Les Présupposés Théoriques D` Édouard Glissant Sur l

Les Présupposés Théoriques D' Édouard Glissant Sur l'Identité
La problématique de l'identité chez E. Glissant se construit à partir de
l'analyse critique des présupposés métaphysiques qui sont à la base de la
rationalité bourgeoise, et aussi à la base des théories sur l'identité abstraite et
la connaissance abstraite issues de l'Occident.
Ces présupposés théoriques ainsi que leurs concepts et théories, qui ont
été répandus et imposés historiquement par la colonisation européenne,
continuent encore dès nos jours à être diffusés et, d'une manière stratégique, à
être implantés à travers le contrôle idéologique exercé par les mass media et
l'économie de marché.
La critique de Glissant peut être rapprochée des préoccupations
philosophiques des philosophes de la déconstruction telle qu'elle est définie
par Culler (1982, p. 99-100):
[...] une stratégie dans la philosophie et une stratégie pour approcher la philosophie, qui cherche à être aussi
bien un rigoureux argument dans la philosophie elle-même qu'un substitut de catégories philosophiques de
domination[...]. Celui qui pratique la déconstruction oeuvre dans les concepts eux-mêmes du système, de
manière à le faire éclater de l'intérieur."
D' après Culler(1982,p.99-100), Derrida affirme que la "déconstruction"
se doit de mettre en oeuvre une reversion de l'opposition classique et une
substitution générale du système pour qu'elle puisse se donner les moyens
d'intervenir dans le champ d'oppositions dont elle fait la critique, qui constitue
en outre un champ d'oppositions non-discursives.
Pour Glissant, l'approche des cultures en Relation aujourd'hui dans le
monde doit se faire à partir de l'analyse des discours des communautés du
monde. Il propose alors pour aborder l'étude des cultures en Relation ce qu'il
appelle un non-système de notions, c'est-à-dire, une trame entrecroisée des
cultures qui ne contient pas d'éléments ayant une existence autonome. Dans
cette trame glissantienne des cultures tout est dans tout, et la concrétude de la
totalité des cultures est en mouvance, c'est-à-dire, en mouvement permanent.
La convergence ouverte des cultures proposée par Glissant s'oppose au
système métaphysique occidental, structuré d'après des oppositions
conceptuelles binaires (le sens/la forme,l'âme/le corps, l'absence/la présence,
l'abstrait/le concret,etc), s'approchant ainsi de la notion derridienne de
"Différance".
Cependant, Glissant nous précise bien que les préoccupations des
intellectuels et des écrivains dits "périphériques" n'ont rien à voir avec les
préoccupations des intellectuels et des écrivains européens. Pour les premiers,
il s'agit d'être à l'écoute des problématiques auxquelles se confrontent leurs
collectivités, parmi lesquelles Glissant en énumère les suivantes: bâtir un
ensemble textuel qui lui soit spécifique, oeuvrer dans la construction d'un sujet
collectif, travailler dans l'écriture elle-même la dialétique de l'oral et de l'écrit.
Les écrivains des pays dits "périphériques" ne sont donc pas intéressés,
comme c'est le cas pour leurs homologues européens, par la déconstruction du
texte, de l'écriture et du sujet. Les intellectuels, les artistes, les écrivains et les
poètes des peuples dits "périphériques" cherchent au fait à comprendre les
conséquences des présupposés métaphysiques sur leurs cultures respectives, et
sur la notion de "culture" elle-même, la "culture" au singulier, véhiculée par
l'Occident, étant donné que comme le précise bien Glissant: "L'Occident n'est
pas à l'ouest. Ce n'est pas un lieu, c'est un projet." ( 1981,p.12)
Au fait, même si l'on peut identifier des convergences entre l'analyse
faite par Glissant et la critique des déconstructivistes en ce qui concerne la
philosophie occidentale, on ne peut absolument pas réduire la pensée
glissantienne au mouvement de la déconstruction. À vrai dire, Glissant
participe activement du mouvement critique déclenché par les intellectuels des
colonies et des ex-colonies europénnes nommé par E. Said "le voyage vers le
dedans". Ce terme renvoie chez E. Said à la production littéraire des
intellectuels de ce que l'on appelle les régions périphériques qui, selon l'auteur,
assument la tâche critique et révisionniste de confronter la culture
métropolitaine, en se servant des techniques, des discours et des armes du
savoir et de la critique qui auparavant étaient réservés uniquement aux
européens". ( 1995,p.334/335). Pour Said,
"Le voyage vers le dedans s'est constitué en une variété particulièrement intéressante de l'oeuvre culturelle
hybride. Et le fait que celle-ci existe constitue un signe de la mondialisation de la résistance dans une époque
où les structures impériales sont encore vivantes. Le logos n'habite plus exclusivement, pour ainsi dire, à
Londres ou à Paris. Le mouvement de l' Histoire ne se fait plus uniquement de l'Orient vers l'Occident, ou du
Sud vers le Nord, comme le pensait Hegel. L' Histoire devient moins primitive, moins rétrograde et plus
élaborée et dévéloppée, au fur et à mesure qu'elle avance.Les armes de la critique font partie de l'héritage
historique de l'empire : les cloisonnements et les exclusions de l'idéologie impérialiste, "diviser pour mieux
dominer", sont éffacés et nous assistons à l'émergence de nouvelles configurations surprenantes". (E. Said,
1995, p.306)
L'importance de la rationalité bourgeoise, de la pensée abstraite, de l'
Être et de l' "essence" dans la constitution de l'identité abstraite de l'individu
singulier; la généralisation du particulier occidental comme universel, le
concept de totalité abstraite, la supposée transparence du "réel" et son
corollaire, la transparence et l'objectivité de la connaissance, de même que la
constitution et l'imposition de l'Histoire ( avec un grand H) en tant que
négation des histoires des peuples colonisés, sont analysés par Glissant du
point de vue des peuples colonisés par l'Occident, à partir des cultures des
peuples des Amériques dont l'histoire est marquée par le Trafic et l'esclavage.
Pour Glissant,
"Il y a une différence entre le déplacement (par exil ou dispersion) d'un peuple qui se
continue ailleurs et le transbord (la traite) d'une population qui ailleurs se change en autre chose, en
une nouvelle donnée du monde. C'est en ce changement qu'il faut essayer de surprendre un des
secrets les mieux gardés de la Relation. Par lui nous comprenons que des histoires entrecroisées
sont à l'oeuvre, proposées à notre connaisance et qui produisent de l'étant. Nous renonçons à l'Être.
Le rapport (en même temps relation et relaté, acte et discours) prend le pas sur ce qui d'apparence
pourrait en constituer le principe, le "moteur" soi-disant universel" (Glissant,1981, p. 28,29).
À partir de ce point de vue, Glissant réfléchit sur la construction
historique et idéologique de ces concepts élaborés par la philosophie
occidentale tout au long de son Histoire, et qui ont servi de support
idéologique à la conquête et à la domination des peuples du monde. À cet
arsenal conceptuel qui aura légitimé l'imposition et la généralisation de
l'idéologie de l' "Un" à la quasi totalité des peuples de la planète, Glissant
oppose la concrétude de la Totalité-Terre réalisée, c'est-à-dire, la présence
dans le monde de la diversité des peuples qui ont fait leur indépendance, et de
ceux qui luttent encore pour la leur, peuples qui s'efforcent dans le combat de
la vie quotidienne pour bâtir leur "lieu" sur cette planète terre, libérés de toute
domination:
"L'Un ne prévaut, ni même l'unique, ni l'unité. La totalité les fracasse et les réalise".(Glissant,
1997,p.155)
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