11
Depuis une quinzaine d’an-
nées, divers traitements
alternatifs à la cystectomie sont
évalués dans le cancer infiltrant
de vessie. Les alternatives à la
cystectomie sont la résection
endoscopique seule, la chimiothé-
rapie adjuvante, la chimiothéra-
pie néoadjuvante, la radiothéra-
pie, et la radio-chimiothérapie
concomitante (RCC). Peu d’au-
teurs ont rapporté leur expérience
de la RCC pour cancer de vessie.
De plus, la plupart des séries
publiées sont hétérogènes car
elles incluent des tumeurs de sta-
des cliniques différents. Les indi-
cations de la RCC et son bénéfice
réél restent donc à clarifier.
Le principe de la RCC est basé sur
l’action synergique anti-tumorale
de la chimiothérapie et de l’irra-
diation. La RCC est utilisée pour
de nombreux cancers depuis une
cinquantaine d’années. Pour les
cancers de vessie, la première
démonstration de l’effet radiosen-
sibilisant du 5-fluorouracile a été
rapportée en 1963 par une équipe
américaine [1]. D’autres agents
que le 5-fluorouracile ont une
forte action radiosensibilisante : le
cisplatine essentiellement, le
methotréxate, la vinblastine... Les
mécanismes précis par lesquels
ces agents majorent l’effet anti-
tumoral de l’irradiation sont
encore mal connus. Cependant, il
a été montré que non seulement
ils augmentaient les altérations de
l’ADN provoquées par les rayons,
mais qu’en outre ils inhibaient la
réparation de l’ADN lésé. D’autre
part, la chimiothérapie agit sur les
potentielles micrométastases du
cancer de vessie. La RCC est donc
à la fois un traitement local (résec-
tion endoscopique + radio-chi-
miothérapie) et un traitement sys-
témique (chimiothérapie).
Divers protocoles de RCC ont été
testés dans les cancers de vessie,
sans qu’aucun consensus ne puis-
se être établi. La chimiothérapie
comprend le plus souvent une
association de 5-fluorouracile et
de cisplatine, administrés en per-
fusions quotidiennes pour une
durée de 6 jours (2 cycles de 3
jours chacun) [2]. L’utilisation de
cisplatine et de 5-fluorouracile est
justifiée par l’effet radiosensibili-
sant puissant de ces deux dro-
gues. Le traitement comprend 2
phases : la phase d’induction et la
phase de consolidation. La réali-
sation de biopsies vésicales de
contrôle à la fin de la phase d’in-
duction est fondamentale car elle
permet de distinguer les patients
répondeurs (biopsies négatives)
des patients non répondeurs (per-
sistance de tumeur infiltrante).
Les patients répondeurs reçoivent
le traitement de consolidation,
alors que les non-répondeurs ont
une cystectomie de rattrapage. La
majorité des équipes recomman-
de une dose d’irradiation de 40
grays pour la phase d’induction,
et une dose de 25 grays pour la
phase de consolidation [2].
Shipley [3] a évalué l’intérêt d’une
chimiothérapie néoadjuvante
associant méthotréxate, cisplatine
et vinblastine avant la RCC. Ce
schéma thérapeutique n’a pas
apporté de gain de survie. Le
bénéfice d’une chimiothérapie
adjuvante (gemcitabine et cispla-
tine) après la RCC est en cours
d’évaluation par la même équipe
(figure 1).
III. QUEL PROTOCOLE ?
II. PRINCIPE
I. INTRODUCTION
1 Février 2004
La Radio-Chimiothérapie Concomitante :
Une Alternative à la Cystectomie ?
Dr Michaël Peyromaure - Service d’Urologie, Hôpital Cochin, Paris
QUESTIONS DACTUALITÉ
12
Les séries publiées dans la littéra-
ture manquent d’homogénéité : la
plupart des équipes ont utilisé la
RCC à la fois dans un but curatif
pour des cancers cliniquement
localisés (T2) et dans un but pal-
liatif pour des cancers plus avan-
cés (T3-T4). Les auteurs qui ont
étudié exclusivement les résultats
de la RCC à visée curative, c’est-à-
dire comme véritable alternative à
la cystectomie, ont identifié
quelques facteurs pronostiques.
Ils ont ainsi pu établir les indica-
tions idéales de la RCC. Ces indi-
cations sont les cancers clinique-
ment classés T2, uniques, de peti-
te taille (≤ 3 cm), sans hydroné-
phrose, et sans carcinome in situ
associé. En effet, plusieurs études
ont montré que l’extension extra-
vésicale, la multifocalité, la taille
supérieure à 3 cm, la compression
urétérale, et la présence de carci-
nome in situ lors de la résection
initiale étaient des facteurs d’é-
chec de la RCC à visée curative [4-
9]. L’âge des patients ne semble
pas être corrélé à la survie spéci-
fique. Cependant, il paraît licite
de proposer une RCC aux
patients âgés ayant des comorbi-
dités sévères puisqu’ils sont des
mauvais candidats à la chirurgie.
En ce sens, l’âge élevé représente
une indication «idéale» de la
RCC. De même, l’âge jeune pour-
rait, en théorie, être une indica-
tion de RCC. En effet, les patients
très jeunes sont probablement
ceux qui bénéficient le plus de la
préservation vésicale (maintien
de leur fonction sexuelle).
Cependant, les résultats à long
terme de la RCC doivent être
mieux connus avant que l’on
puisse proposer systématique-
ment ce traitement aux patients
jeunes (figure 2).
Dans les séries récentes de RCC
pour cancer infiltrant de vessie,
les taux de survie spécifique à 5
ans dépassent 60% [3,5-9]. Le taux
de survie à 5 ans avec préserva-
tion vésicale est compris entre 40
et 50%. L’équipe de Shipley [3] a
publié une série de 190 patients
traités par RCC entre 1986 et 1997
pour des tumeurs vésicales T2-
T4a. Cette étude représente, à ce
jour, la série multicentrique la
plus importante. Avec un suivi
médian de presque 7 ans, les taux
de survie spécifique à 5 et 10 ans
sont respectivement de 63% et
59%, tous stades confondus. Les
taux de survie spécifique à 5 et 10
ans avec préservation vésicale
sont d’environ 45%. Lorsque seu-
lement les cancers de stade cli-
nique T2 sont pris en compte, les
taux de survie spécifique à 5 et 10
ans sont respectivement de 74% et
66%. Pour certains auteurs, dont
Shipley, les résultats de la RCC
sont similaires à ceux de la cystec-
tomie. Pour d’autres, la RCC a des
résultats significativement infé-
rieurs. Notre équipe a récemment
analysé les résultats de la RCC
chez 43 patients ayant un cancer
de vessie cliniquement classé T2
[7]. Dans cette étude, le taux de
survie spécifique à 5 ans était de
60%, ce qui est nettement infé-
rieur aux résultats de la cystecto-
mie pour ce stade. Néanmoins,
nous avons utilisé des doses d’ir-
radiation moins élevées que l’é-
quipe de Shipley (48 grays au lieu
de 75 grays), ce qui a probable-
ment influencé les résultats. En
attendant que le bénéfice à long
terme de la RCC soit mieux
V. RÉSULTATS
CARCINOLOGIQUES
IV. INDICATIONS ET FACTEURS
PRONOSTIQUES
1 Février 2004
Questions DACTUALITÉ
La Radio-Chimiothérapie Concomitante :
Une Alternative à la Cystectomie ?
Figure 1 : Schéma d’un protocole classique de RCC
Figure 2 : Indications idéales de la RCC
TUMEUR UNIQUE
• Taille 3 cm
Stade clinique T2
Absence d’hydronéphrose
Absence de CIS
Âge élevé / comorbidités
Âge jeune ?
13
connu, il paraît prudent de réser-
ver cette option aux mauvais can-
didats à la cystectomie (patients
âgés et/ou ayant des comorbidi-
tés sévères), ou à certains patients
demandeurs de préservation vési-
cale et ayant des critères favora-
bles: tumeur unique, de petite
taille, cliniquement classée T2,
sans hydronéphrose ni carcinome
in situ.
Avec les protocoles classiques de
RCC, les taux respectifs d’héma-
to-toxicité et de néphro-toxicité
sont d’environ 20% et 10%. Les
troubles mictionnels et digestifs
sont modérés dans plus de 80%
des cas; ils sont exceptionnelle-
ment sévères. Cependant,
quelques cas d’occlusion et de
rectite hémorragique ont été rap-
portés [3,7]. D’autre part, la RCC
augmente très nettement les com-
plications de la cystectomie de
rattrapage lorsque celle-ci s’avère
nécessaire. Dans notre expérience,
le taux de morbidité de la cystec-
tomie (que celle-ci soit faite préco-
cément pour absence de réponse à
mi-dose, ou à distance pour une
récidive) a été d’environ 70%. Les
principales complications post-
opératoires dans notre série ont
été une embolie pulmonaire, une
thrombose de la veine iliaque, et
une fistule de l’anastomose néo-
vesico-uréthrale [7]. Enfin, le
retentissement de la RCC sur la
sexualité et la qualité de vie a été
récemment analysé par l’équipe
de Shipley [10]. Cette étude a
révélé que parmi les patients qui
étaient en rémission complète
après RCC, et chez qui la vessie
avait pu être conservée, la fonc-
tion sexuelle et la qualité de vie
étaient satisfaisantes dans la gran-
de majorité des cas. Cependant,
approximativement 20% des
patients se plaignaient au long
cours de fuites urinaires et/ou de
troubles digestifs.
La RCC dans le cancer infiltrant de
vessie est en cours d’évaluation.
Pour l’instant, ses indications sont
restreintes. Elles regroupent les
mauvais candidats à la cystecto-
mie et certains patients très sélec-
tionnés répondant à des critères
stricts: tumeur vésicale unique,
inférieure à 3 cm, sans signe d’ex-
tension extra-vésicale, sans hydro-
néphrose ni carcinome in situ asso-
cié. L’optimisation des résultats de
la RCC par le développement de
nouveaux protocoles pourrait per-
mettre, à l’avenir, d’épargner à
plus de patients les séquelles sou-
vent invalidantes de la cystecto-
mie
1. WOODRUFF MW, MURPHY W, HOPSON
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2. ZERBIB M, SLAMA J, BOUCHOT O. Radio-
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3. SHIPLEY WU, KAUFMAN DS, ZEHR E, et
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9. SAUER R, BERKENHAGE S, KUHN R.
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10. ZIETMAN AL, SACCO D, SKOWRONSKI U,
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cancer by transurethral resection, chemothe-
rapy and radiation: results of a urodynamic
and quality of life study on long-term survi-
vors. J Urol 170 : 1772-1776, 2003.
RÉFÉRENCES
VII. CONCLUSION
VI. MORBIDITÉ ET RÉSULTATS
FONCTIONNELS
1 Février 2004
Questions DACTUALITÉ
La Radio-Chimiothérapie Concomitante :
Une Alternative à la Cystectomie ?
La radio-chimiothérapie concomitante (RCC) est une alternative à la cystectomie
Ses résultats à long terme sont peu documentés
Ses indications idéales sont les patients âgés, avec des comorbidités sévères, ou les patients ayant une
petite tumeur cliniquement T2, sans hydronéphrose ni carcinome in situ associé
Une évaluation par biopsies vésicales est indispensable après la phase d’induction
La morbidité de la cystectomie de rattrapage après RCC est élevée
Le protocole optimal de RCC reste à définir
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