perceptions, attitudes et ressentis de médecins généralistes

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UNIVERSITE DE NANTES
FACULTE DE MEDECINE
THESE
pour le
DIPLOME D’ETAT DE DOCTEUR
EN MEDECINE GENERALE
par
Aurore DIGUET
Née le 21/10/1979 à Mont Saint Aignan (76)
Année 2011
N°000
Présentée et soutenue publiquement le 17/10/2011
Plaintes floues récurrentes :
perceptions, attitudes et ressentis
de médecins généralistes
Président du jury : Mr le Pr Rémy SENAND
Directeur de thèse : Mr le Pr Rémy SENAND
Mr le Pr Mohamed HAMIDOU
Membres du jury : Mr le Pr Philippe DAMIER
Mr le Dr Thierry GUIHARD
TABLE DES MATIERES
Introduction______________________________________________________________________ 5
Préambule _______________________________________________________________________ 7
I. Symptômes fonctionnels................................................................................................................... 7
II. Plaintes fonctionnelles ou somatiques ............................................................................................ 7
III. Somatisation................................................................................................................................... 8
IV. Les troubles somatoformes ............................................................................................................ 8
1. Le trouble de somatisation ____________________________________________________ 9
2. Le trouble de conversion ______________________________________________________ 9
3. Le trouble douloureux ________________________________________________________ 9
4. Peur d’une dysmorphie corporelle ______________________________________________ 9
5. Le trouble somatoforme non spécifié ____________________________________________ 9
Matériel et méthode ______________________________________________________________ 10
I. La méthode ..................................................................................................................................... 10
1. La méthode du focus group___________________________________________________ 10
2. Les abords pratiques de la réalisation de la séance ________________________________ 11
II. Le Matériel..................................................................................................................................... 14
1. Le guide d’entretien ________________________________________________________ 14
2. La séance _________________________________________________________________ 14
Résultats _______________________________________________________________________ 15
I. Caractéristiques de ce type de patients, perceptions des médecins généralistes .......................... 15
1. Caractéristiques directement liées au patient ____________________________________ 15
2. Caractéristiques liées au ressenti du médecin généraliste ___________________________ 19
II. Attitudes des médecins généralistes face à ce type de patients ................................................... 21
1. La démarche diagnostique ___________________________________________________ 21
2. A propos du discours, de l’attitude face au patient ________________________________ 26
3. A propos de l’attitude thérapeutique ___________________________________________ 27
III. Une consultation difficile ? Ressentis des médecins généralistes ................................................ 31
1. Une consultation difficile à intégrer dans un quotidien _____________________________ 32
2. Une consultation angoissante _________________________________________________ 33
3. Une sensation de mise en échec, de frustration ___________________________________ 34
4. La remise en question : une difficulté qui pourrait prendre la forme d’une solution ______ 35
5. Une consultation qui sort du cadre _____________________________________________ 36
6. Face à eux même ___________________________________________________________ 37
3
7. Une consultation qui peut être gratifiante _______________________________________ 38
IV. La fonction de médecin généraliste face à ces patients, représentations des médecins ............. 39
1. Une fonction bien assumée ___________________________________________________ 39
2. Une fonction identifiée comme différente _______________________________________ 39
3. Une prise en charge globale __________________________________________________ 39
4. Une prise en charge dans l’humilité ____________________________________________ 40
5. Une médecine de premier recours… ____________________________________________ 40
6. et de dernier recours. _______________________________________________________ 41
7. Suivi au long cours __________________________________________________________ 41
8. Un abord neutre ___________________________________________________________ 41
9. Etre disponible, dans l’écoute… _______________________________________________ 41
10. … mais jusqu’où ? Où s’arrête la fonction du médecin ? ___________________________ 42
11. La compétence relationnelle _________________________________________________ 42
Discussion ______________________________________________________________________ 44
I. A propos de la méthode.................................................................................................................. 44
1. Sur le choix de la méthode ___________________________________________________ 44
2. Sur l’interprétation des résultats ______________________________________________ 44
II. A propos des résultats ................................................................................................................... 45
1. Mise en perspective de la perception des médecins généralistes sur ces patients.________ 45
2. Mise en perspective des attitudes des médecins généralistes ________________________ 48
3. Mise en perspective des ressentis des médecins généralistes ________________________ 54
4. Discussion éthique__________________________________________________________ 65
5. Pistes d’approfondissements _________________________________________________ 66
Conclusion ______________________________________________________________________ 69
Références bibliographiques ________________________________________________________ 71
Annexes ________________________________________________________________________ 74
I. Annexe n°1 : modèles étiologiques de représentation de la maladie selon Laplantine ................. 74
II. Annexe n°2 : Proposition d’approche des patients aux plaintes physiques inexpliquées. ............. 75
Verbatim du focus group___________________________________________________________ 77
Unités Minimales de Sens (UMS) ____________________________________________________ 98
4
INTRODUCTION
Pendant nos études médicales, nous avons été formés longuement aux processus
physiologiques puis pathologiques qui régissent nos corps. Il est indiscutable que cette
formation vécue sous un angle biomédical modifie définitivement la perception du corps
humain et de son fonctionnement1. Cette vision occupe une grande partie de l’interprétation
et de la compréhension de ce que nous assimilons du vécu pathologique du patient.
Bien sûr, au cours du trajet hospitalier qui compose notre formation nous avons eu accès à
l’humain qui se trouve derrière le patient. Cet abord a parfois même été privilégié par la
place unique que réserve le statut d’étudiant en médecine tout comme le sera plus tard
celui de médecin généraliste. Le patient se livre parfois à nous comme il le fera plus tard
« sur le pas de la porte » de son médecin de famille2. Tout se dit comme s’il ne « risquait »
rien devant cette pâle figure de son médecin en devenir. Comme s’il était sûr de ne pas être
ridicule, de ne pas être jugé et peut être mieux… entendu.
Malgré ces expériences accumulées, les patients qui nous ont posé le plus de
questionnements en commençant une activité libérale ont été les patients porteurs de
plaintes floues. Nous nous sommes sentis démunis, interrogés, frustrés par des consultations
qui n’aboutissent en général sur rien de concret. Le chemin de la compréhension s’est
dessiné le jour où nous avons pris conscience, que derrière le flot de symptômes, il y avait
probablement une autre demande. Cette question est venue bousculer nos croyances et a
motivé ce travail de thèse.
Immédiatement la question a été de savoir si les autres médecins vivent les mêmes
interrogations à propos de ces patients. Ils nous font connaître une autre dimension de ce
métier, nous poussent dans des retranchements inconnus où nous apprenons aussi sur
nous-même et la dimension relationnelle du soin.
Les études déjà réalisées montrent que les troubles médicalement inexpliqués
représenteraient 5 à 30% des consultations des généralistes avec une prévalence de 1 à 2 %
dans la population générale3 4. De plus, ces patients occasionnent une surconsommation
médicale. Il a été montré que ces patients ont une consommation d’actes médicaux égale
aux patients atteints de pathologie lourde soit le triple de celle de la population générale 5.
Nous sommes tentés de trouver une explication à ce phénomène d’une part dans le
nomadisme médical, dans la réalisation d’examens complémentaires « inutiles », dans la
multiplication des consultations « toujours pour la même chose » chez le médecin de famille,
et d’autre part par la prise en charge inadaptée des médecins généralistes peu initiés à
l’approche de ces patients. Mais ne peut-on pas y voir en partie la nécessaire et longue route
5
de ces patients vers le mieux-être ? Pourquoi considérer d’emblée qu’ils ne « méritent » pas
cette attention ?
L’hypothèse principale de ce travail découle de ces questionnements : les difficultés
rencontrées dans l’accueil et le traitement de ces plaintes floues seraient elles tant liées aux
représentations médicales et personnelles du médecin généraliste qu’à la particularité de
l’abord thérapeutique inhérente à ce type de patient ?
L’objectif principal est d’identifier ces difficultés tout en cherchant ce qui les détermine et
dans quelle mesure elles conditionnent la prise en charge.
Nous voulions être particulièrement attentifs à la relation médecin-malade et à sa spécificité
en médecine générale, en particulier face à ces patients.
Pour explorer cela nous avons réalisé une étude qualitative selon la méthode du focus
groupe réunissant huit médecins généralistes autour de leur expérience.
Le terme de « plaintes floues » a été choisi car selon nous il nous ramène plus volontiers vers
la demande2, l’offre6 du patient et nous éloigne du symptôme à connotation plus
biomédicale.
Nous allons tout d’abord refaire le tour des différents concepts qui tendent à définir les
patients fonctionnels et qui nous montrent déjà, par leur multiplicité, la complexité de leur
abord. Ensuite, après avoir présenté la méthode de travail, nous établirons les résultats
d’analyses commentés. Enfin, et avant de conclure, nous discuterons des principaux points
mis en exergue avec l’aide de différents ouvrages issus de la psychologie médicale, de la
médecine interne et de la médecine générale.
6
PREAMBULE
En se penchant sur ce travail, nous nous sommes rendu compte que les propositions de
définition concernant ces patients étaient nombreuses. Les études 4 montrent que les
médecins utilisent de façon disparate les différents termes pour évoquer les mêmes
patients.
Cela démontre dors et déjà le « flou » qui règne autour de ces malades dans l’esprit des
médecins. Il apparait également que si ces troubles étaient enseignés à la faculté au même
titre que les autres pathologies, l’unicité serait certainement plus de rigueur.
Nous avons donc choisi de revenir brièvement sur chaque concept puisqu’ils ne sont pas
strictement superposables. Ceci permet dors et déjà d’aborder plusieurs aspects du sujet en
en relevant les sous entendus plus ou moins explicites. Nous nous sommes appuyés pour
cela sur la littérature et sur les cadres nosologiques des classifications internationales.
Nous avons choisi volontairement dans ce travail un terme moins employé, avec une
définition non théorisée. Nous avons préféré ne pas adhérer de manière préférentielle à un
cadre conceptuel plutôt qu’à un autre. De plus, « plainte floue » nous permet de nous situer
au plus près de ce que le patient arrive à mettre en mots vers son interlocuteur médical à
propos du malaise ressenti.
I. Symptômes fonctionnels
Un symptôme sera dit fonctionnel lorsqu’il ne trouve pas d’explication ni
physiopathologique, ni lésionnelle. Il est vécu comme une dysfonction corporelle par le
patient7.
Ce terme est superposable au « symptôme médicalement inexpliqué » proposé par les
anglo-saxons.
II. Plaintes fonctionnelles ou somatiques
Comme le terme que nous avons choisi, celui-ci a l’avantage de resituer la définition sur le
recours au soin7. Les symptômes fonctionnels sont effectivement très fréquents mais
finalement peu aboutissent à une consultation médicale.
7
III. Somatisation
Ce terme peut être défini de quatre manières différentes7.
La première définition est d’origine psychiatrique. Elle conçoit la somatisation comme
l’expression atypique, « masquée » d’une maladie psychiatrique. Nous verrons que la
dépression peut également être une comorbidité voire une conséquence des plaintes quand
elles mettent à mal les patients. Cette présentation est valable surtout pour la dépression et
l’anxiété, troubles rencontrés fréquemment en médecine générale.
La deuxième émane d’un concept plus psychosociologique. La somatisation devient alors
« la tendance à ressentir et à exprimer des symptômes somatiques dont ne rend pas compte
une pathologie organique, à les attribuer à une maladie physique, et à rechercher pour eux
une aide médicale ». Cette définition insiste davantage sur le conflit d’attribution entre
médecins et patients.
La troisième repose sur une théorie socioculturelle. Ce qui fait de la somatisation
« l’expression d’une détresse personnelle et sociale sous la forme d’un langage de plaintes
somatiques avec recherche de soins médicaux. » Ainsi, les plaintes peuvent émaner d’une
appartenance culturelle codée par un langage socialement reconnaissable.
La dernière, plus large et moins ambigüe admet sous ce terme les symptômes médicalement
inexpliqués prolongés et entravant la qualité de vie. La pathologie psychiatrique, si elle est
reconnue, l’est davantage comme une comorbidité que comme une cause des symptômes.
IV. Les troubles somatoformes
On se réfère ici à la définition du DSM IV8 (manuel diagnostique et statistique des troubles
mentaux). Ils incluent plusieurs concepts qui ont en commun « la présence de symptômes
physiques faisant évoquer une affection médicale générale mais qui ne peuvent s’expliquer
complètement ni par une affection médicale générale, ni par un trouble mental. »
A la grande différence des troubles factices, les symptômes physiques ne sont pas
volontaires. Ils sont à l’origine d’une souffrance avec retentissement dans différents champs
de la vie sociale.
Ils ont en commun l’approche diagnostique et la démarche clinique. Les mécanismes
étiologiques ne sont pas supposés communs :
8
1. Le trouble de somatisation
Il est défini comme un trouble poly symptomatique, survenant avant l’âge de 30 ans,
persistant plusieurs années. Il existe un retentissement important sur la vie quotidienne et
une demande de traitement.
2. Le trouble de conversion
Il comporte des symptômes ou des déficits inexpliqués organiquement, liés à des facteurs
psychologiques.
3. Le trouble douloureux
On décrit ici une douleur d’une ou plusieurs localisations anatomiques associée à des
facteurs psychologiques qui influent sur le déclenchement, l’intensité et l’évolution de ce
symptôme. Ceci n’exclut pas une affection médicale sous -jacente.
4. Peur d’une dysmorphie corporelle
Elle consiste en une préoccupation importante concernant un défaut imaginaire ou amplifié
de l’apparence physique.
5. Le trouble somatoforme non spécifié
Il permet de coder les symptômes somatoformes qui ne répondent à aucun critère
spécifique.
C’est dire l’étendue des possibilités de présentation de ce type de troubles.
Nous avons noté à la lecture de ces définitions la rigueur qu’elles contiennent (nombre de
localisations, âge de survenue, etc.).Cette classification semble arbitraire face aux
possibilités multiples que recouvrent ces troubles.
Nous n’irons pas plus avant dans la recherche des définitions. Il ressort que la plupart
s’articulent autour de trois axes : le symptôme en lui-même, la souffrance psychologique
qu’il engendre et son retentissement et le recours au soin. On ressent que ses symptômes,
malgré des définitions protocolisées, restent aux mains de l’interprétation de celui qui les
reçoit.
Dans notre travail, pour une lecture plus fluide, nous utiliserons alternativement les termes
de plaintes floues, plaintes fonctionnelles et symptômes médicalement inexpliqués.
9
MATERIEL ET METHODE
Nous abordons ici la conception du travail et la méthode employée.
I. La méthode
La méthode choisie ici est donc celle du focus group. Ce chapitre sera consacré à la détailler.
1. La méthode du focus group
1.1. Pourquoi cette méthode ?
Cette méthode qualitative a été priorisée par rapport aux entretiens semi-dirigés.
Dans les deux cas, la méthode, puisqu’elle est qualitative, permet d’explorer et de mieux
comprendre les phénomènes sociaux. On cherche ainsi à recueillir les « pourquoi » et
« comment », les représentations et les déterminants de choix, à mieux comprendre les
opinions, les comportements.
Le focus groupe a été choisi par mon directeur de thèse et moi-même dans l’idée de
favoriser les interactions entre les participants pour faire émerger des idées qui ne seraient
pas ressorties dans un entretien individuel. En effet, cette méthode contribue à réduire les
inhibitions individuelles par un effet d’entraînement de part l’expression sans tabou de
certains et facilite le travail de remémoration9 10.
Les entretiens individuels nous ont semblé moins cohérents. Nous avons pensé que les
participants auraient du mal, seuls face à ’intervieweur, à exprimer leurs ressentis sans
tabou. En effet, nous avions présupposé que certains sentiments pouvaient avoir des
connotations négatives. Nous espérions aller plus loin dans les réflexions grâce à cette
méthode.
De plus, un travail réalisé par I Brabant sur ce sujet de recherche11 a déjà été réalisé à partir
d’entretiens dirigés. Il était intéressant de pouvoir comparer les résultats.
10
1.2. L’histoire et les principes de cette méthode
Cette méthode est née aux Etats Unis, issue du marketing après la seconde guerre pour
mener des « recherches-actions » en recueillant les attentes des consommateurs (sur les
habitudes alimentaires par exemple dans un objectif d’économie budgétaire) 10.
Elle a été reprise dans les années 1980 par différents domaines de recherche : éducation,
santé publique, sciences sociales… et le relais s’est fait quelques années plus tard vers
l’utilisation scientifique du focus group grâce en partie au sociologue Morgan 10.
Cette méthode est donc centrée (focused) sur une expérience vécue par l’ensemble des
enquêtés. La dynamique de groupe permet d’explorer différents aspects et points de vue, de
partager un vécu commun de part ses aspects communs et ses différences. Ceci permet
d’évaluer des attentes, des satisfactions ou insatisfactions et de rentrer plus en profondeur
sur le pourquoi de certaines opinions et certains comportements. De plus la dynamique de la
discussion conduit en alternance à des moments d’accords et de désaccords. Ils marquent
l’ambigüité portée par beaucoup de significations.
2. Les abords pratiques de la réalisation de la séance
2.1. La sélection des participants
Les participants d’un focus group doivent être volontaires ; la plupart des spécialistes
s’accordent à dire qu’ils doivent être entre 5 et 10 selon l’étude envisagée 10. Les petits
groupes sont plus animés mais moins riches puisque moins de points de vue et les grands
groupes sont plus riches d’idées mais plus difficiles à canaliser pour l’animateur.
Ils doivent avoir un vécu commun vis-à-vis du sujet de réflexion9.
Il ne s’agit pas d’être représentatif de la population source mais on se doit de respecter une
homogénéité sociale puisque la propension à prendre la parole en public est en partie
socialement déterminée10.
2.2. La séance
2.2.1. Le lieu
Elle a lieu dans un endroit neutre, le plus agréable et confortable possible, adapté à la
réunion pour le nombre de personnes convoquées9.
11
2.2.2. La durée
Elle dure entre une heure et deux heures, à compter en plus les phases d’accueil des
participants et de clôture10.
2.2.3. L’enregistrement
Elle est enregistrée soit par des moyens audio, soit par des moyens vidéo. L’outil vidéo peut
être très intéressant dans l’analyse à postériori de la séance mais est considéré comme plus
intrusif et perturbe le discours10.
2.2.4. L’animation
Elle est réalisée par le modérateur. Il énonce en début de séance le principe du focus group,
s’assure que tous les participants ont compris que la retranscription de la réunion allait être
réutilisée à des fins de recherche, et conforte les participants à propos du respect de
l’anonymat.
Il énonce également la durée estimée de la réunion et doit faire en sorte d’essayer de la
respecter.
L’animateur doit ensuite exposer le thème du sujet de recherche aux participants qui, pour
éviter toute réflexion et documentation préalable ne sont au courant qu’au dernier moment.
Cela favorise la spontanéité dans le discours.
Il s’attache ensuite à exposer les questions une à une, à rendre la discussion le plus fluide
possible et riche d’interactions.
Selon Blanchet, psychologue français (1982), l’animateur a trois fonctions10:
La fonction de production : ceci regroupe les interventions type relance, tour de parole,
demande de précision. Il s’assure que les participants s’adressent au groupe, tente de
canaliser ceux qui interviennent le plus (leadership) pour solliciter les moins bavards.
La fonction de confirmation : pour cela l’animateur doit maîtriser les techniques de
reformulation et de clarification. A la fin de chaque question il va faire un bilan de ce qui a
été dit ce qui permet aux participants de s’en affranchir ou non, et de rebondir sur la
question.
La fonction d’orientation : On entend par le fait de s’efforcer à ce que la discussion reste
centrée sur le sujet, faire des relances thématiques. Ce rôle a ceci de délicat qu’il sousentend des interventions dans le but de recentrer, sans pour autant parasiter les
interactions.
12
2.2.5. L’observateur
Il est accompagné d’un observateur qui reste en retrait pour scruter et noter les interactions
non verbales et relationnelles qui échapperaient à l’enregistrement.
2.2.6. Le guide d’entretien
Les questions suivent un guide d’entretien 10préalablement travaillé. Il comporte trois à six
questions qui sont davantage une grille d’organisation de la discussion qu’un cadre strict à
tenir. Elles doivent être ouvertes et posées en allant du plus général au plus spécifique12
pour que la confiance en soi vis-à-vis de la prise de parole s’assure au fur et à mesure. Pour
chaque question posée tour à tour à chaque participant on essaie de réserver un temps de
parole (environ 15 min) A noter que les participants peuvent rebondir sur le résumé du
modérateur jusqu’à épuisement des arguments. Il y reprend les grandes idées évoquées, les
accords et les désaccords du groupe.
2.3. L’analyse
2.3.1. La retranscription
C’est la première étape, elle suit immédiatement la réunion. Tout est retranscrit dans le
verbatim le plus précisément possible pour rendre compte des interactions pendant la
séance. La parole de chaque interlocuteur est identifiée, de même pour le modérateur et les
aspects non verbaux sont notés.
2.3.2. La phase d’analyse
L’analyse dite de « la table longue » est la plus souvent utilisée10.
Elle doit être reproductible.
Elle consiste à découper le verbatim en regroupement d’idées qui peut être un mot ou une
phrase : des « occurrences » ou « Unité Minimales de Sens » (UMS) qui seront ensuite
regroupées en plus grand thème dans l’analyse des résultats. Cette méthode basée sur la
comparaison et le regroupement permet de mettre en valeur les consensus et désaccords au
sein des idées exprimées par le groupe. ?
Il ne faut pas éliminer les hors sujet et essayer de comprendre pourquoi ils sont là et en quoi
ils sont liés à la discussion. Il faut réfléchir à la pluralité, à l’ambigüité émanant de certaines
interventions et toujours essayer de ramener vers le sujet des interventions que l’on
comprend mal.
13
II. Le Matériel
1. Le guide d’entretien
Il a été travaillé avec Mr le Pr Rémy Senand et moi-même pour arriver à l’objectif de l’étude :
Réaliser ce que les patients porteurs de plaintes floues font ressentir au médecin
généraliste.
En quoi cela change- t-il les déterminants de la prise en charge ?
Quelles sont les réelles difficultés rencontrées face à ces patients, leurs perceptions ?
Pour cela nous avons défini quatre questions, trame de fond de l’entretien collectif :
Quelles sont pour vous les caractéristiques de ces patients ?
Quelle est votre démarche face à ce type de patients ?
Est-ce pour vous une consultation difficile ? Et si oui : en quoi ?
Comment voyez-vous votre fonction de médecins généralistes dans ces situations ?
2. La séance
Elle a eu lieu le 24/03/2011 à 18h dans une salle de réunion du département de médecine
générale de la faculté de médecine de Nantes, autour d’une table disposée en carré pour
faciliter les échanges. Chacun avait un pupitre pour y inscrire son prénom pour plus de
fluidité. Le tutoiement entre les participants a été choisi au début de la séance pour une plus
grande homogénéité.
Elle a duré 1h13 minutes.
Elle a été enregistrée grâce à deux dictaphones numériques.
Les participants ont été recrutés par mes soins par téléphone ou de vive voix en précisant
uniquement que la séance porterait sur une situation clinique habituelle.
Huit médecins généralistes de Loire Atlantique se sont portés volontaires.
Une lettre explicative précisant la date, l’heure et le lieu a été envoyée à chacun avant la
séance par e-mail ou lettre postale. La phase de recrutement s’est étendue de Janvier à
début Mars 2011.
14
RESULTATS
Nous allons ici présenter les résultats de l’analyse du verbatim qui a été scindé suivant la
méthode précédemment décrite en unités minimales de sens (UMS).
Pour plus de lisibilité, certaines UMS ont été citées en illustration des propos. L’ensemble se
trouve en annexe de ce travail.
Pour mémoire, voici un rappel de la légende utilisée :
M Modérateur
(.) Pause
=
coupe la parole ou prise de parole rapide
[
plusieurs personnes parlent en même temps
Les chiffres entre parenthèses correspondent aux lignes de texte du verbatim.
Certains résultats sont commentés afin de mener les réflexions vers la discussion.
I. Caractéristiques de ce type de patients, perceptions des
médecins généralistes
A cette question les médecins généralistes ont répondu sous deux angles :
-
Les caractéristiques que les médecins rapportaient directement au patient.
Les caractéristiques en miroir émanant de leur ressenti vis-à-vis de ces patients.
1. Caractéristiques directement liées au patient
Il ressortait immédiatement une ambivalence dans la façon d’appréhender ces patients
puisqu’à la fois on avait nettement l’impression d’un patient ressenti comme « hors
normes » :
UMS 321 je pense que je la vois différemment des autres patients plus « normaux » entre
guillemets (reste de l’assistance amusée) (621, 622)
15
et à la fois un patient qui peut être « tout le monde »
UMS 56 je crois que de toute façon tous les patients à un moment ou à un autre vont avoir
une plainte floue (115, 116)
Les médecins généralistes pour préciser les caractéristiques de ces patients se sont
accrochés à différents éclairages en les définissant à travers :
1.1. Leur pathologie
 Les médecins replaçaient immédiatement cette plainte dans une causalité psychologique
ou psychiatrique. Ils exprimaient ainsi que le caractère anxieux et/ou dépressif de ces
patients est une comorbidité fréquente.
UMS 38 c’est vrai que régulièrement on a contexte anxieux qui peut être récent ou pas (.) (84)
+ UMS 1 ; 5 ; 24, 26, 62, 84, 85, 30
 Dans le même sens, des médecins rappelaient que ces plaintes sont sans fondement
organique.
UMS 9 sans cause organique le plus souvent (27)
+UMS 22, 24,
1.2. Leur histoire de vie
Les généralistes ont rapporté qu’une des caractéristiques communes de ces patients est
d’avoir un accident de vie, un événement de vie difficile qu’ils traduiraient par une plainte
répétitive. Ils prenaient en compte ici une dimension davantage psycho familiale et
s’éloignaient de la définition liée à la pathologie.
UMS 358 raconter sa problématique avec une expression quelque fois de sa vie qui est sous
forme de sémiologie, de symptômes. (677, 678)
UMS 79 un accident de vie (201)
UMS 78 la plainte floue peut aussi concerner quelqu’un qui a un passé avec une souffrance
(200, 201)
+UMS 31, 80, 127, 128, 78, 80
16
1.3. Un profil psychologique
En mêlant les deux premières dimensions les médecins généralistes s’accordaient à dire
qu’ils retrouvaient un profil psychologique sans pour autant réussir à le définir, comme si
chacun « sait de quoi on parle ». Une origine psychogène de ces symptômes semblait une
piste admise.
UMS 59 y’a pas de questions d’âge ou de sexe, c’est pas le…mais je trouve pour moi y’a cette
notion de profil psychologique. (139, 140)
+UMS 30
On ne les définit pas ici à travers une pathologie psychiatrique mais on identifie ces plaintes
comme recouvrant une dimension complexe et psychogène.
UMS 85 non pas dire que c’est un syndrome dépressif mais c’est une plainte qui est d’origine
psychologique tout simplement. (Dr3 hoche vivement tête) (207, 209)
Au-delà des mots, à travers le non verbal il était palpable que tout le monde arrivait à
s’entendre, parler de ce type de patient presque indéfinissable comme le patient familier
que tout le monde connait et qui éveille des sentiments chez les soignants, amusés et
agacés.
1.4. La formulation de leur demande
 Quantitativement
 Dans la fréquence des consultations : ce sont des patients amenés à être vus
régulièrement et souvent.
UMS 57

Dans l’importance du nombre de plaintes : il ressort une notion de poly
symptomatologie, plaintes multiples.
UMS 3, 11
UMS 8 vont exprimer des plaintes multiples, variées (26, 27)
UMS 58 ils arrivent avec un cortège de symptômes et c’est souvent les mêmes je trouve (138)
 Qualitativement
Les médecins généralistes trouvaient que les patients avec symptômes médicalement
inexpliqués ont une expression imprécise de leur plainte.
UMS 35 il y a ceux qui ont des difficultés à verbaliser, à exprimer clairement leurs symptômes.
(81, 82)
+UMS 2, 14, 27, 35, 60
17
1.5. Leur capacité intellectuelle
Les médecins ont laissé entendre que ces patients pouvaient présenter des limites
intellectuelles qui pourraient expliquer l’item précédent à savoir les difficultés de
verbalisation.
UMS 23 on a affaire soit à des patients effectivement qui peuvent être un peu limités qui ont
du mal à s’exprimer, exprimer leurs symptômes. (55, 56)
1.6. La perception de leur corps
Des médecins caractérisaient ces patients vis-à-vis de la relation à leur corps, à l’écoute
qu’ils y portent qui seraient différentes des autres patients.
 Ce peut être des patients « qui s’écoutent trop », à l’affut du moindre symptôme.
UMS 7 vont être trop à l’écoute de leur corps (26)
 Ou bien alors des patients qui se connaissent mal et qui ne savent pas interpréter les
signes.
UMS 52 des patients qui ne se connaissent pas et qui nous donnent quelque chose et que
nous on ne recadre pas sur lui-même.
Est-ce d’hors et déjà une façon de se disculper face à « l’échec » de la relation en recentrant
dès le départ la « faute » sur la patient ?
1.7. Leur absence de caractéristiques…
 Malgré tous les points précédents, les généralistes trouvaient qu’il n’y a pas de patient
« type », c'est-à-dire sans particularité démographique prédéfinie concernant l’âge, le
sexe…
UMS 20 je n’ai pas d’à priori sur la typologie du patient qui vient décrire quelque chose qui
pour moi est flou. (45)
UMS 33 j’ai du mal à les caractériser.
UMS 34 je trouve que ces plaintes floues on les rencontre aussi bien chez homme femme et
quelque soit finalement l’âge, les adolescents ont également leur part de plaintes floues. (78,
80)
+UMS 21, 39, 53, 54, 55, 56, 72
18
1.8. Un hors sujet : la plainte floue non récurrente
Les médecins ont spontanément divisé en deux catégories les patients porteurs de plaintes
floues.
 Les patients porteurs de plaintes floues récurrentes, anorganiques, avec une souffrance
qu’ils viennent livrer au médecin.
 Les patients qui peuvent s’exprimer de manière floue occasionnellement pour
différentes raisons invoquées par les médecins. Cette deuxième catégorie de patients ne
correspondait pas à l’objectif de l’étude. Le modérateur a donc recadré avant la seconde
question le sujet exact.
UMS 4 je définirais peut être deux catégories, ceux qui viennent avec une plainte floue de
manière récurrente et le patient qui vient une fois avec une plainte floue. (23, 24)
UMS 12 je dirais attention au patient qui vient avec des symptômes flous mais qui n’ a pas
l’habitude de consulter, qui vient une fois, qui ne sait pas bien décrire ce qu’il ressent euh…
peut être là il y a vraiment une organicité à rechercher malgré des symptômes qui peuvent
être hasardeux ou mal décrits parce que c’est peut être quelqu’un qui consulte peu. (29, 32)
+UMS 13, 14, 17, 29, 60, 61, 62
2. Caractéristiques liées au ressenti du médecin généraliste
Les difficultés que les médecins ont présenté à définir les caractéristiques de tels patients
ont eu en partie pour conséquences de les ramener bien souvent à ce qu’ils connaissent le
mieux : leur ressenti, leur quotidien et ce que ces patients leur « inspirent ». Certaines de ses
émotions nous ont semblé intéressantes à noter en tant que caractéristiques de ces patients
même si évidemment cet angle d’approche touche déjà ce qui est du ressenti du médecin.
2.1. La naissance de sentiments négatifs
 Les médecins n’ont pas caché leur irritation face à la perception de ces patients porteurs
de plaintes floues. Il semble que ce soit la récurrence de la plainte qui soit le plus difficile
à entendre. Ceci fait évidemment écho à une mise en situation d’échec vécue par le
médecin que nous étayerons plus tard.
UMS 43 avoir envie de nettoyer son agenda (Dr8 sourit) et qu’il ne revienne pas, ça c’est
quand même assez fréquent avec certains qui sont récurrents dans leur plainte floue. (94, 95)
UMS 47 voir de brusquer le patient pour, je dis nettoyer l’agenda parce que ça peut être une
réalité parfois lorsqu’ils sont agaçants, lorsqu’ils sont récurrents et puis euh de passer à côté
d’une grosse misère. Donc ça c’est le souci sous-jacent permanent. (99, 102)
19
UMS 49 ce sont des patients qui sont pas forcément faciles (106)
+UMS 10, 87, 197, 198
 Ces patients pouvaient aussi être définis comme des empêcheurs de tourner en rond
avec des difficultés notamment dans le déroulement de la consultation.
UMS ça me pose un problème dans le déroulement d’une consultation qui est floue (88, 89)
2.2. Des patients qui sortent du repérage nosologique habituel
Les médecins s’accordaient à dire que ces patients viennent perturber leur repérage
habituel dans un cadre nosologique conceptuel sémiologique précis.
Ainsi certains médecins mettaient en garde la tentation que l’on peut avoir de classer ces
patients selon certains critères. Alors même que ce serait au soignant de devoir faire l’effort
de sortir de leurs codes habituels pour réussir à entendre cette plainte.
Les patients avec leurs plaintes floues ont donc comme commune caractéristique de devoir
faire sortir les médecins de leur cadre, de devoir voir un sens à une plainte qui perturbe des
habitudes de lecture encrées.
UMS 16 Parce que on a tous le même code de lecture de la plainte qui est le code de la
sémiologie médicale. (38, 39)
UMS 67 mais si on regarde cette souffrance psychologique, on peut considérer que c’est
toujours la même plainte et qu’elle n’est pas floue. Puisque cette plainte a le même sens, que
nous on ne comprend pas dans ces cas là. (165, 167)
UMS69 nous on a la lecture sémiologique qui est partagée par nous et qui n’est pas partagée
par le patient. (168, 169)
UMS 37 tous ceux qui ont un cortège de symptômes et qu’on a des difficultés à lier, à faire
rentrer dans un cadre nosologique vraiment particulier. (82, 83)
UMS 82 en les classant on perd…le sens de la plainte donc c’est pour ça que je me retiens
dans un premier temps de les classer. (204, 205)
+UMS 15, 18, 50, 64, 65, 66, 68, 77, 81
20
II. Attitudes des médecins généralistes face à ce type de patients
1. La démarche diagnostique
1.1. L’accueil de la plainte
1.1.1 Avec une grande vigilance
La peur de passer à côté d’un diagnostic somatique grave était un point marquant dans le
discours des médecins. Ils envisageaient l’accueil de ces plaintes avec une grande rigueur.
A) Une attention particulière.
L’idée est prédominante de réussir à bien cerner les choses et peut être ne pas se laisser
envahir par l’« intuition » qu’un d’un patient présente des symptômes d’origine
fonctionnelle.
UMS 25 parce que je pense que la plainte floue il faut être très vigilant. (59, 60)
UMS 75 il faut être vigilant aussi par rapport à sa capacité (.) médicale (Dr5 hoche tête) par
rapport à son interrogatoire. (188, 189)
UMS 119 être très très rigoureux.
+UMS 44, 98, 101, 116, 149, 150, 165, 177, 237,
B) Une application à la remise en question, ne pas se fier au patient
En effet, parmi les patients identifiés comme porteurs de plaintes inexpliquées, les médecins
soulignaient l’importance de savoir remettre en question le diagnostic périodiquement, ne
pas se laisser « porter » par la plainte et se demander si le patient ce jour là n’apporte pas
quelque chose de nouveau.
UMS 45 parce qu’on a le droit d’avoir des plaintes floues et un jour un vrai gros souci. (voix
amusée) (97, 98)
UMS 91 pas rester sur ce que dit le patient. (235, 236)
UMS 92 Parce que nous on va rester sur l’idée que lui vient pour la même chose et à un
moment est-ce que c’est toujours la même chose ou pas ? (237, 238)
+UMS 46, 93, 94, 95, 101, U115, 117, 164, 209
21
C) Une crainte vis-à-vis de la lassitude
Les généralistes avaient conscience que la répétition des plaintes dans le temps peut
provoquer une lassitude qui pourrait être nuisible pour le patient.
UMS 89 Il va falloir être très attentifs à justement ne pas se lasser nous, (234, 235)
UMS 182 ne pas se lasser du patient. (354, 355)
1.1.2. Avec beaucoup d’attention et d’écoute
C’est en effet une idée prédominante. Les médecins avaient dès le recueil de la plainte
conscience de l’importance de l’écoute dans cette prise en charge, à la fois pour mettre en
confiance le patient et à la fois pour valider les arguments fonctionnels/ organiques dans
leur démarche diagnostique.
UMS 28 qui nous demande par contre là un travail d’écoute (sonnerie de téléphone) et de
compréhension. (67, 68)
UMS 104 être dans l’écoute de la plainte. (253, 254)
UMS 118 j’insisterais surtout sur l’écoute plus importante. Quand ce type de patient arrive et
qu’on se retrouve de nouveau dans une consultation avec une plainte floue, on va devoir faire
un effort plus important d’écoute, ça c’est sur. (263, 265)
+UMS 114, 124, 130
1.1.3. Une plainte vraie
Les médecins s’attachaient à vouloir resituer cette plainte dans une réalité, à ne pas croire
que cette plainte est fictive parce qu’elle ne correspond pas à la norme.
UMS 105 la prendre en considération. (254)
UMS 106 même si elle est floue elle existe. (Dr3 hoche tête)
1.1.4. Une plainte remise dans son contexte
Les médecins semblaient vouloir s’attacher dès le départ à replacer la plainte dans un
contexte socio familial. Evidemment cette notion prend son ampleur dans la prise en charge
au long cours mais a un sens dès l’accueil de la plainte.
UMS 108 explorer le contexte. (255)
UMS 112 où est-ce qu’il en est dans son parcours de vie. (258)
22
1.1.5. Resituer l’attente du patient
Il paraissait important pour les médecins généralistes de resituer l’attente du patient qui
vient « offrir » sa plainte. Avant même de chercher à s’enquérir du sens que le patient peut
avoir à donner à sa plainte, il semble important de définir l’attente qu’il a de venir la livrer.
Cela pour cheminer avec le patient et l’aider au mieux et pour ne pas s’éparpiller dans nos
considérations nosologiques habituelles.
UMS 130, 131, 132
UMS 133 Est-ce qu’il souhaite un diagnostic ? (282)
UMS 134 est-ce qu’il souhaite être rassuré ? (283)
UMS 135 est-ce qu’il souhaite être soulagé ? (283)
UMS 139 j’aime bien aussi savoir justement ce qu’attend le patient dans sa démarche de
venir nous consulter par rapport à cette plainte floue. (286, 287)
1.2. La place de l’examen clinique
Dans la démarche diagnostique, les médecins appuyaient sur l’importance d’un examen
clinique minutieux. Cet examen reste la signature d’un acte médical sûr et maîtrisé et
permet d’asseoir à la fois pour le médecin et pour le patient les décisions ultérieures.
UMS 96, 172
UMS 178 ce qui parait essentiel oui, c’est quand même l’examen clinique, ne pas faire
l’économie de cet examen. (Dr4 et 5 hochent tête) (333, 334)
UMS 179 c’est rassurant pour le patient. (Dr6 hoche tête vivement) (336)
UMS 180 ça aide à asseoir ensuite après sa décision. (336, 337)
1.3. Les examens complémentaires
La place des examens complémentaires était difficile à définir pour les médecins. Ils
paraissaient indispensables ; notamment dans la contribution à ne pas « passer à côté » de
quelque chose et pour crédibiliser leur rôle dans la prise en charge.
Mais là où la définition devenait ténue et difficile est quand on touchait au but précis de ces
prescriptions qui sont hors protocoles, encore une fois, en dehors des cadres nosologiques
habituels.
23
Jusqu’ou faut-il prescrire ? Pour qui et pour quelles raisons ? Plusieurs idées se
mélangeaient ici commençant dès lors à montrer la difficulté de prise en charge de ces
patients.
1.3.1. Dans le bilan médical, à la quête de l’ « organique ».
A) Initialement
Dans la prise en charge initiale il paraissait évident de prescrire quelques examens de
débrouillage.
UMS 120 je reprends tout à zéro : les antécédents, les traitements, les examens
complémentaires. (266, 267)
UMS 121 faire appel effectivement à la biologie, à un spécialiste pour éliminer une origine
organique. (267, 268)
+UMS 96, 136, 158, 280
B) Dans la réévaluation de la situation
Les médecins gardaient en tête comme déjà exprimé plus haut, que les patients porteurs de
symptômes fonctionnels peuvent aussi avoir une pathologie organique un jour et se
servaient donc des examens complémentaires, régulièrement comme « ré évaluateurs »,»
qu’ils trouvaient fiables.
UMS 93 peut-être remettre le nez dans le dossier pour voir si on a vraiment tout exploré et si
on n’a pas une autre idée. (238, 241)
+UMS 90, 95, 117,
1.3.2. Dans la réassurance
A) Pour le patient
A tort ou à raison les généralistes pensaient que faire des examens complémentaires rassure
le patient.
UMS 123 voire pour rassurer le patient. (268)
B) Pour le médecin
En effet, les médecins ont exprimé qu’ils cherchaient à se rassurer face à ces plaintes floues
en prescrivant des examens complémentaires qui permettent de les conforter dans leur
impression de pathologie fonctionnelle et de lever une part d’angoisse.
UMS 147 je les ai tous bilantés, rebilantés. (301)
UMS 149 plein de fois parce qu’il y avait plein de plaintes. (301, 302)
24
UMS 150 je me disais oulala ils doivent avoir une pathologie grave, il faut que je trouve. (302,
303)
1.3.3. Jusqu’où ?
Des plus prescripteurs :
UMS 147 je les ai tous bilantés, rebilantés(301)
+UMS 149
Aux moins :
UMS 295 Je m’évertue même à ne rien leur prescrire (548)
La juste mesure semblait difficile à définir…
1.3.4. Pourquoi ?
Evidemment nous l’avons vu, la plupart du temps ces prescriptions cherchaient à définir le
trouble comme étant fonctionnel, à donner des arguments scientifiques.
 Parfois, il a été avoué que la prescription d’examen complémentaire (tout comme une
prescription médicamenteuse) est utilisée dans un but stratégique pour gagner du
temps, mettre terme à une consultation qu’ils jugent sans issue et qu’ils n’arrivent pas à
gérer . Nous sommes bien ici dans l’aveu même de la difficulté rencontrée dans la
gestion de ces patients.
UMS 265 Mais je n’arrive pas à couper court donc je dis ben tiens : on va faire une radio. (488,
489)
UMS 267 pour couper court parce que je suis en retard. (491)
UMS 268 parce que j’arrive plus à écouter. (491)
UMS 281 sachant très bien que ça n’amènera plus rien mais pour avoir entre guillemets la
paix, quinze jours, trois semaines. (508, 509)
 On retrouvait également la notion de difficulté à ne pas prescrire du fait de notre
apprentissage médical : un problème/une solution qui passe bien souvent par
l’ordonnance.
UMS 270 c’est pas si simple justement de de d’aider sans prescrire. (494)
UMS 302 C’est pragmatique, ça rentre bien dans mon format que j’ai appris aux urgences : un
problème : une solution, bonne ou mauvaise mais une solution à la suite du problème euh…ça
c’est par rapport à la prescription. (572, 574)
25
UMS 322 on a été formaté en effet à un problème, une solution. (Sirènes d’ambulance) Et
pour ces patients là ça marchera jamais comme ça, (622, 623)
Il est à noter, fait important, que ces mêmes prescripteurs « abusifs » discréditaient
immédiatement leur acte. Ils avaient conscience de ne pas trouver ici de solutions. D’autres
bannissaient la surenchère des prescriptions et trouvaient que cela est une entrave à la
bonne prise en charge.
UMS 269 Ecoutez je vais faire une ordonnance, un examen complémentaire, un traitement et
puis on reverra ça. Et ça ne me satisfait pas. Je trouve pas que je sois très compétente quand
je réagis comme ça. (492, 493)
UMS 298 je pense qu’il ne faut pas être là dedans, parce qu’après on s’en sort plus… (553,
554)
+UMS 195, 301
1.4. Les avis spécialisés
On remarque que l’usage du spécialiste se fait un peu comme celui des examens
complémentaires, c'est-à-dire dans une démarche diagnostique, de remise en question, de
réassurance.
Les spécialistes qui ont été évoqués sont les rhumatologues, les gastro-entérologues et les
psychiatres.
A noter que pour le psychiatre l’avis demandé n’est pas seulement à visée consultative mais
aussi thérapeutique.
UMS 100 en rhumato, en gastro on va observer beaucoup de plaintes fonctionnelles ce qui
rassurera le patient au moins pour un temps si il n’y a pas de pathologie organique. (247,
249)
UMS 239 On lui a forcément proposé de rencontrer un confrère psychiatre. (455, 456)
+UMS 99, 102, 121, 126, 137, 148, 168, 240, 349
2. A propos du discours, de l’attitude face au patient
Cette facette a été assez peu abordée spontanément entre les interviewés mais quelques
points transparaissaient tout de même.
2.1. Le poids de la parole
Dans le discours des médecins généralistes interrogés on retrouvait l’idée que leur parole
face au patient possède un « pouvoir » qui permet de rassurer le patient.
26
UMS 174 en disant « écoutez, y’a pas de chose grave aujourd’hui. (328)
UMS 159 à 162 je sais un petit peu plus comment ils fonctionnent , je sais ce qu’ils attendent
de moi, et je pense notamment à une patiente qui revient très régulièrement avec de
multiples plaintes voilà et elle attend que je dise « ce n’est pas grave, ce n’est rien, vous êtes
angoissée, c’est pour ça que ça va pas » et quand j’ai dit ça elle va mieux. (310, 313)
UMS 243 on lui dit c’est rien, ça va, tout va bien se passer. (459)
Il faudrait ici se réinterroger sur le poids du « ce n’est rien » en réponse à une réelle
souffrance et repeser ici le poids de la parole.
UMS 138 le patient attend en quelque sorte qu’on lui dise que c’est pas ça et ça suffit peutêtre pour l’emmener un peu plus loin sans mettre en place autre chose. (286, 287)
On se rapprochait ici de la fonction médecin médicament de Balint clairement énoncée.
UMS 251 mais à partir du moment où on s’est identifié comme étant dans la fonction de
balint c'est-à-dire du médecin médicament (Dr8 et Dr2 hochent tête), médecin fonction qui
est là. C’est pas des consultations si difficiles que ça. (473, 475)
+UMS 288, 289
2.2. Une aversion face au sentiment d’échec.
Les médecins qui ne trouvaient pas leur compte dans ce type de relation et surtout qui
avaient l’impression que le patient n’y trouve pas le sien pouvaient avoir une attitude directe
pour les renvoyer vers un autre confrère.
UMS 184 poser la question écoutez je sais pas trop : qu’est-ce que vous attendez de moi ?
(355, 356)
UMS 187 sinon il vaut mieux voir un confrère. (357)
UMS 188 je n’arrive pas à vous aider. (38, 359)
+UMS 185, 186, 189
3. A propos de l’attitude thérapeutique
3.1. Une prise en charge globale
Les médecins s’accordaient à dire que cette prise en charge ne pouvant se baser sur
l’organique relève d’une prise en charge globale. Qu’est-ce que cela sous tend ?
UMS 113 avoir une approche globale. (258)
UMS 343 on est dans le soin. Dans le soin total : (.) organique, psychologique (650)
27
3.1.1. Etre dans l’écoute active centrée sur le patient.
L’écoute est un terme très employé à travers le discours des interviewés. Nous nous en
étions déjà rendu compte dès l’approche du diagnostique.
Au-delà, les médecins avaient conscience que cette écoute si elle est active, c'est-à-dire dans
la recherche de la signification de la plainte, requiert en soi un véritable salut thérapeutique.
Ils visaient ainsi à entrer dans la dimension psycho-socio-familiale du patient pour mieux
comprendre la plainte, les retentissements éventuels dans les différentes dimensions de la
vie du patient pour aider le patient avec tous les éléments en main.
UMS 109 essayer de comprendre ben pourquoi il y a cette plainte. (256)
UMS 110 et pourquoi il y a récurrence de cette plainte. (256, 257)
UMS 128 Il faut passer deux ou trois consult à questionner vraiment la personne (Dr2 hoche
tête) sur son histoire de vie parce que généralement quand on pioche on trouve. (rire) (273,
275)
UMS 131 être à l’écoute de sa réelle demande au-delà de cette plainte floue. (281, 282)
UMS 140 j’aime bien aussi dans ma démarche, c’est de m’enquérir du sens que le patient
donne à sa plainte. (289, 290)
+UMS 104, 108, 111, 112, 114, 123, 124, 141, 142, 326, 360
3.1.2. Etre dans la réassurance
Les médecins là encore avaient conscience du poids de leur parole et employaient la
réassurance comme moyen thérapeutique après avoir évalué le contexte et les
retentissements de la plainte sur la vie quotidienne.
UMS 107 être dans la réassurance. (255)
UMS 162 et quand j’ai dit ça elle va mieux. (313)
+UMS 170, 171, 173
3.1.3. Accompagnement/dimension relationnelle du soin
Là encore dans le souci d’une approche globale, certains médecins soulignaient l’importance
du cheminement avec le patient en essayant de le mener vers l’autonomie mais en
avançant à ses côtés, sans le brusquer et en tirant enseignement de ce qu’il vient livrer.
L’ampleur de la dimension relationnelle du soin prenait tout son sens ici. Plus il est dépourvu
de ces armes thérapeutiques habituelles plus le médecin avance dans cette relation de soin.
28
UMS 143 le diagnostic qu’il en fait nous aide aussi. (292)
UMS 199 mais la démarche elle est la même, mais c’est vrai que justement l’implication
relationnelle va être plus forte. (369, 370)
UMS 200 si on considère que c’est un patient comme un autre mais que justement (.) la prise
en charge relationnelle va compter d’autant plus qu’on est démuni sur le plan traditionnel
c'est-à-dire thérapeutique. (370, 372)
UMS 363 accompagnement également sur son histoire de vie. (684, 685)
UMS 103, 105, 125, 169
3.2. Les traitements médicamenteux
Le rôle du traitement médicamenteux n’a pas été très exprimé spontanément dans leur
prise en charge ou quand il l’était, il l’était de manière assez péjorative à l’exemple des
examens complémentaires, comme une sorte de mea culpa.
3.2.1. Les traitements symptomatiques
Ils ont été évoqués comme arme thérapeutique
UMS 175 on va traiter de manière symptomatique ».» (328)
Mais avec un constat d’échec
UMS 327 la fonction (.) du médecin qui soigne et qui trouve une solution (sonnerie de
téléphone) et qui trouve un diagnostic et un traitement là est différente puisque à ce moment
là je pense que la réponse sera pas comme je le fais malheureusement des fois un traitement
parce que la preuve est qu’ils reviennent malgré ce que l’on a prescrit. (628, 632)
Déjà ici au-delà du constat d’échec d’une prescription symptomatique on retrouve le
« malheureusement » comme si il était honteux d’essayer un traitement pour aider le
patient porteur de plaintes floues. Cela avait l’air considéré comme une solution de facilité.
3.2.2. Les traitements anxiolytiques
Ils ont été abordés dans le cadre précis de patients identifiés comme porteurs de troubles
anxieux et/ou dépressifs.
UMS 238 on a proposé un traitement anxiolytique si c’est une personne dépressive ou
anxieuse. (454, 455)
29
3.2.3. Le traitement médicamenteux à proscrire
En effet, les médecins parlaient avec beaucoup de réserves des traitements médicamenteux
concernant ce type de patient. Il parait presque inavouable de prescrire dans ces
circonstances.
A) La non-prescription en sacerdoce
Certains trouvaient une place quasi thérapeutique dans la non prescription.
UMS 295 Je m’évertue même à ne rien leur prescrire. (548)
UMS 296 à arrêter certains médicaments parce que moins y’en a mieux c’est. (549)
UMS 297 moi y’a plusieurs personnes avec des plaintes floues que je vois souvent et qui
ressortent avec rien et euh je pense que… et ils reviennent me voir c’est que…
M : c’est que quelque part tu réponds à leur attente… (550, 552)
D’autres redoutaient par là l’escalade thérapeutique qui peut être néfaste dans le suivi de
ces patients qui peuvent se dire que, puisque le médecin continue d’essayer des
traitements, c’est bien qu’il y a quelque chose à guérir.
UMS 195 et 196 parce qu’on est après dans la surenchère ou thérapeutique ou d’examens
complémentaires et parfois dans l’impasse. (366, 367)
+UMS 298
B) La prescription : une stratégie d’adaptation ou une conduite
d’évitement ?
Certains médecins « avouaient » prescrire un médicament (en parallèle avec la prescription
d’examens complémentaires) pour pouvoir se dégager de la consultation, y trouver une fin
car ils n’arrivent pas à gérer la consultation, leur temps, leurs explications… ils disent alors
savoir que la prescription ici est une erreur.
UMS 263, 264
UMS 266 Je prescris un médicament sachant très bien qu’il n’aura pas d’efficacité parce que X
traitements ont été essayés. (490, 491)
UMS 267 pour couper court parce que je suis en retard. (491)
UMS 268 parce que j’arrive plus à écouter. (491)
Avec la résultante d’insatisfaction :
UMS 262 du coup des fois je ne suis pas satisfaite de ce que je fais. (486, 487)
+UMS 269, 287
30
Cette attitude qui n’est pas partagée par tous n’est pas interprétée de la même manière.
Certains y voyaient une conduite d’évitement permettant dans l’incompétence de la gestion
de ces consultations de pouvoir clore la séance jusqu’à la prochaine fois.
UMS 294 une fois que j’ai fait mon bilan et tout ça après, y’a aucune raison d’être dans les
conduites d’évitement. (Dr7 semble étonné). (547, 548)
D’autres avaient conscience que cette attitude n’est pas satisfaisante pour le prescripteur et
y voyaient simplement une aide, une stratégie pour les jours où la masse de travail est
élevée, pour pouvoir rester en adéquation avec un quotidien difficile.
UMS 299 je crois pas que ce soit une conduite d’évitement, je crois que c’est plus une
stratégie pour rester en adéquation avec un emploi du temps sans se faire déborder. (Dr4 et
Dr2 hochent tête). (560, 561)
UMS 300 pour ceux qui ont exprimé cette stratégie elle n’est pas constante et quand ils ont le
temps ils le prennent. (562, 563)
UMS 301 Et ce n’est pas satisfaisant. (563)
On voit bien à travers ce chapitre une question poindre à propos de ces traitements :
peuvent-ils aider ? Jusqu’où ? Dans une prescription maitrisée ?
On sent bien ici que les limites ne sont pas protocolisées et que les médecins ne savaient pas
toujours où poser la limite entre l’aide possible et la surenchère nocive.
III. Une consultation
généralistes
difficile ?
Ressentis
des
médecins
En premier lieu, à la question « est-ce une consultation difficile ? » les médecins généralistes
s’accordaient à répondre oui.
UMS 207 ce sont des consultations difficiles. (411)
+UMS 202, 215, 228, 229, 246, 260
A une nuance près :
UMS 257 c’est pas simple mais j’ai pas obligatoirement cette position tranchée : c’est
toujours difficile. (480, 481)
Pourquoi ?
31
1. Une consultation difficile à intégrer dans un quotidien
1.1. Une consultation chronophage
C’est une idée qui revenait parmi les médecins interrogés. Ils exprimaient le fait que ces
patients leur prennent beaucoup de temps dans leur quotidien et viennent perturber un
emploi du temps déjà surchargé.
UMS 129 Après c’est vrai que c’est du temps, c’est toujours le même problème en médecine
générale : il faut consacrer du temps. (275, 276)
UMS 261 ce qui m’est difficile donc : essentiellement la gestion du temps de ces consultations
là. (485, 486)
+UMS 156, 204, 210, 211, 216, 247, 256, 261, 272, 273, 274, 278, 291, 310, 311
Quelques stratégies sont évoquées pour tenter de remédier à cette difficulté.
 Apprendre à cadrer le patient, limiter le nombre de plaintes évoquées et resituer la
consultation dans l’essentiel :
UMS 201, 205, 307, 312
UMS 286 y’a des fois on arrive à cadrer un petit peu les choses. (516)
UMS 308 je pense qu’il faut les éduquer un petit peu et c’est difficile en disant maintenant
j’arrive à poser cette question là : qu’est-ce qui vous gène le plus ? (Dr3 hoche tête) ? (594,
596)
UMS 309 pour essayer de prioriser (insiste sur ce terme), parce que souvent on est noyé. (596,
597)
 Une technique d’ordre pratique, c'est-à-dire doubler le temps de consultation pour ces
patients
UMS 279 Ca m’arrive des fois de bloquer une deuxième consultation quand je vois certains
noms parce que sinon je sais que si c’est en début de journée ça va me me flinguer mon
timing quoi…donc…voilà. Mais c’est difficile en effet surtout pour la gestion du temps pour
moi. (502, 505)
+UMS 284, 368
 Une technique d’évitement qui consiste à volontairement ne pas aller toucher le fond du
problème pour ne pas partir dans une consultation interminable.
UMS 271 Et parfois je sais très bien que ce qu’il faudrait que je fasse c’est de creuser plus.
(494, 495)
32
UMS 273 et parfois en fait je me dis : ne pose pas la question « comment va votre mari ? »ou
(Dr7 et Dr6 sourient + hochent tête) parce que je sais que je vais partir dans une consultation
interminable. (496, 498)
+UMS 272, 276, 277, 282
1.2. Une consultation fatigante
Les médecins constataient que ce genre de consultations leur prend beaucoup d’énergie.
UMS 202 c’est usant ces consultations. (402)
UMS 283 je trouve ça fatiguant nerveusement, c’est épuisant en fait. (511, 512)
1.3. Une consultation difficile avant et après.
Les médecins exprimaient l’idée, pour ceux qui connaissent leur patient, qu’ils anticipent la
consultation. Ils y pensent avant, présupposent l’angoisse du retard qu’ils peuvent prendre,
etc. et en pensant à l’après quand il faudra enchaîner la journée.
Dans ce discours, ce type de consultation avait réellement l’air de peser comme un fardeau.
UMS 206 après c’est toute la matinée qui est difficile, faut s’en remettre, on y pense, faut se
concentrer. (408, 409)
UMS 213 Et donc en plus y’a cette phase d’anticipation (sourire Dr4) avant qui fait que parfois
quelques consultations avant on commence déjà à penser au patient. (417, 418)
+UMS 211, 212, 214
2. Une consultation angoissante
 Les médecins évoquaient le caractère angoissant de ces consultations en particulier à
cause de la peur de passer à côté de quelque chose de grave somatiquement. Cette
angoisse est renforcée par l’impression parfois de ne pas réussir à gérer la consultation
(notamment au niveau du temps comme évoqué plus haut).
UMS 44 l’éternel (voix augmentée de volume) soucis c’est de ne pas passer à côté ; là j’en ai
une jeune actuellement, de ne pas passer à côté d’une pathologie organique. (96, 97)
UMS 145 quand je me suis installée ça m’angoissait énormément des patients qui venaient
comme ça avec de multiples plaintes. (298, 299)
+UMS 86, 116, 150, 157, 177
33
 De plus les médecins soulignaient la difficulté d’avoir à gérer dans le même temps les
problèmes somatiques chroniques dont ces patients sont porteurs parfois. Ils pointaient
ici la difficulté de ne pas s’éloigner de ce rôle là aussi.
UMS 234 C’est difficile dans le sens aussi où quand il faut se concentrer sur un problème euh
parce que le patient il arrive avec une plainte floue mais à coté de ça il peut avoir d’autres
maladies qu’il faut gérer, si il a un diabète, si il a un suivi particulier. (Dr3 hoche tête) (439,
441)
+UMS 250, 256
 Il a été évoqué d’essayer tant que possible de se rassurer dans sa fonction de soignant.
Cela en faisant le constat de la fidélité du patient qui revient, parfois satisfait, même si il
reste difficile d’être totalement comblé en tant que thérapeute.
UMS 304 : Pour pas trop stresser en fin de consultation avec ce type de patients moi je me dis
souvent : toi tu es déçu de ta consultation mais le patient lui il est pas déçu. (581, 582)
UMS 306 Ça permet aussi de se… comment dire, d’enlever un petit peu d’angoisse, de se dire
ben quelque part le patient lui est content. Ca m’est arrivé souvent d’avoir des patients qui
me disent, ça m’a fait du bien la consultation la dernière fois alors que j’avais l’impression de
l’avoir loupée quelque part en fait je ne l’avais pas si loupée que ça. (583, 586)
UMS 254, 305
3. Une sensation de mise en échec, de frustration
Les attentes des patients et surtout leur réponse à ces attentes ne pouvant correspondre au
cadre habituel les médecins avaient la sensation de ne pas trouver de solution et se disaient
être mis en échec.
Cette sensation rend difficile à vivre ces situations et a pour conséquence une frustration
latente.
 Les médecins supportaient mal le sentiment de n’avoir pas soulagé le patient malgré la
sensation d’avoir fait une consultation ordonnée et correcte. On sent qu’il était difficile
pour certains de ne pas avoir le contrôle sur la situation, de ne pas réussir à diriger la
consultation.
UMS 40 ça me pose un problème dans le déroulement d’une consultation qui est floue. (88,
89)
UMS 41 (voix amusée) vous n’écoutez jamais docteur quand on vous parle. (93)
UMS 42 sentir que le patient est frustré. (93, 94)
34
UMS 48 Mais le fait de ne pas avoir dirigé la consultation au début alors éventuellement pour
explorer une plainte floue et puis partir sur un renouvellement de traitement etc., la cheville
on a vu ok il y avait trois points à voir et puis et puis on n’a pas fait ce que le patient
attendait. (voix amusée). (102, 104)
 Par ailleurs, les médecins exprimaient sans détour le sentiment de mise en échec, voire
de rentrer dans un cercle vicieux.
UMS 82 qui nous mettent en échec. (362 (203)
UMS 191 mais ils nous mettent en échec régulièrement (362)
UMS 192 alors ça devient difficile à vivre parfois. (rire) (362, 363)
UMS 197 le sentiment d’échec vient nous donner pour ces patients là souvent une aversion.
(367, 368)
UMS 317 c’est un échec parce qu’on trouve jamais la solution. Pas satisfaisant, on aimerait
trouver mais on ne trouve pas… (609, 610)
UMS 316 ils reviennent donc ils sont contents mais ils ont toujours la même plainte donc c’est
un cercle vicieux. (608, 609)
+UMS 188,194, 208, 218, 220, 221, 256, 313, 315, 319
4. La remise en question : une difficulté qui pourrait prendre la forme
d’une solution
 Les médecins ont parlé de la remise ne cause de leurs fondamentaux comme d’une
difficulté :
UMS 115 se remettre en cause. (260)
UMS 209 une remise en question à chaque fois. (413, 414)
UMS 219 qui nous obligent à nous remettre en question. (423)
+UMS 226, 324, 327, 330, 355
 Mais dès lors ne commençaient-ils pas à trouver des solutions pour la prise en charge de
ces patients ?
Ils exprimaient bien que nous devons ici faire le deuil de la solution salvatrice avec nos
acquis facultaires. Ils pressentaient qu’il faille se mettre dans une démarche habituelle
en privilégiant l’abord relationnel pour ne pas avoir ce sentiment d’échec qui vient alors
comme une entrave à la prise en charge.
35
UMS 323 à partir du moment où on l’a compris. Que on ne le guérira pas, qu’on trouvera pas
le traitement qui va et que on sera en échec par rapport à notre médecine traditionnelle que
l’on a appris à la fac et à l’hôpital. (623, 625)
+UMS 200, 249, 251
5. Une consultation qui sort du cadre
Les médecins entendaient ici le cadre appris à la faculté et à l’hôpital.
 Il a été mis en exergue la difficulté d’aborder cette consultation par la personne. Il faut
aborder une globalité et non pas un symptôme.
UMS 245 c’est difficile parce qu’à chaque fois il faut ré aborder la…la personne. (463, 464)
+UMS 227
 Les médecins trouvaient difficile le fait de rester clairs face à ces plaintes.
UMS 229 C’est difficile car tout devient flou. (435)
UMS 230 C’est flou pendant., (435)
UMS 231 ça peut être flou après. (435, 436)
+UMS 292
 Comme souligné plus haut, les médecins trouvaient difficile de ne pas avoir forcément à
trouver de réponse, et notamment ne pas passer par la prescription.
UMS 270 c’est pas si simple justement de de d’aider sans prescrire. (494)
+UMS 302, 322, 327
 Et comme corolaire, ils trouvaient compliqué de ne pas avoir de conclusion claire et
définie à la consultation.
UMS 217 c’est des consultations qui n’arrivent pas à des conclusions simples. (421, 422)
UMS 232 Notre réponse aussi à la fin de la consultation, peut être pour certaines
consultations, devient floue. (436, 437)
UMS 233 parce qu’on propose pas forcément, enfin à chaque fois des choses concrètes à la
personne à part lui dire de revenir dans un mois et puis on verra. (437, 438)
+UMS 235, 244
36
6. Face à eux même
Les généralistes trouvaient que les plaintes pouvaient paraître plus ou moins floues ou plus
ou moins faciles à gérer selon différentes variables inhérentes à leur état ou personnalité, ou
bien encore leur expérience.
6.1. Leur état de fatigue
Le degré de fatigue accumulée et la difficulté des consultations précédentes semblaient
jouer un rôle dans l’interprétation et la gestion de ces plaintes.
UMS 71 Je dirais que le côté flou aussi peut être majoré par la lucidité du médecin. (Dr2
amusé, sourit)
UMS 76 donc enfin je sais pas je pense que ça nous arrive à tous (Dr7 et Dr8 hochent tête)
quand on sort d’une consultation difficile et qu’on renchaine sur une autre on est… on est
peut être pas très vigilant. (191, 193)
UMS 222 C’est des consultations que moi j’aime bien avoir en début de journée qu’en fin de
journée parce que moi, je me trouve plus performant en début qu’en fin de journée, et ce sont
des patients qui sont encore dix fois plus difficiles en fin de journée. (424, 426)
+UMS 256, 248, 285
6.2. Leurs limites en tant que médecin
Les médecins ont souligné le fait que chacun en tant que médecin et humain n’a pas
forcément la même capacité à accueillir ces plaintes, les entendre et y répondre.
UMS 365 chacun se positionne une peu…y’en a qui auraient pu faire de bons psys d’autres de
bons réa cardio, bon, on n’a pas tous les mêmes profils. (687, 689)
+UMS 344
6.3. Leur expérience
Un débat s’est ouvert autour de l’expérience du médecin généraliste et en quoi il pouvait
l’aider à gérer ces consultations.
Les médecins pensaient que l’expérience et la connaissance de ces patients est une aide
précieuse.
UMS 163 je pense que au bout de 15 ans, 20 ans, on doit encore mieux connaitre les gens, et
ça nous aide. (314, 415)
37
UMS 166 je pense que l’expérience du médecin de famille l’aide peut être à gérer mieux ce
genre de patient, (318, 319)
UMS 223 L’expérience ça peut être intéressant pour mieux gérer ce type de patient quand on
les connait vraiment régulièrement. (428, 429)
+UMS 146, 154, 155, 320
Cependant même si la connaissance des patients était admise comme étant effectivement
une aide à la gestion de la consultation et à la facilité de faire la part des choses ; en
revanche l’expérience en tant que telle ne paraissait pas permettre de rendre plus simple
ces consultations avec de nouveaux patients.
UMS 224 même si on est installé depuis 20 ans on aura toujours un nouveau patient qui va
arriver (Dr3 hoche tête) parce que justement le confrère d’à coté en aura ras le bol. (429, 431)
UMS 225 on va se retrouver dans la même situation, même avec notre expérience on aura des
difficultés parce qu’on aura un nouveau patient flou. (431, 432)
6.4. Leur manque de formation
Il a été évoqué les difficultés liées au fait que nous ne sommes pas formés, à la faculté
comme à l’hôpital, à affronter ce type de patients.
UMS 339 Dr2 disait par rapport à notre formation facultaire qui est quand même centrée sur,
je dirais, la pathologie et le traitement de la pathologie. C’est vrai qu’on observe bien, des
carences de formation dès le début de nos études médicales au relationnel et à ce genre de
plaintes. Bien évidemment, étant à l’hôpital, c’est pas le lieu. (643, 646)
UMS 345 Effectivement la formation à la faculté, à notre génération, ça se faisait pas trop.
On nous forme pas pour ça je pense. (652, 653)
+UMS 203
7. Une consultation qui peut être gratifiante
Il est une nuance à apporter à ce flot d’arguments exprimant les difficultés rencontrées
pendant ces consultations. La difficulté majeure étant d’identifier et trouver sa place dans
cette consultation/relation.
Il a été exprimé que, quand cette place est trouvée et identifiée, la satisfaction d’arriver à
stabiliser ces patients est grande et gratifiante. Pour cela il faut avoir admis de ne pas se
positionner en tant que résolveur du problème mais bien en tant que miroir de ce dernier.
UMS 251 Mais à partir du moment où on s’est identifié comme étant dans la fonction de
Balint c'est-à-dire du médecin médicament (Dr8 et Dr2 hochent tête), médecin fonction qui
est là. C’est pas des consultations si difficiles que ça. (473, 475)
38
UMS 258 on peut être dans le plaisir parce qu’on a des patients qu’on stabilise. (481, 482)
UMS 259 on est dans une situation je dirais de relation d’aide plutôt gratifiante. (482, 483)
+UMS 249, 252, 253, 257
IV. La fonction de médecin généraliste face à ces patients,
représentations des médecins
1. Une fonction bien assumée
Au cours du discours, la fonction du généraliste dans la prise en charge de ces patients est
apparue entièrement assumée et à propos. Les médecins généralistes ont à mettre à
l’épreuve ici leurs compétences requises. La responsabilité de ces patients semblait bien
être à leur charge sans chercher à la diluer.
UMS 334 On est vraiment dans les compétences que le médecin généraliste doit maitriser.
(638, 639)
UMS 338 Et dans le cadre d’une plainte fonctionnelle on est tout à fait à notre place pour la
prendre en charge. (642, 643)
UMS 342 on est vraiment dans notre identification de médecin. (649)
UMS 379 On est vraiment dans le cadre médical et personne d’autre n’a cette place là. (721)
+UMS 255, 341, 348, 359, 364, 368
2. Une fonction identifiée comme différente
La fonction en tant que médecin généraliste était vécue comme à envisager différemment
de celle assumée auprès des autres patients.
UMS 321 je pense que je la (la fonction de généraliste) vois différemment des autres patients
plus « normaux » entre guillemets. (reste de l’assistance amusée) (621, 622)
+UMS 326, 327
3. Une prise en charge globale
Il semblait important pour les interviewés de souligner le fait que cette prise en charge, plus
que les autres, est une prise en charge globale du patient imposant ce qu’ils nommaient le
« soin total ».»
39
UMS 343 on est dans le soin. Dans le soin total : (.) organique, psychologique. (650)
UMS 362 notre rôle de soignant, la prise en charge globale de son patient, (683, 684)
 Qui assume la prise en charge psychologique
UMS 318 ça fait partie de notre travail, la partie psychologie, écoute donc là de ce côté-là y’a
pas de soucis. (614, 615)
 Et la partie organique ou autre
UMS 361 rester dans un rôle un petit peu plus médical entre guillemets en vérifiant l’absence
d’organicité et en se remettant en cause régulièrement par rapport à ça. (682, 683)
+UMS 86, 87, 380, 387, 389
Et ce dans le chronique ou l’aigu, avec les problèmes abordés le jour J et les pathologies à
gérer au long cours.
UMS 234 C’est difficile dans le sens aussi où quand il faut se concentrer sur un problème euh
parce que le patient il arrive avec une plainte floue mais à côté de ça il peut avoir d’autres
maladies qu’il faut gérer, si il a un diabète, si il a un suivi particulier. (Dr 3 hoche tête) (439,
441)
4. Une prise en charge dans l’humilité
Aborder le patient avec humilité, en attendant de voir ce qu’il vient offrir comme plainte est
une notion retenue par les médecins.
UMS 331 rester humble par rapport au malade. (633, 64)
+UMS 325
Ce qui va de paire avec une notion déjà retenue plus haut, à savoir la remise en question de
la démarche habituelle et des repères nosologiques encrés.
UMS 324 je pense qu’il faut se remettre en question par rapport à sa fonction de médecin.
(626)
+UMS 115, 209, 219, 327, 330, 355
5. Une médecine de premier recours…
Les généralistes assumaient bien leur fonction de premier recours et en profitaient pour
insister qu’ils sont donc en première ligne pour accueillir et gérer ces patients.
UMS 336 Le premier recours puisque c’est nous les premiers à recueillir ces plaintes. (639, 640)
40
6. et de dernier recours.
L’idée a été exprimée que finalement ces patients reviennent toujours vers le médecin
généraliste pour centraliser les informations. Le rôle du médecin est donc aussi celui de
garde fou vis-à-vis de l’escalade thérapeutique.
UMS 370 j’ai entendu parler qu’on était souvent les premiers recours mais on est souvent
aussi les derniers recours. (Dr3 et 4 hochent tête) (703, 704)
UMS 371 quand nous on aura envoyé chez tous les spécialistes, enfin je dis tous les
spécialistes : chez les spécialistes où on pensait avoir une solution et qu’il n’y aura pas
forcément de solution. C’est vers nous que le patient va revenir et c’est nous qui allons
l’accompagner. (705, 707)
UMS 372 on est un peu le chef d’orchestre de leur plainte, du patient et de ce que nous aurons
apporté aussi les différents examens. (708, 709)
7. Suivi au long cours
Le rôle de suivi des patients a été évoqué dans le discours. On rejoint ici l’idée évoquée plus
haut que la connaissance de ces patients au cas par cas et dans le temps favorise leur prise
en charge. Mais en est-il autrement pour les autres patients ?
UMS 340 Mais on est vraiment privilégié dans cette prise en charge de ces patients de part ça
et de part le fait qu’on les suit au long cours. (646, 647)
8. Un abord neutre
Les médecins ont souligné l’importance d’un abord neutre, sans préjugé dans l’accueil de ce
type de patient. Il a été noté que ceci s’intègre dans notre formation de médecin.
UMS 391 on est tous à peu près formés à pas juger. (739)
UMS 392 aider d’une manière neutre. (743)
9. Etre disponible, dans l’écoute…
Les médecins ont soulevé que leur fonction dans cette prise en charge passait de façon
évidente par l’écoute, la disponibilité.
UMS 328 Je pense que la fonction c’est en effet l’écoute. (632)
UMS 332 même si on le guérit pas, on est là pour lui, la porte reste ouverte. (634)
UMS 333 même si on n’est pas satisfait ils reviennent quand même donc je pense qu’on les
aide en étant disponible. (635, 636)
41
UMS 352 Le rôle du médecin ben pour moi c’est principalement l’écoute. (670)
+UMS 314, 329, 360, 393
10. … mais jusqu’où ? Où s’arrête la fonction du médecin ?
 Les médecins ont relevé une réalité sociale qui pourrait expliquer selon eux en partie
l’importance du rôle d’écoute quotidien.
Ils ont relevé que les familles sont plus éclatées, les curés et la confession voués à
disparaître dans la vie des gens et que de ce fait ils restent les seuls à qui on peut
raconter sa vie sans préjudice et jugement.
UMS 303, 351, 366, 367, 388, 390
UMS 350 les gens viennent se plaindre à nous mais on est …enfin y’a des plaintes aussi qui ne
sont pas d’ordre médical je pense. Et que avant les gens ils allaient voir leur curé, ils se
plaignaient au curé et ça allait mieux donc (rire Dr4). J’ai pas mal remplacé dans les régions
ou les gens étaient très croyants, ils allaient à la messe, ils allaient à confesse et tout ça…
(659, 661)
UMS 356 de plus en plus les patients on peu de personnes qui les écoutent. Le mari est
absent, les enfants à Marseille et à New York (Dr7 hoche tête) et on reste quand même une
bouée de sauvetage, (675, 677)
UM 357 on reste la personne à qui on peut raconter sa vie. (677)
 Les médecins ont trouvé un autre angle à aborder : si les patients trouvaient plus de
temps de parole autour d’eux peut être cela pourrait éviter le déclenchement de certains
symptômes.
UMS 384 ce sont des patients qui sont moins écoutés qu’ils ne pouvaient l’être et qui de ce
fait là vont avoir une, vont déclencher une symptomatologie pour laquelle ils vont consulter.
(728, 730)
UMS 386 Mais qu’on aurait peut-être pas eu à faire (un travail d’écoute professionnelle) s’il y
avait eu un travail d’écoute ou si elle avait pu s’exprimer auprès d’autres personnes. Mais ce
n’est pas la même communication bien sûr. (731, 733)
11. La compétence relationnelle
Les généralistes ont rappelé que cette écoute n’est pas celle d’un autre membre de la
société.
Ils ont relevé cet accompagnement comme une compétence à part entière du généraliste.
Une compétence peu enseignée certes mais décrite (Carl Rogers et la relation d’aide a été
évoqué dans le discours) et qui permet de faire avancer le patient avec sa plainte pour
tenter de le mener vers l’autonomisation de cette plainte.
42
On rappelle ici également la notion de médecin médicament, dans son rôle de miroir face à
la souffrance de ces patients.
UMS 346 être dans le rapport miroir. (653, 654)
UMS 354 Il faut qu’il avance avec sa problématique. (672, 673)
UMS 373 je ne suis pas tout à fait d’accord sur notre fonction disant qu’on occupe un terrain
qui n’est plus occupé notamment par les curés ou par les enfants ou le mari. On n’est pas
dans le même rôle, l’écoute n’est pas la même, (711, 713)
UMS 375 la communication, la relation médicale (715)
UMS 376 y’a des concepts qui existent qui ont été formulés par un certains nombres d’auteurs
comme Carl Rogers sur la relation d’aide. (715, 716)
UMS 378 On est dans la relation d’aide (Dr 2 et 8 hochent tête) donc ça obéit à je dirais un
cadre également nosologique très précis, auquel on n’est pas formé dans notre formation
traditionnelle mais cette écoute là, enfin cette prise en charge là est une prise en charge
thérapeutique et n’est pas une prise en charge de soutien comme pourrait faire le curé ou la
famille. (717, 721)
UMS 381 On est vraiment dans une démarche médicale, on n’est pas dans un
accompagnement simplement dans le temps, et d’autant plus que le projet c’est de faire
évoluer le patient vers l’acceptation se sa plainte, (723, 725)
UMS 382 Vers l’autonomisation. (725)
UMS 383 et qu’ensuite il ne vienne plus nous consulter, qu’il se régule lui-même sa plainte par
rapport à ce qui s’est fait dans la prise en charge relationnelle. C’est ce qu’on appelle la
relation d’aide. (725, 727)
+UMS 241, 344, 347, 353, 374, 377, 385, 386
Nous avons noté l’ambiguïté entre l’enjeu psychothérapique de la prise en charge et sa
différence avec une relation thérapeutique inscrite dans la relation médecin/ malade.
UMS 377 on n’est pas dans la psychothérapie, chacun à sa place. (716, 717)
UMS 344 soit on peut accepter de procurer ce soin là, on a les compétences de le faire. (651,
652)
UMS 349 soit ça nous dépasse et puis ben à ce moment là, il faut passer la main à un confrère
qui est plus tourné vers la psychothérapie. (657, 658)
43
DISCUSSION
I. A propos de la méthode
1. Sur le choix de la méthode
Le focus groupe nous a paru adapté au type de sujet que nous voulions traiter.
Voici les remarques qui émergent après observation des travaux effectués sur le même type
de sujet avec une méthode différente11.
Il semble que la dynamique de groupe ait bien fonctionné. Des idées, bien souvent les plus
inavouables sont ressorties sans complexes. Nous pouvons imaginer que le face à face des
entretiens dirigés pousse moins à ce genre de « confidences ».
A l’inverse, quelques paramètres n’ont pas été évoqués spontanément. L’animateur pour ne
pas rompre la dynamique de groupe et ne pas influencer le discours doit s’en tenir à ce qui a
été dit. Pendant les entretiens individuels en revanche il est facile de s’enquérir de l’avis du
participant sur un point précis.
2. Sur l’interprétation des résultats
La première faiblesse repose sur le fait que ce travail se base sur un seul focus groupe. Ici le
groupe a bien fonctionné et nous avons eu l’impression d’aller épuiser les arguments de
chacun pour chaque question. Mais en théorie, il aurait fallu valider le fait que de nouvelles
idées ne puissent émerger en faisant au moins un autre focus groupe.
Par ailleurs, nous avons choisi de ne pas interpréter avec précision le non verbal de la
situation. Les interactions, discordances, étonnements, accords, amusements sont précisés
lors de la retranscription. Au-delà il aurait fallu les compétences d’un observateur maîtrisant
ce domaine pour pouvoir avoir la prétention de l’utiliser dans l’analyse de nos résultats.
Pour mieux valider la méthode, nous avons transmis le verbatim et l’analyse des résultats
commentés à tous les médecins ayant participé au focus group. Ceci afin de recueillir leurs
remarques et savoir s’ils reconnaissaient bien dans ce travail le reflet de ce qu’ils avaient
vécu.
Seuls deux médecins ont répondu. Ils ont dit bien reconnaitre l’ambiance et les propos du
groupe de parole. Rien ne les a surpris.
44
II. A propos des résultats
1. Mise en perspective de la perception des médecins généralistes sur
ces patients.
Les médecins généralistes n’arrivaient pas à définir de profil type pour ce genre de patient
mais arrivaient à noter des traits étiologiques telles les comorbidités psychiatriques ou
psychologiques à type d’anxiété et /ou dépression. En 1997 l’OMS7 a réalisé une très grande
étude dans 15 pays sur les phénomènes de somatisation. La prévalence est plus importante
chez les femmes que chez les hommes. Cette donnée reste cependant subjective puisque de
nombreux facteurs comportementaux diffèrent par essence entre les deux sexes et peuvent
influencer les données (une plus grande propension à aller consulter, un risque accru d’avoir
subi des violences, différence de niveau socio culturel, etc.). Les études épidémiologiques
portant sur l’âge des patients somatisant sont pauvres et renseignent peu 7.
L’identification de comorbidités psychiatriques chez ces patients par les médecins de notre
étude semble fondée. Selon les études 50 à 75% des patients présentant des symptômes
médicalement inexpliqués ont un trouble de l’humeur et 40 à 50% ont des troubles anxieux 7.
Dans notre étude, un autre point était mis en éclairage. Les médecins pressentaient le fait
que ces patients ont une perception, une écoute de leur corps modifiées, différentes.
Se rapprochant de cette idée, une étude suédoise13 a montré récemment qu’une des
approches des médecins généralistes envers ce type de patient est une approche
éducationnelle. Ils partent du principe qu’une partie du problème se base sur la
méconnaissance du fonctionnement physiologique de leur corps, sur les représentations peu
réalistes qu’ils se font des maladies et de ce que le médecin peut en faire. Leur méthode
d’approche consiste donc à expliquer les processus physiologiques en jeu (stress :
adrénaline, etc.) en espérant ainsi rassurer les patients par la compréhension et la
connaissance et ainsi faire atténuer les symptômes. Ceci révèle bien le défaut de perception
du corps que les médecins attribuent à ces patients.
Issy Pilowsky psychiatre australien, offre une définition à ce ressenti. Il aborde le concept de
« conduites de maladie »7. Elles sont liées à la perception de leur corps, les impressions
ressenties, leur interprétation et l’importance qui leur est donnée au niveau émotionnel. On
évoque ici l’influence socio éducative et en particulier le vécu de la maladie dans la famille et
la place que fait prendre le malade dans la sphère socio familiale et ce, dès la petite enfance.
L’hyper vigilance de ces patients (portée sur des ressentis) peut également être liée à la peur
de la maladie qui les rend plus attentifs à des gênes physiques jusqu’alors passées
inaperçues.
Le processus d’identification2 peut ici être évoqué. Dans ce cadre un patient reproduit
inconsciemment les symptômes d’une maladie portée par un proche particulièrement
45
investi. Il est particulièrement invoqué chez les adolescents, population dans laquelle la
prévalence des symptômes flous est grande (5 à15%) 14.
La somatisation peut aussi être le reflet de l’amplification somatique de la détresse
psychologique7. Ici cette détresse ne prend pas la forme d’un trouble psychiatrique
identifiable. Ce modèle ne dissocie pas le corps et l’esprit. Les symptômes physiques sont
amplifiés en rapport avec un profil perceptif mettant en jeu l’attention portée sur le corps, la
crainte de la maladie et la tendance à attribuer les symptômes à des causes somatiques
plutôt que psychologiques ou environnementales.
Une autre piste de réflexion pourrait nous amener à penser que les médecins généralistes
voulaient ainsi souligner que ces patients sont « trop » plaintifs pour des raisons « non
valables », qu’ils s’écoutent trop. Ce rejet de responsabilité sur le patient pourrait
s’entendre comme une défense contre leur sentiment d’impuissance et de frustration 1. Ce
serait ainsi le patient qui ne joue pas le jeu de la relation médecin/malade et qui empêche la
relation thérapeutique d’avancer.
De même, dans notre étude les médecins généralistes évoquaient une histoire de vie
difficile comme caractéristique sous jacente de ces patients. Les différentes études
résumées dans le livre de P Cathébras7, professeur de médecine interne, confirment cette
intuition. Il existe une relation linéaire entre les troubles vécus dans l’enfance, physiques ou
émotionnels, négligences ou violences, et le nombre de plaintes rapportées sans explication
médicale. Les traumatismes récents subis par les adultes (violence, décès d’un proche,
catastrophes naturelles, maladie organique grave comme le cancer…) peuvent influencer
également les somatisations.
Plusieurs études1 11 démontrent que les médecins perçoivent ces patients comme des
personnes à la recherche de bénéfices secondaires. Dans notre étude ce point n’a pas été
relevé. Les demandes du patient pourraient alors être vécues par le médecin comme une
manipulation pour exploiter le système social ou professionnel ce qui ne facilite pas la prise
en charge. Les bénéfices secondaires peuvent aussi être tirés par le patient sur un plan plus
intime dans le milieu familial ou conjugal. Ceci renvoie alors à l’histoire de vie évoquée plus
haut.
46
P Cathébras propose dans son ouvrage un modèle étiologique qui permet de rendre compte
de ce qui peut participer à l’apparition puis à l’entretien d’une plainte qui mène le patient à
la demande de soin7:
Enfin, dans notre étude les médecins décrivaient bien la différence de langage entre ce que
nous amène le patient, avec ses plaintes et ses souffrances, et le cadre nosologique précis et
ritualisé dans lequel nous avons appris à traduire ces plaintes. Les plaintes floues perturbent
la vision biomédicale enseignée aux médecins, vision nécessaire à une réflexion clinique
efficace mais qui possède des limites en particulier dans le domaine de la communication
avec le patient. Cette mise en évidence spontanée n’est pas retrouvée dans les autres
études11 interrogeant les médecins.
En revanche, cette notion est reprise notamment largement dans le langage
anthropologique. Les anthropologues anglo-saxons15 soulignent que le réflexe acquis par les
médecins de « traduire » les plaintes du patient en un « cas » fait prendre le risque d’ignorer
le vécu du patient et ses croyances. C’est ainsi que la notion de « illness » est proposée pour
47
définir la maladie avec sa dimension existentielle, pour sortir de la définition purement
organique (« disease »).
Balint6 décrit bien que l’écoute nécessaire est plus subtile et difficile que les techniques
habituelles pour recueillir une anamnèse. Pour celle-ci, le médecin obtiendra certes des
réponses « mais presque rien d’autre ». « La capacité d’écouter est une aptitude nouvelle,
qui exige un changement considérable, bien que limité, dans la personnalité du médecin. (…)
il découvrira en lui la capacité d’écouter ce qui chez son patient est à peine formulé, car le
patient lui-même n’en est qu’obscurément conscient »
JP Bondois16 médecin généraliste enseignant, relève également la difficulté pour les
médecins de décrypter ces plaintes dans le cadre nosologique actuel. La vision idéalisée
d’une médecine rationnelle est alors ébranlée et est remise en question par l’absence de
diagnostic identifiable de ce point de vue. C’est alors une porte d’entrée vers le vécu
douloureux des professionnels.
2. Mise en perspective des attitudes des médecins généralistes
2.1. L’accueil, l’écoute
Dans notre étude, les médecins généralistes mettent en exergue la notion d’écoute centrée
sur le patient. Ils entendent ici la recherche de ce que le malade vient chercher auprès du
médecin (diagnostic, soulagement, réassurance), la recherche du sens de la plainte (dans ce
qu’ils peuvent en dire et au-delà dans le questionnement de leur histoire de vie) ; la
recherche du diagnostic qu’ils font eux même de ces symptômes et la recherche des
croyances déjà admises pour le patient autour de cette plainte.
Selon Balint6, le symptôme est une offre faite du malade au médecin. Mais il est question de
ne pas recevoir cette offre sans en examiner le contenu et savoir l’accepter sans pour autant
y répondre dans le même registre. Le but est de chercher à comprendre ce que cette
énumération de plaintes peut bien vouloir signifier.
Dans les autres études4 11, la notion d’écoute est toujours citée mais la recherche des
paramètres sus nommés et en particulier les représentations de santé et les attentes ne le
sont pas spontanément.
Il s’agit d’essayer de s’enquérir du contenu du savoir profane du patient porteur de toute la
vision socio familiale encrée. F Laplantine4, chercheur ethnologue et anthropologue a
largement travaillé sur les différents modèles étiologiques des représentations de la maladie
(annexe n°1) et nous éclaire sur les différentes représentations que peut avoir le patient
autour de la maladie bien au-delà de nos schémas scientifiques.
48
Une étude américaine17 récente a montré que les patients qui se sentent en harmonie avec
les croyances du médecin font davantage confiance au soignant. L’harmonie permet
d’aborder plus précisément les problèmes, de renforcer le poids des conseils donnés par le
médecin et l’observance au suivi préconisé par le thérapeute.
De plus l’écoute active permet le plus souvent un transfert positif, une relation dans
laquelle le patient se sent pris au sérieux. Dès lors il s’exprime plus spontanément, les
éléments abordés dors et déjà peuvent être d’ordre thérapeutique (ce qui se dit peut
soulager le conflit intérieur) et surtout il sera peut être alors plus facile au médecin de faire
avancer la patient vers sa solution, arriver à lui faire admettre que sa souffrance physique
s’encre dans une globalité conflictuelle et pas seulement dans une dysfonction organique 3.
On souligne ici, comme le font les médecins généralistes de notre étude, que cette plainte
doit être entendue comme réelle, « vraie » même si rien n’est vu d’un point de vue
sémiologique habituel. Comme le souligne N Zdanowicz18, psychiatre, il ne faut pas séparer
« vraie » maladie et « maladie psychosomatique », il faut retenir la tentation de hiérarchiser
les pathologies. Le risque alors serait que le patient ressente qu’il n’est pas légitime pour le
médecin, qu’il se renferme sur sa plainte et qu’il ne puisse pas cheminer. D’autant plus que
la plainte émane d’une douleur réelle ressentie dans le corps.
2.2. Quelle place pour les examens complémentaires, l’intervention
des spécialistes et le traitement médicamenteux ?
2.2.1. La prescription : parfois un automatisme lourd de sens.
Les médecins généralistes de notre étude ont rencontré des difficultés à définir quand et
pourquoi prescrire.
Ils prescrivaient tous au départ des examens de débrouillage.
Dans la littérature on retrouve bien souvent cette pratique puisqu’elle entre de façon
cohérente dans la démarche biomédicale à soumettre au patient. En effet comme le rappelle
Zdanowicz18: poser un diagnostic psychosomatique ne s’oppose pas à réaliser des examens
complémentaires en tant que mise au point. L’erreur ne se situerait pas dans la recherche
diagnostique mais dans l’acharnement à vouloir « trouver » contre toute vraisemblance. De
plus, sur un autre plan mais au même titre que l’écoute, la prescription d’examens de
débrouillage peu invasifs lors de la ou des premières consultations permet au patient de se
sentir entendu, pris en compte par son médecin.
Pour aller au-delà de cette notion (qui vaut également pour l’ordonnance de médicament)
nous pouvons aborder un point relaté par L Velluet2 médecin généraliste et psychanalyste.
Nous comprenons alors qu’il est possible de considérer l’ordonnance comme objet
transitionnel entre le patient et le médecin, entre le fantasme et la réalité. Il s’agirait ici de
49
réels supports aux thérapies d’accompagnement et entrent exclusivement dans un cadre
que le prescripteur et son patient peuvent interpréter.
La difficulté se pose lorsqu’ on se demande quand et comment arrêter ces examens ? Les
médecins de notre étude présentent des difficultés à répondre à cette question mais ont
conscience que rentrer dans la surenchère des examens et des traitements est une impasse
thérapeutique pour le patient et pour la relation médecin/ malade qui ne pourra alors
mener vers aucune amélioration.
Les médecins généralistes ayant participé à une étude anglaise en 2001 19 définissent comme
une fonction importante le fait d’être le gardien des explorations inappropriées, le garde fou
d’examens complémentaires poussés inutiles. C’est ce que dans notre étude les interviewés
nommaient la fonction de chef d’orchestre.
Dans un ouvrage canadien20 consacré à la communication médicale on nous offre des pistes
pour comprendre où pourrait se situer le « bien faire ». Une proposition d’approche des
patients porteurs de plaintes inexpliquées nous est soumise. (Annexe n°2)
Nous pourrions, dès que nous avons l’intuition de se trouver en face d’un patient porteur de
symptômes fonctionnels, tenter de tenir en parallèle les deux enquêtes : biomédicale et
psychosociale. En premier lieu il faudrait toujours inclure une démarche clinique cohérente.
Sur ce point, comme le soulignent les médecins généralistes de notre étude et d’autres
écrits20 21, il est important de réaliser un examen clinique minutieux qui permet de rentrer en
confiance avec le patient et en contact au sens propre comme figuré. Il permet aussi une
exploration organique simple et rassurante. Si l’examen physique n’est pas indispensable
dans la recherche diagnostique, il l’est dans la prise en charge globale. Il est suggéré de
penser à voix haute ; technique communicationnelle qui rassure le patient qui s’assure ainsi
de la minutie du médecin.
Les examens complémentaires nécessaires à circonscrire une éventuelle pathologie sont
utiles dans le même cadre. Il faudrait dans le même temps explorer les perspectives du
patient sur ses symptômes (craintes, attentes…) en commençant à entrer dans son intimité ;
pourquoi pas d’abord physique puisque les patients offrent peu de réticences à livrer cela
puis en entrant peu à peu, en levant progressivement les résistances, dans l’aire socio
familiale puis psychologique. C’est ainsi que l’on pourrait mener le patient vers des
réflexions qui le mèneraient au-delà de sa réalité physique au moment même où les
examens et thérapeutiques ne seraient plus nécessaires à l’exploration médicale.
Certains soignants, probablement les plus anxieux vont au-delà de ces explorations initiales.
Sous couvert parfois de vouloir ainsi rassurer le patient, on apprend dans notre étude que
c’est surtout pour se rassurer soi, dans son rôle de médecin, pour éviter de passer à coté
d’une pathologie organique sous jacente. Il faut donc rester vigilants à ne pas faire des
symptômes biomédicalement inexpliqués des diagnostics d’exclusion18.
Cela entraine des surcouts, très importants parfois.
50
On fait ainsi prendre le risque au patient de structurer son ou ses symptômes en adoptant le
modèle médical qu’il apprend à connaitre de mieux en mieux. Le malade endosse
progressivement le paradigme de la médecine moderne : il existe une explication à chaque
symptôme et l’on ne peut traiter sans savoir : donc il faut chercher. Il faut se méfier dans ce
cadre de la prescription d’examens complémentaires comme objet de réassurance, cela peut
renforcer la croyance chez le patient « qu’il y a quelque chose à trouver » quoiqu’en dise le
soignant.
Un point évoqué par les médecins généralistes de notre étude et non retrouvé dans les
autres11 est la conduite d’évitement ou la stratégie d’adéquation à une réalité
professionnelle quotidienne lourde à porter. La prescription « pour gagner du temps », pour
clore une consultation que l’on n’arrive pas à gérer n’est pas une technique généralement
livrée par les médecins. Nous pouvons émettre l’hypothèse que ce comportement peu
gratifiant a pu être livré grâce à la dynamique de groupe qui facilite les confidences et
banalise les propos plus difficiles à tenir en tête à tête. Cependant bien que n’invoquant pas
cette raison, beaucoup se disent pris au piège d’un engrenage face aux demandes des
patients. Qu’est-ce qui fait alors que cette spirale perdure ?
Revenons sur la prescription médicamenteuse. Cet aspect de la dimension thérapeutique a
été assez peu abordé par les médecins généralistes de notre étude.
Ils envisagent des traitements symptomatiques et des traitements psychotropes quand il
existe une comorbidité qui le justifie. En revanche ils insistent sur le fait que les excès de
prescriptions au même titre que les examens complémentaires peuvent encrer le patient
dans son rôle de malade et le faire entrer dans une impasse. Le traitement médicamenteux
est « mal vu », certains se font une devise de ne rien prescrire On relève aussi que la
prescription peut être un moyen de clore la consultation quand on ne trouve pas d’autres
alternatives au même titre que les examens complémentaires évoqués plus haut.
Dans la thèse d’Isabelle Brabant11 on ne retrouve pas exactement les mêmes notions.
La prescription relève des mêmes traitements (traitements symptomatiques et
psychotropes). En revanche, l’ordonnance n’est pas énoncée comme une échappatoire à
une consultation difficile mais comme un rituel de fin de consultation déterminé dans nos
apprentissages et habitus.
La notion d’effet placebo est abordée ce qui n’est pas le cas dans notre étude ;
P Cathebras fait le point sur le sujet dans son ouvrage7. Il constate que les traitements
symptomatiques ont effectivement une place importante dans la prise en charge de ces
troubles. Il admet que la plupart de ces traitements peuvent être assimilés à des placebos
dits « impurs ». L’effet placebo doit d’après lui être utilisé et reconnu comme ingrédient de
l’efficacité thérapeutique quand le médecin sait l’utiliser et l’optimiser pour le bénéfice du
patient. Le pouvoir suggestif et la maîtrise de la relation transférentielle en sont à priori les
bases. Si cela n’est pas maîtrisé, le « mensonge » que représente le placebo peut venir
déstabiliser une relation constructive d’adulte à adulte et mener le patient vers une position
51
plus infantile22.
Les traitements antidépresseurs trouvent également leur place dans ces prises en charge
tant que les prescriptions sont cohérentes avec les symptômes (dépression sous jacente,
douleurs chroniques, céphalées…).
D’où peuvent naître tant de craintes chez les médecins de notre étude ?
Cathébras rappelle qu’avant de prescrire un médicament il est important, pour ne pas être
délétère, d’explorer les représentations et croyances du patient autour de la thérapeutique 7.
Il ne faut pas idéaliser la prescription, se méfier des interactions et dépendances à certains
psychotropes. Il faut aussi ne pas être délétère psychologiquement avec quelqu’un qui
« tient » à son symptôme.
Certains patients porteurs de plaintes anciennes ont apprivoisé cette souffrance, vivent avec
et autour d’elle. Elles sont alors l’objet identificatoire de conflits non réglés voire non
identifiés et permettent au patient de vivre malgré tout, mais avec cette plainte. Dès lors la
« supprimer » serait déstabilisant, délétère, voire mortifère pour le patient. Il ne faudrait pas
prendre le risque de faire effraction dans les défenses du patient en le laissant plus mal
qu’avec sa symptomatologie antérieure23.
2.2.2. Le recours au spécialiste : un support de soin parfois
ambigu.
La demande adressée au spécialiste est abordée par les médecins de notre étude comme un
avis diagnostic supplémentaire quand les premiers examens reviennent négatifs et qu’ils ne
se sentent pas capable, par leur seule interprétation, de clore les explorations. Les médecins
disent mener l’enquête en prenant des avis spécialisés mais en gardant un rôle de
coordination. Ils parlent de la réassurance apportée ainsi au patient mais n’évoquent pas le
réconfort que cela peut leur apporter. On retrouve peu la recherche de la « collusion de
l’anonymat »6 selon Balint. Cette théorie vise à exprimer la dilution des responsabilités au
cours de la prise en charge pendant laquelle le généraliste se décharge sur l’expert. Un des
agents de ce phénomène serait, toujours selon Balint « la survivance de la relation maîtreélève »6 qui traduirait la propension du spécialiste à rester le maître de l’élève incarné par le
généraliste, rôle qu’il endosserait volontiers. Cette dimension peu être nuisible si le médecin
généraliste ne se sent pas en droit de critiquer objectivement la réponse de l’expert et ne se
donne pas toujours le droit de choisir en âme et conscience ce qu’il pense être le meilleur
pour « son » patient.
Mais comme le rappelle M Winckler c’est bien parce que les soignants et chercheurs de
toutes les spécialités partagent les connaissances que le soin peut progresser24.
52
2.3. Le poids de la parole
Les médecins ont nommé spontanément la fonction médicament que peut endosser le
soignant. Cela se réfère à la théorie de Balint qui énonce que le médecin peut se prescrire
lui-même en tant que thérapeutique. Selon le psychiatre le « réconfort » et le « conseil »
sont les deux formes de remède-médecin les plus souvent utilisées6. Effectivement les
médecins abordent largement et spontanément la notion d’écoute et de réassurance envers
ces patients.
Les médecins de notre étude ont montré la prise de conscience de l’importance du rôle que
peut jouer cette fonction auprès d’un patient mis en confiance.
Cependant, il nous a semblé intéressant de revenir sur le mode de communication parfois
choisi. Le langage est lourd de sens, et surtout peut changer de signification de la bouche de
l’un vers l’oreille de l’autre.
Souvenons-nous du Petit Prince de Saint Exupéry25 :
-(...) Si tu veux un ami, apprivoise-moi !
- Que faut-il faire ? dit le Petit Prince
- Il faut être très patient, répondit le renard. Tu t’assoiras d’abord un peu loin de moi, comme
ça, dans l’herbe. Je te regarderai du coin de l’œil et tu ne diras rien. Le langage est source de
malentendus.
Il vaut mieux en effet conserver un temps raisonnable d’approche et d’écoute du patient
avant de risquer des mots ou comportements hasardeux.
L’exemple le plus marquant est certainement le « tout va bien, vous n’avez rien » que
certains médecins choisissent d’énoncer une fois qu’ils sont eux même rassurés vis-à-vis des
pathologies organiques.
Voilà une façon maladroite de rester ferme sur l’absence de processus morbide grave, quitte
à trop minimiser les symptômes.
Certains patients, inquiets d’être porteurs d’une maladie grave pourront être sensibles à
cette réassurance. Mais lorsque la plainte s’inscrit dans la durée, le patient reviendra vite à
la charge. Et ce « vous n’avez rien » peut parfois être lourd de sens pour l’interlocuteur.
En effet, le patient avec sa plainte, sa douleur, sa fatigue, ses vertiges ne ressent pas qu’il n’a
« rien ». Il est en souffrance et vit avec. Ainsi, le malade est dépossédé de la connaissance
qu’il a de son corps et de ce qu’il éprouve. Il peut se sentir rejeté, incompris, non pris au
sérieux. Le médecin lui signifie ainsi que les symptômes qui motivent sa demande n’ont pas
pu être accueillis comme pertinents. On peut alors se trouver rapidement dans une impasse
53
injurieuse pour eux et ils peuvent alors se sentir abandonné par le corps médical. Dans
certains cas cette perspective peu engageante peut en plus raviver des problématiques
inconscientes de souffrance voire des situations abandonniques3.
De plus on remarque par cette formulation que le diagnostic est communiqué au patient
sous la forme négative. Ceci marque encore une singularité de ces troubles puisqu’en miroir
on retrouve les diagnostics « médicaux » somatiques ou psychiatriques formulés eux de
façon positive18 23.
C’est ici que l’on peut entrevoir les limites et difficultés de la prise en charge de ces patients.
Pour les médecins qui ont compris qu’il fallait avoir une capacité à rassurer le patient, il est
évident que cette prise en charge sous tend bien d’autres problématiques difficiles à
entrevoir sans formation.
La prise en charge repose alors sur le bon sens et le vécu comme le dit Balint : « lorsque les
valeurs psychologiques ne sont pas ouvertement reconnues dans la formation médicale, le
médecin s’appuie sur son bon sens. »6.
3. Mise en perspective des ressentis des médecins généralistes
3.1. Une consultation difficile
Les médecins généralistes se sont accordés à dire que ces patients porteurs de plaintes
floues récurrentes sont des patients difficiles.
Ils considèrent que ces patients sont difficiles à intégrer dans une journée de consultation
classique en partie à cause du temps consommé par chaque rencontre. Certains pensent à
border des temps en début de consultation, d’autres à doubler le temps habituel pour
réussir à gérer cela. Balint nomme cela les « entretiens prolongés »,»6, nécessaires à entrer
en communication plus profonde avec le patient dans le but d’explorer les sphères alors
inconnues. Ils permettraient, s’ils interviennent au bon moment, d’éviter de rentrer dans la
sphère de la chronicisation et d’éviter que des symptômes désorganisés ne deviennent une
maladie organisée.
Les résultats d’une étude israélienne26 menée en 2000 auprès de quinze médecins
généralistes révèlent que les patients porteurs de plaintes floues sont nommés
spontanément comme étant difficiles aux côtés des patients avec troubles du
comportement. Le caractère chronophage est largement abordé également. Ce sont des
patients très demandeurs, qui sollicitent beaucoup les médecins qui sont bien censés être
« de proximité » et qui peuvent se sentir assaillis dans un cadre de travail inadapté.
On notait dans notre étude l’influence que peut avoir l’état de fatigue, de stress et tout
simplement la propension que le médecin a en tant qu’humain, à écouter, à développer de
l’empathie pour ce genre de patient. Ceci est également largement reconnu dans l’étude
54
israélienne. Les médecins y suggèrent que les traits de caractère utiles dans ce genre de
rencontre peuvent être la capacité à faire des concessions, la tolérance, la patience et la
faculté à manifester de l’empathie. A l’inverse ils reconnaissent que la consultation est plus
difficile si le médecin est lui-même angoissé par des sujets personnels, s’il a une tendance à
juger et rester assez fermé sur ses convictions.
Ils évoquent un point intéressant concernant les besoins du soignant. Bon nombres
recherchent entre autre la sensation d’être « aimé », reconnu26. Il est bien rare d’exercer ce
métier sans chercher en l’autre un peu de « soin ». Cela fait partie intégrante de la relation
thérapeutique et nous y reviendrons. En revanche, si pour se faire accepter et « aimer » par
son patient le médecin abonde constamment dans le sens de ses demandes, nous entrons
dans la iatrogénie du soin.
Il serait d’hors et déjà plus légitime de parler de rencontre difficile plutôt que de patient
difficile.
Nous pouvons même aller plus loin dans l’influence de la prise en charge d’un médecin vers
un patient. Louis Velluet2 a noté que le symptôme peut changer de profil selon qu’il soit
exprimé à un médecin ou à un autre. Il y trouve la preuve que les plaintes sont relativisées
en fonction des croyances de chacun et d’attractions transférentielles différentes. Au-delà
de deux personnalités ce sont aussi deux inconscients qui se rencontrent.
« La parole est moitié à celui qui parle, moitié à celui qui l’écoute » selon Montaigne27.
La notion de l’expérience est également abordée. Les médecins les plus expérimentés
apparaissent comme ceux plus capables de gérer une grande variété de problèmes, y
compris ceux incluant les difficultés relationnelles26. Dans notre étude certains étaient
persuadés que l’expérience à acquérir allait les aider dans les démarches auprès de ce type
de patients. Une autre idée était d’admettre une amélioration de la prise en charge d’un
même patient avec le temps puisque les problématiques se révèlent au fur et à mesure.
Mais chaque nouveau patient offre les mêmes difficultés quelque soit le bagage accumulé.
Dans l’étude suédoise13 et israélienne26 explorant la perception des médecins généralistes, il
a été montré que le nombre de prescriptions (examens complémentaires,
médicamenteuses) diminue avec l’expérience du médecin. Ceci avait été mis en corrélation
avec la diminution du sentiment d’insécurité avec le temps qui peut permettre au médecin
de prendre du recul, en dehors de l’urgence, avant de prescrire.
Il est vrai que le travail est à reproduire devant chaque nouveau cas qui transporte son
propre bagage mais il parait censé de croire que l’expérience permet de détecter plus
rapidement ce type de situation, de limiter les prescriptions nuisibles et d’avoir acquis une
méthode, si elle n’a pas été enseignée, pour amener les patients vers l’amélioration
souhaitée.
55
3.2. Un vécu de mise en échec
Le sentiment de mise en échec et de frustration est bien souvent admis.
La mise en échec peut être ressentie dès le début de la relation à partir du moment où le
médecin ne parvient pas à faire entrer le patient dans un cadre nosologique précis. Le
patient sans diagnostic est déjà étranger au système de raisonnement habituel et rompt la
démarche biomédicale. Une étude canadienne1 a montré qu’être orphelin de diagnostic
profère une altérité plus importante que celle apportée par les différences ethniques et
culturelles. La différence culturelle primordiale se joue davantage dans la non-conformité à
des normes médicales que dans l’appartenance ethnique, linguistique.
L’angoisse du médecin nait aussi de sa crainte omniprésente de passer à côté de son
devoir : diagnostiquer une pathologie, grave en particulier. Cette peur de passer à côté de
quelque chose s’inscrit dans une dualité surprenante. En effet les médecins ont tous
compris, avec des degrés d’acceptation différents, que ces patients relèvent de
problématiques psycho sociales ; mais cette peur sous jacente de l’organique reste très
présente et peut venir parasiter la relation.
Un autre abord pourrait justifier cette peur de passer à côté du diagnostic. Nous sommes
dans un temps où le respect et la confiance envers les médecins se sont modifiés,
notamment à cause des médias. On assiste à la judiciarisation de la médecine avec la
multiplication des litiges et des procès. Les soignants sont davantage sur la défensive et
mettent en place des stratégies de prescription pour éviter les erreurs.
Une autre dualité s’observe. Les médecins reconnaissent volontiers la souffrance du patient
comme étant réelle et à prendre en compte mais la mise au défi de sortir des cadres
habituels fait naître bien souvent des contre-transferts négatifs. La capacité d’empathie est
mise à mal et parfois même l’agressivité et l’aversion peuvent prendre le dessus. Le médecin
peut réagir ainsi parce que le patient ne rentre dans aucun cadre dont il connait la gestion. Il
ne peut pas répondre au patient, ne peut pas le guérir, et parfois même la légitimité des
symptômes du patient est remise en question. Les motifs du patient deviennent
questionnables (bénéfices secondaires, arrêt de travail…) et l’agacement, l’irritation peuvent
venir prendre le dessus. Les émotions négatives sont souvent de plusieurs natures et
viennent nuire à la relation thérapeutique. Au delà de l’aversion et parfois même la colère
ressenties à l’encontre d’un patient chez qui il pourrait percevoir de la « mauvaise volonté »,
le médecin peut aussi ressentir de l’anxiété (face au diagnostic « raté » organique), de la
honte (de ne pas trouver de solution), de la frustration et enfin la culpabilité de ressentir de
telles émotions dans une relation qui devrait être neutre.
Le phénomène de distanciation que peut mettre en place le soignant envers son patient lui
permet de se défendre contre la menace qu’il présente, celle de remettre en cause ses
compétences1. Ainsi, il se protège de son « incompétence » ressentie en rejetant la faute sur
ce patient « déviant ».
56
Pour essayer de parer à cela il faudrait que le médecin se pose, comme pour chaque patient,
la question de l’objectif qu’il compte atteindre avec le malade. Si la notion de guérison
s’éloigne et que l’objectif prend la forme d’un accompagnement vers le mieux être,
l’acceptation de la plainte avec la recherche de son origine, le médecin pourra mieux vivre
cette relation. Il ne sera pas en échec puisque se tiendra à ce qu’il a défini en acceptant ses
limites en tant que thérapeute.
Une autre difficulté apparait alors. Si le médecin a réussi à être au clair avec ses objectifs, le
patient en est-il là ? Est-il capable de se satisfaire d’un suivi, d’une relation d’aide ? En effet,
du moins au début du travail le patient attribue ses plaintes à un problème physique et a
tendance à repousser les hypothèses psychologiques suggérées. Il n’est pas fou, refuse
d’envisager qu’une partie au moins soit « dans la tête ».Il nie ou préfère reléguer les causes
psychologiques au second plan par peur d’être considéré comme un « faux malade ». Il
faudra alors faire un travail de réattribution des symptômes à une cause psychologique ou
.physiologique7. Cette facette n’a pas été abordée spontanément par les médecins de notre
étude.
Si les symptômes flous s’organisent en une maladie il se peut que le patient trouve son
compte dans sa relation avec son médecin si celui-ci accepte de passer pour inefficace,
incompétent (pour ce cas là). Le patient tout en restant en soin, sous entend que s’il tient le
coup ce n’est pas grâce au monde médical mais bien parce que lui est fort6. Ce type de
patient se structure et se revalorise même autour du symptôme qu’il ne faut pas chercher à
tout prix à masquer.
On relève donc que le pari du médecin dans cette relation est double : inciter le patient à
délaisser sa quête en vue d’une guérison physique et le mener vers l’acceptation et
l’exploration d’autres désordres intérieurs ; mais il devra lui aussi faire le deuil de sa capacité
à résoudre le problème posé de façon complètement satisfaisante.
La sensation de perte de pouvoir dans la relation médecin/malade paraît contribuer au
sentiment de frustration du thérapeute. Dans notre étude les médecins disent mal supporter
de ne pas maîtriser la situation. Ceci tant au niveau du temps de consultation qu’au niveau
des sujets abordés trop nombreux, qui mettent à mal la patience et le vouloir bien faire du
médecin.
Une étude anglaise28 s’est intéressée à ce problème de pouvoir en consultation face à un
patient porteur de plaintes fonctionnelles. Les médecins y déclarent avoir de gros problèmes
d’autorité et de maîtrise durant la consultation. Ils se laissent submerger et ont l’impression
de perdre le contrôle et de laisser le patient obtenir ce qu’il veut. Les résistances posées par
le patient pour explorer d’autres problématiques que celles de la sphère biomédicale
donnent l’impression qu’il mène la consultation grâce à cette obstination. Ils ont
l’impression que la balance du pouvoir pèse en faveur du patient, ce qui les met dans une
situation inconfortable. Cette sensation a un impact négatif sur la relation médecin-malade,
frustrante pour le médecin et potentiellement nuisible pour le patient.
57
3.3. La fonction de médecin généraliste
Nous relevons dans notre étude que la fonction que pensent tenir les médecins face à ce
type de patient révèle là encore d’une certaine ambivalence.
En effet, il semble que le rôle à jouer dans cette prise en charge soit assumé et tenu par les
médecins généralistes avec la conscience d’avoir à mettre en œuvre des capacités qui leur
sont propres, qu’ils sont seuls à tenir. Cette réflexion est identique dans l’étude récente
anglaise19 qui confirme que 82% des médecins interrogés estiment que ce sont les
généralistes qui offrent la gestion de ces patients la plus appropriée et que le cadre des soins
primaires est adapté.
Cependant dans le même temps les médecins de notre étude disent avoir à tenir un rôle
différent de celui habituellement endossé face aux autres patients.
Cherchons à comprendre si cette différence tient du ressenti ou bien si réellement la
fonction du médecin généraliste sort du cadre avec ces patients.
Pour cela rappelons une à une les compétences d’un médecin généraliste définies par la
WONCA29(organisation mondiale des médecins généralistes) en 2002.
Cette définition rejoint celle du CNGE (Collège National des Généralistes Enseignants).
A) La gestion des soins de santé primaire
Ceci sous tend la gestion du premier contact et la coordination avec d’autres professionnels
et spécialistes, en assumant le rôle de défenseur du patient quand cela est nécessaire.
Cette fonction est exprimée et discutée par les médecins. Ils ont largement souligné
l’importance de l’accueil de la plainte, la relation face aux spécialistes ainsi que le rôle de
chef d’orchestre de la plainte qui prend son sens ici.
B) Les soins centrés sur la personne
Il s’agit ici d’adopter une approche centrée sur la personne et d’utiliser la consultation pour
créer une relation efficace entre le médecin et le patient. Ceci inclut également la mise en
place adaptée du suivi du patient au long cours.
Là encore les médecins de notre étude ont largement étayé ces points.
C) L’aptitude spécifique à la résolution de problèmes
C'est-à-dire utiliser le processus spécifique de décision en utilisant la connaissance de la
prévalence et des incidences en soins primaires.
Cette compétence est requise avec les patients porteurs de plaintes floues mais peut se
retourner contre le patient : si les symptômes entendus sans interprétation mènent le
médecin vers des explorations biomédicales sans fin.
58
D) L’approche globale
Etablir de façon appropriée au patient l’éducation pour la santé et savoir gérer
simultanément les problèmes aigus et chroniques du patient.
Ce point a lui aussi été évoqué, en particulier la difficulté de suivre ces patients quand ils ont
également des pathologies de fond à traiter et à suivre. Il sous tend également l’approche
intégrant la dimension globale « psyché » et « soma ».
E) L’adoption d’un modèle holistique
C'est-à-dire utiliser un modèle biopsychosocial qui prenne bien en considération les
dimensions culturelles et existentielles du patient.
Cette dimension est donc très largement mise à l’épreuve dans la prise en charge de ces
patients et a été très exprimée par les médecins généralistes.
F) L’orientation communautaire
C'est-à-dire réconcilier les besoins en soins médicaux des patients individuels avec les
besoins médicaux de la communauté dans laquelle ils vivent et cela en équilibre avec les
ressources disponibles.
Il apparait donc clairement après ce survol des principales compétences requises que toutes
sont utilisées par le médecin lors de la prise en charge de ces patients. Pourquoi donc cette
sensation si forte de différence avec les autres patients ?
Il semble peut-être que ce soit la proportion de ces rôles à jouer qui soit déséquilibrée par
rapport aux autres prises en charge.
La compétence relationnelle et l’approche holistique vont jouer un rôle d’autant plus
important qu’on se trouve démuni d’un point de vue traditionnel, biomédical.
La différence n’est donc pas tant dans les compétences que le médecin est censé avoir mais
peut-être dans sa façon de les appréhender et dans la difficulté qu’il a d’accepter ses
émotions négatives. L’humilité, la neutralité, la disponibilité sont des notions fortes que les
médecins de notre étude ont intégré à leurs compétences face à ce type de patient.
D’autre part si nous poussons plus loin la réflexion sur la fonction du médecin généraliste
dans ce qu’elle a de spécifique dans le lien au patient, nous pouvons trouver des pistes
susceptibles d’expliquer les difficultés rencontrées face à ce type de patients.
Le médecin de famille détient un rôle unique qui intrique des capacités cognitives et des
particularités affectives qui le guideront vers une action thérapeutique globale.
Le transfert du patient envers « son » médecin est déterminant pour la prise en charge. Le
lien transférentiel s’accroche aussi bien au personnage qu’à la personne, c'est-à-dire aussi
bien aux traits propres du praticien qu’aux éléments culturellement stéréotypés2.
La proximité et l’accessibilité étant des clés dans ce qui définit le médecin dans le réseau
social, il est parfois difficile de tempérer l’avidité relationnelle des patients. Ce phénomène
59
rend compte d’une difficulté supplémentaire dans la relation avec un patient qui peut
paraître insistant et intrusif. La distance à instaurer (objet d’une réflexion permanente dans
son exercice) est d’autant plus difficile à trouver22.
Le médecin généraliste a aussi comme particularité face aux autres médecins de ne pas
pouvoir prétendre à l’exhaustivité de son savoir (ce qui est semble-t-il différent pour un
spécialiste qui peut avoir des limites plus précises à son champ de connaissance). Il existe
donc par ce fait un écart permanent entre ce que le patient attribue de connaissances à son
médecin et le sentiment d’insuffisance que ce dernier peut souvent éprouver2. Cette
insuffisance et cet écart ont un rôle dans la thérapeutique quotidienne dans le déroulement
des échanges, le droit de non-réponse, l’ouverture à certaines positions… Mais dans les
situations où le médecin se sent mis en échec par son patient qui veut une solution, qui se
trouve insister sur des réponses que le médecin n’a pas dans l’immédiateté peut faire
basculer l’insuffisance ressentie vers l’ignorance ou l’incompétence. L’affront narcissique
que cela impose vient activer les mécanismes de défense du médecin et nuit à la relation.
Enfin, nous noterons de manière non exhaustive une dernière position qui confère au
généraliste un rôle particulier. Il ne peut à priori, à la différence d’un spécialiste, récuser
aucune demande22. La conscience de cela peut mener le médecin à tenter de répondre une
à une aux plaintes et de s’enfermer dans ce rôle.
3.4. Le médecin généraliste dans la société
Au-delà de la fonction que le médecin généraliste doit et croit remplir auprès de ces
patients, il est intéressant d’étayer un point soulevé spontanément lors de notre
étude portant sur le rôle en évolution du médecin dans la société.
Le premier angle à aborder serait le rôle de l’individu dans la société, celui que celle-ci lui
demande de remplir.
Beaucoup de sociologues et notamment Ehrenberg30 s’accordent à dire que nous évoluons
dans une société de plus en plus individualiste. C’est ce qu’avaient repéré les médecins de
notre étude en relevant l’impression d’être la seule oreille attentive du patient, en
endossant en quelque sorte le rôle cumulé de l’ami, du parent, du curé…
L’étude suédoise13 sur laquelle nous nous sommes déjà appuyés rapporte la même sensation
chez les soignants interrogés. En effet, ils notent que la vie actuelle demande beaucoup
d’efficacité et laisse peu de temps pour s’occuper de soi et des autres. Ils constatent que
parfois ils ont l’impression de prendre la place de leur réseau d’amis même s’il est admis par
tous que la relation qui se tisse entre un patient et son médecin est professionnelle et relève
de compétences communicationnelles et non de conseils ou d’écoute amicale.
60
Revenons sur l’analyse sociologique proposée notamment dans les écrits de Marc Loriol et
Ehrenberg30 31. On peut y trouver une ébauche d’explication au mal-être entendu sous
plusieurs formes par les médecins.
Le monde disent-il a changé de règles. Nous ne devons plus nécessairement être compliants,
disciplinés, conformes à la morale mais flexibles, avoir une grande capacité d’adaptation au
changement, une rapidité de réaction. Le monde est plus instable qu’auparavant et ce, dans
tous les domaines de la vie. Hors une personne plaintive, malade, douloureuse, déprimée
manque d’énergie et de motivations et va donc à l’encontre de ce que demande la société.
Face à une forte exigence envers soi-même, au refus d’envisager des faiblesses personnelles
ou de remettre en cause les demandes professionnelles et familiales, les plaintes floues et
répétitives apparaissent comme un refuge, un moyen de ne pas remettre en cause l’idéal de
maîtrise de soi. La « fatigue d’être soi », selon l’expression d’Ehrenberg, exprime la difficulté
de l’individu à s’assumer de manière autonome et active sans en rejeter inconsciemment la
responsabilité sur le corps. Ce serait donc une façon de ne pas arriver à endosser ce que la
société réclame sans en tenir toute la responsabilité. La responsabilité s’assume alors que la
pathologie se soigne. On entrevoit donc ici à la fois le rôle de la société sur l’évolution de ces
plaintes qui nous font nous tourner vers le médecin, encore capable d’écouter dans un
monde vécu comme individualiste.
L’autre angle d’approche consiste à resituer la place de la maladie, de la souffrance dans la
société. On entrevoit ici la contrepartie du progrès médical et des spécialisations multiples,
les méfaits de la médicalisation. En effet on sait que la santé subjective de la population des
pays développés varie en sens inverse des indicateurs objectifs tels l’espérance de vie7.La
demande face au domaine de la santé augmente avec l’offre.
Comme le décrivent des auteurs comme Ivan Illich32 il s’agit d’un phénomène de société qui
déplace progressivement la frontière entre le supportable et le non-supportable. Certains
« mal-être » auparavant tolérés ne le sont plus et nécessitent explication médicale et
solution. Cette amplification des préoccupations de santé de la population peut être la base
d’un comportement exagéré du patient face à la maladie. Illich souligne dans Nemesis
médicale le message offert par la société « dominée par l’analgésie »qui évolue doucement
vers l’interdiction de souffrir. Il note alors que l’obsession de la santé parfaite est devenue
un facteur pathogène important dans notre civilisation. « Ni vieillesse, ni douleur, ni mort.
Oubliant ainsi qu’un tel dégoût de l’art de souffrir est la négation même de la condition
humaine. »
Tout ceci peut expliquer en partie l’impression que peuvent avoir certains médecins de
n’être pas forcément l’oreille adaptée pour ce qu’ils peuvent interpréter davantage comme
des confidences et non comme des plaintes au sens médical du terme. Une partie de
l’agacement ressenti pourrait provenir de là.
Les mots de M Arliaud (directeur de recherche au CNRS spécialiste de la sociologie du
travail) sous-tendent cette extension de rôle plus ou moins facilement endossé33.
61
« Que ne demande-t-on pas parfois aujourd’hui au médecin, dès lors qu’un problème de vie,
professionnelle ou personnelle, entrave l’accomplissement à une profonde conformité
sociale, mais de quelle puissance indue ne l’investit-on pas en le sollicitant ainsi de porter
remède jusqu’aux effets les plus évidents des agressions et des sanctions de la vie sociale ?
Bien que parfois gênée, voire irritée, par une telle méprise, la profession ne cherche pas
toujours à la dissiper. Pour certains –la plupart sans doute- ce serait faillir à leur mission
globale d’assistance que de refuser, en l’absence de réponses spécifiquement médicales, ne
fut-ce qu’une simple écoute. Mais d’autres, beaucoup plus hardiment, développent
l’appareil et l’apparat (institutions, concepts, méthodes) de leur pratique et, partant,
fondent parfois l’illusion de la légitimité de l’action médicale dans des domaines où son
incertitude est quasi-totale. »
La question qui s’ouvre alors est d’approfondir les armes que le médecin a en lui pour rendre
légitime cette action.
3.5. La relation thérapeutique
Les médecins de notre étude ont bien souligné l’existence et l’importance de la relation
thérapeutique et de la démarche « psychothérapeutique » au sens le plus large du terme
que le médecin doit entreprendre envers ce type de patients. Nous allons étayer ces
approches.
Carl Rogers et ses travaux sont d’une aide précieuse dans les voies de la compréhension de
ce que peut être une relation d’aide. Ces écrits ont été nommés spontanément par un
participant.
Il ne s’agit pas pour le médecin de faire une psychothérapie au sens le plus strict du terme
mais plutôt de comprendre comment des compétences émanant de la psychothérapie
peuvent s’intégrer dans une théorie guidant les relations interpersonnelles 34.
De plus, même si il en était capable, ce n’est pas ce qu’on lui demande. Comme le
démontrait le Dr J.A Bury, personne n’est mieux placé que le médecin généraliste pour
prendre en charge ces patients. Pour eux, il est moins menaçant que le psychiatre puisque la
prise en charge n’exclut pas à priori le physique et donc les défenses mises en place 23. De
plus, pour arriver à faire parler un patient fonctionnel il faut un cadre beaucoup plus souple
et variable notamment dans la distance entre les protagonistes et le temps accordé à la
consultation. Et seul le médecin de famille dispose parfois d’années de présence auprès d’un
patient pour arriver à le faire cheminer.
En premier lieu tentons de définir ce qu’est une relation d’aide. Selon C Rogers ce serait une
relation dans laquelle au moins un des deux intervenants « cherche à favoriser chez l’autre la
croissance, le développement, la maturité, un meilleur fonctionnement et une plus grande
capacité d’affronter la vie »34.Ce serait donc une relation où l’un amène l’autre vers ses
ressources intérieures, vers leur usage potentialisé, vers l’autonomie.
62
La relation qu’instaure l’aidant vers l’aidé repose tout d’abord sur la recherche de la
signification personnelle des comportements pour le malade plutôt que de chercher un
diagnostic descriptif. Ceci implique une participation personnelle et active. Il a été montré
que l’attitude dans la démarche de vouloir comprendre marque davantage que les actes eux
mêmes34. Il faut tenter de verbaliser, clarifier ouvertement des sentiments que le patient
n’aurait abordés que vaguement ou avec hésitation.
Il a été montré que quelques traits se rapportant à la psychothérapie peuvent être, s’ils sont
bien gérés, des facilitants dans la relation d’aide34.
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-
-
Plus le thérapeute sera congruent et vrai dans cette relation plus l’évolution aura de
chance d’être favorable. La congruence34 est ce que l’on retrouve chez un
nourrisson : l’accord entre l’expérience vécue, la conscience de ce vécu et la
communication en résultant. Il est impossible de pouvoir atteindre cette congruence
parfaitement pour le médecin mais plus il sait écouter et assumer ce qui se passe en
lui et qu’il arrive à transmettre sans craintes la complexité de ses sentiments, plus la
relation d’aide sera efficace et plus la confiance pourra s’installer. Cela implique
d’accepter les sentiments négatifs, agressifs qui nous traversent ; ne pas ressentir de
culpabilité face à ces émotions qui paraissent peu nobles. Le tout est d’arriver à
paraître plus « vrai ». Winnicott disait à ce propos, parlant du soignant : « Quelque
soit son amour pour ses malades, il ne peut éviter de les haïr et de les craindre, et
mieux il le sait, moins il laissera la haine et la crainte déterminer ce qu’il fait à ses
malades »27.
Une autre facette abordée est appelée la « considération positive
inconditionnelle »34. Elle aborde ce point difficile qui met en branle ce que Balint
nommait la « fonction apostolique »6 du médecin. En effet cette fonction désigne la
tendance que nous avons de prédéterminer « par une idée vague mais presque
inébranlable » le « comportement que doit adopter un patient lorsqu’il est
malade »7. Hors pour que la relation d’aide soit optimale le médecin doit accepter
tous les comportements de son patient avec un sentiment positif qui s’extériorise
sans réserves ni jugements.
Nous pouvons revenir ici au point évoqué plus haut du rôle transitionnel que joue la
prescription. En effet, il est ici de bon ton de ne pas faire valoir cette fonction
apostolique si le patient a « mal » pris son traitement mais il est plein
d’enseignement d’essayer de comprendre ces attitudes2 (intolérances, croyances,
effet « magique » d’un traitement banal, galénique…)
Le troisième point est la mise en œuvre de la compréhension empathique34. Il s’agit
ici de savoir transmettre au patient l’effort de compréhension et ce qu’il en est
retenu en essayant de deviner et d’éprouver les sentiments personnels que le patient
tente de transmettre.
63
C Rogers admet qu’il est éminemment compliqué de suivre aveuglément de telles
conclusions et qu’il faut étayer et enrichir cela de notre propre expérience pour accéder à
une relation optimisée.
Il apparait que pour parvenir à cela il faut de la part du thérapeute une grande maturité
psychologique. La qualité de cette relation, qui a pour but de mener la personne vers la
croissance et l’indépendance, dépend aussi du développement et du travail personnel du
thérapeute. Il semble difficile d’être suffisamment fort dans sa personnalité pour arriver à
mener l’autre dans l’indépendance sans être tenté de le conformer à ce que nous pensons
être le meilleur.
On voit bien ici que la relation d’aide va bien au-delà évidemment du rôle d’écoute que
pourrait avoir un proche mais aussi au-delà du suivi, de l’accompagnement que peut se
proposer de faire le médecin.
Cette relation ne peut pas se substituer à une démarche analytique mais certaines symétries
peuvent être mises en exergue.
Pour l’analyste comme le médecin généraliste, le savoir ne peut devenir et rester opérant
que s’il se maintient une remise en question personnelle constante2. La démarche consiste
à ne pas chercher à repousser les résonnances que le discours du patient peut venir réveiller
en eux. Il est question au contraire de les guetter et préserver une ouverture dans
l’évolution de la relation. L’un et l’autre accepte ne pas savoir tout. La différence se situe
dans le fait que le généraliste doit réussir à accepter cet état de fait pour entrer dans une
dimension thérapeutique avec son patient alors que l’analyste s’engage à priori à ne pouvoir
prendre la place de l’analysant.
Le rôle du silence en analyse peut être mis en symétrie avec le « bavardage » chez le
médecin généraliste2. Le « bavardage » étant les échanges informels entre le soignant et son
patient l’amenant à parler de tout et de rien. Cet état de fait qui peut paraître bien
superficiel tient un rôle essentiel puisqu’il permettrait d’amener le patient à laisser tomber
peu à peu son masque défensif3.
Enfin, nous nous proposons de nommer les différentes propositions thérapeutiques 7 à
disposition de ces patients même si elles n’ont pas été étayées par les médecins de notre
étude.
Il peut être proposé par le psychiatre une thérapie cognitivo comportementale, une
psychothérapie. L’hypnose et l’acupuncture fonctionnent parfois. La kinésithérapie peut
souvent compléter le traitement.
Dans une branche plus spécialisée, en neurologie, des études sont en cours sur l’efficacité
thérapeutique des stimulations magnétiques transcraniennes sur les paralysies
psychogènes35 36.
En plus de l’arme thérapeutique que cela représente, il se matérialise une entrée fascinante
vers la signification physio pathologique de ces troubles. En quelques mots et grossièrement,
deux théories sont formulées et peuvent s’intriquer dans l’explication du succès de cette
64
méthode.
D’une part, la stimulation du cortex moteur produit un mouvement involontaire qui refait
prendre conscience au patient de la possibilité du mouvement. Cette théorie ferait en
quelque sorte de la stimulation transcranienne une réassurance très forte pour le patient.
D’autre part, l’imagerie fonctionnelle nous informe sur la diminution de l’activation du
cortex moteur avec parallèlement une activation anormale des zones pivots dans la
modulation des émotions. Les stimulations pourraient jouer le rôle de réactivation du cortex
hypoactif.
Une étude est en cours contre placebo, ce rôle ne pouvant pas être formellement exclu.
4. Discussion éthique
Plusieurs points nous poussent à ouvrir la discussion autour de la dimension éthique au
cœur de la relation de soin et en particulier vis-à-vis de ces patients.
Les grands principes de l’éthique médicale anglo-saxonne (rapport Belmont, 1978) sont : le
principe de bienfaisance, celui de non malfaisance, l’équité et l’autonomie.
La première interrogation surgit du sentiment globalement négatif dans la description de ce
type de patient par les médecins. Le thérapeute se sent bien souvent agressé, déstabilisé. Il
peut alors avoir une aversion qu’il ne parait pas honteux de partager avec ses collègues.
Comment prendre soin de patients que l’on peut parfois dénigrer ?
Ces patients qui ébranlent nos convictions, notre confiance en nos connaissances nous
enseignent quant à notre rapport au savoir et au pouvoir.
La question du pouvoir dans la relation est ici à l’ordre du jour. En effet comme nous l’avons
déjà vu les difficultés du médecin sont en partie liées à la sensation de perte de contrôle de
la consultation, de la relation. Hors, une relation de soin peut-elle être bienfaisante dans
une relation de pouvoir ? Le patient peut-il aller chercher ses solutions face à un soignant
qui se sent supérieur et qui lui en voudrait de ne pas mettre un peu de bonne volonté pour
rentrer dans « une case » s’intégrant dans l’étendue de son savoir ?
Martin Winckler24 évoque cela dans une de ses conférences tout en rappelant que dans
beaucoup de contextes il est difficile d’éviter les rapports de force et les prises de pouvoir.
Il nous rappelle que cette relation implique un échange dont la direction doit être
horizontale et non verticale. En effet dans toute relation de soin la tendance thérapeutique
est partagée. En tant que soignants nous avons besoin des soignés pour mettre en œuvre ce
qui nous anime. Il faut savoir accepter qu’en soignant nous nous soignons nous même. Les
patients porteurs de plaintes floues nous donnent l’occasion de pouvoir « guérir de vouloir
guérir ».
« Le soin est destiné à celui qui souffre et n’appartient pas à celui qui le délivre. Ce n’est ni
une récompense qu’on accorde, ni une punition qu’on inflige »24.
65
C’est ici que prend toute sa valeur la notion d’empathie qui permet d’envisager le partage
dans la relation de soin. C’est un partage partiel de l’expérience intérieure de l’autre. Ce
n’est pas une fusion mais une identification passagère27.
En relatant les faits déjà étudiés nous pouvons nous apercevoir que certains actes pratiqués
pour la bienveillance ne remplissent pas le principe de non malfaisance.
A ce propos nous avons parlé du poids de la parole et à quel point une parole qui se veut
rassurante peut venir s’encrer dans le patient sous une toute autre forme. De même, les
prescriptions notamment médicamenteuses sont souvent prescrites dans un but salvateur
ou de réassurance, mais peuvent aussi engendrer un cercle vicieux difficile à rompre. On se
rend compte ici que la différence est mince entre un geste ou une parole qui fait du bien et
un geste ou une parole qui fait du mal. Comme de nombreuses fois en médecine le principe
de bienfaisance et celui de non-malfaisance sont bien difficiles à concilier.
Quant au principe d’équité il est difficile à tenir du fait du climat de ce type de consultation
touchant plus que d’autres à l’intime du médecin et qui le met face à des sentiments qu’il
n’est pas forcément prêt à affronter. Les variables sont grandes et difficiles à maîtriser. Un
exemple concret pourrait simplement être l’état de fatigue, de stress, le niveau
d’expérience, le vécu actuel du médecin.
5. Pistes d’approfondissements
L’objectif de ce travail était d’identifier les difficultés et les représentations des médecins
face aux patients récurrents avec plaintes floues. Nous nous sommes aperçus que les
déterminants de la prise en charge de ces patients sont liés à ces représentations. Ces
dernières sont moins liées aux caractéristiques même de ces patients qu’à la remise en
question forcée et du sentiment de mise en échec des médecins.
Il apparaît après réflexions que notre façon d’envisager ces patients est peu prévisible avant
d’en avoir fait l’épreuve en consultation. Les interactions notamment transférentielles, notre
expérience, la fatigue accumulée…sont tant de facteurs difficilement maîtrisables. Il paraît
donc difficile de figer un apprentissage sur ce sujet au même titre que d’autres pathologies.
Cependant quelques pistes peuvent être proposées pour que nous y soyons au moins
préparés :
-
Traiter des plaintes fonctionnelles en tant que telles au cours de la formation
médicale, en second puis en troisième cycle. Dans les ouvrages sur lesquels nous
apprenons la physio pathologie, les troubles fonctionnels sont relayés à la dernière
ligne des causes à évoquer au même titre que l’origine idiopathique. Il faudrait
aborder ce point par un item à part entière. Cela permettrait d’anticiper une réalité
retrouvée dans la pratique et d’intégrer dors et déjà ces patients dans le champ de
ceux que nous aurons à traiter.
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-
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-
Intégrer lors de l’enseignement de l’examen clinique la recherche du contexte
social et psychologique. Ceci permettrait d’avoir un abord plus naturel vis-à-vis de
ces dimensions et de prendre la mesure de leur importance dans différents cadres.
Créer de manière non optionnelle un module de communication en médecine.
Chacun pourrait commencer à comprendre la portée de la parole, le poids des
transferts et contre transferts. Il serait licite d’y enseigner le décryptage du non
verbal.
Cela pourrait être l’occasion pour le futur médecin de commencer à comprendre que
ses propres vécus, ressentis, angoisses ou peurs joueront un rôle dans sa relation
future derrière le patient ; l’occasion de saisir qu’il ne suffit pas de se cacher derrière
son statut de médecin pour camoufler tout cela. Ce sera peut être une marche vers
un travail personnel à entreprendre pour pouvoir aider l’autre au mieux. Il nous
semble difficile en revanche d’imposer cet abord lors des études.
Faire participer les étudiants à des groupes d’échange type Balint. Cela permettrait
de rendre moins individualiste les études qui se jouent pour une partie dans la
concurrence. Chacun aurait l’occasion de se rendre compte que la plupart des ses
difficultés, peurs, culpabilités sont partagées. Ce serait une occasion de commencer à
aider l’autre par le partage de savoir et d’expériences vécues.
Sensibiliser les médecins aux alternatives thérapeutiques non médicamenteuses.
Ce pourrait être des propositions moins iatrogènes et intéressantes pour mener le
patient vers l’amélioration. Bien souvent les patients sont plus ouverts et informés
que leurs médecins pour essayer « autre chose ». Là encore, cela pousse bien
souvent à envisager le corps dans une sphère d’interactions différente de l’abord
biomédical traditionnel. Il serait intéressant de connaitre globalement ces approches
pour orienter intelligemment les patients.
Envisager pour les prises en charge difficiles des consultations pluridisciplinaires en
particulier avec un psychiatre ou un psychologue. Nous avons conscience que de tels
temps de soin sont peu compatibles avec la réalité du quotidien. Cependant, pour les
patients dont on se plaint qu’ils prennent tant de temps et d’énergie, ne serait-ce pas
profitable in fine ? Ce genre de consultation existe en milieu hospitalier37 et nous
enseignent en quoi cela est profitable pour chacun. Une consultation commune
favoriserait le « passage » d’une prise en charge somatique vers un versant
psychologique et permet au patient d’ouvrir naturellement ses symptômes vers
d’autres significations. Ensemble, les médecins remplissent un rôle plus contenant.
Envisager des travaux de recherche davantage basés sur les représentations des
patients pour tenter de s’enquérir de ce qu’ils perçoivent des contre-transferts
négatifs des médecins. cela pourrait permettre d’enrichir les apprentissages
communicationnels.
Chercher ce qui détermine la peur des médecins de passer à côté du diagnostic
grave. Nous nous sommes rendu compte qu’une partie de leur démarche
67
-
diagnostique est liée à ces peurs. Si nous voulions chercher à améliorer cet abord
(notamment à propos des prescriptions) il serait intéressant de creuser cette réalité.
Laisser l’avancée de la recherche nous apprendre sur ces patients d’un point de vue
scientifique. De tout temps, le médecin est celui qui porte le savoir. Confronté à ce
qu’il ne connaît pas, ce qu’il n’a pas appris, il choisit souvent d’en nier l’existence. Audelà des considérations relationnelles sur le soin que cela nous incite à prendre en
compte, peut être faudrait il avoir l’humilité de penser que nous ne connaissons pas
tout du fonctionnement de notre corps et de notre cerveau. Il serait peut être plus
rationnel de penser que nous n’avons pas encore découvert plutôt que de penser
que ça n’existe pas. Les approches des traitements des paralysies psychogènes par
stimulations magnétiques transcraniennes en sont un exemple35 36. L’imagerie
fonctionnelle nous ouvre des portes dans la compréhension de ce qui régit notre
corps.
68
CONCLUSION
Les patients qui viennent déposer de manière récurrente des plaintes floues chez leur
médecin sont nombreux. Ils viennent l’ébranler dans ses habitudes, ses certitudes et son
quotidien. De plus, ils occasionnent une surconsommation du système de soin. Le médecin
généraliste se trouve donc au cœur d’un problème de santé publique.
Il était donc doublement intéressant de se pencher davantage sur la prise en charge de ces
patients en tentant d’identifier les difficultés des médecins généralistes et chercher ce qui
les détermine.
Notre supposions, comme postulat de départ, que ces difficultés seraient liées aux
représentations personnelles et médicales des médecins d’une part et aux particularités qui
émanent de ces patients d’autre part. Nous voulions comprendre en quoi elles
conditionnent leur démarche auprès de ces patients pour engager des pistes de réflexion en
vue de l’amélioration de ces prises en charge.
Dans notre étude, nous constatons que l’abord de ces patients est, que ce soit dans les
perceptions, les attitudes ou les ressentis, plein d’ambivalence.
Les médecins généralistes perçoivent ces patients comme étant en souffrance réelle, ils
devinent en ces plaintes l’expression corporelle de blessures d’origine psycho-sociofamiliale. Ils se sentent à leur place dans leur rôle spécifique de médecins généralistes pour
les aborder d’une manière globale. Ils entendent privilégier l’écoute et la relation
thérapeutique mais ne sont pas toujours aptes à le faire.
Les médecins généralistes abordent largement la difficulté d’offrir la disponibilité nécessaire
dans un quotidien lourd et chargé. La prescription, même inadaptée, peut être un recours
pour abréger la rencontre. Cela les fait entrer dans la iatrogénie du soin et ils en ont
conscience. Le rôle de la prescription s’inscrit également dans la volonté de se rassurer, de
ne pas passer à côté d’un diagnostic grave. Cette peur détermine en grande partie la
démarche diagnostique du médecin. Elle est elle-même liée à la représentation que se fait le
médecin de son devoir et à l’incertitude qui cerne le patient sans diagnostic. Il serait
intéressant de questionner plus avant les déterminants de ces peurs pour comprendre
comment les minimiser.
Les médecins généralistes évoquent le sentiment frustrant de mise en échec. Cette
sensation n’est pas toujours justifiée et est surtout liée à l’objectif de guérison qu’ils ont
l’habitude de se fixer. Ils admettent devoir se remettre en question et sortir du cadre
nosologique habituel, de devoir davantage prendre en compte les représentations du
patient que leurs propres représentations biomédicales. Ces patients viennent donc
69
questionner les médecins dans leur position de savoir et de pouvoir. Ceci fait naître bien
souvent des ressentis à connotations négatives qui mettent à mal la relation médecinmalade pourtant bien au centre de l’enjeu thérapeutique.
Ces résultats sont globalement congruents avec les études déjà réalisées.
Il se pose donc des questions fondamentales concernant l’abord de ces patients. Les
médecins utilisent pour la plupart leur bon sens et leurs expériences pour arriver à gérer ces
patients. Mais cela est bien souvent au prix d’une mise à l’épreuve. Pourtant il semble que
cette prise en charge pourrait être gratifiante si elle était menée de manière plus sereine.
Il nous semble à l’issue de ce travail, que l’on pourrait développer l’enseignement pendant
les études médicales à propos de ces patients.
Les plaintes fonctionnelles pourraient être abordées au même titre que d’autres pathologies
plutôt que d’être reléguées aux dernières lignes des causes « non identifiées ». La
communication, la relation médecin-malade, la psychologie médicale mériteraient d’être
traitées pour nous préparer à de telles rencontres.
Nous nous rendons compte à l’issue de ce travail qu’une part ne peut nous être enseignée. Il
est difficile d’appréhender notre façon de réagir face à ces patients avant d’en avoir fait
l’épreuve en consultation. Cela est déterminé en partie par la personnalité du médecin, son
vécu, ses propres représentations. Il faut une grande maturité psychologique, que le
médecin peut atteindre en partie grâce à un travail personnel pour passer du « Vous n’avez
rien (qui m’intéresse) » à « Ce qui m’intéresse, c’est que vous n’avez rien »23.
70
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73
ANNEXES
I. Annexe n°1 : modèles étiologiques de représentation de la
maladie selon Laplantine
Modèle ontologique/ relationnel
-
Ontologique : retrouver un « être de la maladie », une cause précise à localiser.
Relationnel : repérer un équilibre qui évolue dans le temps et dans l’espace.
Modèle exogène/endogène
-
Exogène : la nature donne à la base une bonne santé, la maladie trouve son origine
dans un agent nocif « naturel », dans l’environnement.
Endogène : maladie héréditaire
Modèle additif/ soustractif
-
Additif : la maladie vécue comme quelque chose en plus, en trop (cancer)
Soustractif : la maladie vécue comme un manque, une absence
Modèle maléfique/ bénéfique
-
Maléfique : maladie nocive, à combattre, une déviance biologique mais aussi sociale.
Bénéfique : symptôme message à écouter, comprendre, qui a un sens et une valeur.
74
II. Annexe n°2 : Proposition d’approche des patients aux plaintes
physiques inexpliquées.
Accueillir le patient et recueillir les informations
-
Créer et renforcer les liens (par l’écoute, l’empathie, etc.)
Colliger les données pertinentes pour repérer et délimiter les problèmes.
Comprendre la perspective du patient pendant l’entrevue
-
Explorer la perception qu’a le patient de ses malaises.
S’informer des conséquences de ses malaises sur sa vie quotidienne.
Reconnaitre et légitimer sa souffrance.
Procéder à l’examen physique du patient
-
Faire l’examen physique même si on ne le juge pas essentiel d’un point de vue
purement médical.
Attirer l’attention du patient sur les points évalués lors de l’examen physique en
utilisant diverses techniques communicationnelles (exemple : penser à voix haute)
Nommer et expliquer les phénomènes au patient
-
Découvrir et nommer la maladie ou la psychodynamique en cause.
Inclure le patient dans la recherche d’explications.
Solliciter son opinion sur les causes de ses malaises et sur les solutions possibles.
Nommer le diagnostic ou le problème, puis expliquer précisément les phénomènes
physiques à la base des malaises ressentis.
Emettre, dès la première entrevue, l’hypothèse de facteurs affectifs pouvant
intervenir dans l’explication des malaises somatiques.
75
Collaborer avec le patient dans la recherche de solutions
-
-
S’appliquer à modifier l’interprétation que le patient se fait des facteurs qui induisent
ses malaises (faciliter la réattribution, particulièrement en fonction d’une hypothèse
psychologique).
Assurer la psychoéducation
Offrir un soutien empathique.
Cibler et renforcer les aspects positifs, soit les forces et les succès du patient.
S’entendre avec le patient pour faire l’essai de différer tout autre examen
diagnostique tout en maintenant le suivi.
S’appliquer à remplacer l’objectif de guérison par un but plus réaliste d’adaptation
(coping) au problème chronique.
Au besoin, planifier plusieurs entrevues, ou même inclure dans le suivi des entrevues
régulières, peu importe la présence ou non d’un problème.
Si cela s’avère nécessaire, diriger le patient vers un spécialiste (pour avis ou traitement)
76
VERBATIM DU FOCUS GROUP
Légende du verbatim :
M Modérateur
(.) Pause
=
coupe la parole ou prise de parole rapide
[
plusieurs personnes parlent en même temps
Les médecins sont numérotés de 1 à 8 arbitrairement selon l’ordre de prise de parole du
premier tour de table.
77
5
10
M : Nous sommes ce soir réunis pour la thèse d’Aurore. La thématique de ce soir donc ça sera une
situation de médecine générale que l’on connait tous, à savoir les plaintes floues, les plaintes
inexpliquées. Ces malades qui viennent nous voir et finalement qu’est-ce qu’ils ont ?qu’est-ce…
qu’est-ce qu’on peut faire pour eux etc, etc, etc… donc ces plaintes floues, inexpliquées qu’on a tous
en consultation. Donc c’est vraiment un sujet de médecine générale.
Alors on va faire un tour de table et je vais vous demander donc de vous présenter, nous dire où estce que vous êtes installés et depuis combien de temps et puis on démarre tout de suite avec la
première question qui est la suivante donc : pour vous (.) qu’est-ce qui caractérise ces patients,
quelles sont les caractéristiques que vous voyez pour ces patients ?
Alors on commence par Dr 1 :
Dr 1 : Alors Dr 1 installé à Aantes depuis 3 mois, en centre ville. Euhhh qu’est-ce qui caractérise ces
patients euhhh (en ayant regard baissé, joue avec le pupitre, voix basse) euhh, je vais dire anxieux,
des patients au profil anxieux.
15
M : je te demanderais de parler assez fort de façon à ce que le micro récupère bien tout ça.
Dr1 : oui je disais des patients au profil anxieux. La première chose qui me vient à l’esprit c’est ça.
M : d’accord
Dr 1 : Une description des plaintes pas toujours très précise, avec des poly symptômes…
M: alors, on peut passer
20
Dr 1 : oui on va passer (rire)
M : Dr 2, même chose tu te présentes et tu nous dis pour toi ce qui caractérise ces patients.
25
30
Dr 2 : Donc Dr 2, installée à Buérande depuis 3 ans et demi maintenant. Euhhh…moi comme ça de
prime abord je définirais peut être deux catégories, ceux qui viennent avec une plainte floue de
manière récurrente et le patient qui vient une fois avec une plainte floue. Ceux qui viennent de façon
récurrente je pense qu’en effet, je rejoins ce que dit Dr 1 ce sont des patients qui sont anxieux qui
vont somatiser et qui justement vont être trop à l’écoute de leur corps et qui vont exprimer des
plaintes multiples, variées sans cause organique le plus souvent, alors ceux là sont compliqués à
prendre en charge… notamment éliminer une organicité parmi, parmi… une tonne de symptômes et
quand même je dirais attention au patient qui vient avec des symptômes flous mais qui n’a pas
l’habitude de consulter, qui vient une fois, qui ne sait pas bien décrire ce qu’il ressent euh … peut
être là il y a vraiment une organicité à rechercher malgré des symptômes qui peuvent être hasardeux
ou mal décrits parce que c’est peut être quelqu’un qui consulte peu. Voilà. C’est vrai qu’il y a deux
classes pour moi.
M : d’accord, Dr 3…
35
Dr 3 : Dr 3 installé à Cucé sur Erdre depuis 27 ans. Plaintes floues pour moi c’est deux situations
différentes. Le patient qui a des difficultés à exprimer sa plainte ou ses (en insistant sur le volume et
l’intonation) plaintes et qui l’exprime de manière floue pour le médecin dans le repérage. Parce que
on a tous le même code de lecture de la plainte qui est le code de la sémiologie médicale et on a du
78
40
45
mal à se retrouver, parce que le patient a du mal à décrire sa plainte donc elle peut correspondre à
un syndrome ou une maladie tout à fait authentique mais la façon dont elle est exprimée au départ
euh est floue(Dr 8 hoche la tête). Et puis il y a l’autre cas effectivement d’un patient ou d’une
patiente qui décrit donc un certain nombre de signes , un certain nombre de plaintes qu’on a du mal
à faire rentrer dans un cadre nosologique et pour lequel on est rapidement mis en difficulté.(.) Donc
qu’est-ce qui caractérise ces patients je ne peux pas dire puisque au départ je n’ai pas d’a priori sur la
typologie du patient qui vient décrire quelque chose qui pour moi est flou.
M : Pour l’instant tu ne décris pas de typologie ?
Dr 3 : non
M : non, d’accord. Dr 4 ?
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60
Dr 4 : je suis installé à Dantes depuis un an (.) en centre ville. Donc pour moi la plainte floue déjà ça
peut être euh.., ça peut être euh y’a pas de, y’a pas d’âge particulier ça peut être l’enfant, la maman
qui (.) qui fait une plainte à propos de son enfant de façon assez floue, ça peut être le jeune adulte
ou la personne âgée. Euh…. Dans un premier temps c’est vrai que(.) je me base aussi sur la
sémiologie pour éliminer quelque chose d’organique avec un examen assez, assez complet euh et
puis et puis après euh effectivement euhh (soupir) (.)Pour caractériser le patient on a affaire soit à
des patients effectivement qui peuvent être un peu limités qui ont du mal à s’exprimer, exprimer
leurs symptômes. Comme aussi on peut aussi avoir affaire, surtout si on pense qu’il n’y a pas
d’organicité, à quelqu’un d‘extrêmement effectivement angoissé (.) un patient qui ne sera pas un
nouveau patient qu’on aura déjà vu pour lequel euh on sera moins euh ..( .) Enfin on aura déjà fait
déjà pas mal de choses pour lui mais tout en restant vigilant, oui, parce que je pense que la plainte
floue il faut toujours être très vigilant, ne pas passer à coté de quelque chose de grave, c’est surtout
ça moi qui me préoccupe.
M : ok, de toute façon on va revenir un peu sur tout ça. Dr 5 ?
65
70
Dr 5 : Dr 5 installé à Eaint Molf depuis 26 ans. Euh… je serais un petit peu de l’avis de certains sur la
plainte, enfin en premier lieu une plainte anxieuse et, et chez certains dépressifs qui qui sont
exprimées de façon récurrente, qui sont floues mais pour lesquelles on a globalement une idée de
l’étiologie. Et puis par contre la différence avec la plainte multiple et floue pouvant évoquer une
pathologie organique et malgré les difficultés de verbalisation et qui nous demande par contre là un
travail d’écoute(sonnerie de téléphone) et de compréhension pour savoir quelle est vraiment l’origine
de cette plainte floue : est-ce que c’est effectivement une modification du comportement par
rapport à une pathologie organique ,est-ce que c’est une modification de sa verbalisation par rapport
à un problème psychologique, problème familial ?donc là ça nécessite par contre un travail d’écoute
beaucoup plus important et une difficulté diagnostique importante.
M : d’accord, c’est à peu près tout pour l’instant ?
Dr 5 : oui parce que ca a déjà été dit.
75
M : d’accord on va revenir dessus, Dr 6 ?
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85
Dr 6 : donc moi je fais des remplacements depuis 4 ans et demi, plutôt des remplacements fixes et je
m’installe à Fuérande dans trois mois. Ben je vais rejoindre un petit peu ce qui a été dit. C’est vrai
que d’une part moi j’ai du mal à bien les caractériser parce que je trouve que ces plaintes floues on
les rencontre aussi bien chez homme ou femme et quelque soit finalement l’âge, les adolescents ont
également leur part de plaintes floues. Apres il y a ceux qui ont des difficultés à verbaliser exprimer
clairement leurs symptômes. Donc ça je trouve c’est eux quand même qu’on arrive globalement un
petit mieux à canaliser et puis après tout ceux qui ont un cortège de symptômes et qu’on a des
difficultés à lier , a faire rentrer dans un cadre nosologique vraiment particulier et c’est vrai que
régulièrement on a un contexte anxieux, voilà qui peut être récent ou pas (.) mais…difficile pour moi
de les caractériser précisément finalement ce type de patient.
M : d’accord, Dr 7
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115
Dr 7 : Dr 7, je suis installé à G baule depuis bientôt 15 ans. Alors une plainte floue… je ne veux pas
redire ce qui a été dit mais moi ça me pose un problème dans le déroulement d’une consultation qui
est floue donc quelque fois j’essaye de… c’est un petit peu mon mode de fonctionnement d’être
assez cadré de dire pourquoi venez vous, qu’est ce qui se passe ? et d’avoir un motif de consultation,
renouvellement de traitement ou autre , de manière à éviter une consultation où apparemment tout
a été cadré, tout roulait bien, donc on n’a pas de soucis on n’a pas pris de retard et là à la fin c’est là
que l’on entend dire (voix amusée) vous n’écoutez jamais docteur quand on vous parle ou bien de
sentir que le patient est frustré ou bien avoir envie de nettoyer son agenda(Dr 8 sourit) et qu’il ne
revienne pas, ça c’est quand même assez fréquent avec certains qui sont récurrents dans leur plainte
floue. L’éternel (voix augmentée de volume) soucis c’est de ne pas passer à coté là j’en ai une jeune
actuellement, de ne pas passer à coté d’une pathologie organique parce qu’on a le droit d’avoir des
plaintes floues et un jour un vrai gros souci (voix amusée), pas évident de diagnostiquer (Dr 2 hoche
tête) donc là c’est la crainte toujours de… de… voir de brusquer le patient pour, je dis nettoyer
l’agenda parce que ça peut être une réalité parfois lorsqu’ils sont agaçants, lorsqu’ils sont récurrents
et puis euh de passer à coté d’une grosse misère. Donc ça c’est le souci sous jacent permanent. Mais
le le fait de pas avoir dirigé la consultation au début alors éventuellement pour explorer une plainte
floue et puis partir sur un renouvellement de traitement etc, la cheville on a vu ok il y avait trois
points à voir et puis et puis on n’a pas fait ce que le patient attendait (voix amusée).
M : D’accord, Dr 8 ?
Dr 8 : Je suis installée à Hozay depuis 11 ans. Euh ce sont des patients qui sont pas forcément faciles
parce que on a l’habitude de raisonner en signes ou en maladie (Dr 7 hoche tête) et en fait ils nous
parlent de quelque chose qu’on ne cadre pas tout de suite. Mais j’ai entendu tout à l’heure ça peut
être des patients qui sont trop à l’écoute de leur corps, ou alors des patients qui ne se connaissent
pas et qui nous donnent quelque chose et que nous on ne recadre pas sur lui-même. Et ça peut
arriver je crois a tous les âges et pour les enfants, les tout petits petits c’est toujours des plaintes
floues parce qu’en fait faut qu’on aille plutôt à la pêche. Après on a les ados qui sont à la découverte
de leur corps et qui vont nous parler de chose, pour nous ça semble naturel et puis pour eux, pour
eux c’est des choses ; ils nous parlent avec des termes que nous on recadre et qui sont pas toujours
adaptés. Autrement je crois que de toute façon tous les patients à un moment ou à un autre vont
avoir une plainte floue.
80
135
M : Alors je vais faire un petit résumé de ce que vous avez dit un ; alors les caractéristiques euh…mis
à part des éléments qui pourraient être chez des patients un peu limités, ça a été dit, anxieux voir un
petit peu dépressifs puisque c’est une caractéristique pour vous ,euh il y a l’absence de
caractéristique que vous signalez dans la mesure où vous dites qu’il n’y a pas d’âge particulier, ça
peut être l’homme, ça peut être la femme. Ca peut même être tout le monde puisque comme le dit
Dr8 tous les patients peuvent avoir à un moment donné de leur existence une plainte floue. Euh vous
caractérisez quand même ce patient comme étant un patient pas facile, un, c’est ce qui a été dit. Et
puis par ailleurs vous mettez en avant deux catégories j’allais dire ; la plainte floue récurrente, les
patients qui arrivent toujours avec la même plainte dont on sait pas finalement quoi faire, un, et puis
celui qui arrive de novo si je puis dire avec une plainte qu’on a du mal à expliquer à l’issue d’une
consultation. Euh ce que vous signalez également c’est la notion de vigilance mais ça on va y revenir
tout à l’heure parce que ce n’est pas vraiment dans les caractéristiques du patient c’est plus le
comportement (bafouille) du médecin. Donc (.) j’ai entendu également c’est Dr 3 qui disait ça, pas de
typologie particulière donc ; si on fait le premier tour de table sur cette première question :
finalement le malade potentiellement atteint d’une plainte floue ça peut être Mr ou Mme tout le
monde. Si j’ai résumé un petit peu ce que vous avez dit. Est-ce que c’est en accord, est-ce que j’ai
traduit ce que vous pensez ou est-ce que vous pensez au contraire qu’il y a des patients que vous
mettriez plus facilement dans ces caractéristiques, des patients que vous voyez plus souvent avec des
plaintes floues que d’autres.
140
Dr1 : J’ai pas une grosse expérience pour l’instant parce que je me suis installé récemment mais le
peu que j’ai vu en 3 mois qui sont des patients récurrents, ils ont quand même je trouve un profil
psychologique particulier ; ils arrivent avec un cortège de symptômes, et c’est souvent les mêmes je
trouve. Enfin y’a pas de questions d’âge ou de sexe, c’est pas le…mais je trouve pour moi y’a cette
notion de profil psychologique
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M : d’accord
Dr1 : qui est importante à mes yeux.
M : d’accord ; donc pour toi tu identifies quand même, j’allais dire une typologie psychologique à ce
moment là ; ou un profil (insiste sur le ton) psychologique.
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Dr1 : Une partie après effectivement y’a la personne qui vient effectivement qui a du mal à
verbaliser, exprimer ça c’est tout à fait autre chose.
M : = tout à fait
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Dr1 : mais ça on le voit peut être moins souvent en fait y’a moins la notion de récurrence, ce n’est
pas ceux qu’on voit régulièrement. Là c’est plus une histoire d’arriver à verbaliser ces symptômes de
manière compréhensible en fait. Et pour les autres moi je pense, de ce que j’ai vu et même en
remplacement
M : = c’est ça
Dr1 : on voit effectivement sur l’agenda : tiens il revient encore pour
M : = pour la même chose
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Dr1 : pour la même chose oui
M : d’accord, Dr 3 ?
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Dr3 : Alors euh, oui je suis d’accord aussi pour dire qu’on a des patients comme ça qui reviennent et
qui ont toujours ce mode d’expression donc flou à qui correspond un profil soit anxieux soit anxio
dépressif (.)C’est vrai. Maintenant, cette typologie n’est peut être pas aussi facile à (.)à faire de cette
manière puisqu’on a tous soulevé le risque qu’on prenait de CLASSER (insiste sur l’intonation) les
gens et donc de se retrouver de cette manière à ne pas prendre en compte une plainte chez
quelqu’un qui a ce profil. En partant du principe que la plainte est a chaque fois, donc floue. Et
d’autre part, chez ces gens qu’on aurait tendance à classer comme ça dans des troubles anxio
dépressifs euh, le sens de cette plainte euh est flou si on l’interprète euh dans notre je dirais
langage sémiologique mais si on regarde cette souffrance psychologique, on peut considérer que
c’est toujours la même plainte et qu’elle n’est pas floue. Puisque cette plainte a le même sens, que
nous on ne comprend pas dans ces cas là. C’est pour ça que ça me gène de catégoriser comme ça les
gens euh parce que nous on a la lecture sémiologique qui est partagée par nous et qui n’est pas
partagée par le patient.
Dr 8 : On est en train de dire que ce sont éventuellement des gens qui sont anxio dépressifs ou
anxieux mais des fois ça peut être des plaintes vraiment somatiques mais la seule chose c’est que le
langage qu’ils nous apportent et le cortège qu’ils nous décrivent euh ne rentrent pas dans euh… estce que je peux donner un exemple, le vertige. Les gens arrivent avec des vertiges, on va se dire bon
ca y est…et nous on va se dire ben oui, on va lui poser les questions du vertige, donc tant qu’on
n’aura pas exploré tout on va dire bon on arrive au bout, et on va dire ben non il marche droit tout ca
et tout et puis là il va dire, oui mais j’ai 39°…ben tout s’éclaire. Donc au début c’était très flou et puis
en fin de compte…donc c’est pas toujours des gens qui sont anxieux ; peut être.
Dr 5 : Je dirais que le coté flou aussi peut être majoré par la lucidité du médecin (Dr 2 amusée,
sourit). Fin de journée après des mois et des mois de travail ça m’est arrivé d’avoir des consultations
qui me paraissent floues alors qu’au retour de vacances j’ai compris tout de suite qu’elle était
l’origine de cette difficulté diagnostique.
Dr 4 : Je suis entièrement d’accord avec Dr 3 par rapport…c’est vrai qu’au bout de trois consultations
où le patient vient pour quelque chose de flou ça ne l’est plus parce que (amusé) c’est toujours la
même plainte donc cette plainte du coup elle n’est plus floue.
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190
Dr3 : ben non…
Dr4 : et donc c’est vrai je pense pas que cela caractérise vraiment que les anxio dépressif parce que
après on commence à les connaitre et puis on sait très bien de quoi il s’agit donc…et par contre je
pense que la plainte floue aussi c’est, il faut faire, il faut être très vigilant aussi par rapport à sa
capacité (.) médicale(Dr 5 hoche tête) par rapport à son interrogatoire, par rapport à …je pense
qu’effectivement y’a des moments où on est moins vigilant, où on a eu une consultation avant
qu’était très difficile et tout, où on est un peu encore dans la consultation d’avant ;donc enfin je sais
pas je pense que ça vous arrive à tous (Dr 7 et 8 hochent tête) : quand on sort d’une consultation
difficile et qu’on renchaine sur une autre on est.. On peut être pas très vigilant.
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Dr 5 : Ca correspond à ce que disait Dr 3, c’est le langage enfin la problématique est expliquée par un
langage, par le langage du patient et nous on n’arrive pas à comprendre ce langage là (Dr 3 et 4
hochent tête). Pour quelles raisons après…
M : alors ça on va y revenir un petit peu dans la discussion ; concernant cette question sur les
caractéristiques est-ce que vous avez l’impression qu’on a fait le tour ou est-ce que … Dr3 (qui lève la
main) tu veux rajouter…
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Dr3 : J’aimerais compléter en disant que la plainte floue peut aussi concerner quelqu’un qui a un
passé avec une souffrance, un accident de vie, quelque chose qui concerne une maltraitance,
notamment on a parlé des enfants et des adolescents et de justement le danger c’est de classifier ces
patients pour qui on n’arrive pas à décoder la plainte donc qui nous mette en échec et le réflexe est
tentant de les classer et en les classant on perd … le sens de la plainte donc c’est pour ça que je me
retiens dans un premier temps de les classer mais d’essayer vraiment de comprendre le sens.
M : d’accord, est-ce que vous pensez qu’on a fait le tour de cette première question ?
Dr5 : Juste pour finir on pourrait à la limite classer, non pas dire que c’est un syndrome dépressif
mais que c’est une plainte qui est d’origine psychologique tout simplement. (Dr3 hoche vivement la
tête)
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M : d’accord
Dr 4 : ben moi je suis pas tout a fait d’accord quand même
M : Vas-y Dr4…
Dr5 : = pour ce genre de, pour les personnes qui sont étiquetées dépressives
Dr4 : oui, oui ben oui forcément mais après la plainte floue peut être d’origine organique
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Dr5 : organique tout à fait
Dr4 : y’a des gens qui vous disent ben j’ai mal là et puis après le médecin il se débrouille, c’est à vous
de faire le boulot quoi. Peut être qu’elle est floue pour eux mais elle ne va pas être aussi floue pour
vous. (rire)
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Dr 7 : peut être aussi c’est la multiplicité des petites plaintes qui vont du pied aux cheveux en passant
par… et quand on a décortiqué un petit peu on repasse sur un autre petit symptôme totalement
mineur parce que le patient a envie (voix amusée) de parler de toutes ses petites misères qui vont
être liées à l’âge ou liées…
M : Très bien. Je vous propose de passer donc à une deuxième question, et là aussi j’ai bien noté que
sur cette première partie euh il y a eu de mis en avant deux catégories, les plaintes floues
récurrentes c'est-à-dire les gens qui viennent finalement toujours avec les mêmes demandes et puis
la plainte unique mais qui est floue. Je vous propose d’écarter cette première chose là parce qu’en
fait ça peut être un tableau sémiologique qui n’est pas encore affiné et qui va l’être deux jours après
ou trois jours et ne le sera plus. Donc on va s’intéresser aux plaintes floues récurrentes c'est-à-dire
les gens qui viennent toujours à peu près avec, à la consultation, avec les mêmes symptômes ;
docteur vous arrivez toujours pas à trouver ce que j’ai, c’est un petit peu ça. Et dans cette situation
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je voulais vous demander quelle était votre démarche, votre démarche médicale en tant que
médecin généraliste vis-à-vis de ces patients. On peut refaire le tour à l’inverse, DR8 si tu veux
démarrer cette question…
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Dr8 : (l’air concerné, presque inquiet)Là ça va être peut être des patients plus…où il va falloir être très
attentifs à justement ne pas se lasser nous, et puis voir si on a un petit peu tout exploré et pas rester
sur ce que dit le patient et peut être qu’à ce moment là il faut remettre le métier sur l’ouvrage ou
l’ouvrage sur le métier plutôt. Parce que nous on va rester sur l’idée que lui il vient pour la même
chose et à un moment est-ce que c’est toujours la même chose ou pas ? Et après peut être remettre
le nez dans le dossier pour voir si on a vraiment tout exploré et si on n’a pas une autre idée ou
quelque chose. Je pense que c’est là qu’il faut pas être : il vient pour ça, hop. Comme tu disais
(s’adressant à Dr7) de il vient pour ça donc on met la même chose que d’habitude mais essayer d’y
repenser à chaque fois, peut être pas toutes les consultations mais qu’il y en ait une au moins ou il
faut faire surtout le point sur la question.
M : Dr 7
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Dr7 : (bras croisés) J’insisterais beaucoup sur remettre un peu le compteur à zéro de temps en temps,
réexaminer complètement regarder ce qu’on a fait comme examen complémentaire, pas passer à
coté d’un gros souci organique, et puis demander aussi l’avis d’un confrère spécialiste : en rhumato,
en gastro on va observer beaucoup de plaintes fonctionnelles ce qui rassurera le patient au moins
pour un temps si il n’y a pas de pathologie organique.
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M : d’accord, Dr 6 ?
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Dr 6 : oui, ben toujours pareil sur la vigilance, il faut rester vigilant sur une organicité. Après c’est vrai
que dans la récurrence des plaintes et des consultations, une fois qu’on a l’avis d’un confrère
spécialiste et qu’on a un petit peu exploré, après c’est toujours trouver l’équilibre entre être dans
l’écoute de la plainte, la prendre en considération quand même, puisque même si elle est floue elle
existe (Dr3 hoche la tête), être dans la réassurance et puis après explorer le contexte. Dans la
démarche essayer ben de comprendre pourquoi il y a cette plainte et pourquoi il y a la récurrence de
cette plainte, donc après c’est revoir avec le patient s’il n’y a pas eu un accident de vie, revoir un
petit peu ou est-ce qu’il en est dans son parcours de vie et d’avoir une approche globale.
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Dr5 : oui, donc un travail d’écoute plus important pour ce type de patient (Dr6 hoche la tête). Bien
savoir aussi se remettre en cause, est-ce qu’on n’est pas passé à coté de quelque chose, surtout ne
pas passer à coté de quelque chose. Est-ce que la symptomatologie est identique ou est-ce qu’elle
est différente de d’habitude, pouvant à ce moment là faire évoquer peut être un avis spécialisé ou
des examens complémentaires. Donc moi j’insisterais surtout sur l’écoute plus importante. Quand ce
type de patient arrive et qu’on se retrouve de nouveau dans une consultation avec une plainte floue,
on va devoir faire un effort plus important d’écoute, ça c’est sur.
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Dr4 : Donc effectivement être très très rigoureux déjà, moi je reprends tout à zéro : les antécédents,
les traitements, les examens complémentaires. Faire appel effectivement à la biologie, à un
spécialiste pour éliminer une origine organique voire pour rassurer le patient. Et puis une fois que
tout ça est fait et qu’on est à peu près sur que y’a rien d’organique ; à ce moment là effectivement je
revois les patients sur un temps plus long, j’arrive à bloquer plusieurs consultations pour que ça dure
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un petit peu plus longtemps et puis donc soit après ben effectivement c’est l’écoute qui prime, donc
soit on les prend en charge en psychothérapie ou soit on les envoie voir un confrère spécialisé.Ca
dépend un peu de l’histoire de vie, ça dépend de …en tout cas il faut passer au moins deux ou trois
consult à questionner vraiment la personne (Dr2 hoche tête)sur son histoire de vie parce que
généralement quand on pioche on trouve (rire), donc… voilà après c’est vrai que c’est du temps, c’est
toujours le même problème en médecine générale : il faut consacrer du temps.
M : Dr 3 ?
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Dr3 : je suis assez d’accord avec tout ce qui a été dit, les uns et les autres viennent compléter.
Euh…donc je ne vais pas redire. A la nuance près par rapport à cette démarche dans le souci d’éviter
de passer à coté de quelque chose, ou du moins de s’embarquer dans la mauvaise piste, c’est de
cheminer avec le patient c'est-à-dire, euh être à l’écoute de sa réelle demande au-delà de cette
plainte floue. Qu’est-ce qu’il attend ? Est-ce qu’il souhaite (insiste sur l’intonation)un diagnostic ou
est-ce qu’il souhaite être rassuré ou est-ce qu’il souhaite être soulagé ?(Dr 7 en retrait) Parfois dans
ces plaintes floues on est justement nous dans un cheminement diagnostic difficile en commençant
déjà à mettre en place une stratégie décisionnelle : examens complémentaires, avis spécialisé et puis
le patient attend en quelque sorte qu’on lui dise que c’est pas ça et ça suffit peut être pour
l’emmener un peu plus loin sans mettre en place autre chose. Donc j’aime bien aussi savoir
justement ce qu’attend le patient dans sa démarche de venir nous consulter par rapport à cette
plainte floue. Et puis d’autre part euh (.)au-delà de ça j’aime bien aussi dans ma démarche, c’est de
m’enquérir du sens que le patient donne à sa plainte, c'est-à-dire de le questionner en lui demandant
qu’est ce que pour lui c’est ; qu’est ce que cette plainte signifie pour lui ? Parfois on a justement des
bonnes surprises de voir que pour le patient… euh le diagnostic qu’il en fait nous aide aussi et permet
de prendre du temps. Voilà.
M : Dr 2 ?
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Dr2 : c’est dur de passer à la fin euh…
M : mais ce n’est pas fini
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Dr2 : non non mais à la fin d’un tour de table aussi riche. Euh … donc moi je suis très d’accord en
effet avec ce qui a été dit euhhh… Par rapport à mon cas personnel, en fait quand je me suis installée
ça m’angoissait énormément des patients qui venaient comme ça avec de multiples plaintes et je
pense que l’expérience de chaque médecin l’aide à gérer ce type de patient. J’ai une toute petite
expérience derrière moi mais en gros je les ai tous bilantés rebilantés, montrés au spécialiste, plein
de fois, parce qu’ils avaient plein de plaintes et je me disais ou lala ils doivent avoir une pathologie
grave, il faut que je trouve. Maintenant je sais que les grosses organicités ont été éliminées et
j’arrive, enfin j’ai pas la prétention d’avoir compris le fonctionnement du patient mais je sais un petit
peu plus au bout de trois ans comment certains fonctionnent et pourquoi ils viennent me voir et ce
qu’ils attendent en effet. Et je pense que l’expérience et la connaissance de ces malades aident dans
la prise en charge (Dr4 hoche tête) voilà de ces plaintes floues et récurrentes. Donc au départ, pour
moi c’était des consultations qui prenaient beaucoup de temps, enfin c’est toujours le cas pour
certains, qui étaient angoissantes. Maintenant j’ai fait un petit bilan somatique qu’il faudra refaire
certainement. Mais je sais un petit peu plus comment ils fonctionnent , je sais ce qu’ils attendent de
moi, et je pense notamment à une patiente qui revient très régulièrement avec de multiples plaintes
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voilà et elle attend que je dise « ce n’est pas grave, ce n’est rien, vous êtes angoissée, c’est pour ça
que ça va pas » et qu’en j’ai dit ça elle va mieux…15 jours un, elle revient au bout de 15 jours mais
elle va mieux, donc maintenant je sais un petit peu comment ils fonctionnent et je pense que au bout
de 15 ans, de 20 ans on doit encore mieux connaitre les gens, et ça nous aide. A la fois ca peut nous
biaiser parce qu’en effet le jour où ils font vraiment quelque chose d’organique, on les connait
tellement qu’on se dit que c’est encore une somatisation et on peut passer à coté de quelque chose.
Donc en effet il faut rester vigilant mais je pense que l’expérience du médecin de famille l’aide peut
être à gérer mieux ce genre de patients, enfin moi ça m’est plus facile maintenant que quand je
remplaçais ou je voyais ponctuellement des patients comme ça ou même en début d’installation ou
c’était compliqué, voilà.
M : Dr1 ?
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Dr1 : y’a plus grand-chose à dire (rire)… non je suis un peu d’accord c'est-à-dire qu’une fois qu’on a
éliminé toutes les choses organiques graves, qu’on a fait le tour un petit peu des spécialistes. Ce qui
prime pour moi effectivement c’est la relation avec le patient. Donc…refaire, rediscuter avec lui, le
réinterroger sur ses symptômes, et puis moi ce que je refais à chaque fois effectivement peut être
pas de manière complète mais refaire un examen…examen clinique et effectivement le rassurer en
disant « écoutez, y’a pas de choses graves aujourd’hui , on va traiter de manière symptomatique » et
puis revenir un peu sur ce qui a déjà été fait avant pour le rassurer en fait mais tout en ayant à
l’esprit effectivement qu’un jour ou l’autre ça peut être un truc grave et que il faut rester vigilant
quoi…
M : d’accord, est-ce que quelqu’un veut rajouter quelque chose sur cette question ?
Dr 3 : Ce qu’a dit Dr1 me revient, ce qui parait essentiel oui, c’est quand même l’examen clinique, ne
pas faire l’économie de cet examen (Dr 4 et 5 hochent tête) même si on a…
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Dr1 : c’est rassurant
Dr3 : c’est rassurant pour le patient (Dr6 hoche tête vivement)et ça aide à asseoir ensuite après sa
décision.
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M : je vous fais une petite synthèse donc, vous avez beaucoup les uns et les autres parlé de vigilance,
de ne pas se laisser…ne pas se lasser (en séparant distinctement les syllabes) d’abord et ne pas se
laisser abuser par des plaintes connues, donc la notion de vigilance et de rigueur a été soulignée. La
notion également de, d’éliminer une organicité. On voit aussi une autre notion qui est celle donnée
par Dr2 en particulier qui est celle de l’expérience du médecin et pour laquelle finalement le recours
à d’autres examens va être sans doute différent en fonction de cette expérience. Et puis cette notion
excessivement importante et je crois à priori partagée par tous, qui est celle finalement de l’écoute
et puis d’analyser la signification de la plainte pour le patient. Voilà ce que j’ai noté, toujours se
remettre en question, être vigilant, refaire des examens cliniques mais à coté de ça être dans
l’écoute et dans l’explicitation de la plainte. Est-ce que j’ai traduit à peu prêt votre sentiment, est-ce
quelqu’un veut rajouter autre chose sur cette question ? Est-ce qu’on a fait le tour ?
Dr7 : oui je crois que je vais
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M : Un ?
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Dr7 : Rajouter trois petits points, bien faire la différence entre la personne qui va venir de manière un
peu rituelle à l’occasion des trois mois réglementaires revient faire renouveler ses traitements et a
toute la litanie des diverses plaintes ; du patient connu ou pas connu qui vient avec quelque chose
d’un peu flou mais c’est totalement ponctuel et c’était pas comme ça les autres fois. Et puis ne pas se
lasser du patient ou alors à ce moment là qu’il voit quelqu’un d’autre. C’est-à dire quelque fois poser
la question écoutez je ne sais pas trop : qu’est-ce que vous attendez de moi, qu’est-ce que je peux
faire pour vous, est-ce que je réponds à votre demande sinon il vaut mieux voir un confrère. Moi je
veux bien vous voir pour ça mais pour ça, c’est pas mon mode de fonctionnement, enfin je n’arrive
pas à vous aider. Quelque fois on est un peu brut dans la question, les gens sont un peu déstabilisés.
Mais il vaut mieux se quitter bons amis que frustrés ou fâchés ou…parfois c’est difficile à gérer,
indépendamment du temps que les gens passent parce que c’est pas forcément des gens qui
consomment du temps mais ils nous mettent en échec régulièrement alors ça devient difficile à vivre
parfois (rire).
Dr 3 : (s’adressant à Dr 7) c’est juste effectivement c’est ça, parce que la démarche est finalement là
même pour tous patients sauf que là la plainte étant floue et répétitive, cette mise en échec comme
on peut la vivre, vient compliquer la démarche, parce qu’on est après dans la surenchère ou
thérapeutique ou d’examens complémentaires euh et parfois dans l’impasse ; et le sentiment
d’échec vient nous donner pour ces patients là souvent une aversion ou comme tu disais tout à
l’heure l’envie de le refiler à quelqu’un. Mais la démarche elle est la même, mais c’est vrai que
justement l’implication relationnelle va être plus forte si on considère que c’est un patient comme un
autre mais que justement(.) la prise en charge relationnelle va compter d’autant plus qu’on est
démuni sur le plan traditionnel c'est-à-dire thérapeutique.
M : alors Dr7 et Dr 3 abordent déjà la question, la 3eme question, parce qu’on va essayer de limiter
aussi le temps, qui était la suivante. Vous avez déjà en partie abordé cette question là au cours des
deux questions précédentes, c’est : est-ce pour vous une consultation difficile, et si oui, pourquoi ?
Alors Dr7 a parlé d’échec un petit peu, Dr2 a parlé d’angoisse dans ce cadre là. Dr7 est-ce que tu veux
repartir là dessus et puis chacun va repartir un peu chacun son tour…
Dr7 : Le danger, ça c’est l’exemple tout simplement d’hier matin. J’appelle ma secrétaire à 9h05
pour lui dire ça va j’attends mes patients si y’a besoin de rajouter, parce que je commence très tôt,
vous pouvez rajouter un ou deux rendez-vous, je vous le dit tout de suite avant que ce soit trop
chargé. Donc à 9h05 je fais rentrer le couple qui sont un petit peu toujours comme ça. J’ai passé plus
d’une heure, je me suis fais avoir et puis y’avait panne de courant donc on n’entendait pas la
sonnette donc ils n’entendaient pas qu’il y avait des gens qui rentraient dans la salle d’attente (rire
Dr 2). Une heure après je savais que j’en avais trois ou quatre qui attendaient et puis j’ai fait que
reformuler les (voix amusée) les comptes rendus des spécialistes ; et puis pour la dame ça a été un
petit peu plus rapide ça n’a été que 20 minutes, le monsieur c’était un bon 40 minutes. Et puis j’ai dit
bon ben écoutez on va faire la radio de l’épaule, vous revenez et on s’intéressera vraiment à votre
épaule. J’ai essayé de la recadrer sur, au moins sur un point un peu plus spécifique. Et le… à 9h05
j’étais très bien, à 10h10 j’étais très mal et … épuisé, fatigué d’une longue journée (rire en parlant)
qui venait à peine de commencer. Et le danger ben j’aborde la patiente suivante euh je comprends
pas trop pourquoi elle vient, elle me demande de recopier surtout pas pour trois mais pour six mois
son ordonnance. Bon d’accord c’est à chaque fois pareil ; je la vois depuis peu de temps. Et puis euh
j’ai complètement j’ai très mal managé la situation, ça s’est bien rattrapé mais euh j’étais pas
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réceptif, j’aborde la consultation en disant c’est bien l’hiver s’est bien passé, vous avez bonne mine,
voilà ça va être plus futile que l’heure d’avant (en riant). Là elle me dit Dr je ne suis pas du tout
contente, bon c’était pour la sinusite elle était un petit peu etc.…l’ORL n’a pas fait mieux que moi
mais bref elle n’était pas contente de mes services. Et une fois qu’on a abordé, mais elle voulait
surtout que je lui recopie son ordonnance surtout pour 6 mois et pas pour 3 mois. Et puis quand on a
parlé de la sinusite et qu’elle m’a dit qu’elle était pas contente, elle m’a dit on est vraiment pas bien
soigné ici et puis là elle m’a parlé : j’ai un cancer et j’en ai partout, j’en ai dans les poumons, j’en ai
dans le foie, ben je dis merde je l’ai vue elle avait bonne mine, et elle a du cancer partout on sait pas
encore lequel on sait pas encore ce qu’on va faire. Bon donc en fait c’est usant ces consultations et
ça je crois qu’il faut quand même apprendre à les gérer. Ce sont des consultations très longues. Parce
qu’elle on était au début dans la plainte floue , elle était pas contente à cause de moi et elle avait
raison, ensuite c’était pas de ma faute ni de la sienne si elle avait un cancer multi métastasé mais
j’étais pas du tout…les dix premières minutes de consultations c’était sur réaliste. Et c’était la
conséquence de une heure ou je m’étais laissé embarquer, peut être j’aurais du mieux cadré l’heure
d’avant. Ben ça bon…après c’est toute la matinée qui est difficile, faut s’en remettre, on y pense, faut
se concentrer sur…
M : = Dr6 est-ce que c’est ?
Dr6 : ce sont des consultations difficiles.
M : et en quoi est-ce que c’est difficile ?
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Dr6 : à plusieurs niveaux. On parlait de la mise en échec euh voilà une remise en question à chaque
fois. Y’a une question de temps, bien sur. Gérer le temps et puis gérer le reste de la journée après,
enfin je rejoins tout à fait (s’adressant à Dr 7). Ce sont des consultations qui a chaque fois…et
d’ailleurs ce sont des consultations en plus qu’on anticipe. En effet, on parlait tout à l’heure de voir le
nom sur l’agenda et on sait…voilà. Et donc en plus y’a cette phase d’anticipation (sourire Dr 4) avant
qui fait que parfois quelques consultations avant on commence déjà à penser au patient. Et donc là
voilà toute la journée est difficile…
M : d’accord, Dr 5 ?
Dr5 : oui, c’est une consultation difficile. Pourquoi ? Parce que c’est chronophage euh…c’est des
consultations qui n’arrivent pas à des conclusions simples donc qui nous mettent effectivement en
difficulté, euh qui nous obligent à nous remettre en question et qui quelques fois nous mettent, nous
mettent en échec ce qui n’est jamais facile à vivre. C’est des consultations que moi j’aime bien avoir
en début de journée parce que moi, je me trouve plus performant en début de journée qu’en fin de
journée, et ce sont des patients qui sont encore dix fois plus difficiles en fin de journée. Et … qui
effectivement me posent problème comme tout le monde. Pour revenir à l’expérience effectivement
l’expérience ça peut être intéressant pour mieux gérer ce type de patient quand on les connait
vraiment régulièrement mais même si on est installé depuis 20 ans on aura toujours un nouveau
patient qui va arriver (Dr3 hoche tête) parce que justement le confrère d’à coté en avait ras le bol et
on va se retrouver dans la même situation, même avec notre expérience on aura des difficultés parce
qu’on aura un nouveau patient flou et qu’il faudra se remettre en question et rechercher la cause de
tous ses malheurs. Voilà donc c’est vraiment une consultation difficile.
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M : Dr 4, quel est ton sentiment vis-à-vis de ça ?
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Dr4 : oui c’est difficile car en fait tout devient flou comme (rire) disait Dr7. C’est flou pendant, ça peut
être flou après euh c’est flou, notre réponse aussi à la fin de la consultation, peut être pour certaines
consultations, devient floue parce qu’on propose pas forcément, enfin à chaque fois des choses
concrètes à la personne à part lui dire de revenir dans un mois et puis on verra. Donc effectivement,
ça peut être…c’est assez difficile. C’est difficile dans le sens aussi ou quand il faut se concentrer sur
un problème euh parce que le patient il arrive avec une plainte floue mais à coté de ça il peut avoir
d’autres maladies qu’il faut gérer, si il a un diabète si il y a un suivi particulier (Dr3 hoche tête)... Donc
c’est difficile parce qu’il faut quand même de temps en temps se concentrer sur les choses qu’on doit
prendre en charge et pas passer à coté euh et puis pour tout ce qui est flou effectivement…c’est vrai
que c’est assez difficile, je pense à une patiente là, j’ai tendance maintenant en fin de consultation à
devenir flou par rapport à ses symptômes flous. Et en fait elle s’en porte pas plus mal… (Rires)
M : excuses moi tu as dis à devenir…
Dr4 : à devenir moi-même flou dans ma réponse
M : d’accord, j’avais entendu à devenir fou (rires)
Dr4 : non non, je suis pas encore fou pour l’instant. Mais euh, elle s’en porte pas plus mal.
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Dr7 : est-ce que tu fais le miroir détaché, elle est floue donc je suis flou et puis voilà je fais le miroir et
j’évite sa plainte ou est-ce qu’elle t’a réellement profondément perturbée ?
Dr4 : (.) Non, non. (Dr7 en retrait, bras croisés) Alors que peut être que…par rapport à l’échec
médical, qu’on ne puisse pas assurer la…qu’on ne puisse pas la rassurer ou la prendre en charge et
tout ça. Je veux dire on a fait les choses, on a été rigoureux, on a proposé un traitement anxiolytique
si c’est une personne dépressive ou anxieuse. On lui a forcément proposé de rencontrer un confrère
psychiatre ou un psychologue. On a passé du temps avec elle, on la connait, on connait son
histoire on ; je veux dire ce n’est pas la personne qui débarque dans le cabinet quand même
un…donc après voilà, soit elle accepte la relation à son médecin dans cette plainte toujours
récurrente et puis on la rassure, on lui dit c’est rien, ça va , tout va bien se passer et puis on gère
comme ça de consultation en consultation et puis euh et puis ma foi ils s’en portent pas plus mal un
(Dr 3 hoche tête)…
Dr7 : = et puis il y a les diversions : on va demander des nouvelles du mariage de la petite fille…
Dr4 : mais c’est vrai que c’est difficile, c’est difficile parce qu’à chaque fois il faut ré aborder la…la
personne.
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M : Dr 3, tu avais abordé un peu la difficulté de la consultation.
Dr3 : Je suis d’accord avec tout ce qui a été dit. Je partage tout à fait ça. Euhh…je dirais que c’est une
consultation difficile bien sûr parce que c’est chronophage, bien sûr parce que il faut être en forme,
et on n’y est pas toujours, euh. Maintenant je dirais que si c’est une consultation que l’on prend euh
(.) justement après avoir identifié le sens de la plainte et en se positionnant je dirais non pas comme
le résolveur de la plainte mais comme simplement le miroir (Dr 4 hoche tête). On est bien dans le
cadre de plaintes inexpliquées, anorganiques, répétitives un, pas dans le cadre d’une nouvelle plainte
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qu’il faut explorer. Dans ce cadre là, bien sûr ces patients ont aussi d’autres choses à coté qui
viennent prendre du temps. Mais à partir du moment où on s’est identifié comme étant dans la
fonction de Balint c'est-à-dire du médecin médicament (Dr 8 et Dr 2 hochent tête), médecin fonction
qui est là. C’est pas des consultations si difficiles que ça. On sait ce qu’ils viennent chercher, on est là
dans cette position de miroir. On peut border avec un temps pour ça. Et euh finalement on s’aperçoit
que puisqu’ils reviennent c’est qu’ils y trouvent leur compte que on assume bien notre fonction de
soignant, de prendre soin, voilà. Mais je suis d’accord c’est chronophage, il faut être en forme, faut
pas qu’il y ai autre chose à coté. Y’a quand même de temps en temps des rechutes de la part du
patient qui nous met encore en échec c’est sûr, c’est pas simple mais j’ai pas obligatoirement cette
position tranchée : c’est toujours difficile. Parce que parfois on peut être dans le plaisir parce qu’on a
des patients que l’on stabilise et pour lesquels on est dans une situation je dirais de relation d’aide
plutôt gratifiante.
M : dr2 ? Ton sentiment ?
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Dr2 : Oui je suis d’accord avec Dr3 mais c’est pas si facile (Dr 5 et 4 sourient). Déjà moi ce qui m’est
difficile donc : essentiellement la gestion du temps de ces consultations là, et du coup des fois je ne
suis pas satisfaite de ce que je fais parce que je vais prescrire (Dr7 et Dr1 hochent tête) alors que je
sais que je devrais pas le faire. Mais je n’arrive pas à couper court donc je dis ben tiens : on va faire
une radio comme ca il va repartir avec sa radio et puis il reviendra dans deux semaines avec sa radio.
Je prescris un médicament sachant très bien qu’il n’aura pas d’efficacité parce que X traitements ont
été essayés mais, pour couper court parce que je suis en retard, parce que j’arrive plus à écouter.
Ecoutez je vais faire une ordonnance, un examen complémentaire, un traitement et puis on reverra
ça. Et ça ça ne me satisfait pas. Je trouve pas que je sois très compétente quand je réagis comme ça
mais parce que c’est pas si simple justement de de d’aider sans prescrire. Et parfois je sais très bien
que ce qu’il faudrait que je fasse c’est de creuser plus et de poser des questions mais qui vont
m’emmener dans une consultation qui va être interminable. Et parfois en fait je me dis : ne pose pas
la question comment va votre mari ou (Dr7 et Dr6 sourient + hochent têtes) parce que je sais que je
vais partir dans une consultation interminable. Donc, la gestion du temps est difficile du coup parfois
je prescris alors que je sais que je ne devrais pas le faire et je ne vais pas non plus creuser certaines
choses alors que je sens qu’il faudrait parce que je sais que je vais être embarquée dans quelque
chose que je n’arriverai plus à gérer. Donc c’est pas très satisfaisant. Il faudrait passer une heure
parfois avec ces gens là, et c’est pas une solution euh. Ca m’arrive des fois de bloquer une deuxième
consultation quand je vois certains noms parce que sinon je sais que si c’est en début de journée ça
va me, me flinguer mon timing quoi… donc…voilà. Mais c’est difficile en effet surtout pour la gestion
du temps pour moi.
M : Dr 1
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Dr1 : moi je suis entièrement d’accord avec Dr 2 c’est que moi aussi ça m’arrive d’avoir recours à
des… ou faire une radio ou faire une prise de sang sachant très bien que ça n’amènera plus rien mais
pour avoir entre guillemet la paix, quinze jours, trois semaines et puis…on sait que ça ne servira à
rien. Après le coup d’embrayer sur la famille, c’est vrai que j’évite aussi ce genre de choses parce que
je sais qu’on rentre dans un engrenage et que après…on repart pour un…Mais oui en fait je trouve ça
fatiguant nerveusement, c’est épuisant en fait quoi. Et moi aussi maintenant, enfin je suis installé
que depuis trois mois mais j’ai déjà des noms où je double la consult, (rires) et ça fait trois mois que
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je suis installé !…mais je sais très bien que ça va durer que… c’est une avalanche de plaintes, on part
sur un truc, un deuxième, troisième , quatrième et effectivement des fois on n’est pas bon tout le
temps, y’a des fois on arrive à cadrer un petit peu les choses et parfois ça m’arrive de prescrire et
effectivement c’est pas satisfaisant mais…c’est histoire de quoi…se laisser un petit répit.
M : Dr1, merci, Dr 8 ? Pour terminer le tour de table sur cette question…
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Dr8 : Oui, pour toutes ces questions on a tous un ou deux patients en tête derrière, on voit comment
on le manage nous en consultation. Et j’ai une patiente qui me vient en tête en fait, elle a sa (insiste
dans l’intonation) plainte. Elle me dit c’est depuis que j’ai fait ça que j’ai ça, et une fois qu’elle l’a dit
en consultation on peut faire autre chose (Dr3 hoche tête). C'est-à-dire que chaque fois elle me
raconte comment elle fait le matin parce que ça l’aide à faire ça et ça et après on fait autre chose.
Apres on embraye la consultation. Elle arrive avec sa liste et en général y’a toujours le même motif et
après on fait autre chose et c’est très curieux parce qu’elle raconte, alors en plus si j’ai un interne et
qu’il y a deux personnes pour l’écouter (rire Dr8) donc en plus…mais ça c’est très très curieux mais
c’est toujours difficile de se dire est-ce que c’est ce motif là aujourd’hui qu’il faut qu’on explore ou
pas, est-ce qu’aujourd’hui elle veut qu’on parle de ça ou pas. Et c’est vrai que du coup on part
toujours sur…mais ça prend du temps ou alors, ou pas. Parce que si on sait que ce jour là ce n’est pas
ce qui va ; on a des fois on voit le patient et on dit, ah il va encore me parler de ça, et ce jour là il en
parle pas (Dr3 hoche tête). Et on se dit bon, qu’est-ce qu’il s’est passé ? Du coup c’est nous qui
sommes un petit peu attentifs à…attentifs aussi.
M : D’accord, alors ; je vais résumer cette question parce qu’il y a une quatrième et on voudrait être
un peu près dans le timing d’une heure, on s’était fixé une heure. Alors je pense qu’il y aurait des
choses à dire mais là on est un petit peu aussi limités. Y’a eu beaucoup de choses de dites, je vais
essayer de vous les résumer. Donc c’est une consultation difficile pour tout le monde, avec plusieurs
niveaux. Y’a éventuellement pour certains de l’anxiété, pour d’autres y’a quand même cette notion
d’échec du médecin, parce que y’aura pas forcément de conclusions très simple, très protocolisée à
la fin de la consultation donc cette notion d’échec. Et puis, le gros paquet du discours a été sur le
caractère chronophage. Le temps que ça prend. Et là tous vous avez insisté là-dessus avec quand
même un corolaire à cette notion de temps qui est celui de, comment dirais-je, d’évitement ou de
conduite d’évitement par la prescription de médicaments ou d’examens complémentaires qui va
permettre de lâcher la consultation et puis de renvoyer le patient un petit peu plus tard ou de le
revoir un petit peu plus tard. C’est ce qui est sorti un petit peu de ces éléments. Dr4 (qui lève la main)
tu veux repréciser quelque chose ?
Dr4 : Par rapport à la conduite d’évitement moi je ne suis pas trop dedans quand même. Parce
qu’une fois que j’ai fait mon bilan et tout ça après, y’a aucune raison d’être dans les conduites
d’évitement (Dr7 semble étonné). Je m’évertue même à ne rien leur prescrire euh (rire de Dr4) à
arrêter certains médicaments parce que moins y’en a mieux c’est, au moins ils ne se plaindront pas
d’en prendre trop et puis effectivement moi y’a plusieurs personnes avec des plaintes floues que je
vois souvent et qui ressortent avec rien et euh et je pense que…et ils reviennent me voir c’est que…
M : c’est que quelque part tu réponds à leur attente…
Dr4 : ben tout à fait, enfin je pense qu’il ne faut surtout pas être la dedans, parce qu’après on s’en
sort plus…
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555
M : attention parce que le débat démarre, Dr 3 a demandé la parole, Dr 7 et Dr 5 (qui ont levé la
main)
Dr3 : C’est pas moi qui ai formulé cette stratégie de prescrire un examen ou un médicament mais je
ne l’interprète pas de la même façon que tu le fais dans ta synthèse.
M : d’accord
560
Dr3 : je crois pas que ce soit une conduite d’évitement, je crois plus que c’est une stratégie pour
rester en adéquation avec un emploi du temps sans se faire déborder (Dr4 et Dr2 hochent tête). En
sachant que pour ceux qui ont exprimé cette stratégie elle n’est pas constante et quand ils ont le
temps ils le prennent.
Dr2 : Et ce n’est pas satisfaisant.
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Dr3 : Donc je pense pas que ce soit un évitement, ça serait un évitement ils seraient dans le déni de
cette … j’ai pas perçu que ceux qui se sont exprimés aient voulu dire ça.
M : Alors voilà c’est intéressant, parce qu’il n’y a pas de jugement de valeur ici. Ce qui est intéressant
c’est ce qui se passe dans la tête des uns et des autres. Euh… Dr7 ?
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Dr7 : Je dirais par rapport à la prescription dont parlait Dr2, si je repense à ma patiente d’hier matin
ou je n’ai pu consacrer que vingt minutes puisque j’en avais déjà pris 45 pour le mari. Je lui ai dit
l’épaule bon c’est clair il y a une périarthrite de l’épaule. Faut voir si y’a de l’arthrose derrière, si le
sus épineux il est pas un peu à l’étroit donc on fait une radio, je vous revois. C’est pragmatique, ca
rentre bien dans mon format que j’ai appris aux urgences : un problème : une solution, bonne ou
mauvaise mais une solution à la suite du problème euh…ça c’est par rapport à la prescription. Par
rapport à…y’a aussi la prescription ou y’a le patient qui vient tous les trois mois pour son diabète, sa
tension etc donc il aura sa prescription mais il aura la même prescription parce que bon ben c’est
chronique et il aura eu de l’écoute simplement par rapport à ses plaintes floues. Donc il aura une
ordonnance quand même en sortant mais qui n’a rien à voir avec ses plaintes floues, qui a avoir avec
des pathologies chroniques, organiques et bien réelles (voix amusée).
M : Dr5 tu voulais rajouter ?
Dr5 : Pour pas trop stresser en fin de consultation avec ce type de patients moi je me dis souvent : toi
tu es déçu de ta consultation mais le patient lui il est pas déçu. Parce qu’il a été écouté et il va vouloir
revenir dans un mois ou dans trois mois donc ça permet aussi de se… comment dire, d’enlever un
petit peu d’angoisse, de se dire ben quelque part le patient lui est content. Ca m’est arrivé souvent
d’avoir des patients qui me disent, ça m’a fait du bien la consultation la dernière fois alors que j’avais
l’impression de l’avoir loupée quelque part en fait je ne l’avais pas si loupée que ça.
Dr3 (en chuchotant et en soulevant les épaules) : ben oui !
M : Dr2, Dr1 vous voulez rajouter quelque chose ?
590
Dr2 : Moi je voulais juste rajouter une chose. Je pense, ce que je n’arrive pas à faire, c’est qu’il faut
réussir à cadrer ce genre de malade. J ‘ai un associé qui fait ça parfaitement bien. Ils viennent : ils ont
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une plainte ; s’ils en ont une deuxième, ils reprennent une consultation. (Rires). Il a réussi à les
éduquer et d’ailleurs, les plaintes floues il n’en a plus beaucoup (rires+++)
Dr7 : = pour le coup il a nettoyé son agenda.
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600
Dr2 : Ils sont partis ailleurs. Bon sans être à l’extrême comme ça je pense qu’il faut les éduquer un
petit peu et c’est difficile en disant, maintenant j’arrive à poser cette question là : qu’est-ce qui vous
gène le plus (Dr3 hoche tête)? Et pour essayer de prioriser (insiste sur ce terme), parce que souvent
on est noyé, ils commencent par un symptôme et puis en effet ca va être l’avalanche de symptômes.
Et moi j’essayais de trouver des solutions à tout et j’y arrivais pas et j’arrivais pas à gérer mon temps
donc maintenant je leur demande qu’est ce qui vous gène le plus ? J’ai du mal à dire pour la
quatrième et la cinquième et la sixième plainte, vous reviendrez mais j’essaie de le faire de plus en
plus ; de les éduquer un petit peu et de les cadrer mais c’est difficile.
M : d’accord. Alors je vous propose de finir avec la dernière question qui est la suivante. Je vais
donner la parole à Dr1 (.)Comment vous dans ce contexte là vous voyez votre fonction de médecin
généraliste ?
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Dr1 : Euh (.) le constat d’échec : ça me vient à l’esprit quand même. On a un rôle d’écoute, oui c’est
…je veux dire c’est ambivalent parce qu’ils reviennent, ils ont l’air content mais nous…
personnellement nous, enfin moi en tout cas je me dis, je sais pas si ce que j’ai fait est satisfaisant
parce que c’est vrai ils reviennent donc ils sont contents mais ils ont toujours la même plainte donc
c’est un cercle vicieux. Bon ben pour moi en tout cas personnellement c’est un échec parce qu’on
trouve finalement jamais la solution. Pas satisfaisant, on aimerait trouver mais on ne trouve pas…
M : mais ta fonction de médecin toi, comment tu la vois ? Parce que là tu rejoins la question
précédente qui était les difficultés…
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Dr1 : Le rôle d’écoute fait partie de notre travail, pour moi ça fait partie intégrante de notre travail,
on n’est pas là toujours pour examiner les gens et ça fait partie de notre travail, la partie psychologie,
écoute donc là de ce côté là y’a pas de soucis. C’est juste je reviens un petit peu à ce qu’on a dit tout
a l’heure c’est…pas trouver de solution quoi…mais en sachant très bien que chez ce type de
personnes y’en n’aura probablement jamais aussi…peut être que ça viendra avec le temps ça, je m’y
ferai…
M : Dr2 comment tu vois ta fonction de médecin généraliste vis-à-vis de ces patients avec plaintes
floues récurrentes ?
Dr2 : Ben je pense que je la vois différemment des autres patients plus « normaux » entre guillemets
(reste de l’assistance amusée) parce qu’on a été formaté en effet à un problème, une solution.
(Sirènes d’ambulance) Et pour ces patients là ça marchera jamais comme ça, donc à partir du
moment où on l’a compris. Que on ne le guérira pas, qu’on trouvera pas le traitement qui va et que
on sera en échec par rapport à notre médecine traditionnelle que l’on a appris à la fac et à l’hôpital.
Je pense qu’il faut se remettre en question par rapport à sa fonction de médecin et rester un peu
humble en disant ben j’ai pas de solution à lui proposer, déjà être disponible pour lui et l’écouter
peut être que ça suffit pour ce patient là mais euh pour moi la fonction (.) du médecin qui soigne et
qui trouve une solution (sonnerie de téléphone) et qui trouve un diagnostic et un traitement là est
différente puisque à ce moment là je pense que la réponse sera pas comme je le fais
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malheureusement des fois un traitement parce que la preuve est qu’ils reviennent malgré ce que l’on
a prescrit. Donc je pense que la fonction c’est en effet l’écoute, la disponibilité (sonnerie de
téléphone) et puis en fait avoir une approche un petit peu différente, se remettre en question, rester
humble par rapport au malade même si on le guérit pas , on est là pour lui, la porte reste ouverte. Et
puis en effet, même si on n’est pas satisfait ils reviennent quand même donc je pense qu’on les aide
en étant disponible.
M : Dr3…
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Dr3 : On est pleinement dans notre fonction. On est vraiment dans les compétences que le médecin
généraliste doit maîtriser, la compétence relationnelle, le premier recours puisque c’est nous qui
sommes les premiers à recueillir ces plaintes. On a la culture biomédicale qui nous permet justement
de savoir si c’est un patient qui relève d’une stratégie organique ou simplement d’une plainte
fonctionnelle. Et dans le cadre d’une plainte fonctionnelle on est tout à fait à notre place pour la
prendre en charge. Dr2 disait par rapport à notre formation facultaire qui est quand même centrée
sur, je dirais, la pathologie et le traitement de la pathologie. C’est vrai qu’on observe bien, des
carences de formation dès le début de nos études médicales au relationnel et à ce genre de plaintes.
Bien évidemment, étant à l’hôpital, c’est pas le lieu. Mais on est vraiment, on est privilégié dans cette
prise en charge de ces patients de part ça et de part le fait qu’on les suit au long cours. On est les
seuls professionnels à être dans cette situation donc on est vraiment dans notre fonction.
Dr4 : Je suis entièrement d’accord avec Dr3, on est vraiment dans notre identification de médecin, on
est dans le soin. Dans le soin total : (.) organique, psychologique, dans le cadre là plutôt
psychologique. Apres soit on peut accepter de procurer ce soin là, soit on a les compétences de le
faire. Effectivement la formation à la faculté, à notre génération, ça se faisait pas trop. On nous
forme pas pour ça je pense. Voilà, après soit on accepte d’être dans ce soin là, d’être dans le rapport
miroir, comme tu disais là (s’adressant à Dr3) : Balint c’est ça ?
Dr3 : oui, le médecin médicament.
Dr4 : Je sais pas trop, je ne connaissais pas, enfin je connais pas tout (amusé). Et puis, donc moi je
pense qu’on est vraiment dans une démarche oui, de soin. Alors après soit ça nous dépasse et puis
ben à ce moment là, il faut passer la main à un confrère qui est plus tourné vers la psychothérapie. Et
puis aussi, les gens viennent se plaindre à nous mais on est …enfin y’a des plaintes aussi qui ne sont
pas d’ordre médical je pense. Et que avant les gens ils allaient voir leur curé, ils se plaignaient au curé
et ça allait mieux donc (rire Dr4). J’ai pas mal remplacé dans les régions ou les gens étaient très
croyants, ils allaient à la messe, ils allaient à confesse et tout ça…
M : Et t’avais rien à faire ?
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Dr4 : J’avais pas rien à faire mais disons que je pense que c’est aussi quelque chose qui n’existe plus
et les gens viennent se plaindre à nous puisqu’ils ont personne d’autre à qui se plaindre. Voilà. En
tout cas moi je me sens vraiment dans le soin dans ma démarche.
M : le soin total tu as dit…
Dr4 : voilà, oui oui, on a chacun nos limites.
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M : Dr5 ?
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Dr5 : Le rôle du médecin ben pour moi c’est principalement l’écoute comme on l’a dit souvent, et
puis essayer de cadrer et de comprendre la plainte du patient afin de l’aider surtout à vivre sa
problématique. Parce qu’en général il a une problématique et il faut qu’il avance avec sa
problématique et tout en évitant bien sur de passer à coté d’une pathologie grave, toujours en se
remettant un petit peu en question. Pour revenir à ce que tu disais (s’adressant à dr4), je suis tout à
fait d’accord avec toi parce qu’en fait de plus en plus les patients on peu de personnes qui les écoute.
Le mari est absent, les enfants à Marseille et à New York (Dr7 hoche tête) et on reste quand même
une bouée de sauvetage, on reste la personne à qui on peut raconter sa vie et raconter sa
problématique avec une expression quelque fois de sa vie qui est sous forme de sémiologie, de
symptômes. Voilà je pense que c’est un rôle important quand même qu’on a.
Dr6 : (en croisant les bras) : y’a déjà beaucoup de choses. Globalement je suis bien sûr d’accord avec
tout ce qui a été dit avant notamment à propos de l’écoute et de la disponibilité. L’importance aussi
de rester dans un rôle un petit peu plus médical entre guillemets en vérifiant l’absence d’organicité
et en se remettant en cause régulièrement par rapport à ça. Et après on est dans notre rôle de
soignant, la prise en charge globale de son patient, voilà, et d’accompagnement également sur son
histoire de vie.
M : Dr7 ?
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Dr7 : On est bien dans notre rôle et puis chacun se positionne un peu…y’en a qui auraient pu faire
des bons psys d’autres qui auraient pu faire des bons réa cardio, bon, on n’a pas tous les mêmes
profils donc après les patientèles vont ressembler à leur médecin, vont s’accorder. Dans l’ensemble
avec le temps, les gens vont soit ou se quitter ou rester ensemble euh…le coté curé du village c’est
clair que comme y’en a plus on est bien obligé de le remplacer un petit peu. Le coté assistante sociale
ben je crois qu’il ya des assistantes sociales donc il faut parfois déléguer et rapidement. Faut pas non
plus…quand il y a des bons professionnels dont c’est le métier faut leur envoyer. Et puis…je le fais pas
assez souvent mais ça m’aurait peut être évité le problème d’hier, c’est de déplacer un rendez vous
la veille en disant bon (voix amusée) , si ils s’enchainent sur l’agenda, je vais rappeler Mme Machin et
lui dire que ce serait mieux qu’elle vienne à telle heure parce que j’aurais plus de temps, je serais
moins chargé, elle viendra en première position, je pourrais l’écouter ; bon faut gérer son agenda
aussi parce que quelque fois on est dans l’urgence alors ça se remplit et on n’a pas le temps de le
gérer. Mais ça permet d’être plus disponible parce qu’on peut avoir deux ou trois consultations très
longues, très difficiles par jour si c’est étalé… si on les a coup sur coup et que c’est en début de
journée ça n’a pas du tout les mêmes conséquences.
M : Merci, Dr8 ?
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Dr8 : C’est vrai qu’on est vraiment dans notre fonction de médecin généraliste et j’ai entendu parler
qu’on était les premiers recours mais on est souvent aussi les derniers recours (Dr 3 et 4 hochent
tête) c'est-à-dire que quand nous on aura envoyé chez tous les spécialistes, enfin je dis tous les
spécialistes : chez les spécialistes où on pensait avoir une solution et qu’il n’y aura pas forcément de
solution. C’est vers nous que le patient va revenir et c’est nous qui allons l’accompagner. Et je leur dis
souvent ben on est un peu le chef d’orchestre de leur plainte, du patient et de ce que nous aurons
apporté aussi les différents examens.
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M : Alors…oui pardon Dr3(qui lève la main)?
Dr3 : Je voudrais revenir sur ce qui a été dit parce que je ne suis pas tout à fait d’accord sur notre
fonction disant qu’on occupe un terrain qui n’est plus occupé notamment par les curés ou par les
enfants ou le mari. On n’est pas dans le même rôle, l’écoute n’est pas la même, c’est une écoute
professionnelle qui réponds, à je dirais euh… une discipline qui n’est pas enseignée. C’est-à-dire la
communication, la relation médicale euh… y’a des concepts qui existent qui ont été formulés par un
certains nombres d’auteurs comme Carl Rogers sur la relation d’aide. On n’est pas dans la
psychothérapie, chacun à sa place. On est dans la relation d’aide (Dr 2 et 8 hochent tête) donc ça
obéit à je dirais un cadre également nosologique très précis, auquel on n’est pas formé dans notre
formation traditionnelle mais cette écoute là, enfin cette prise en charge là est une prise en charge
thérapeutique et n’est pas une prise en charge de soutien comme pourrait faire le curé ou la famille.
On est vraiment dans le cadre médical, et personne d’autre n’a cette place là. Parce que avant de
décider qu’on est dans une prise en charge relationnelle, on a une autre culture bio médicale que le
curé n’a pas ni le parent. On est vraiment dans une démarche médicale, on n’est pas dans un
accompagnement simplement dans le temps, et d’autant plus que le projet c’est de faire évoluer le
patient vers l’acceptation se sa plainte, vers l’autonomisation et qu’ensuite il ne vienne plus
consulter ; qu’il se régule lui-même sa plainte par rapport à ce qui s’est fait dans la prise en charge
relationnelle. C’est ce qu’on appelle la relation d’aide.
Dr5 : (s’adressant à dr3) Dr3, ce que je voulais dire simplement c’est que ce sont des patients qui
sont moins écoutés qu’ils ne pouvaient l’être et qui de ce fait là vont avoir une, vont déclencher une
symptomatologie pour laquelle ils vont consulter et en fait effectivement nous on va faire notre
travail de médecin effectivement qui est une écoute professionnelle. Mais qu’on aurait peut être pas
eu à faire si il y avait eu un autre travail d’écoute ou si elle avait pu s’exprimer auprès d’autres
personnes. Mais ce n’est pas la même communication bien sur par rapport à…
Dr4 : (s’adressant à Dr 3) Je suis entièrement d’accord avec toi y’a pas de… je disais juste que voilà la
plainte pouvait être multifactorielle et que on se retrouvait quand même avec plein de problèmes à
gérer et il faut quand même…enfin c’est notre rôle de médecin de faire la part des choses, mais si les
gens étaient un peu plus écoutés en dehors des cabinets médicaux, je pense que ça nous ferait du
bien, c’est tout.
Dr7 : Un avantage aussi c’est que le médecin, enfin on est tous à peu près formés à pas juger, à la
différence du curé qui ne fera pas abstraction et la famille alors là c’est encore plus complexe. A
priori le patient peut tout nous dire, bon ok ils nous le disent c’est totalement confidentiel, et puis on
ne bronche pas parce qu’on en a vu d’autres et qu’on en verra d’autres, et que de toute façon on
s’en fiche entre guillemets du pourquoi, comment etc.…pour l’aider d’une manière neutre.
Dr4 : De toute façon on reste en soin tout le temps. On est en soin au moment où on ouvre la porte
jusqu’à ce qu’on la ferme (Dr3 hoche tête). C’est ça qui justement rend très très intéressant notre
profession.
M : Donc, je fais rapidement une synthèse et on va terminer là parce qu’on pourrait encore discuter
longtemps mais les règles c’est normalement une heure de discussion, on est à une heure dix à peu
près. Donc, dans les fonctions de médecin généraliste que vous avez cité, vous avez ramené
effectivement l’écoute, ça c’est revenu très très régulièrement. Et la notion de prise en charge
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globale du patient avec cette prise en compte de toutes les difficultés mais la prise en charge au long
cours. La notion de premier recours mais aussi de dernier recours comme a été souligné. Et puis
derrière y’a tous les aspects de la relation d’aide, des fonctions relationnelles, la fonction
thérapeutique quelque part par le biais de l’acceptation de la plainte par le patient et puis
également…je crois que j’ai fait à peu près le tour de ce qui a été dit sur cette dernière question. Estce que quelqu’un veut rajouter quelque chose ou on a terminé là.
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UNITES MINIMALES DE SENS (UMS)
Voici le verbatim du focus group découpé en Unités Minimales de Sens (UMS), les chiffres
entre parenthèses correspondent à la numérotation des lignes du verbatim.
UMS 1 je vais dire anxieux, des patients au profil anxieux(en ayant regard baissé, joue avec
le pupitre, voix basse) (13,14)
UMS 2 une description des plaintes pas toujours très précise (18)
UMS 3 avec des poly symptômes… (18)
UMS 4 je définirais peut être deux catégories, ceux qui viennent avec une plainte floue de
manière récurrente et le patient qui vient une fois avec une plainte floue. (23, 24)
UMS 5 ce sont des patients qui sont anxieux (25)
UMS 6 qui vont somatiser (26)
UMS 7 vont être trop à l’écoute de leur corps (26)
UMS 8 vont exprimer des plaintes multiples, variées (26, 27)
UMS 9 sans cause organique le plus souvent (27)
UMS 10 ceux-là sont compliqués à prendre en charge (27, 28)
UMS 11 éliminer une organicité parmi, parmi… une tonne de symptômes (28)
UMS 12 je dirais attention au patient qui vient avec des symptômes flous mais qui n’ a pas
l’habitude de consulter, qui vient une fois, qui ne sait pas bien décrire ce qu’il ressent
euh… peut être là il y a vraiment une organicité à rechercher malgré des symptômes qui
peuvent être hasardeux ou mal décrits parce que c’est peut être quelqu’un qui consulte
peu. (29 ,32)
UMS 13 Plaintes floues pour moi c’est deux situations différentes. (35, 36)
UMS 14 Le patient qui a des difficultés à exprimer sa plainte ou ses (en insistant sur le
volume et l’intonation) plaintes (36)
UMS 15 qui l’exprime de manière floue pour le médecin dans le repérage. (37, 38)
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UMS 16 Parce que on a tous le même code de lecture de la plainte qui est le code de la
sémiologie médicale (38, 39)
UMS 17 donc elle peut correspondre à un syndrome ou une maladie tout à fait authentique
mais la façon dont elle est exprimée au départ euh est floue (Dr 8 hoche tête) (39, 41)
UMS 18 Et puis il y a l’autre cas effectivement d’un patient ou d’une patiente qui décrit donc
un certain nombre de signes, un certain nombre de plaintes qu’on a du mal à faire
rentrer dans un cadre nosologique (41, 43)
UMS 19 et pour lequel on est rapidement mis en difficulté. (43, 44)
UMS 20 je n’ai pas d’à priori sur la typologie du patient qui vient décrire quelque chose qui
pour moi est flou. (45)
UMS 21 y’a pas d’âge particulier (50)
UMS 22 je me base aussi sur la sémiologie pour éliminer quelque chose d’organique (52, 53)
UMS 23 on a affaire soit à des patients effectivement qui peuvent être un peu limités qui
ont du mal à s’exprimer, exprimer leurs symptômes.(55, 56)
UMS 24 Comme aussi on peut aussi avoir affaire, surtout si on pense qu’il n’y a pas
d’organicité, à quelqu’un d’extrêmement effectivement angoissé (56, 57)
UMS 25 parce que je pense que la plainte floue il faut être très vigilant (59, 60)
UMS 26 une plainte anxieuse et, et chez certains dépressifs qui qui sont exprimées de façon
récurrente, qui sont floues mais pour lesquelles on a globalement une idée de l’étiologie.
(64, 65)
UMS 27 plainte multiple et floue pouvant évoquer une pathologie organique et malgré les
difficultés de verbalisation (66, 67)
UMS 28 qui nous demande par contre là un travail d’écoute (sonnerie de téléphone) et de
compréhension (67, 68)
UMS 29 modification du comportement par rapport à une pathologie organique (69, 70)
UMS 30 modification de sa verbalisation par rapport à un problème psychologique (70, 71)
UMS 31 problème familial (71)
UMS 32 ça nécessite par contre un travail d’écoute plus important et une difficulté
diagnostique importante. (72)
UMS 33 j’ai du mal à les caractériser (78)
99
UMS 34 je trouve que ces plaintes floues on les rencontre aussi bien chez homme femme et
quelque soit finalement l’âge, les adolescents ont également leur part de plaintes floues.
(78, 80)
UMS 35 il y a ceux qui ont des difficultés à verbaliser à exprimer clairement leurs
symptômes. (81, 82)
UMS 36 Donc ça je trouve c’est eux quand même qu’on arrive globalement mieux à canaliser
(81, 82)
UMS 37 tous ceux qui ont un cortège de symptômes et qu’on a des difficultés à lier, à faire
rentrer dans un cadre nosologique vraiment particulier (82, 83)
UMS 38 c’est vrai que régulièrement on a un contexte anxieux qui peut être récent ou pas (.)
(84)
UMS 39 difficile pour moi de les caractériser précisément finalement ce type de patient. (84,
85)
UMS 40 ça me pose un problème dans le déroulement d’une consultation qui est floue (88,
89)
UMS 41 donc on n’a pas de soucis on n’a pas pris de retard et à la fin c’est là que l’on
entend dire (voix amusée) vous n’écoutez jamais docteur quand on vous parle (93)
UMS 42 sentir que le patient est frustré (93, 94)
UMS 43 avoir envie de nettoyer son agenda (Dr 8 sourit) et qu’il ne revienne pas, ça c’est
quand même assez fréquent avec certains qui sont récurrents dans leur plainte floue.
(94, 95)
UMS 44 L’éternel (voix augmentée de volume) soucis c’est de ne pas passer à côté-là j’en ai
une jeune actuellement, de ne pas passer à coté d’une pathologie organique (96,97)
UMS 45 parce qu’on a le droit d’avoir des plaintes floues et un jour un vrai gros souci (voix
amusée) (97, 98)
UMS 46 pas évident de diagnostiquer (Dr 2 hoche tête) (98, 99)
UMS 47 voir de brusquer le patient pour, je dis nettoyer l’agenda parce que ça peut être une
réalité parfois lorsqu’ils sont agaçants, lorsqu’ils sont récurrents et puis euh de passer à
côté d’une grosse misère. Donc ça c’est le souci sous-jacent permanent. (99, 102)
UMS 48 Mais le fait de na pas avoir dirigé la consultation au début alors éventuellement
pour explorer une plainte floue et puis partir sur un renouvellement de traitement etc, la
cheville on a vu ok il y avait trois points à voir et puis et puis on n’a pas fait ce que le
patient attendait (voix amusée). (102, 104)
100
UMS 49 ce sont des patients qui sont pas forcément faciles (106)
UMS 50 parce qu’on a l’habitude de raisonner en signes ou en maladie (Dr 7 hoche tête) et
en fait ils nous parlent de quelque chose qu’on ne cadre pas tout de suite. (107, 108)
UMS 51 ça peut être des patients qui sont trop à l’écoute de leur corps (108, 109)
UMS 52 des patients qui ne se connaissent pas et qui nous donnent quelque chose et que
nous on ne recadre pas sur lui-même. (109, 110)
UMS 53 ça peut arriver je crois à tous les âges (110, 111)
UMS 54 pour les enfants, les tout petits petits c’est toujours des plaintes floues parce qu’en
fait faut qu’on aille plutôt à la pêche. (111, 112)
UMS 55 on a les ados qui sont à la découverte de leur corps et qui vont nous parler de
chose, pour nous ça semble naturel et puis pour eux, pour eux c’est des choses ; ils nous
parlent avec des termes que nous on recadre et qui sont pas toujours adaptés. (112, 115)
UMS 56 je crois que de toute façon tous les patients à un moment ou à un autre vont avoir
une plainte floue. (115, 116)
UMS 57 des patients récurrents, ils ont quand même je trouve un profil psychologique
particulier (137, 138)
UMS 58 ils arrivent avec un cortège de symptômes, et c’est souvent les mêmes je trouve
(138, 139 )
UMS 59 y’a pas de questions d’âge ou de sexe, c’est pas le… mais je trouve pour moi y’a
cette notion de profil psychologique. (139, 140)
UMS 60 Après y’a la personne qui vient effectivement qui a du mal à verbaliser, exprimer ça
c’est tout à fait autre chose (145, 146)
UMS 61 y’a moins la notion de récurrence, ce n’est pas ceux qu’on voir régulièrement (149,
150)
UMS 62 c’est plus une histoire d’arriver à verbaliser ces symptômes de manière
compréhensible en fait. (149, 150)
UMS 63 on a des patients comme ça qui reviennent et qui ont toujours ce mode
d’expression donc flou à qui correspond un profil soit anxieux soit anxio dépressif (.)
C’est vrai. (157, 159)
UMS 64 on a tous soulevé le risque qu’on prenait de classer (insiste sur l’intonation) les gens
(160, 161)
101
UMS 65 de se retrouver de cette manière à ne pas prendre en compte une plainte chez
quelqu’un qui a ce profil. En partant du principe que la plainte est à chaque fois, donc
floue. (161, 162)
UMS 66 chez ces gens qu’on aurait tendance à classer comme ça dans des troubles anxio
dépressifs euh, le sens de cette plainte euh est floue si on l’interprète euh dans notre
langage sémiologique (163, 165)
UMS 67 mais si on regarde cette souffrance psychologique, on peut considérer que c’est
toujours la même plainte et qu’elle n’est pas floue. Puisque cette plainte a le même sens,
que nous on ne comprend pas dans ces cas là. (165, 167)
UMS 68 ça me gène de catégoriser comme ça les gens (167, 168)
UMS 69 nous on a la lecture sémiologique qui est partagée par nous et qui n’est pas
partagée par le patient. (168, 169)
UMS 70 On est en train de dire que ce sont éventuellement des gens qui sont anxio
dépressifs ou anxieux mais des fois ça peut être des plaintes vraiment somatiques mais la
seule chose c’est que le langage qu’ils nous apportent et le cortège qu’ils nous décrivent
euh ne rentrent pas dans euh… est-ce que je peux donner un exemple, le vertige. Les
gens arrivent avec des vertiges, on va se dire bon ca y est…et nous on va se dire ben oui,
on va lui poser les questions du vertige, donc tant qu’on n’aura pas exploré tout on va
dire bon on arrive au bout, et on va dire ben non il marche droit tout ca et tout et puis là
il va dire, oui mais j’ai 39°…ben tout s’éclaire. Donc au début c’était très flou et puis en
fin de compte…donc c’est pas toujours des gens qui sont anxieux ; peut être. (170, 177)
UMS 71 Je dirais que le côté flou aussi peut être majoré par la lucidité du médecin (Dr2
amusé, sourit).
UMS 72 c’est vrai qu’au bout de trois consultations où le patient vient pour quelque chose
de flou ça ne l’est plus parce que (amusé) c’est toujours la même plainte donc cette
plainte du coup elle n’est plus floue. (182, 184)
UMS 73 je pense pas que cela caractérise vraiment que les anxio dépressifs (186)
UMS 74 on commence à les connaitre et puis on sait très bien de quoi il s’agit (187)
UMS 75 il faut être très vigilant aussi par rapport à sa capacité (.) médicale (Dr 5 hoche tête)
par rapport à son interrogatoire (188, 189)
UMS 76 donc enfin je sais pas je pense que ça nous arrive à tous (Dr7 et Dr8 hochent tête)
quand on sort d’une consultation difficile et qu’on renchaine sur une autre on est… on
peut être pas très vigilant. (191, 193)
102
UMS 77 c’est le langage enfin la problématique est expliquée par un langage du patient et
nous on n’arrive pas à comprendre ce langage (Dr3 et 4 hochent tête) (194, 196)
UMS 78 la plainte floue peut aussi concerner quelqu’un qui a un passé avec une souffrance
(200, 201)
UMS 79 un accident de vie (201)
UMS 80 quelque chose qui concerne une maltraitance, notamment on a parlé des enfants et
des adolescents (201, 202)
UMS 81 le danger c’est de classifier ces patients pour qui on n’arrive pas à décoder la plainte
(202, 203)
UMS 82 qui nous mette en échec (203)
UMS 83 en les classant on perd… le sens de la plainte donc c’est pour ça que je me retiens
dans un premier temps de les classer (204, 205)
UMS 84 essayer vraiment de comprendre le sens (205)
UMS 85 non pas dire que c’est un syndrome dépressif mais que c’est une plainte qui est
d’origine psychologique tout simplement. (Dr3 hoche vivement la tête) (207, 209)
UMS 86 la plainte floue peut être d’origine organique (214)
UMS 87 Peut être qu’elle est floue pour eux mais elle ne va pas être aussi floue pour vous.
(rire) (217, 218)
UMS 88 Le patient a envie (voix amusée) de parler de toutes ses petites misères qui vont
être liées à l’âge ou liées… (221, 222)
UMS 89 Il va falloir être très attentifs à justement ne pas se lasser nous, (234, 235)
UMS 90 voir si on a un petit peu tout exploré (235)
UMS 91 pas rester sur ce que dit le patient (235, 236)
UMS 92 Parce que nous on va rester sur l’idée que lui vient pour la même chose et à un
moment est-ce que c’est toujours la même chose, ou pas ? (237, 238)
UMS 93 peut être remettre le nez dans le dossier pour voir si on a vraiment tout exploré et si
on n’a pas une autre idée (238, 241)
UMS 94 essayer d’y repenser à chaque fois, peut être pas toutes les consultations mais qu’il
y en ait une au moins ou il faut faire surtout le point sur la question. (241, 243)
UMS 95 remettre un peu le compteur à zéro de temps en temps (245)
103
UMS 96 réexaminer complètement (246)
UMS 97 regarder ce qu’on a fait comme examen complémentaire (246)
UMS 98 pas passer à côté d’un gros souci organique (247)
UMS 99 demander aussi l’avis d’un confrère spécialiste (247)
UMS 100 en rhumato, en gastro on va observer beaucoup de plaintes fonctionnelles ce qui
rassurera le patient au moins pour un temps si il n’y a pas de pathologie organique. (247,
249)
UMS 101 il faut rester vigilant sur une organicité (251)
UMS 102 une fois qu’on a l’avis d’un confrère spécialiste et qu’on a un petit peu exploré
(252, 253)
UMS 103 trouver l’équilibre (253)
UMS 104 être dans l’écoute de la plainte (253, 254)
UMS 105 la prendre en considération (254)
UMS 106 même si elle est floue elle existe (Dr3 hoche la tête)
UMS 107 être dans la réassurance (255)
UMS 108 explorer le contexte (255)
UMS 109 essayer ben de comprendre pourquoi il y a cette plainte (256)
UMS 110 et pourquoi il y a la récurrence de cette plainte (256,257)
UMS 111 revoir avec le patient s’il n’y a pas eu d’accident de vie, (257)
UMS 112 ou est-ce qu’il en est dans son parcours de vie (258)
UMS 113 avoir une approche globale. (258)
UMS 114 un travail d’écoute plus important pour ce type de patient (Dr 6 hoche la tête).
(259)
UMS 115 se remettre en cause (260)
UMS 116 surtout ne pas passer à coté de quelque chose. (260, 261)
UMS 117 est-ce que la symptomatologie est identique ou est-ce qu’elle est différente de
d’habitude, pouvant à ce moment là faire évoquer peut être un avis spécialisé ou des
examens complémentaires.
104
UMS 118 j’insisterais surtout sur l’écoute plus importante. Quand ce type de patient arrive
et qu’on se retrouve de nouveau dans une consultation avec une plainte floue, on va
devoir faire un effort plus important d’écoute, ça c’est sur. (263, 265)
UMS 119 être très très rigoureux (266)
UMS 120 je reprends tout à zéro : les antécédents, les traitements, les examens
complémentaires. (266, 267)
UMS 121 Faire appel effectivement à la biologie, à un spécialiste pour éliminer une origine
organique (267, 268)
UMS 122 voire pour rassurer le patient. (268)
UMS 123 je revois les patients sur un temps plus long (270)
UMS 124 c’est l’écoute qui prime (271)
UMS 125 soit on les prend en charge en psychothérapie (272)
UMS 126 soit on les envoie vers un confrère spécialisé. (272)
UMS 127 Ca dépend un peu de l’histoire de vie (273)
UMS 128 Il faut passer deux ou trois consult à questionner vraiment la personne (Dr2 hoche
tête) sur son histoire de vie parce que généralement quand on pioche on trouve (rire)
(273, 275)
UMS 129 Après c’est vrai que c’est du temps, c’est toujours le même problème en médecine
générale : il faut consacrer du temps. (275, 276)
UMS 130 Dans le souci d’éviter de passer à coté de quelque chose, ou du moins de
s’embarquer dans la mauvaise piste, c’est de cheminer avec le patient (279, 281)
UMS 131 Etre à l’écoute de sa réelle demande au-delà de cette plainte floue. (281, 282)
UMS 132 Qu’est-ce qu’il attend ? (282)
UMS 133 Est-ce qu’il souhaite (insiste sur l’intonation) un diagnostic (282)
UMS 134 est-ce qu’il souhaite être rassuré (283)
UMS 135 est-ce qu’il souhaite être soulagé (283)
UMS 136 Parfois dans ces plaintes floues on est justement nous dans un cheminement
diagnostic difficile en commençant déjà à mettre en place une stratégie décisionnelle :
examens complémentaires, (283, 285)
UMS 137 avis spécialisé (285)
105
UMS 138 le patient attend en quelque sorte qu’on lui dise que c’est pas ça et ça suffit peut
être pour l’emmener un peu plus loin sans mettre en place autre chose. (286, 287)
UMS 139 j’aime bien aussi savoir justement ce qu’attend le patient dans sa démarche de
venir nous consulter par rapport à cette plainte floue. (287, 289)
UMS 140 j’aime bien aussi dans ma démarche, c’est de m’enquérir du sens que le patient
donne à sa plainte (289, 290)
UMS 141 le questionner en lui demandant qu’est-ce que pour lui c’est (290, 291)
UMS 142 qu’est-ce que cette plainte signifie pour lui ? (291)
UMS 143 le diagnostic qu’il en fait nous aide aussi (292)
UMS 144 et permet du prendre du temps (293)
UMS 145 quand je me suis installée ça m’angoissait énormément des patients qui venaient
comme ça avec de multiples plaintes (298, 299)
UMS 146 je pense que l’expérience de chaque médecin l’aide à gérer ce type de patient.
(300)
UMS 147 je les ai tous bilantés, rebilantés (301)
UMS 148 montrés au spécialiste (301)
UMS 149 plein de fois parce qu’il y avait plein de plaintes (301, 302)
UMS 150 je me disais ou lala ils doivent avoir une pathologie grave, il faut que je trouve.
(302, 303)
UMS 151 Maintenant je sais que les grosses organicités ont été éliminées et j’arrive, enfin je
n’ai pas la prétention d’avoir compris le fonctionnement du patient mais je sais un peu
plus au bout de trois ans comment certains fonctionnent (303, 305)
UMS 152 et pourquoi ils viennent me voir (305)
UMS 153 et ce qu’ils attendent en effet. (30, 306)
UMS 154 je pense que l’expérience (306)
UMS 155 et la connaissance de ces malades aident dans la prise en charge (Dr4 hoche tête)
voilà de ces plaintes floues et récurrentes. (306, 307)
UMS 156 Donc au départ pour moi c’était des consultations qui prenaient beaucoup de
temps, enfin c’est toujours le cas pour certains, (307, 308)
UMS 157 qui étaient angoissantes. (309)
106
UMS 158 Maintenant j’ai fait un petit bilan somatique qu’il faudra refaire certainement.
(309, 310)
UMS 159 je sais un petit peu plus comment ils fonctionnent, je sais ce qu’ils attendent de
moi, et je pense notamment à une patiente qui revient très régulièrement avec de
multiples plaintes voilà et elle attend que je dise « ce n’est pas grave, (310, 312)
UMS 160 « ce n’est rien, (312)
UMS 161 vous êtes angoissée, c’est pour ça que ça va pas » (312, 313)
UMS 162 et quand j’ai dit ça elle va mieux (313)
UMS 163 je pense que au bout de 15 ans, 20 ans, on doit encore mieux connaitre les gens, et
ça nous aide. (314, 315)
UMS 164 A la fois ça peut nous biaiser parce qu’en effet le jour où ils font vraiment quelque
chose d’organique, on les connait tellement qu’on se dit que c’est encore une
somatisation et on peut passer à coté de quelque chose. (316, 317)
UMS 165 Il faut rester vigilant (318)
UMS 166 je pense que l’expérience du médecin de famille l’aide peut être à gérer mieux ce
genre de patient, (318, 319)
UMS 167 une fois qu’on a éliminé toutes les choses organiques graves (323, 324)
UMS 168 qu’on a fait le tour un petit peu des spécialistes. (324)
UMS 169 Ce qui prime pour moi c’est la relation avec le patient. (325)
UMS 170 rediscuter avec lui (325)
UMS 171 le réinterroger sur ses symptômes (326)
UMS 172 refaire un examen…examen clinique (327)
UMS 173 le rassurer (327)
UMS 174 en disant « écoutez, y’a pas de chose grave aujourd’hui (328)
UMS 175 on va traiter de manière symptomatique » (328)
UMS 176 revenir un peu sur ce qui a déjà été fait pour le rassurer (329)
UMS 177 tout en ayant à l’esprit effectivement qu’un jour ou l’autre ça peut être un truc
grave et que il faut rester vigilant (329, 330)
107
UMS 178 ce qui parait essentiel oui, c’est quand même l’examen clinique, ne pas faire
l’économie de cet examen (Dr4 et 5 hochent tête) (333, 334)
UMS 179 c’est rassurant pour le patient (Dr6 hoche tête vivement) (336)
UMS 180 ça aide à asseoir ensuite après sa décision. (336, 337)
UMS 181 bien faire la différence entre la personne qui va venir de manière un peu rituelle à
l’occasion des trois mois réglementaires revient faire renouveler ses traitements et a
toute la litanie des diverses plaintes ; du patient connu ou pas connu qui vient avec
quelque chose d’un peu flou mais c’est totalement ponctuel et c’était pas comme ça les
autres fois. (351, 354)
UMS 182 ne pas se lasser du patient (354, 355)
UMS 183 ou alors à ce moment là qu’il voit quelqu’un d’autre. (355)
UMS 184 poser la question écoutez je sais pas trop : qu’est-ce que vous attendez de moi
(355, 356)
UMS 185 qu’est-ce que je peux faire pour vous (356, 357)
UMS 186 est-ce que je réponds à votre demande (357)
UMS 187 sinon il vaut mieux voir un confrère (357)
UMS 188 je n’arrive pas à vous aider (358, 359)
UMS 189 il vaut mieux se quitter bons amis que frustrés ou fâchés (360)
UMS 190 c’est pas forcément des gens qui consomment du temps (361, 362)
UMS 191 mais ils nous mettent en échec régulièrement (362)
UMS 192 alors ça devient difficile à vivre parfois (rire) (362, 363)
UMS 193 la démarche est finalement la même pour tous patients (364, 365)
UMS 194 sauf que là la plainte étant floue et répétitive, cette mise en échec comme on peut
la vivre vient compliquer la démarche (365, 366)
UMS 195 parce qu’on est après dans la surenchère ou thérapeutique ou d’examens
complémentaires (366, 367)
UMS 196 et parfois dans l’impasse (367)
UMS 197 le sentiment d’échec vient nous donner pour ces patients là souvent une aversion
(367, 368)
108
UMS 198 l’envie de le refiler à quelqu’un (369)
UMS 199 mais la démarche elle est la même, mais c’est vrai que justement l’implication
relationnelle va être plus forte (369, 370)
UMS 200 si on considère que c’est un patient comme un autre mais que justement (.) la
prise en charge relationnelle va compter d’autant plus qu’on est démuni sur le plan
traditionnel c'est-à-dire thérapeutique. (370, 372)
UMS 201 J’ai essayé de la recadrer sur, au moins sur un point un peu plus spécifique. (388)
UMS 202 c’est usant ces consultations (402)
UMS 203 je crois qu’il faut quand même apprendre à les gérer (403)
UMS 204 Ce sont des consultations très longues. (403)
UMS 205 j’aurais du mieux cadrer (407)
UMS 206 après c’est toute la matinée qui est difficile, faut s’en remettre, on y pense, faut se
concentrer (408, 409)
UMS 207 ce sont des consultations difficiles (411)
UMS 208 mise en échec (413)
UMS 209 une remise en question à chaque fois (413, 414)
UMS 210 Gérer le temps (414)
UMS 211 Gérer le reste de la journée après (414)
UMS 212 Ce sont des consultations en plus qu’on anticipe. (416)
UMS 213 Et donc en plus y’a cette phase d’anticipation (sourire Dr 4) avant qui fait que
parfois quelques consultations avant on commence déjà à penser au patient. (417, 418)
UMS 214 Et donc là voilà toute la journée est difficile… (419)
UMS 215 Oui, c’est une consultation difficile. (421)
UMS 216 c’est chronophage (421)
UMS 217 c’est des consultations qui n’arrivent pas à des conclusions simples (421, 422)
UMS 218 qui nous mettent effectivement en difficulté (422, 423)
UMS 219 qui nous obligent à nous remettre en question (423)
UMS 220 quelques fois nous mettent, nous mettent en échec (423, 424)
109
UMS 221 ce qui n’est jamais facile à vivre (424)
UMS 222 C’est des consultations que moi j’aime bien avoir en début de journée qu’en fin de
journée parce que moi, je me trouve plus performant en début qu’en fin de journée, et
ce sont des patients qui sont encore dix fois plus difficiles en fin de journée. (424, 426)
UMS 223 L’expérience ça peut être intéressant pour mieux gérer ce type de patient quand
on les connait vraiment régulièrement (428, 429)
UMS 224 même si on est installé depuis 20 ans on aura toujours un nouveau patient qui va
arriver (Dr3 hoche tête) parce que justement le confrère d’à coté en aura ras le bol (429,
431)
UMS 225 on va se retrouver dans la même situation, même avec notre expérience on aura
des difficultés parce qu’on aura un nouveau patient flou (431, 432)
UMS 226 il faudra se remettre en question (432)
UMS 227 rechercher la cause de tous ses malheurs (433)
UMS 228 Voilà donc c’est vraiment une consultation difficile. (433)
UMS 229 C’est difficile car tout devient flou (435)
UMS 230 C’est flou pendant, (435)
UMS 231 Ça peut être flou après (435, 436)
UMS 232 Notre réponse aussi à la fin de la consultation, peut être pour certaines
consultations, devient floue (436, 437)
UMS 233 Parce qu’on propose pas forcément, enfin à chaque fois des choses concrètes à la
personne à part lui dire de revenir dans un mois et puis on verra. (437, 438)
UMS 234 C’est difficile dans le sens aussi où quand il faut se concentrer sur un problème euh
parce que le patient il arrive avec une plainte floue mais à coté de ça il peut avoir
d’autres maladies qu’il faut gérer, si il a un diabète, si il a un suivi particulier (Dr3 hoche
tête) (439, 441)
UMS 235 c’est vrai que c’est assez difficile, je pense à une patiente là, j’ai tendance
maintenant en fin de consultation à devenir flou par rapport à ses symptômes flous. Et
en fait elle s’en porte pas plus mal… (rires) (443, 445)
UMS 236 elle est floue donc je suis flou et puis voilà je fais le miroir et j’évite sa plainte (451,
452)
UMS 237 on a été rigoureux (454)
110
UMS 238 on a proposé un traitement anxiolytique si c’est une personne dépressive ou
anxieuse (454, 455)
UMS 239 On lui a forcément proposé de rencontrer un confrère psychiatre (455, 456)
UMS 240 ou un psychologue (456)
UMS 241 elle accepte la relation à son médecin dans cette plainte toujours récurrente (458,
459)
UMS 242 on la rassure (459)
UMS 243 on lui dit c’est rien, ça va, tout va bien se passer (459)
UMS 244 on gère comme ça de consultation en consultation et puis euh ma foi ils s’en
portent pas plus mal un (Dr 3 hoche tête)… (459, 461)
UMS 245 c’est difficile parce qu’à chaque fois il faut ré aborder la…la personne. (463, 464)
UMS 246 je dirais que c’est une consultation difficile
UMS 247 bien sûr parce que c’est chronophage (467)
UMS 248 bien sûr parce qu’il faut être en forme, et qu’on y est pas toujours (467, 468)
UMS 249 après avoir identifié le sens de la plainte et en se positionnant je dirais non pas
comme le résolveur de la plainte mais comme simplement son miroir (Dr4 hoche tête)
(469, 470)
UMS 250 On est bien dans le cadre de plaintes inexpliquées, anorganiques, répétitives un,
pas dans le cadre d’une nouvelle plainte qu’il faut explorer. Dans ce cadre là, bien sûr ces
patients ont aussi d’autres choses à coté qui viennent prendre du temps. (470, 473)
UMS 251 Mais à partir du moment où on s’est identifié comme étant dans la fonction de
Balint c'est-à-dire du médecin médicament (Dr8 et Dr2 hochent tête), médecin fonction
qui est là. C’est pas des consultations si difficiles que ça. (473, 475)
UMS 252 On sait ce qu’ils viennent chercher, on est là dans cette position de miroir. (475,
476)
UMS 253 On peut border un temps pour ça. (476)
UMS 254 finalement on s’aperçoit que puisqu’ils reviennent c’est qu’ils trouvent leur
compte (477)
UMS 255 on assume bien notre fonction de soignant, de prendre soin (477, 478)
111
UMS 256 Mais je suis d’accord c’est chronophage, il faut être en forme, faut pas qu’il y ai
autre chose à coté. Y’a quand même de temps en temps des rechutes de la part du
patient qui nous met encore en échec, c’est sûr, (478, 480)
UMS 257 c’est pas simple mais j’ai pas obligatoirement cette position tranchée : c’est
toujours difficile. (480, 481)
UMS 258 on peut être dans le plaisir parce qu’on a des patients que l’on stabilise (481, 482)
UMS 259 on est dans une situation je dirais de relation d’aide plutôt gratifiante. (482, 483)
UMS 260 c’est pas si facile (Dr 5 et 4 sourient) (485)
UMS 261 ce qui m’est difficile donc : essentiellement la gestion du temps de ces
consultations là (485, 486)
UMS 262 du coup des fois je ne suis pas satisfaite de ce que je fais (486, 487)
UMS 263 parce que je vais prescrire (Dr 7 et Dr 1 hochent tête)
UMS 264 alors que je sais que je devrais pas le faire. (487, 488)
UMS 265 Mais je n’arrive pas à couper court donc je dis ben tiens : on va faire une radio
(488, 489)
UMS 266 Je prescris un médicament sachant très bien qu’il n’aura pas d’efficacité parce que
X traitements ont été essayés (490, 491)
UMS 267 Pour couper court parce que je suis en retard (491)
UMS 268 parce que j’arrive plus à écouter. (491)
UMS 269 Ecoutez je vais faire une ordonnance, un examen complémentaire, un traitement
et puis on reverra ça. Et ça ne me satisfait pas. Je trouve pas que je sois très compétente
quand je réagis comme ça (492, 493)
UMS 270 c’est pas si simple justement de de d’aider sans prescrire. (494)
UMS 271 Et parfois je sais très bien que ce qu’il faudrait que je fasse c’est de creuser plus
(494, 495)
UMS 272 et de poser des questions mais qui vont m’emmener dans une consultation qui va
être interminable. (495, 496)
UMS 273 et parfois en fait je me dis : ne pose pas la question comment va votre mari ou (Dr
7 et Dr 6 sourient + hochent tête) parce que je sais que je vais partir dans une
consultation interminable. (496, 498)
UMS 274 la gestion du temps est difficile (498)
112
UMS 275 du coup parfois je prescris alors je sais que je ne devrais pas le faire (498, 499)
UMS 276 je ne vais pas creuser certaines choses alors que je sens qu’il faudrait (499, 500)
UMS 277 parce que je sais que je vais être embarquée dans quelque chose que je
n’arriverais plus à gérer. (500, 501)
UMS 278 Il faudrait passer une heure parfois avec ces gens là, et c’est pas une solution euh.
(501, 502)
UMS 279 Ca m’arrive des fois de bloquer une deuxième consultation quand je vois certains
noms parce que sinon je sais que si c’est en début de journée ça va me me flinguer mon
timing quoi…donc…voilà. Mais c’est difficile en effet surtout pour la gestion du temps
pour moi. (502, 505)
UMS 280 ça m’arrive d’avoir recours à des… ou faire une radio ou faire une prise de sang
(507, 508)
UMS 281 sachant très bien que ça n’amènera plus rien mais pour avoir entre guillemets la
paix, quinze jours, trois semaines (508, 509)
UMS 282 Après le coup d’embrayer sur la famille, c’est vrai que j’évite aussi ce genres de
choses parce que je sais qu’on rentre dans un engrenage (510, 511)
UMS 283 je trouve ça fatiguant nerveusement, c’est épuisant en fait (511, 512)
UMS 284 j’ai déjà des noms où je double la consult (513)
UMS 285 on n’est pas bon tout le temps (515, 516)
UMS 286 y’a des fois on arrive à cadrer un petit peu les choses (516)
UMS 287 et parfois ça m’arrive de prescrire et effectivement c’est pas satisfaisant mais
…c’est histoire de quoi… se laisser un petit répit. (516, 517)
UMS 288 j’ai une patiente qui me vient en tête en fait, elle a sa (insiste dans l’intonation)
plainte. Elle me dit que c’est depuis que j’ai fait ça que j’ai ça, et une fois qu’elle l’a dit en
consultation on peut faire autre chose (Dr3 hoche tête). (520, 522)
UMS 289 Elle arrive avec sa liste et en général y’a toujours le même motif (524)
UMS 290 c’est toujours difficile de se dire est-ce que c’est ce motif là aujourd’hui qu’il faut
qu’on explore ou pas, est-ce qu’aujourd’hui elle veut qu’on parle de ça ou pas. (527, 528)
UMS 291 ça prend du temps (529)
UMS 292 on a des fois on voit le patient et on dit, ah il va encore me parler de ça, et ce jour
là il en parle pas (Dr3 hoche tête). Et on se dit bon, qu’est-ce qui s’est passé ? (530, 531)
113
UMS 293 c’est nous qui sommes un petit peu attentifs (531, 532)
UMS 294 une fois que j’ai fait mon bilan et tout ça après, y’a aucune raison d’être dans les
conduites d’évitement (Dr7 semble étonné). (547, 548)
UMS 295 Je m’évertue même à ne rien leur prescrire (548)
UMS 296 à arrêter certains médicaments parce que moins y’en a mieux c’est (549)
UMS 297 moi y’a plusieurs personnes avec des plaintes floues que je vois souvent et qui
ressortent avec rien et euh je pense que… et ils reviennent me voir c’est que…
M : c’est que quelque part tu réponds à leur attente… (550, 552)
UMS 298 je pense qu’il ne faut pas être la dedans, parce qu’après on s’en sort plus… (553,
554)
UMS 299 je crois pas que ce soit une conduite d’évitement, je crois que c’est plus une
stratégie pour rester en adéquation avec un emploi du temps sans se faire déborder (Dr4
et Dr2 hochent tête). (560, 561)
UMS 300 pour ceux qui ont exprimé cette stratégie elle n’est pas constante et quand ils ont
le temps ils le prennent. (562, 563)
UMS 301 Et ce n’est pas satisfaisant. (563)
UMS 302 C’est pragmatique, ça rentre bien dans mon format que j’ai appris aux urgences :
un problème : une solution, bonne ou mauvaise mais une solution à la suite du problème
euh…ça c’est par rapport à la prescription. (572, 574)
UMS 303 Y’a aussi la prescription ou y’a le patient qui vient tous les trois mois pour son
diabète, sa tension etc donc il aura sa prescription mais il aura la même prescription
parce que bon ben c’est chronique et il aura eu de l’écoute simplement par rapport à ses
plaintes floues. (574, 577)
UMS 304 Pour pas trop stresser en fin de consultation avec ce type de patients moi je me dis
souvent : toi tu es déçu de ta consultation mais le patient lui il est pas déçu. (581, 582)
UMS 305 Parce qu’il a été écouté il va vouloir revenir dans un mois ou dans trois mois (582,
583)
UMS 306 Ça permet aussi de se… comment dire, d’enlever un petit peu d’angoisse, de se
dire ben quelque part le patient lui est content. Ca m’est arrivé souvent d’avoir des
patients qui me disent, ça m’a fait du bien la consultation la dernière fois alors que
j’avais l’impression de l’avoir loupée quelque part en fait je ne l’avais pas si loupée que
ça. (583, 586)
114
UMS 307 Je pense, ce que je n’arrive pas à faire, c’est qu’il faut réussir à cadrer ce genre de
malade. (589, 590)
UMS 308 Je pense qu’il faut les éduquer un petit peu et c’est difficile en disant, maintenant
j’arrive à poser cette question là : qu’est-ce qui vous gène le plus (Dr3 hoche tête) ? (594,
596)
UMS 309 Pour essayer de prioriser (insiste sur ce terme), parce que souvent on est noyé
(596, 597)
UMS 310 ils commencent par un symptôme et puis en effet ça va être l’avalanche de
symptômes. (597)
UMS 311 J’essayais de trouver des solutions à tout et j’y arrivais pas et j’arrivais pas à gérer
mon temps (598)
UMS 312 J’ai du mal à dire pour la quatrième et la cinquième et la sixième plainte, vous
reviendrez mais j’essaie de le faire de plus en plus (599, 601)
UMS 313 le constat d’échec (605)
UMS 314 On a un rôle d’écoute (605)
UMS 315 c’est ambivalent parce qu’ils reviennent, ils ont l’air content mais nous…
personnellement nous, enfin moi en tout cas je me dis, je sais pas si ce que j’ai fait c’est
satisfaisant (606, 607)
UMS 316 ils reviennent donc ils sont contents mais ils ont toujours la même plainte donc
c’est un cercle vicieux. (608, 609)
UMS 317 c’est un échec parce qu’on ne trouve jamais la solution. Pas satisfaisant, on
aimerait trouver mais on ne trouve pas… (609,610)
UMS 318 ça fait partie de notre travail, la partie psychologie, écoute donc là de ce coté là y’a
pas de soucis. (614, 615)
UMS 319 pas trouver de solution quoi…mais en sachant très bien que chez ce type de
personnes y’en aura peut être jamais aussi (616, 617)
UMS 320 peut être que ça viendra avec le temps ça je m’y ferai… (617, 618)
UMS 321 je pense que je la (la fonction de MG) vois différemment des autres patients plus
« normaux » entre guillemets (reste de l’assistance amusée) (621, 622)
UMS 322 on a été formaté en effet à un problème, une solution. (Sirènes d’ambulance) Et
pour ces patients là ça marchera jamais comme ça, (622, 623)
115
UMS 323 à partir du moment où on l’a compris. Que on ne le guérira pas, qu’on trouvera pas
le traitement qui va et que on sera en échec par rapport à notre médecine traditionnelle
que l’on a appris à la fac et à l’hôpital. (623, 625)
UMS 324 je pense qu’il faut se remettre en question par rapport à sa fonction de médecin
(626)
UMS 325 et rester un peu humble (626, 627)
UMS 326 j’ai pas de solution à lui proposer, déjà être disponible pour lui et l’écouter peut
être que ça suffit pour ce patient là (627, 628)
UMS 327 la fonction (.) du médecin qui soigne et qui trouve une solution (sonnerie de
téléphone) et qui trouve un diagnostic et un traitement là est différente puisque à ce
moment là je pense que la réponse sera pas comme je le fais malheureusement des fois
un traitement parce que la preuve est qu’ils reviennent malgré ce que l’on a prescrit.
(628, 632)
UMS 328 Je pense que la fonction c’est en effet l’écoute (632)
UMS 329 La disponibilité (632)
UMS 330 avoir une approche un petit peu différente, se remettre en question (633)
UMS 331 rester humble par rapport au malade (633, 634)
UMS 332 même si on le guérit pas, on est là pour lui, la porte reste ouverte. (634)
UMS 333 même si on n’est pas satisfait ils reviennent quand même donc je pense qu’on les
aide en étant disponible. (635, 636)
UMS 334 On est vraiment dans les compétences que le médecin généraliste doit maitriser
(638, 639)
UMS 335 La compétence relationnelle (639)
UMS 336 Le premier recours puisque c’est nous les premiers à recueillir ces plaintes. (639,
640)
UMS 337 On a la culture biomédicale qui nous permet justement de savoir si c’est un patient
qui relève d’une stratégie organique ou simplement d’une plainte fonctionnelle. (640,
642)
UMS 338 Et dans le cadre d’une plainte fonctionnelle on est tout a fait à notre place pour la
prendre en charge. (642, 643)
UMS 339 Dr2 disait par rapport à notre formation facultaire qui est quand même centrée
sur, je dirais, la pathologie et le traitement de la pathologie. C’est vrai qu’on observe
116
bien, des carences de formation dès le début de nos études médicales au relationnel et à
ce genre de plaintes. Bien évidemment, étant à l’hôpital, c’est pas le lieu. (643, 646)
UMS 340 Mais on est vraiment privilégié dans cette prise en charge de ces patients de part
ça et de part le fait qu’on les suit au long cours (646, 647)
UMS 341 On est les seuls professionnels dans cette situation donc on est vraiment dans
notre fonction. (647, 648)
UMS 342 on est vraiment dans notre identification de médecin (649)
UMS 343 on est dans le soin. Dans le soin total : (.) organique, psychologique (650)
UMS 344 soit on peut accepter de procurer ce soin là, soit on a les compétences de le faire.
(651, 652)
UMS 345 Effectivement la formation à la faculté, à notre génération, ça se faisait pas trop.
On nous forme pas pour ça je pense. (652, 653)
UMS 346 être dans le rapport miroir (653, 654)
UMS 347 Balint c’est ça ? Dr3 : oui, le médecin médicament. (654, 655)
UMS 348 on est vraiment dans une démarche oui, de soin. (657)
UMS 349 soit ça nous dépasse et puis ben à ce moment là, il faut passer la main à un
confrère qui est plus tourné vers la psychothérapie. (657, 658)
UMS 350 les gens viennent se plaindre à nous mais on est …enfin y’a des plaintes aussi qui
ne sont pas d’ordre médical je pense. Et que avant les gens ils allaient voir leur curé, ils
se plaignaient au curé et ça allait mieux donc (rire Dr4). J’ai pas mal remplacé dans les
régions ou les gens étaient très croyants, ils allaient à la messe, ils allaient à confesse et
tout ça… (659, 661)
UMS 351 C’est aussi quelque chose qui n’existe plus et les gens viennent se plaindre à nous
puisqu’ils ont personne d’autre à qui se plaindre. (664, 665)
UMS 352 Le rôle du médecin ben pour moi c’est principalement l’écoute (670)
UMS 353 Essayer de cadrer et de comprendre la plainte du patient afin de l’aider surtout à
vivre sa problématique. (671, 672)
UMS 354 Il faut qu’il avance avec sa problématique (672, 673)
UMS 355 toujours en se remettant un petit peu en question. (673, 674)
117
UMS 356 de plus en plus les patients on peu de personnes qui les écoute. Le mari est absent,
les enfants à Marseille et à New York (Dr7 hoche tête) et on reste quand même une
bouée de sauvetage, (675, 677)
UMS 357 on reste la personne à qui on peut raconter sa vie (677)
UMS 358 raconter sa problématique avec une expression quelque fois de sa vie qui est sous
forme de sémiologie, de symptômes. (677, 678)
UMS 359 je pense que c’est un rôle important quand même que l’on a. (678, 679)
UMS 360 de l’écoute et de la disponibilité. (681)
UMS 361 rester dans un rôle un petit peu plus médical entre guillemets en vérifiant
l’absence d’organicité et en se remettant en cause régulièrement par rapport à ça. (682,
683)
UMS 362 notre rôle de soignant, la prise en charge globale de son patient, (683, 684)
UMS 363 accompagnement également sur son histoire de vie. (684, 685)
UMS 364 On est bien dans notre rôle (687)
UMS 365 chacun se positionne une peu…y’en a qui auraient pu faire de bons psys d’autres
de bons réa cardio, bon, on n’a pas tous les mêmes profils (687, 689)
UMS 366 Le côté curé du village c’est clair que comme y’en a plus on est bien obligé de le
remplacer un petit peu. (690, 691)
UMS 367 Le côté assistante sociale ben je crois qu’il y a des assistantes sociales donc il faut
savoir déléguer et rapidement. (691, 692)
UMS 368 c’est de déplacer un rendez vous la veille en disant bon (voix amusée) , si ils
s’enchainent sur l’agenda, je vais rappeler Mme Machin et lui dire que ce serait mieux
qu’elle vienne à telle heure parce que j’aurais plus de temps, je serais moins chargé, elle
viendra en première position, je pourrais l’écouter ; bon faut gérer son agenda aussi
parce que quelque fois on est dans l’urgence alors ça se remplit et on n’a pas le temps de
le gérer. Mais ça permet d’être plus disponible parce qu’on peut avoir deux ou trois
consultations très longues, très difficiles par jour si c’est étalé… si on les a coup sur coup
et que c’est en début de journée ça n’a pas du tout les mêmes conséquences. (694, 701)
UMS 369 on est vraiment dans notre fonction de médecin généraliste (703)
UMS 370 j’ai entendu parler qu’on était souvent les premiers recours mais on est souvent
aussi les derniers recours (Dr3 et 4 hochent tête) (703, 704)
118
UMS 371 quand nous on aura envoyé chez tous les spécialistes, enfin je dis tous les
spécialistes : chez les spécialistes où on pensait avoir une solution et qu’il n’y aura pas
forcément de solution. C’est vers nous que le patient va revenir et c’est nous qui allons
l’accompagner. (705, 707)
UMS 372 on est un peu le chef d’orchestre de leur plainte, du patient et de ce que nous
aurons apporté aussi les différents examens. (708, 709)
UMS 373 je ne suis pas tout à fait d’accord sur notre fonction disant qu’on occupe un terrain
qui n’est plus occupé notamment par les curés ou par les enfants ou le mari. On n’est pas
dans le même rôle, l’écoute n’est pas la même, (711, 713)
UMS 374 c’est une écoute professionnelle qui réponds, à je dirais euh… une discipline qui
n’est pas enseignée. (713, 714)
UMS 375 la communication, la relation médicale (715)
UMS 376 y’a des concepts qui existent qui ont été formulés par un certains nombres
d’auteurs comme Carl Rogers sur la relation d’aide. (715, 716)
UMS 377 on n’est pas dans la psychothérapie, chacun à sa place. (716, 717)
UMS 378 On est dans la relation d’aide (Dr 2 et 8 hochent tête) donc ça obéit à je dirais un
cadre également nosologique très précis, auquel on n’est pas formé dans notre
formation traditionnelle mais cette écoute là, enfin cette prise en charge là est une prise
en charge thérapeutique et n’est pas une prise en charge de soutien comme pourrait
faire le curé ou la famille. (717, 721)
UMS 379 On est vraiment dans le cadre médical et personne d’autre n’a cette place là. (721)
UMS 380 Parce que avant de décider qu’on est dans une prise en charge relationnelle, on a
une autre culture bio médicale que le curé n’a pas ni le parent. (721, 723)
UMS 381 On est vraiment dans une démarche médicale, on n’est pas dans un
accompagnement simplement dans le temps, et d’autant plus que le projet c’est de faire
évoluer le patient vers l’acceptation se sa plainte, (723, 725)
UMS 382 Vers l’autonomisation (725)
UMS 383 et qu’ensuite il ne vienne plus nous consulter, qu’il se régule lui-même sa plainte
par rapport à ce qui s’est fait dans la prise en charge relationnelle. C’est ce qu’on appelle
la relation d’aide. (725, 727)
UMS 384 ce sont des patients qui sont moins écoutés qu’ils ne pouvaient l’être et qui de ce
fait là vont avoir une, vont déclencher une symptomatologie pour laquelle ils vont
consulter (728, 730)
119
UMS 385 nous on va faire notre travail de médecin effectivement qui est une écoute
professionnelle. (730, 731)
UMS 386 Mais qu’on aurait peut être pas eu à faire si il y avait eu un autre travail d’écoute
ou si elle avait pu s’exprimer auprès d’autres personnes. Mais ce n’est pas la même
communication bien sûr (731, 733)
UMS 387 la plainte pouvait être multifactorielle (735)
UMS 388 on se retrouvait quand même avec plein de problèmes à gérer (735, 76)
UMS 389 c’est notre rôle de médecin de faire la part des choses, (736)
UMS 390 mais si les gens étaient un peu plus écoutés en dehors des cabinets médicaux, je
pense que ça nous ferait du bien, c’est tout. (736, 738)
UMS 391 on est tous à peu près formés à pas juger (739)
UMS 392 aider d’une manière neutre. (743)
UMS 393 De toute façon on reste en soin tout le temps. On est en soin au moment où on
ouvre la porte jusqu’à ce qu’on la ferme (Dr3 hoche tête). C’est ça qui justement rend
très très intéressant notre profession. (744, 746)
120
NOM : DIGUET
PRENOM : Aurore
LES PLAINTES FLOUES RECURRENTES : PERCEPTIONS, ATTITUDES ET RESSENTIS DE
MEDECINS GENERALISTES
RESUME
Contexte : Les patients qui viennent exposer leurs plaintes floues récurrentes ont
fréquemment recours au médecin généraliste. Ils mettent les médecins en difficulté qui
semblent mal à l’aise dans leur prise en charge. Ils sont à l’origine d’une surconsommation
du système de soin qui occasionne un surcout.
Objectif: Identifier les difficultés des médecins généralistes face à ces patients, chercher ce
qui les détermine et en quoi elles conditionnent leur prise en charge.
Méthode : L’étude est réalisée à partir d’un focus group de huit médecins généralistes de
Loire Atlantique.
Résultats : Les difficultés rencontrées face à ces patients s’expriment à travers
l’ambivalence des médecins généralistes dans leurs perceptions, attitudes et ressentis.
Ils identifient ces patients comme étant en souffrance et porteurs d’une plainte réelle.
Cependant, ébranlés dans leur position de savoir et de pouvoir, leurs représentations sont
peu valorisantes et nuisent à la relation médecin-malade.
Ils sont conscients que la relation thérapeutique devrait monopoliser la prise en charge
mais trouvent difficile de soigner sans prescrire, quitte à entrer dans la iatrogénie du soin.
Ils admettent avoir des difficultés à sortir du cadre nosologique rationnel et conditionner
certaines prises en charge par la peur de passer à côté d’une pathologie organique grave.
Malgré cela ils se trouvent bien à leur place auprès de ces patients, bien dans leur
identification spécifique de médecins généralistes devant offrir une approche globale. Ils
sont pour cela enclins à la remise en question de leurs pratiques habituelles.
Ils soulignent la difficulté d’intégrer ces consultations dans un quotidien déjà lourd.
Conclusion : Les plaintes floues demandent du temps et de la patience que les médecins
généralistes n’ont pas toujours dans un quotidien chargé. Ils ont conscience que l’écoute est
un point clé dans la relation thérapeutique qui pourrait mener le patient vers l’amélioration.
Ils disent manquer de formation à ce propos et laissent souvent leur bon sens et leurs
expériences guider ces prises en charge.
MOTS CLES
Médecin généraliste, symptôme médicalement inexpliqué, troubles fonctionnels, relation
médecin-malade, relation thérapeutique, focus group
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