Service culturel pour les publics 1
« Soit comme image, soit comme pensée, [l’Orient] est devenu, pour les intelligences autant
que pour les imaginations, une sorte de préoccupation générale ». Victor Hugo, Les Orientales,
1829, Préface.
Le 19e siècle est marqué à la fois par un esprit de rivalité et de conquête - c’est l’âge d’or de la
colonisation européenne -, mais aussi par la curiosité et la nostalgie que suscite la re-découverte des
civilisations antiques - en continuité avec l’héritage de la Renaissance et des Lumières -. L’horizon
s’élargit, pour le plus grand nombre, du côté de la Méditerranée orientale, en particulier en lien avec
les expéditions militaires et scientifiques françaises. Les objets d’art collectés, comme la production
artistique, témoignent d’une curiosité nouvelle. Les voyageurs et collectionneurs expriment ainsi un
goût pour la Grèce ou l’Égypte qui se manifeste par un désir de connaissance et/ou le fantasme d’un
Orient rêvé, idéalisé. Les collections grecques et égyptiennes enrichissent les musées publics, qui
deviennent au 19e siècle, les lieux privilégiés de cette curiosité.
ÉVÉNEMENTS POLITIQUES, TRANSFORMATIONS ÉCONOMIQUES ET
CULTURELLES ENTRAINENT UN NOUVEAU GOUT
POUR L’ORIENT AU 19e SIECLE
Objet de curiosités et de fantasmes particulièrement depuis le Moyen-âge, puis au 17e siècle
et surtout au 18e siècle, l’Orient devient « une préoccupation générale » (Victor Hugo dans la préface
des Orientales en 1829) au 19e siècle. Alors que s’amorce le lent déclin de l’Empire ottoman, les
puissances européennes rivalisent d’ambitions colonialistes, surtout la France à travers la campagne
d’Égypte de Bonaparte (1798-1801), la guerre de libération de la Grèce (1820-1821) suivie de
l’expédition de Morée (1828-1833) et la conquête de l’Algérie
1
à partir de 1830. L’intérêt pour l’Orient
est donc à replacer dans le contexte d’un climat de rivalité
2
des grandes puissances européennes -
particulièrement la France et le Royaume-Uni -impliquées dans le démembrement de l’Empire
ottoman.
Le 19e siècle correspond, aussi, à l’essor de l’industrialisation en Europe. Les défaites de
l’Empire ottoman amènent une part de ses élites à souhaiter la modernisation de leur pays. Les
investissements économiques, les missions d’enseignement, laïques ou religieuses, les échanges
culturels et diplomatiques se multiplient.
Les échanges et les voyages sont facilités par l’évolution des transports au 19e siècle. Une marine plus
rapide et plus sûre, à vapeur, des routes navigables raccourcies par l’ouverture du Canal de Suez par
exemple (1869), mais aussi par les routes et le train, permettent à des voyageurs toujours plus
nombreux de découvrir les espaces de la Méditerranée orientale.
Ces conditions politiques nouvelles mais aussi l’évolution des transports rendent les voyages plus sûrs
au 19e siècle. Ils attirent des collectionneurs plus nombreux qu’à la période précédente.
1
Cet événement et l’espace nord-africain ne sont pas étudiés dans le cadre de cette exposition. La conquête et
la colonisation de l’Algérie sont conduites parallèlement par les Français. Les différents affrontements qui
s’échelonnent tout au long du 19e siècle fournissent aux peintres de batailles l’occasion de représenter de
nouveaux décors. L’établissement progressif de colons français renforce l’intérêt et la curiosité des “français de
la métropole” pour les paysages et les coutumes de l’Algérie (cf la peinture de Delacroix).
2
Cette rivalité prend le nom de « Question d’Orient ». Elle ne s’achève qu’en 1918, par la défaite de l’Empire
ottoman, qui laisse la place, en 1923 à la République turque.
Comprendre le rôle du contexte et quelques enjeux
autour des objets d’art collectionnés :
L’exemple du goût pour l’Orient : Grèce et Egypte à la fin du 18e et au 19e siècle
Service culturel pour les publics 2
VOYAGER, former son regard et son goût pour l’ailleurs
Depuis le 16e siècle, les voyages sont un élément quasi obligatoire dans la formation des
peintres, sculpteurs ou architectes. Ils sont aussi un rite de passage vers l’âge adulte pour les jeunes
gens de l’aristocratie ou de la bourgeoisie. Le Grand Tour l’origine du tourisme) permet de se
familiariser avec une culture, des chefs d’œuvre. Ces voyageurs rapportent ainsi des souvenirs d’un
moment de vie apprécié, souvent idéalisé et des références qui leur permettent d’entreprendre
éventuellement une collection.
Ces voyages, cependant, sont longtemps géographiquement limités avant le 19e siècle. Pour les
artistes, qui bénéficient en France de bourses d’État avec le « Concours du prix de Rome », la
destination privilégiée est l’Italie
3
. Elle l’est toujours au 19e siècle. Nous pouvons prendre l’exemple de
deux artistes angevins qui n’ont pas eu le Prix de Rome mais ont pourtant voyagé ou séjourné en Italie.
Le peintre Lancelot-Théodore Turpin de Crissé (1782-1859) rapporte ainsi de ses nombreux voyages
en Italie une précieuse source d’inspiration pour une grande partie de sa production, ainsi qu’une
collection de céramiques grecque et d’Italie du Sud
4
. L’Italie est également, pour ses paysages et sa
population, une source d’inspiration fondamentale pour Guillaume Bodinier
5
, qui accompagne Guérin,
nommé directeur de la Villa Médicis à Rome
6
.
La nouveauté au 19e siècle est que le parcours du Grand Tour s’élargit vers l’Orient : la Grèce, mais
aussi le Levant (Palestine), l’Empire ottoman (Asie Mineure) et quelquefois l’Égypte.
Au 19e siècle, la Grèce s’imposa dans l’esprit des voyageurs, artistes et archéologues comme
un passage vers l’Orient, une première étape dans la découverte de la Méditerranée proche-orientale.
Ainsi, Charles Garnier conseillait-il aux jeunes architectes séjournant en Grèce : « Quand vous aurez
visité l’Attique et la Morée, avant de revenir en France, si vous avez encore cinq cent francs à dépenser
et un mois devant vous, faites une excursion à Constantinople. Outre le beau pays que vous verrez, les
costumes pittoresques de Smyrne et de Stamboul, vous trouverez encore un grand nombre de
mosquées d’une architecture élégante et gracieuse qui vous impressionneront par leur masse et vous
charmeront par leurs détails
7
». Pourtant, plus qu’une proximité géographique entre Athènes et
l’Empire ottoman, c’est d’abord un rêve commun, à savoir celui d’un Orient fantasmé, qui liait la Grèce
à l’Orient dans l’esprit des artistes et des intellectuels.
Ainsi, à mesure que s’ouvrent les portes de l’Orient, les échanges, missions et voyages, - notamment
d’artistes, mais aussi d’amateurs d'art, de collectionneurs, de scientifiques, d’écrivains - se multiplient
et donnent un élan prodigieux à l’orientalisme.
ORIENT et ORIENTALISME
D'un point de vue strictement géographique, les frontières de l’Orient sont variables et la
différence entre l’Orient rêvé, exotique et vécu n’est pas toujours claire.
En effet, s'il recouvre presque invariablement l'Égypte, Constantinople et l’Asie mineure, la
Palestine et la Syrie et plus tard l’Afrique du nord, il n'en est pas de même pour des régions comme
Rhodes, Chypre, la Grèce que les romantiques rattachent immanquablement au voyage en
Orient. Bien plus qu'un terme géographique, l'Orient est une projection fantasmatique forgée par
la mentalité collective occidentale.
C’est au début du 19e siècle que le terme « orientalisme » se répand en France mais
également dans d’autres pays d’Europe. L’espace méditerranéen, à la fois ottoman, musulman,
3
Consulter la fiche LItalie ou le goût des ruines.
4
Consulter le dossier-enseignant « Vases en voyage ».
5
Consulter la fiche biographique sur Guillaume Bodinier, dans le dossier-enseignant : La peinture et le paysage.
6
Depuis 1803, le séjour des artistes s’effectue à la Villa Médicis.
7
Charles Garnier, A travers les arts. Causeries et mélanges, Paris, 1869.
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juif et chrétien, qu’on appelle tour à tour Levant ou Orient a nourri l’imaginaire de la bourgeoise
européenne et l’inspiration des artistes et écrivains. L’orientalisme, c’est l’Orient vu de son
opposé, l’Occident : c’est le regard que porte sur les personnages et les êtres l’Occidental
imaginant l’Orient.
Suivant pas à pas toutes les tendances du siècle (comme le romantisme par exemple, qui
l’a vu naître) l'orientalisme s'exprime aussi bien à travers l'art, la littérature, la musique,
l'architecture que la photographie. C’est toute une part de la production artistique française et
européenne du 19e siècle qui subit l'influence orientale : on rêve des bains turcs, de la sensualité
des femmes du harem mais aussi de la lumière unique de la Méditerranée et des couleurs du
couchant sur les vestiges antiques. Après avoir constitué pendant plusieurs siècles une formidable
source d’imagination pour les artistes en quête de sujets exotiques mais aussi de formes et
techniques, l’Orient éveille également en eux une curiosité ethnographique à partir du milieu du
19e siècle.
Théodore Pavie
8
(1811-1896), est un bon exemple de grand voyageur et orientaliste.
Cet angevin, après avoir voyagé « aux Amériques », est parti en Orient en 1839 : Alexandrie, Le Caire,
Suez et Aden, puis vers les Indes. Théodore Pavie a laissé plusieurs carnets de dessins, très illustrés
9
,
témoignages précieux de ses aventures. Il a publié des récits de voyage, des nouvelles, des contes, des
traductions et des études scientifiques ainsi que de nombreux articles dont près de soixante-dix dans
la seule Revue des Deux Mondes.
OUVRIR LES PORTES DE L’ORIENT :
Un double intérêt, géopolitique et scientifique oriente le gt pour l’Egypte, comme celui
pour la Grèce.
La fascination pour l’Égypte :
EXPLORER à la suite de l’expédition d’Égypte
L’intérêt pour l’Égypte est ancien, mais il s’inscrit également dans la continuité des Lumières, au 18e
siècle : renouer avec les origines et s’inscrire dans une histoire universelle.
Lors de la campagne d’Égypte, à partir de 1798, Bonaparte est désireux d’imposer la présence
française en Méditerranée orientale, dans une région du monde également convoitée par les Anglais
et de prendre position sur la route des Indes. Il est également influencé par les ouvrages de Volney,
Voyage en Égypte et en Syrie (1787) et Ruines, ou Méditations sur les révolutions des empires (1791).
Bonaparte est accompagné par une commission de cent soixante-cinq savants français chargée
d’étudier le pays, de le doter de techniques modernes. Quelques artistes accompagnant l’expédition,
réalisant des relevés de sites et de monuments. L’objectif de l’expédition n’est donc pas seulement
militaire et géopolitique. Il s’inscrit dans la continuité de la diffusion de l’esprit scientifique et des
progrès des Lumières. Les premiers succès puis l’échec militaire en 1801 (victoire anglaise)
n’empêchent pas les succès scientifiques et le regain d’intérêt pour l’Égypte.
L’expédition a été remarquablement illustrée par de nombreux dessins et notes prises au
naturel par ses témoins. Sitôt ceux-ci revenus en France, et durant plusieurs décennies, l’expédition
a inspiré des publications, des œuvres d’art ou des estampes populaires contribuant à la mythification
de l‘événement et des protagonistes. Dès son retour de l'expédition d'Égypte, Vivant- Denon rédige
son Voyage dans la Basse et la Haute Égypte publié en deux volumes en 1802 et qui a connu quarante
éditions au cours du 19e siècle.
Le sculpteur David d’Angers, réalise deux croquis évoquant le chaos des combats de la Bataille des
Pyramides où s’illustra le chirurgien en chef de l’armée d’Orient, Dominique Jean Larrey (1766-1842).
8
Les enseignants pourront consulter le catalogue de l’exposition Un angevin en voyage au temps du
romantisme, Les carnets de Théodore Pavie aux Amériques, en Egypte et aux Indes entre 1829 et 1840, 2009,
musée des Beaux-arts d’Angers.
9
Théodore Pavie est évoqué dans la partie de l’exposition « Les Antipodes ou l’évasion ».
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Les dessins de David sont préparatoires à la réalisation d’un bas-relief pour le monument en hommage
à Larrey, qui fût érigé dans la cour de l’hôpital du Val-de-Grâce à Paris en 1846.
L’occupation française en Égypte n’a duré que trois ans mais a donc
inspiré pendant des décennies a nourri l’ « égyptomanie »
10
, marquée
en particulier par un style très en vogue au 19e siècle, le style « Retour d’Égypte ».
Des œuvres d’art célèbres comme Bonaparte visitant les pestiférés de Jaffa de Gros (1804, musée du
Louvre) ou le tableau de Léon Cogniet L’Expédition d’Égypte sous les ordres de Bonaparte, 1830-1835,
conservé au musée des Beaux-arts d’Orléans témoignent de cette fascination pour l’Égypte, en
particulier auprès d’un public cultivé.
La campagne d’Égypte a favorisé les premiers pas de l’ « égyptologie »,
grâce aux nombreuses illustrations de cette expédition par des dessins
et notes prises au naturel par ses témoins.
L’ensemble de ces recherches fut rassemblé dans un ouvrage de vingt-
trois volumes intitulé « Description de l’Égypte » publié entre 1809 et
1828. Cette « redécouverte » de l’Égypte fut fondamentale pour
l’histoire de l’archéologie. À la suite de cette expédition, plusieurs
voyageurs et diplomates européens se rendirent sur les berges du Nil.
Parmi eux, Frédéric Caillaud, dont les voyages et découvertes
entraînèrent une accélération des recherches égyptologiques en
France, a fourni à Jean-François Champollion assez d’éléments pour
déchiffrer le système des hiéroglyphes en 1822 et redécouvrir la
civilisation des anciens Égyptiens.
Le docteur Daniel Fouquet (Doué La Fontaine 1850-Le Caire 1914) est
un exemple intéressant d’égyptologue collectionneur qui s’est installé
au Caire à partir de 1881. Ses compétences médicales et
anthropologiques l’amenèrent à assister plusieurs égyptologues, tel
Maspéro, notamment dans l‘examen de nombreuses momies royales
du Nouvel Empire (dont celle de Ramsès II et de son père Séti 1er),
découvertes près de Louxor. Parallèlement à ses activités
10
Consulter la fiche-enseignant : « Égyptomanie, égyptophilie, égyptologie : quel Ailleurs ? »
Pierre-Jean David (1788-1856), Les Français en Égypte, étude pour les
Pyramides, bas-relief du monument de Larrey, vers 1846.
David d’Angers, Larrey,
Modèle plâtre du
bronze élevé devant le
Val de Grâce, Paris en
novembre 1846,
Galerie David d’Angers
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professionnelles et scientifiques, Fouquet rassemble une collection d’antiquités hors du commun (plus
de 600 lots), dispersée en 1922, 8 ans après sa mort au Caire.
Guerre d’Indépendance et philhellénisme
EXPLORER, à la suite de l’expédition de Morée.
Après les guerres napoléoniennes, le Congrès de Vienne n’ayant pas pris la mesure des
revendications nationales en Europe nourries par les idées des Lumières et l’exemple de la Révolution
française, les Grecs aspirèrent à s’affranchir de la domination ottomane, installée depuis le début du
15e siècle. La guerre de libération nationale, commencée en 1821, avec comme chefs Canaris et
Botzaris, s’accompagne de sanglants massacres de la part des Ottomans. La cause grecque rallie de
nombreux étrangers - comme le poète anglais Byron - qui se constituent en brigades volontaires (les
Philhellènes) et remportent des succès sur les troupes du Sultan. L’intervention Anglo-Franco-Russe,
en 1827, est cependant nécessaire pour que la Grèce accède à l’indépendance (1829-1830).
Cette lutte inspire et émeut les artistes libéraux romantiques. L’une des plus célèbres œuvres de
Delacroix, La Grèce sur les ruines de Missolonghi, 1826, musée des Beaux-arts de Bordeaux) y fait
explicitement référence.
On peut également citer le poème de Victor Hugo L’Enfant, écrit en juillet 1828 et publié dans le recueil
Les Orientales. Le texte mêle le récit à la description et
à l’évocation de l’Orient et du mystérieux construit sur
un jeu d’opposition.
Comme de nombreux artistes et écrivains, David
d’Angers soutint la cause de l’indépendance grecque.
Il réalise un médaillon en hommage au grand poète
anglais Lord Byron, héraut du romantisme, mort à
Missolonghi en 1824, sans doute après le décès du
poète.
Pierre-Jean David, dit David d’Angers, Lord Byron (1788-1824), Bronze.
David d’Angers choisit également d’honorer
le chef grec Marco Botzaris, mort après une
héroïque résistance, en envoyant à ses frais
une statue commémorative en marbre, pour
la placer sur le champ de bataille de
Missolonghi. Dans cette sculpture, une jeune
fille déchiffre le nom du héros inscrit sur la
dalle funéraire. L’artiste écrit dans ses
Carnets : « Ma jeune Grecque
11
est à cet âge
de transition : la fillette pensive, lisant le nom
d’un des libérateurs de son pays, sera femme
dans une nation libre. »
David a ensuite travaillé lui-même le marbre,
ce qui n’est pas l’usage au 19e siècle. Vingt ans
plus tard, son amertume fut grande lorsque,
11
Cette sculpture est visible à la galerie David d’Angers
Pierre-Jean DAVID, dit David d’Angers, La Jeune Grecque au
tombeau de Marco Botzaris
Modèle original pour la statue en marbre envoyée par le
sculpteur à Missolonghi (Grèce), 1827
Plâtre, H. 0,80 L. 1,19 m l. 0,55
Envoi au musée d’Angers par la veuve du sculpteur, 1856
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