L`esprit de Spinoza, Traité des trois imposteurs

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Année Universitaire 2015-2016
MON CORPS ET MOI :
N’AI-JE DE DEVOIRS QU’ENVERS AUTRUI ?
Séminaire organisé par le Groupe « Ethique et droits de l’homme »
de l’Université de Strasbourg
Un lundi par mois,
De 17 heures à 19 heures
Salle Tauler
Palais Universitaire
Strasbourg
MON CORPS ET MOI :
N’AI-JE DE DEVOIRS QU’ENVERS AUTRUI ?
Notre rapport au corps a profondément changé : piercing, tatouage, chirurgie
esthétique, conduites à risques, exaltation du sport (et notamment des sports de l’extrême),
dopage, industrie pornographique, prostitution en ligne, greffe d’appareils bio-sensoriels,
transplantation d’organes, homoparentalité, procréation médicalement assistée, gestation pour
autrui, euthanasie, thanatopraxie… Émergentes et hétéroclites, encore élitistes ou déjà
largement popularisées, ces nouvelles conduites expriment les mutations considérables de
notre être-au-monde. À la frontière entre bioéthique et éthique sociale, elles réinterrogent le
champ de nos droits et de nos devoirs.
La tradition kantienne avait maintenu la symétrie entre les devoirs envers soi-même et
les devoirs envers autrui : « Agis de telle sorte que tu traites l’humanité, aussi bien dans ta
personne que dans celle de tout autre, toujours en même temps comme une fin et jamais
simplement comme un moyen » (Emmanuel Kant, Fondements de la métaphysique des
mœurs, 1785). Le philosophe de Königsberg avait même fini par discerner dans les devoirs
envers soi la condition irréfragable des devoirs envers autrui : agir par devoir, c’est d’abord
agir par respect pour soi-même en tant que législateur. Je me dois donc catégoriquement
considération envers moi-même et envers ma dignité, et l’atteinte à l’intégrité de mon propre
corps m’est par conséquent rigoureusement interdite.
Ces questions ont été récemment reprises à nouveaux frais, et de manière éminemment
critique, par Ruwen Ogien et le courant du minimalisme éthique (cf. Ruwen Ogien, L’éthique
aujourd’hui. Maximalistes et minimalistes, Gallimard, 2007 ; La vie, la mort, l’État : le débat
bioéthique, Grasset, 2009). S’inscrivant en faux contre les présupposés de la morale de Kant,
mais aussi contre tout paternalisme de la « police morale », l’éthique minimale consiste à
limiter nos devoirs à nos relations avec autrui. Cette posture revient donc à exclure le rapport
à soi-même du champ de l’éthique, et à neutraliser tout jugement porté sur le style de vie
d’autrui du moment que celui-ci ne nuit à personne. Son argument cardinal est la vertu de
tolérance absolue qui lui est afférente. Je peux faire ce que je veux de ma propre vie et de mon
corps, tant que personne d’autre que moi n’en pâtit. Cela conduit Ruwen Ogien à militer en
faveur de la dépénalisation de la consommation de stupéfiants, de la promotion de tout type
de relations sexuelles entre adultes consentants, et de l’aide active à mourir pour ceux qui en
font la demande.
Sans céder à la facile tentation de l’amalgame entre l’éthique minimale et les dérives
antimorales de type libertarien, ni sombrer dans l’excès inverse du maximalisme éthique, il
nous revient d’interroger la conception déontologique unilatérale de Ruwen Ogien, et partant
de remettre en perspective le rapport postmoderne du « moi » à son propre corps. N’y a-t-il
pas, en effet, une part d’altérité dans toute identité ? Ne suis-je pas quelque peu autrui pour
moi-même ? Et mon corps propre n’appartient-il pas aussi au corps social ? Que peut signifier
la notion de responsabilité envers soi-même ? Où commence et où finit l’intégrité ? Quelle
est, en fin de compte, la teneur sémantique de la notion de « dignité » (invoquée tout aussi
bien pour justifier que pour condamner l’euthanasie…) ? Quels sont les limites et les
principes régulateurs des droits, notamment des droits de l’homme ? Qu’est-ce que l’autoviolence ? Quels sont les présupposés de l’indifférence morale du rapport à soi, et de la
neutralité du jugement sur la vie privée d’autrui ? Peut-on cliver le champ du souci éthique,
en souci de soi et en souci d’autrui, comme si ce dernier n’avait aucun impact sur le premier ?
Comment s’articulent le refus de l’intrusion du politique dans la sphère personnelle, et
l’impartialité éthique à l’endroit de la vie privée (qui, pour paraphraser Hannah Arendt, doit
être « privée » de quelque chose… en l’occurrence du regard d’autrui : Cf. Hannah Arendt,
Condition de l’homme moderne, Calmann-Lévy, 1983, p. 76-77) ? Que reste-t-il de la visée
(aristotélicienne puis ricœurienne) de la « vie bonne », lorsqu’elle récuse toute réflexivité
déontologique ? Le critère du consentement comme vecteur d’autorisation à agir sur autrui
(dans le domaine de la prostitution pratiquée comme une profession libérale), ne relève-t-il
pas d’une conception naïvement humaniste de l’autonomie ? Inversement, le paramètre de la
non-nuisance envers son entourage suffit-il à fonder une éthique minimale envers soi-même
(comme tendrait à le faire accroire la promotion de la cigarette électronique) ?
Ce foisonnement de questions nous place devant une éthique en chantier. Le
Séminaire interdisciplinaire « Éthique et droits de l’homme » se propose donc, pour les
années universitaires 2014-2015 et 2015-2016, après une conférence d’ouverture donnée par
Nathalie Maillard (auteure de : Faut-il être minimaliste en éthique ? Le libéralisme, la morale
et le rapport à soi, Labor et Fides, 2014) de décliner les différents registres des relations entre
mon corps et moi : l’hygiène, les conduites à risque, le suicide, la gestation pour autrui, la
thanatopraxie, etc., et de terminer notre cycle par une conférence de Ruwen Ogien. À raison
d’une conférence par mois, confiée chaque fois à un orateur différent (chercheur ou/et acteur),
et suivie d’un débat sans tabou, nous nous donnerons les moyens de croiser les regards
disciplinaires et subjectifs, afin de promouvoir une approche lucide de la condition de
l’homme en régime de modernité tardive.
PROGRAMME DU SÉMINAIRE
5 octobre 2015
« Le corps laïque n’aurait-il pas de voiles ? Sécularisation et privatisation »
par M. René Heyer
(théologien moraliste, Faculté de théologie catholique, Université de Strasbourg)
9 novembre 2015
« L’acteur et son corps »
Par M. Damien Haussier (acteur)
30 novembre 2015
« Les formes contemporaines d’esclavage et la traite des êtres humains »
Par Mme Sylvie O’Dy
(vice-présidente du Comité contre l’esclavage moderne)
14 décembre 2015
« Abolition de la prostitution en France : état des lieux. Quels enjeux pour notre société ? »
Par Mme Isabelle Collot
(permanente départementale Mouvement du Nid Bas-Rhin)
11 janvier 2016
« Dans le vivant de mon corps : de la viabilité à la vivacité »
par M. Bernard Andrieu
(philosophe,
CETAPS - Centre d’Etudes des Transformations des Activités Physiques et Sportives,
Université de Rouen)
8 février 2016
« Le corps saisi par les droits de l’homme »
par M. Jean-Bernard Marie
(Juriste, Misha – CNRS, Université de Strasbourg)
14 mars 2016
« Droit de l’enfant ? Droit à l’enfant ?
Réflexions éthiques à propos de la gestation pour autrui »
par M. Karsten Lehmkühler
(éthicien, CSRES, Faculté de théologie protestante, Université de Strasbourg)
4 avril 2016
« Nous n’avons pas de devoirs moraux envers nous-mêmes »
par M. Ruwen Ogien
(philosophe, CNRS, Paris)
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