Responsabilité et solidarité : Etat libéral, Etat-Providence, Etat réseaux.
Jean-Louis Genard1
Dans la grammaire de la responsabilité2 ainsi que dans divers articles, j’ai tenté de montrer
l’intérêt théorique d’aborder la responsabilité dans une optique qui s’approcherait de la
théorie des conventions3 ou de ce que L.Thévenot et L. Boltanski ont appelé un
« investissement de forme »4, en y ajoutant toutefois une dimension linguistique appuyée qui,
elle, se revendiquerait davantage de l’appel lancé par Habermas dans Sociologie et théorie du
langage5.
J’ai ainsi proposé de rapporter historiquement la responsabilité à un tournant dans ce qu’on
pourrait appeler « l’interprétation de l’action », ou plus généralement, dans l’interprétation de
« ce qui se passe ». On peut aisément admettre que toutes les cultures ont cherché à répondre
à cette question et y ont, de fait, apporté des réponses très diverses, au travers desquelles se
sont structurés leurs rapports au monde, aux autres, à eux-mêmes, se sont modelés leurs
environnements institutionnels.
Sans entrer dans leur description et leur analyse historique, on peut ainsi évoquer, au fil du
temps, différents modèles d’interprétation de l’action ou de « ce qui se passe » : destin,
souillure, hasard, fortune, déterminisme astral, péché originel, grâce, providence, inconscient,
mythe, caractère, accident, loi des séries,… et responsabilité.
Une théorie de la modernité.
A partir des hypothèses développées dans La grammaire de la responsabilité se profile une
théorie de la modernité. Celle-ci se trouve en effet ancrée sur l’émergence de l’interprétation
responsabilisante de l’action, une interprétation qui va s’imposer lentement au travers d’une
lutte difficile avec d’autres modèles d’interprétation de l’action alors dominants, en
l’occurrence principalement les modèles théologiques du péché originel, de la grâce ou de la
Providence et le modèle du déterminisme astral hérité de l’aristotélisme. Cette lutte durera
jusqu’au 18e siècle. Mais le siècle des Lumières ne sanctionnera pourtant pas le triomphe
définitif du modèle responsabilisant. Au contraire, il consacrera l’émergence de nouveaux
concurrents, étayés cette fois sur les différentes sciences humaines en train de naître, et qui,
1 Jean-Louis GENARD est philosophe et docteur en sociologie. Directeur de l’Institut Supérieur d’Architecture
de la Communauté Française « La Cambre » à Bruxelles, il est également chargé de cours à l’Université Libre de
Bruxelles et aux Facultés universitaires Saint-Louis. Il dirige le GRAP, groupe de recherches en administration
publique, attaché à l’ULB. Il a publié plusieurs ouvrages comme auteur ou comme éditeur : Sociologie de
l’éthique (L’Harmattan, 1992), Les dérèglements du droit (Labor, 1999), La Grammaire de la responsabilité
(Cerf, 2000), Les pouvoirs de la culture (Labor, 2001), La motivation dans les services publics (avec T. Duvillier
et A. Piraux, L’Harmattan, 2003), Enclaves ou la ville privatisée (avec P. Burniat, La Lettre volée, 2003), Santé
mentale et citoyenneté, (avec J. De Munck, O. Kuty, D. Vrancken, et alii, Academia, Gand, 2004), Qui a peur de
l’architecture ? Livre blanc de l’architecture contemporaine en communauté française de Belgique (avec P.
Lhoas, La Lettre Volée, La Cambre, 2004), Expertise et action publique (avec St. Jacob, Presses de l’Université
libre de Bruxelles, 2004)… ainsi que de très nombreux articles. Ses travaux portent principalement sur l’éthique,
la responsabilité, le droit, les politiques publiques, la culture, l’art et l’architecture.
2 J.L. GENARD, La grammaire de la responsabilité, Humanités, Cerf, Paris, 1999.
3 Ch. BESSY et O. FAVEREAU, Economie des conventions et institutions, http://forum.u-
paris.fr//telecharger/seminaires/ecoinst/EI231003 (conculté en novembre 2005)
4 L. BOLTANSKI et L. THEVENOT, De la justification, Gallimard, Paris, 1991.
5 J. HABERMAS, Sociologie et théorie du langage, A. Colin, Paris, 1995.