Même si la littérature demeure un objet marginal de la philosophie, la réflexion
philosophique sur la littérature est aussi ancienne que la philosophie elle-même. La philosophie n’a
jamais eu de cesse, parfois dans son articulation la plus décisive, de se définir par rapport à la
littérature au sens très large du terme. C’est que le souci philosophique pour la littérature est aussi
ancien que le souci pour la vérité et le dépassement du mythe par la raison, de l’image par le
concept et ainsi de suite. Inversement, la littérature n’a eu de cesse le plus souvent à son meilleur
d’être philosophique, de rendre compte de ce qui universel et fondamental… Et si l’infériorisation
classique de l’art en général, lequel par Platon fut à l’origine associé au domaine du jeu et de
l’illusion, de l’apparence et du mensonge, précéda son autonomisation critique ainsi que sa
survalorisation romantique presque simultanée, rien ne permet de conclure dans ce coup de force
fondateur à un simple rapport d’extériorité, de disjonction ou d’opposition …
Aussi la littérature elle-même est-elle une expérience de pensée et certaines oeuvres
littéraires ont une valeur philosophique manifeste. On ne saurait par le fait même exclure de la
théorie tout rapport à la « littérarité ». Bien que la littérature ne soit pas de la philosophie et que la
philosophie ne soit pas de la littérature, aucune philosophie n’est tout à fait différente de la
littérature et inversement. Par conséquent, la littérature ne saurait être simplement un « objet »
extérieur à la philosophie ou à l’esthétique.
C’est dans cette optique que nous aborderons le thème la relation de corrélation réciproque
(tension complexe de conjonction et de disjonction) entre philosophie et littérature. Ces rapports
entraînent un champ d’investigation possible très vaste. Où en effet commencent et finissent et la
littérature et la philosophie ? Sans perdre de vue la dimension historique, la dimension
conventionnelle des genres et la complexité du problème, nous favoriserons comme fil directeur les
développements de la pensée française contemporaine, laquelle ne cessera d’interroger, à partir du
Qu’est-ce que la littérature? (1948) de Sartre, l’expérience de la littérature et son rapport avec
l’expérience philosophique.
Nous aborderons dans le cours quelques-uns des moments les plus marquants de ce
développement : l’existentialisme de Sartre (1905-1980) et de Camus (1913-1960) ; la
phénoménologie de la perception et de l’expression de Merleau-Ponty (1908-1961) ; la pensée de
l’autre radical de Lévinas (1905-1995) ; la pensée de l’écriture et de l’expérience de la mort de
Maurice Blanchot (1907-2003) ; la déconstruction de Jacques Derrida (1930-2004), l’archéologie de
Michel Foucault (1926-1984) et l’herméneutique de Paul Ricoeur (1913-2005). Enfin nous insisterons
sur le débat entre le développement de la pensée française et l’éthique de la discussion (Habermas)
dans le cadre du problème qui oppose l’esthétisme (critique de la rationalité) dans son fondement
romantique et le modernisme (défense de l’idéal de la modernité).
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