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Responsabilité et solidarité : Etat libéral, Etat-Providence, Etat réseaux.
Jean-Louis Genard1
(in Soulet M.H. (éd), La solidarité à l'heure de la globalisation, Fribourg, Academic Press
Fribourg, 2007).
Dans la grammaire de la responsabilité2 ainsi que dans divers articles, j’ai tenté de montrer l’intérêt
théorique d’aborder la responsabilité dans une optique qui s’approcherait de la théorie des
conventions3 ou de ce que L.Thévenot et L. Boltanski ont appelé un « investissement de forme »4,
en y ajoutant toutefois une dimension linguistique appuyée qui, elle, se revendiquerait davantage de
l’appel lancé par Habermas dans Sociologie et théorie du langage5.
J’ai ainsi proposé de rapporter historiquement la responsabilité à un tournant dans ce qu’on pourrait
appeler « l’interprétation de l’action », ou plus généralement, dans l’interprétation de « ce qui se
passe ». On peut aisément admettre que toutes les cultures ont cherché à répondre à cette question et
y ont, de fait, apporté des réponses très diverses, au travers desquelles se sont structurés leurs
rapports au monde, aux autres, à eux-mêmes, se sont modelés leurs environnements institutionnels.
Sans entrer dans leur description et leur analyse historique, on peut ainsi évoquer, au fil du temps,
différents modèles d’interprétation de l’action ou de « ce qui se passe » : destin, souillure, hasard,
fortune, déterminisme astral, péché originel, grâce, providence, inconscient, mythe, caractère,
accident, loi des séries,… et responsabilité.
Une théorie de la modernité.
A partir des hypothèses développées dans La grammaire de la responsabilité se profile une théorie
de la modernité. Celle-ci se trouve en effet ancrée sur l’émergence de l’interprétation
responsabilisante de l’action, une interprétation qui va s’imposer lentement au travers d’une lutte
difficile avec d’autres modèles d’interprétation de l’action alors dominants, en l’occurrence
principalement les modèles théologiques du péché originel, de la grâce ou de la Providence et le
modèle du déterminisme astral hérité de l’aristotélisme. Cette lutte durera jusqu’au 18e siècle. Mais
le siècle des Lumières ne sanctionnera pourtant pas le triomphe définitif du modèle
responsabilisant. Au contraire, il consacrera l’émergence de nouveaux concurrents, étayés cette fois
sur les différentes sciences humaines en train de naître, et qui, toutes, selon des modalités diverses,
proposeront des modèles renvoyant l’interprétation de l’action vers des modèles déterministes plus
ou moins forts, proposant ainsi de l’homme l’image d’un « doublet empirico-transcendantal »,
1 Jean-Louis GENARD est philosophe et docteur en sociologie. Directeur de l’Institut Supérieur d’Architecture de la Communauté Française « La
Cambre » à Bruxelles, il est également chargé de cours à l’Université Libre de Bruxelles et aux Facultés universitaires Saint-Louis. Il dirige le GRAP,
groupe de recherches en administration publique, attaché à l’ULB. Il a publié plusieurs ouvrages comme auteur ou comme éditeur : Sociologie de
l’éthique (L’Harmattan, 1992), Les dérèglements du droit (Labor, 1999), La Grammaire de la responsabilité (Cerf, 2000), Les pouvoirs de la culture
(Labor, 2001), La motivation dans les services publics (avec T. Duvillier et A. Piraux, L’Harmattan, 2003), Enclaves ou la ville privatisée (avec P.
Burniat, La Lettre volée, 2003), Santé mentale et citoyenneté, (avec J. De Munck, O. Kuty, D. Vrancken, et alii, Academia, Gand, 2004), Qui a peur
de l’architecture ? Livre blanc de l’architecture contemporaine en communauté française de Belgique (avec P. Lhoas, La Lettre Volée, La Cambre,
2004), Expertise et action publique (avec St. Jacob, Presses de l’Université libre de Bruxelles, 2004)… ainsi que de très nombreux articles. Ses
travaux portent principalement sur l’éthique, la responsabilité, le droit, les politiques publiques, la culture, l’art et l’architecture.
2 J.L. GENARD, La grammaire de la responsabilité, Humanités, Cerf, Paris, 1999.
3 Ch. BESSY et O. FAVEREAU, Economie des conventions et institutions, http://forum.u-paris.fr//telecharger/seminaires/ecoinst/EI231003 (conculté
en novembre 2005)
4 L. BOLTANSKI et L. THEVENOT, De la justification, Gallimard, Paris, 1991.
5 J. HABERMAS, Sociologie et théorie du langage, A. Colin, Paris, 1995.