L’ABOLITION DE LA PEINE DE MORT
DANS LES PAYS MUSULMANS :
ENGAGER LA RÉFLEXION
par
Bélaïd MERABTI
Doctorant à l’Université de Paris I (Panthéon-Sorbonne)
Avocat au barreau d’Alger
PLAN
Introduction
I) L’évidente subornation
A) Une interprétation dépassée des normes islamiques
1) Les infractions de Houdoud
a- Le brigandage et l’insurrection armée
b- L’apostasie
c- L’adultère
2) Les infractions de Kissas
3) Les infractions de Ta’azir
B) L’opinion publique favorable
1) Protection efficace …
2) … ou désir de vengeance?
II) Aborder l’abolition
A) La nécessité de l’abolition
1) L’arbitraire des pouvoirs politiques
2) L’arbitraire de la justice
3) La précarité de la vie sociale
B) Stratégie pour l’abolition
1) Réformer le droit issu de la religion
2) Instaurer le débat
3) Opérer des pressions extérieures
Conclusion
Introduction
Le siècle dernier a vu le mouvement abolitionniste de la peine de
mort faire des progrès considérables quant à la réflexion sur la
nécessité d’éradiquer de la planète, cette peine infamante. Cepen-
dant, le combat n’est pas encore fini et il subsiste de par le monde
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des régions où le meurtre légalisé existe toujours. C’est notamment
le cas dans une trentaine de pays, dont l’héritage islamique au lieu
de constituer l’aura qu’ils devraient avoir, représente la tare de la
situation dans laquelle ils sont.
Aborder la question de l’abolition de la peine de mort dans les
pays musulmans n’est pas chose aisée. Analyser les conditions de sa
réalisation et les moyens de sa mise en œuvre le sont encore moins.
En effet, on est de prime abord confronté à un environnement
juridique souvent puisé (dans) et toujours influencé (par) la
Chari’a (1), dont l’interprétation prédominante jusqu’ici considère
la peine de mort comme le juste châtiment de certains «péchés».
De plus, l’environnement social, au nom d’une culture qui y est
favorable est convaincu de la nécessité de cette peine dans le com-
bat du crime.
A n’en pas douter, cette peine a de profondes racines dans les
sociétés musulmanes; le droit pénal, droit dont le rôle premier est
la protection de la société à l’égard du crime et du désordre a éga-
lement comme sources, la religion et les règles sociales.
Défendre l’abolition n’est donc pas un combat gagné d’avance.
Plaider pour l’abolition (II) nécessite avant tout la compréhen-
sion de l’environnement qui entoure cette peine et l’étude des méca-
nismes qui la régissent (I).
I. – L’évidente subornation
Dans le monde musulman, les lois pénales évoluent entre Etats se
disant appliquer les lois islamiques (Arabie Saoudite, Iran, Soudan,
etc.) et Etats dont les codes pénaux ressemblent à ceux des pays
occidentaux dont ils s’inspirent (Algérie, Egypte, Tunisie, etc.).
Par leurs lois, presque tous ces Etats s’accordent à légitimer la
peine de mort (2). Les premiers par adhésion à une représentation
dépassée de la religion musulmane et les seconds par héritage des
codes occidentaux qu’ils ont copié (3) après leur accès à la souverai-
(1) La Chari’a (loi islamique) est la principale source dans les législations des pays
musulmans. C’est même souvent ce principe du recours à la doctrine islamique dans
l’élaboration des lois, qui est stipulé dans les Constitutions de ces Etats.
(2) A l’exception de Djibouti qui a aboli la peine de mort en 1995 et de la Turquie
qui l’a aboli le 9 janvier 2004 y compris pour les crimes commis en temps de guerre.
(3) Notamment le code français.
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neté, avec cependant une considération importante pour le droit
musulman.
Le droit pénal musulman ou Chari’a est basé sur le livre saint de
l’Islam qu’est le Coran et les actes et paroles du Prophète que cons-
tituent la Sunnah (4). Il est par ailleurs, développé par les écrits des
ouléma (5) qui interprètent écrits coraniques, paroles et actes pro-
phétiques.
Il est important de souligner que la Chari’a, loi d’origine divine,
ne peut être comparée à aucune législation de droit commun. Elle
bénéficie de l’immuabilité des textes sacrés qui refuse toute modifi-
cation ou abrogation de la part du législateur humain. La seule pré-
rogative humaine qui pourrait la concerner est l’interprétation de
ses principes en des circonstances nouvelles.
La Chari’a telle qu’interprétée jusqu’ici sert de texte sacré légiti-
mant le recours à la peine de mort (A) et contribue à conforter
l’opinion publique dans sa position favorable (B).
A. – Une interprétation dépassée
des normes islamiques
Le respect de la vie humaine est l’un des fondements essentiels de
l’islam. Il est formellement interdit d’attenter à la vie des personnes
sans motif religieux légal. La peine de mort est «initialement» avec
le djihad et la légitime défense l’un de ces motifs légaux.
Pour comprendre cette vision religieuse de la peine de mort, il est
nécessaire de distinguer les infractions et les peines en droit pénal
musulman. Celles ci se divisent en trois catégories : les infractions de
Houdoud (1), les infractions de Kissas (2) et les infractions de
Ta’azir (3) :
1. Les infractions de Houdoud
Ce sont les infractions dont les peines sont dictées par le Coran
ou par la Sunnah. Ceux-ci décrivent les actes constituant les infrac-
tions et déterminent leurs peines. Pour chaque délit est recom-
mandé un Had (6) d’un degré de gravité correspondant au droit
qu’il veut protéger.
(4) Le Prophète en tant que détenteur, dans les limites prévues par le Coran, d’un
véritable pouvoir législatif
(5) Théologiens, juristes musulmans.
(6) Singulier de Houdoud.
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La peine de mort est reconnue pour certains délits de Houdoud.
Il est important d’aborder les délits principaux car le contexte de
chacun d’eux, révèle l’extrême délicatesse de l’application de la
peine et révèle l’usage détourné que les régimes des pays musulmans
en font. a) La rébellion et l’insurrection armée, b) L’apostasie, c)
L’adultère.
a) La rébellion ou l’insurrection armée
C’est un texte coranique qui prévoit la peine de mort pour ce
délit (7). Cependant, il prescrit la non-application de cette peine en
cas de repentir du coupable avant sa capture (8).
En vérité, la peine de mort pour ce crime est appliquée dans les
pays musulmans pour châtier les chefs des mouvements et soulève-
ments populaires. C’est le procédé dont se servent les régimes de ces
pays pour dissuader les revendications souvent légitimes des mino-
rités en qualifiant de rébellion toute insurrection qui s’élève pour
dénoncer des conditions de vie difficiles. Ces insurrections qui utili-
sent des moyens démocratiques (manifestations, sit-in, etc.), ou des
moyens de violence rudimentaires (jets de pierres, casse, etc.), con-
tre des moyens de répression colossaux (matériel de sécurité souvent
de dernière technologie) sont considérés ou peuvent l’être comme
des complots contre la sûreté de l’Etat, donc passibles de la peine
de mort, car l’interprétation élastique qui en est donnée, loin de ser-
vir le but voulu par le verset coranique, est utilisée comme moyen
de persécution des masses opprimées.
C’est donc une règle religieuse dont le but initial de maintien de
la paix a été détourné en un but de maintien des régimes totalitai-
res.
b) L’apostasie
C’est le fait d’abandonner la religion musulmane. Cette infraction
attentatoire à la liberté de culte a été créée sans aucune base cora-
nique. Non seulement aucun verset ne prévoit cette infraction et
cette peine, ni ne les suggère de près ou de loin, mais de plus, les
textes coraniques vont incontestablement dans le sens contraire :
(7) Verset V-33 «La rétribution de ceux qui font la guerre à Dieu et à Son Prophète
et sèment le désordre sur terre sera l’exécution ou la crucifixion ou l’ablation des mains
et des pieds opposés ou le bannissement de leur pays. Cela sera pour eux un opprobre
ici-bas, et dans la vie future. Leur supplice sera immense».
(8) Verset V-34 «A l’exception de ceux qui se seront repentis avant que vous les ayez
en votre pouvoir. Sachez que Dieu est clément et miséricordieux».
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«Point de contrainte en religion (9)», «Et dis : La vérité émane de
votre Seigneur. Croit qui veut! Que soit mécréant qui veut! (10)».Ou
encore «Si ton Seigneur l’avait voulu, tous ceux qui sont sur terre
croiraient [en Lui] dans leur totalité. Est ce à toi de contraindre les
hommes à être croyants (11)».
Ne trouvant donc pas de base coranique à la règle qu’ils ont
décidé de prescrire, les ouléma ont rattaché cette dernière à un
hadith (12) attribué au Prophète disant «Celui qui change de religion,
tuez-le». Cet argument est bien fragile car le hadith n’est rapporté
que par une seule personne, donc d’authenticité douteuse surtout
que la personne qui l’a rapporté n’était qu’un adolescent de treize
ans à la mort du Prophète. Ajoutons à cela la contradiction par rap-
port à la conduite du Prophète qui n’a par exemple ordonné aucun
châtiment suite à l’apostasie des Kindi (13).
L’accusation d’apostasie est une véritable menace aux libres pen-
seurs, aux philosophes et aux opposants politiques. C’est un danger
auquel n’échappent pas les écrivains qui expriment des idées jugées
opposées aux dogmes officiels. Le cas de Muhammad Mahmud Taha
en est le meilleur exemple. Les raisons de sa condamnation à mort
sont purement politiques, l’accusation d’apostasie n’étant qu’un
prétexte. De plus, il avait beau proclamer sa foi musulmane, les ins-
tances judiciaires soudanaises l’ont quand-même condamné à mort
et exécuté en 1984.
Et c’est sur la même base que des Fatawi (14) ont été prononcées
à l’encontre des écrivains Salman Rushdi, Taslima Nasreen, Negib
Mahfuz et Farag Foda (15).
Certains pays ont même inscrit la punition de l’apostasie dans
leurs codes comme la Mauritanie ou le Soudan. Par ailleurs, les pré-
tendus apostats sont régulièrement dénoncés par al-Azhar (16). Des
listes de noms circulent et des volontaires se chargent des exécu-
tions.
(9) Verset II-256.
(10) Verset XVIII-29.
(11) Verset X-99.
(12) Parole prophétique.
(13) M. Charfi, Islam et liberté. Le malentendu historique, Albin Michel, Paris,
1998, p. 80.
(14) Pluriel de Fatwa : décision de condamnation émanant de chefs religieux.
(15) Ce dernier fût exécuté par un volontaire en 1992.
(16) Mosquée-université du Caire, et dont les opinions en matière religieuse font
autorité dans le monde musulman.
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