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INTRODUCTION
Pendant nos études médicales, nous avons été formés longuement aux processus
physiologiques puis pathologiques qui régissent nos corps. Il est indiscutable que cette
formation vécue sous un angle biomédical modifie définitivement la perception du corps
humain et de son fonctionnement1. Cette vision occupe une grande partie de l’interprétation
et de la compréhension de ce que nous assimilons du vécu pathologique du patient.
Bien sûr, au cours du trajet hospitalier qui compose notre formation nous avons eu accès à
l’humain qui se trouve derrière le patient. Cet abord a parfois même été privilégié par la
place unique que réserve le statut d’étudiant en médecine tout comme le sera plus tard
celui de médecin généraliste. Le patient se livre parfois à nous comme il le fera plus tard
« sur le pas de la porte » de son médecin de famille2. Tout se dit comme s’il ne « risquait »
rien devant cette pâle figure de son médecin en devenir. Comme s’il était sûr de ne pas être
ridicule, de ne pas être jugé et peut être mieux… entendu.
Malgré ces expériences accumulées, les patients qui nous ont posé le plus de
questionnements en commençant une activité libérale ont été les patients porteurs de
plaintes floues. Nous nous sommes sentis démunis, interrogés, frustrés par des consultations
qui n’aboutissent en général sur rien de concret. Le chemin de la compréhension s’est
dessiné le jour où nous avons pris conscience, que derrière le flot de symptômes, il y avait
probablement une autre demande. Cette question est venue bousculer nos croyances et a
motivé ce travail de thèse.
Immédiatement la question a été de savoir si les autres médecins vivent les mêmes
interrogations à propos de ces patients. Ils nous font connaître une autre dimension de ce
métier, nous poussent dans des retranchements inconnus où nous apprenons aussi sur
nous-même et la dimension relationnelle du soin.
Les études déjà réalisées montrent que les troubles médicalement inexpliqués
représenteraient 5 à 30% des consultations des généralistes avec une prévalence de 1 à 2 %
dans la population générale3 4. De plus, ces patients occasionnent une surconsommation
médicale. Il a été montré que ces patients ont une consommation d’actes médicaux égale
aux patients atteints de pathologie lourde soit le triple de celle de la population générale5.
Nous sommes tentés de trouver une explication à ce phénomène d’une part dans le
nomadisme médical, dans la réalisation d’examens complémentaires « inutiles », dans la
multiplication des consultations « toujours pour la même chose » chez le médecin de famille,
et d’autre part par la prise en charge inadaptée des médecins généralistes peu initiés à
l’approche de ces patients. Mais ne peut-on pas y voir en partie la nécessaire et longue route