Coordination Nationale de la Formation Continuée du Moyen et du Secondaire / Philosophie / Documents de formation de 2004 Léon Sobel Diagne, Qu’est-ce que l’homme ? QU’EST-CE QUE L’HOMME ? Par Léon Sobel Diagne Conseiller Pédagogique Itinérant PRF Dakar Loin d’une question inconnue, le thème autour duquel nous voulons bâtir notre réflexion est une préoccupation capitale en philosophie, et principalement dans notre programme de philosophie. Le 3ème axe majeur (les grandes interrogations philosophiques) du 1er domaine (la réflexion philosophique) le démontre parfaitement dans son contenu indicatif intitulé : «L’interrogation anthropologique». Ainsi deux fondements philosophiques de cette interrogation devraient être rappelés. Premièrement : l’inscription au temple de Delphes : «Homme, connais-toi, toi-même» que l’on attribue à tort ou à raison à Socrate. Cet appel déjà vieux de plus de deux mille ans n’a pratiquement rien perdu de son actualité aujourd’hui. Deuxièmement : les trois questions fondamentales de Kant à savoir : - Que pouvons-nous connaître ? - Que devons-nous faire ? - Que pouvons-nous espérer ? Questions auxquelles on ajoute habituellement une quatrième question non moins importante : - Qu’est-ce que l’homme ? Par simplification ou pour être plus conforme à notre programme, cette question peut se ramener à «l’interrogation anthropologique», c’est-à-dire à une réflexion philosophique sur l’homme que nous nous proposons de dérouler dans le cadre plus général de l’anthropologie. I. Définition de l’anthropologie I.1- Sens étymologique Au sens étymologique et premier du XVIème siècle, et par opposition à la cosmologie (science du monde), à la théologie (science de Dieu), l’anthropologie (du grec, anthropos, logos) est la science de l’homme. Léon Sobel Diagne, Qu’est-ce que l’homme ? 1 Coordination Nationale de la Formation Continuée du Moyen et du Secondaire / Philosophie / Documents de formation de 2004 Léon Sobel Diagne, Qu’est-ce que l’homme ? I.2. Sens philosophique Le sens philosophique qui nous vient tout de suite en tête est celui émis par Emmanuel Kant quand il dit : «l’Anthropologie est l’étude philosophique de l’homme» ou ce qui revient au même l’Anthropologie comme «doctrine de la connaissance de l’homme, systématiquement traitée».1 I.3. L’Anthropologie d’un point de vue scientifique Aujourd’hui, l’Anthropologie se définit comme l’ensemble des sciences naturelles, sociales, etc., traitant de l’homme comme être animal (anthropologie somatique) ou social (anthropologie culturelle).2 Le premier aspect de cette définition a dérangé plus d’une conscience humaine. Très souvent, en effet, les hommes n’aiment pas qu’on parle d’eux en termes «d’être animal», quelles que soient les précautions prises pour exorciser la formule. Il importe donc de s’étendre davantage sur l’analyse de cette caractéristique (l’homme, être animal) et les autres qui l’accompagnent. II. LE PROBLEME DE LA TRIPLE CARACTERISTIQUE DE L’HOMME OU LA QUESTION : L’HOMME SE DISTINGUE-T-IL DE L’ANIMAL ? Animal parmi les autres animaux, l’homme ne se distinguerait de ces derniers que parce qu’il est un animal technicien (Homo faber), c’est-à-dire un fabricant d’outils ; un animal qui parle (Homo loquens), autrement dit un faiseur de signes ; un animal social obéissant à des règles (Homo politicus). On pourrait même ajouter à cette liste une quatrième caractéristique, précisément celle de l’homme être de besoins biologiques (Homo économicus). Mais le problème, c’est que jusque-là, la démarcation entre l’homme et l’animal n’est pas nette. Toutes ces caractéristiques existent, ne serait-ce que de manière instinctive, chez les animaux. Plusieurs exemples peuvent étayer cela : celui du chimpanzé se servant d’un bâton, c’est-à-dire d’une technique, si rudimentaire soit-elle ; celui des abeilles qui communiquent 1 Kant. E, Anthropologie du point de vue pragmatique, trad. M. Foucault, Vrin, 1964, P. 11. 2 Cuvillier A., Nouveau Vocabulaire Philosophique, Armand COLIN. 1976 (3ème trimestre). Léon Sobel Diagne, Qu’est-ce que l’homme ? 2 Coordination Nationale de la Formation Continuée du Moyen et du Secondaire / Philosophie / Documents de formation de 2004 Léon Sobel Diagne, Qu’est-ce que l’homme ? au moyen de signes, des dauphins qui émettent des ondes sous-marines pour échanger avec leurs pairs ; des fourmis qui vivent en société, tout comme les termites, etc. Seulement tandis que l’homme déborde des cadres de l’instinct et inventorie des moyens plus sophistiqués, l’animal reste prisonnier des seules possibilités instinctives. Cela tient lieu d’une première preuve de démarcation, si mince soit-elle. Et comme si ces caractéristiques ne suffisaient pas pour convaincre définitivement de la démarcation entre l’homme et l’animal, les défenseurs de la supériorité de l’homme sur l’animal invoquent deux faits majeurs. II. LES DEUX FAITS MARQUANT DE LA DISTINCTION ENTRE L’HOMME ET L’ANIMAL Premier fait- L’homme est capable de conduites désintéressées. C’est le cas des connaissances scientifiques et de l’art : des pratiques le plus souvent détachées des besoins biologiques. L’homme est également capable d’un amour désintéressé, à la limite absurde. Huisman et Vergez, à qui nous devons une large part de ces informations, donnent l’exemple du soldat qui donne de l’eau à l’ennemi blessé tout comme l’homme qui réchauffe un oiseau agonisant. A ces exemples classiques pourraient s’ajouter l’action bénévole des O.N.G.3 comme la croix rouge, le croissant rouge, médecins sans frontières, etc. Deuxième fait- Seul l’homme accomplit des actes inutiles. Les deux exemples suivants le démontrent éloquemment : il s’agit du rite du mariage d’une part, et de l’enterrement des morts et la célébration des funérailles d’autre part. Mais tout ceci se demande le Comte de Noüy n’est-il pas une protestation contre «l’accouplement animal» (le mariage) et le fait «d’être enterré comme un chien» (les funérailles). Et Léon Bloom de se demander : «pourquoi un homme qui a vécu comme un cochon ne désire pas être enterré comme un chien» ? Serait-ce au nom de ce qu’il convient d’appeler la dignité humaine, leitmotiv des religions et de la charte des Droits de l’homme ? IV. 3 L’INTERPRETATION RELIGIEUSE DE L’HOMME ? Organisations Non Gouvernementales. Léon Sobel Diagne, Qu’est-ce que l’homme ? 3 Coordination Nationale de la Formation Continuée du Moyen et du Secondaire / Philosophie / Documents de formation de 2004 Léon Sobel Diagne, Qu’est-ce que l’homme ? D’après les religions monothéistes, pour ne pas dire révélées, l’homme est un être créé libre et mortel. Il est doté d’une âme, d’où sa dignité et sa supériorité sur l’animal. Mais il y a, tout de même, une contradiction quand on sait que le même homme grandi par rapport à l’animal est humilié parce que conçu comme créature d’un Dieu juge pouvant disposer de sa vie comme bon lui semble. Le sort ainsi réservé à l’homme ne pouvait qu’indigner des philosophes comme Nietzsche, Sartre et d’autres qui vont se soulever en réhabilitant l’homme. Comme un couteau à double tranchant cette interprétation humilie l’homme et le magnifie de nouveau en faisant de lui un être privilégié, parce que créé à l’image de Dieu. Le même Dieu qui lui a fixé une destinée, une finalité, donc un avenir qu’il appartient à l’homme lui-même, par sa soumission au créateur, de donner une tournure positive. Seulement il s’est avéré que l’interprétation religieuse, malheureusement trop tributaire des mentalités naïves d’époques arriérées, ne sera guère épargnée par le développement spectaculaire des connaissances scientifiques. V. L’OFFENSIVE MATERIALISTE - Les grandes découvertes astronomiques du XVIème au XVIIème siècle ont largement contribué à la démystification de la mentalité médiévale (voir les découvertes de Copernic4 et Galilée5. - La théorie de l’évolution de Darwin6 au XIXème siècle réaffirme à quelques nuances près l’animalité de l’homme, tout au moins sa proximité avec l’animal. Cette théorie qui soutient 4 Copernic Nicolas - Astronome polonais (1473 - 1553). Il fut chanoine (dignitaire ecclésial membre du chapitre, c’est-à-dire du conseil d’une Eglise-Cathédrale). Auteur de la révolution faisant passer la science des mouvements planétaires du géocentrisme à l’héliocentrisme. Les preuves de cette découverte seront apportées plus tard par Kepler (Johannes, né à Well, Astronome allemand 1571-1630) et Galilée. Copernic ne publia son œuvre que quelques jours avant sa mort, sans doute à cause de ses fonctions de Chanoine, mais aussi et surtout par crainte de la réaction des théologiens. 5 Galilée (Galileo Galilei). Astronome, mathématicien et physicien italien (1564-1642). Galilée a été condamné par l’Inquisition en 1633 à abjurer publiquement sa thèse sur la rotation de la terre. 6 Darwin Charles, naturaliste anglais, 1809 - 1882. Auteur de L’origine des espèces ( C. Reinwald). Léon Sobel Diagne, Qu’est-ce que l’homme ? 4 Coordination Nationale de la Formation Continuée du Moyen et du Secondaire / Philosophie / Documents de formation de 2004 Léon Sobel Diagne, Qu’est-ce que l’homme ? essentiellement que l’homme descend du singe s’appuie sur des données historiques et biologiques7 jusque-là difficiles à réfuter. Si l’homme du paléolithique supérieur (race de Cro-Magnon) est proche de nous, tel ne fut pas le cas de l’homme du Neandertal (face projetée), ni de l’homme du paléolithique inférieur (pithécanthrope de Java, par exemple).8 - L’Anthropologie moderne, elle non plus, ne milite pas en faveur de la dignité intrinsèque que revendique l’homme. + Les progrès neurologiques attestent l’étroite dépendance de l’esprit vis-à-vis de l’organisme. + La sociologie fonde nos idées et attitudes sur l’éducation et par-delà l’influence du milieu, c’est-à-dire le phénotype qu’on ne peut pas évoquer sans penser au génotype, en somme ce qui relève des gènes, de l’hérédité biologique. + La psychanalyse met à nu l’origine de nos rêves et d’un certain nombre d’actes que nous posons avec l’illusion d’une volonté consciente. Toutefois ces faits qui accréditent de concert le matérialisme doivent par le fait même susciter un examen plus critique de cette tendance qui veut méconnaître toute destinée humaine. Il est donc nécessaire de procéder à un recentrage philosophique du débat. VI. LES NOTIONS D’ANTHROPOLOGIE CULTURELLE ET D’ANTHROPOLOGIE PHILOSOPHIQUE VI.1. Qu’est-ce que l’Anthropologie culturelle ? Herskovits, un anthropologue américain contemporain, n’y va pas par quatre chemins. Il rejette toute assimilation de celle-ci (l’Anthropologie) à «la science qui étudie les peuples 7 8 Cf. Annexe - texte intitulé : L’évolution du monde, contexte historique de l’apparition de l’homme. Cf. Document d’illustration en Annexe : (A), (A’), (A »), (B), © et Tableau (4 b). Léon Sobel Diagne, Qu’est-ce que l’homme ? 5 Coordination Nationale de la Formation Continuée du Moyen et du Secondaire / Philosophie / Documents de formation de 2004 Léon Sobel Diagne, Qu’est-ce que l’homme ? primitifs».9 Car, dira-t-il en substance, ce qui intéresse particulièrement l’anthropologie, c’est l’acquisition d’une méthode comparative efficace dans l’étude de tout groupe : primitif, civilisé, avec ou sans écriture. L’Anthropologie culturelle se donne alors comme l’étude de l’homme au moyen des éléments culturels qui le caractérisent d’un peuple à l’autre et à quelque niveau de l’histoire de l’humanité. VI.2. L’Anthropologie philosophique «L’homme est à lui-même sa fin dernière»10, dit Emmanuel Kant. Cette assertion laisserait entendre que tout commence par l’homme et finit en lui, en définitive que l’homme ne doit chercher le fondement et la finalité de son action qu’en lui-même. Et cela ne fait que corroborer la deuxième maxime de Kant : «Agis toujours de telle sorte que tu traites l’humanité en toi et chez les autres toujours en même temps comme une fin et jamais simplement comme un moyen». L’anthropologie comme doctrine de la connaissance systématique de l’homme peut revêtir un double sens. Il s’agit d’une part de l’Anthropologie physiologique ou «l’exploration de ce que la nature fait de l’homme» et d’autre part de l’anthropologie pragmatique ou «ce que l’homme, en tant qu’être de libre activité, fait ou peut faire de lui-même.» Cette lutte pour se réaliser humainement en dignité et conformément aux aspirations légitimes d’un être doué de raison ; cette lutte-là qui caractérise l’homme de l’Anthropologie pragmatique, est le sens, la signification qu’il faut donner à l’Anthropologie philosophique. Car c’est par elle que l’homme se détourne des facilités de la nature, de l’impulsivité des besoins biologiques et de l’animalité de la pure espèce pour faire valoir l’idée d’homme et toutes choses qui le rendent supérieur aux bêtes. Tout compte fait, la supériorité de l’homme sur l’animal, en somme la dignité qu’il revendique à tout prix, ne saurait être la conséquence d’une nature humaine ou d’un don de Dieu, mais le résultat d’efforts intellectuels (travail de la raison, développement de l’intelligence et de ses produits : culture, art, etc.) et psychologiques (l’amour du bien, la recherche du bonheur, bref la volonté de tendre constamment vers un idéal d’être). Toutes choses que l’animal, prisonnier de sa nature, ne peut appréhender. 9 Herskovits M., Les Bases de l’Anthropologie Culturelle, Petite Bibliothèque Payot, pp.71-72. Kant E., Anthropologie du Point de Vue Pragmatique, trad. M. Foucault, Vrin, 1964, p. 11. 10 Léon Sobel Diagne, Qu’est-ce que l’homme ? 6 Coordination Nationale de la Formation Continuée du Moyen et du Secondaire / Philosophie / Documents de formation de 2004 Léon Sobel Diagne, Qu’est-ce que l’homme ? ANNEXE I L’EVOLUTION DE L’HUMANITE LES # PHASES TYPES HUMAINS OUTILLAGE TYPE DE CIVILISATIONS Australopitlèque galet amenagé Apparition des premières structures d’habitations pithécantrope biface hachereau découverte du feu Paléolithique moyen 150.000 à 40.000 ans Homme de Néanderthal Lames inhumation Paléolithique supérieur 40.000 à 10.000 ans l’homme moderne homo-sapiens Lames, lamelles travail de l’os Naissance de l’art Epipaléolithique 10.000 ans jusqu’au début du Néolithique l’homme moderne microlithes burins, ractoirs grattoirs etc.... début de la sédentarisation Paléolithique archaïque 3 M à 600 000 Pléollithique inférieur 600 000 ans à 150 000 ans Léon Sobel Diagne, Qu’est-ce que l’homme ? 7 Coordination Nationale de la Formation Continuée du Moyen et du Secondaire / Philosophie / Documents de formation de 2004 Léon Sobel Diagne, Qu’est-ce que l’homme ? ANNEXE II - L’évolution du monde, contexte historique de l’apparition de l’homme. Au moment où nous nous intéressons à l’homme d’un point de vue anthropologique et philosophique, il peut être utile de remonter l’évolution du monde et inscrire quelques rappels pouvant permettre de situer l’apparition de l’homme en vue de mieux le connaître et le comprendre aussi. Pour cela nous allons nous fonder sur quelques informations tirées du Petit Robert. Le monde a traversé quatre ères géologiques marquées par des événements et des faits qui, au-delà des géologues et des hommes de science d’une manière générale, peuvent intéresser les historiens, les géographes, et pourquoi pas les philosophes, les anthropologues, etc.? 1/ LE PRIMAIRE : ère géologique (environ 300 millions d’années) qui succède au PRECAMBRIEN, lui-même caractérisé par l’absence, de fossiles dans les terrains). - Le Cambrien - première période de l’ère primaire. - Silurien - se dit des terrains représentatifs d’une période de l’ère primaire et de ce qui s’y rapporte. - Dévonien - qui appartient à la période géologique de l’ère primaire...caractérisée par le développement des faunes et des flores terrestres. -Carbonifère - Epoque géologique marquée par la présence de charbon dans les terrains. - Permisen -Dernière période de l’ère primaire. 2/ LE SECONDAIRE : ère géologique (environ 130 millions d’années) qualifiée de MESOZOÏQUE (se dit des terrains secondaires les plus récents). Le Secondaire comprend trois périodes : - Le trias - période géologique comportant des terrains sédimentaires dont les dépôts comprennent trois (d’où trois) parties : le gré bigarré, le calcaire coquiller, les marnes irisées. - Le Jurassique - partie centrale de l’ère secondaire présentant un type de terrains dont le Jura - montagne se situant surtout en France et en Suisse est formée. Léon Sobel Diagne, Qu’est-ce que l’homme ? 8 Coordination Nationale de la Formation Continuée du Moyen et du Secondaire / Philosophie / Documents de formation de 2004 Léon Sobel Diagne, Qu’est-ce que l’homme ? - Le Crétacé - période du secondaire marquée par la formation des terrains à craie ou terrains crétacés. L’ère secondaire est caractérisée par l’apogée des reptiles, l’apparition des oiseaux et des mammifères. 3/ LE TERTIAIRE : ère géologique (environ 70 millions d’années. Cette ère est qualifiée de NEOZOÏQUE par allusion au renouvellement de la faune et de la flore advenue. 4/ LE QUATERNAIRE : Ere géologique la plus récente (environ 1 million d’années). Cette ère est qualifiée d’ANTHROPOZOÏQUE avec l’apparition de l’homme. Cette ère est divisée en quaternaire ancien (pleirollène et récent (correspondant au paléolithique, période où apparurent les premières civilisations avec des outils de pierre taillée). Léon Sobel Diagne, Qu’est-ce que l’homme ? 9