésé. D’autre part, la chimiothérapie agit sur les potentielles micrométastases du cancer de vessie. La RCC est donc à la fois un traitement local (résection endoscopique + radio-chimiothérapie) et un traitement systémique (chimiothérapie). II. PRINCIPE III. QUEL PROTOCOLE ? Le principe de la RCC est basé sur l’action synergique anti-tumorale de la chimiothérapie et de l’irradiation. La RCC est utilisée pour de nombreux cancers depuis une cinquantaine d’années. Pour les cancers de vessie, la première démonstration de l’effet radiosensibilisant du 5-fluorouracile a été Divers protocoles de RCC ont été testés dans les cancers de vessie, sans qu’aucun consensus ne puisse être établi. La chimiothérapie comprend le plus souvent une association de 5-fluorouracile et de cisplatine, administrés en perfusions quotidiennes pour une durée de 6 jours (2 cycles de 3 D I. INTRODUCTION 11 jours chacun) [2]. L’utilisation de cisplatine et de 5-fluorouracile est justifiée par l’effet radiosensibilisant puissant de ces deux drogues. Le traitement comprend 2 phases : la phase d’induction et la phase de consolidation. La réalisation de biopsies vésicales de contrôle à la fin de la phase d’induction est fondamentale car elle permet de distinguer les patients répondeurs (biopsies négatives) des patients non répondeurs (persistance de tumeur infiltrante). Les patients répondeurs reçoivent le traitement de consolidation, alors que les non-répondeurs ont une cystectomie de rattrapage. La majorité des équipes recommande une dose d’irradiation de 40 grays pour la phase d’induction, et une dose de 25 grays pour la phase de consolidation [2]. Shipley [3] a évalué l’intérêt d’une chimiothérapie néoadjuvante associant méthotréxate, cisplatine et vinblastine avant la RCC. Ce schéma thérapeutique n’a pas apporté de gain de survie. Le bénéfice d’une chimiothérapie adjuvante (gemcitabine et cisplatine) après la RCC est en cours d’évaluation par la même équipe (figure 1). Questions D’ACTUALITÉ La Radio-Chimiothérapie Concomitante : Une Alternative à la Cystectomie ? N°1 Février 2004 V. RÉSULTATS CARCINOLOGIQUES Figure 1 : Schéma d’un protocole classique de RCC IV. INDICATIONS ET FACTEURS PRONOSTIQUES Les séries publiées dans la littérature manquent d’homogénéité : la plupart des équipes ont utilisé la RCC à la fois dans un but curatif pour des cancers cliniquement localisés (T2) et dans un but palliatif pour des cancers plus avancés (T3-T4). Les auteurs qui ont étudié exclusivement les résultats de la RCC à visée curative, c’est-àdire comme véritable alternative à la cystectomie, ont identifié quelques facteurs pronostiques. Ils ont ainsi pu établir les indications idéales de la RCC. Ces indications sont les cancers cliniquement classés T2, uniques, de petite taille (≤ 3 cm), sans hydronéphrose, et sans carcinome in situ associé. En effet, plusieurs études ont montré que l’extension extravésicale, la multifocalité, la taille supérieure à 3 cm, la compression urétérale, et la présence de carcinome in situ lors de la résection initiale étaient des facteurs d’échec de la RCC à visée curative [49]. L’âge des patients ne semble pas être corrélé à la survie spécifique. Cependant, il paraît licite de proposer une RCC aux patients âgés ayant des comorbidités sévères puisqu’ils sont des mauvais candidats à la chirurgie. En ce sens, l’âge élevé représente une indication «idéale» de la RCC. De même, l’âge jeune pourrait, en théorie, être une indication de RCC. En effet, les patients très jeunes sont probablement ceux qui bénéficient le plus de la préservation vésicale (maintien de leur fonction sexuelle). Cependant, les résultats à long terme de la RCC doivent être mieux connus avant que l’on puisse proposer systématiquement ce traitement aux patients jeunes (figure 2). TUMEUR UNIQUE • Taille ≤ 3 cm • Stade clinique T2 • Absence d’hydronéphrose • Absence de CIS • Âge élevé / comorbidités • Âge jeune ? Figure 2 : Indications idéales de la RCC 12 Dans les séries récentes de RCC pour cancer infiltrant de vessie, les taux de survie spécifique à 5 ans dépassent 60% [3,5-9]. Le taux de survie à 5 ans avec préservation vésicale est compris entre 40 et 50%. L’équipe de Shipley [3] a publié une série de 190 patients traités par RCC entre 1986 et 1997 pour des tumeurs vésicales T2T4a. Cette étude représente, à ce jour, la série multicentrique la plus importante. Avec un suivi médian de presque 7 ans, les taux de survie spécifique à 5 et 10 ans sont respectivement de 63% et 59%, tous stades confondus. Les taux de survie spécifique à 5 et 10 ans avec préservation vésicale sont d’environ 45%. Lorsque seulement les cancers de stade clinique T2 sont pris en compte, les taux de survie spécifique à 5 et 10 ans sont respectivement de 74% et 66%. Pour certains auteurs, dont Shipley, les résultats de la RCC sont similaires à ceux de la cystectomie. Pour d’autres, la RCC a des résultats significativement inférieurs. Notre équipe a récemment analysé les résultats de la RCC chez 43 patients ayant un cancer de vessie cliniquement classé T2 [7]. Dans cette étude, le taux de survie spécifique à 5 ans était de 60%, ce qui est nettement inférieur aux résultats de la cystectomie pour ce stade. Néanmoins, nous avons utilisé des doses d’irradiation moins élevées que l’équipe de Shipley (48 grays au lieu de 75 grays), ce qui a probablement influencé les résultats. En attendant que le bénéfice à long terme de la RCC soit mieux Questions D’ACTUALITÉ connu, il paraît prudent de réserver cette option aux mauvais candidats à la cystectomie (patients âgés et/ou ayant des comorbidités sévères), ou à certains patients demandeurs de préservation vésicale et ayant des critères favorables: tumeur unique, de petite taille, cliniquement classée T2, sans hydronéphrose ni carcinome in situ. VI. MORBIDITÉ ET RÉSULTATS FONCTIONNELS N°1 Février 2004 La Radio-Chimiothérapie Concomitante : Une Alternative à la Cystectomie ? Avec les protocoles classiques de RCC, les taux respectifs d’hémato-toxicité et de néphro-toxicité sont d’environ 20% et 10%. Les troubles mictionnels et digestifs sont modérés dans plus de 80% des cas; ils sont exceptionnellement sévères. Cependant, quelques cas d’occlusion et de rectite hémorragique ont été rapportés [3,7]. D’autre part, la RCC augmente très nettement les complications de la cystectomie de rattrapage lorsque celle-ci s’avère nécessaire. Dans notre expérience, le taux de morbidité de la cystectomie (que celle-ci soit faite précocément pour absence de réponse à mi-dose, ou à distance pour une récidive) a été d’environ 70%. Les principales complications postopératoires dans notre série ont été une embolie pulmonaire, une thrombose de la veine iliaque, et une fistule de l’anastomose néovesico-uréthrale [7]. Enfin, le retentissement de la RCC sur la sexualité et la qualité de vie a été récemment analysé par l’équipe de Shipley [10]. Cette étude a révélé que parmi les patients qui étaient en rémission complète après RCC, et chez qui la vessie avait pu être conservée, la fonction sexuelle et la qualité de vie étaient satisfaisantes dans la grande majorité des cas. Cependant, approximativement 20% des patients se plaignaient au long cours de fuites urinaires et/ou de troubles digestifs. VII. CONCLUSION La RCC dans le cancer infiltrant de vessie est en cours d’évaluation. Pour l’instant, ses indications sont restreintes. Elles regroupent les mauvais candidats à la cystectomie et certains patients très sélectionnés répondant à des critères stricts: tumeur vésicale unique, inférieure à 3 cm, sans signe d’extension extra-vésicale, sans hydronéphrose ni carcinome in situ associé. L’optimisation des résultats de la RCC par le développement de nouveaux protocoles pourrait permettre, à l’avenir, d’épargner à plus de patients les séquelles souvent invalidantes de la cystectomie ◆ Ce Qu’il Faut Retenir 1. RÉFÉRENCES WOODRUFF MW, MURPHY W, HOPSON JM. Further observation on the use of combination of 5-fluorouracil and supervoltage irradiation therapy in treatment of advanced carcinoma of the bladder. J Urol 90 : 747-758, 1963. 2. ZERBIB M, SLAMA J, BOUCHOT O. Radiochimiotherapie concommitante (rapport de l’AFU 2002). Prog Urol 12: 1019-1042, 2002. 3. SHIPLEY WU, KAUFMAN DS, ZEHR E, et al. Selective bladder preservation by combined modality protocol treatment: long-term outcomes of 190 patients with invasive bladder cancer. Urology 60 : 62-68, 2002. 4. HOUSSET M, MAULARD C, CHRETIEN YC, et al. Combined radiation and chemotherapy for invasive transitional cell carcinoma of the bladder : a prospective study. J Clin Oncol 11 : 2150-2157, 1993. 5. CHAUVET B, BREWER Y, FELIX-FAURE C, et al. Concurrent cisplatin and radiotherapy for patients with muscle invasive bladder cancer who are not candidates for radical cystectomy. J Urol 156 : 1258-62, 1996. 6. RODEL C, GRABENBAUER GG, KUHN R, et al. Combined-modality treatment and selective organ preservation in invasive bladder cancer: long-term results. J Clin Oncol 20 : 3048-3050, 2002. 7. PEYROMAURE M, SLAMA J, BEUZEBOC P, et al. Concurrent chemoradiotherapy for clinical stage T2 bladder cancer: report of a single institution. Urology 2003 (sous presse). 8. TESTER W, PORTER A, HEANEY J, et al. Neoadjuvant combined modality therapy with possible organ preservation for invasive bladder cancer. J Clin Oncol 14 : 119-126, 1996. 9. SAUER R, BERKENHAGE S, KUHN R. Efficacy of radio-chemotherapy with platin derivatives compared to radiotherapy alone in organ-sparing treatment of bladder cancer. Int J Radiat Oncol Biol Phys 40 : 121-127, 1998. 10. ZIETMAN AL, SACCO D, SKOWRONSKI U, et al. Organ preservation in invasive bladder cancer by transurethral resection, chemotherapy and radiation: results of a urodynamic and quality of life study on long-term survivors. J Urol 170 : 1772-1776, 2003. ➟ La radio-chimiothérapie concomitante (RCC) est une alternative à la cystectomie ➟ Ses résultats à long terme sont peu documentés ➟ Ses indications idéales sont les patients âgés, avec des comorbidités sévères, ou les patients ayant une petite tumeur cliniquement T2, sans hydronéphrose ni carcinome in situ associé ➟ Une évaluation par biopsies vésicales est indispensable après la phase d’induction ➟ La morbidité de la cystectomie de rattrapage après RCC est élevée ➟ Le protocole optimal de RCC reste à définir 13