J. Zobel, suite particularités grammaticales (créolismes, archaïsmes

J. Zobel, suite
particularités grammaticales
(créolismes, archaïsmes
et syntaxe de l’oral)
caractéristiques phonético-graphiques
Substantivation de l’infinitif
Créolisme (en créole, les mots qui ont comme étymon un verbe français
peuvent fonctionner comme verbes ou comme substantifs, selon les
morphèmes avec lesquels on les combine; en fr. rég. antillais, on utilise
plus fréquemment qu’en français de référence l’infinitif comme forme
substantive du verbe).
changer n. m. « action de changer de vêtements » (« Garçon, je t'ai
déjà dit de ne pas négliger ainsi ton estomac pour te fringuer ; ça te
coûtera cher ! Car tu ne peux pas me dire que tu bouffes
convenablement lorsque tu me fais tous ces changers ! » La fête à
Paris, p. 132)
siffler n. m. « action de siffler » (« Bambam garde les paupières
baissées et sa tête ne bouge pas, et son siffler semble suivre les pas
des garçons qui, là-bas, s'en vont pieds nus et dépenaillés, et qui
sifflent aussi toute la journée, le long des sentiers, dans les champs de
canne à sucre, sur les plages, et, le soir, autour des cases où il y a des
filles. » La fête à Paris, p. 139 ; Les jours immobiles, p. 209)
danser n. m. « bal » (« Quand elle saura qu'y avait un grand danser ici,
elle va plus nous dire bonjour; je connais son caractère. « Diab’-là, p.
148)
débarquer n. m. « moment où l’on quitte un bateau » (« Tokyo c'est la
ville qui, au débarquer, décourage l'étranger de chercher à la
connaître. » Gertal, p. 112)
Structure factitive archaïsante
En français contemporain, la structure factitive avec faire demande que
l’auxiliaire factitif soit suivi immédiatement de l’infinitif, lequel est suivi de
ses éventuels compléments. Dans la langue classique, le complément
était intercalé entre auxiliaire et verbe auxilié: au lieu de faire accomplir
quelque chose à quelqu’un, on disait plutôt faire quelqu’un accomplir
quelque chose. Cette structure s’est maintenue en créole, ainsi que dans
le français régional antillais.
Structure factitive archaïsante
« Tu fais tous les doigts d’une main monter l’un sur l’autre. » (La rue
Cases-Nègres, p. 38).
« D’abord, elle fit Amboise venir habiter chez elle. » (Les jours immobiles,
p. 41).
« Ils sautaient sur la pointe des pieds, ils lustraient les poils de leur
poitrine et de leurs jambes pour faire l’eau dégouliner. » (Les jours
immobiles, p. 77).
« Ce que Néré lui avait dit, faisait son sang battre fort à ses tempes et il
demeurait les yeux ouverts dans l’obscurité. » (Les jours immobiles, p.
80).
« C’était sous le coup de cette exaspération qu’elle avait fait les gars
lever le morceau de terre derrière la case. » (Les jours immobiles, p. 94).
« Car ce jour-là, Amboise n’était pas plutôt remonté dans le canot
qu’après avoir fait le soleil poser et sautiller sur le coquillage il s’anima ; il
était devenu tout à coup impatient. » (Les jours immobiles, pp. 108-109).
Absence de mots grammaticaux
Le français populaire fait souvent l’économie de mots dont l’absence
serait considérée à l’écrit comme une faute contre la norme.
Chez Zobel, selon les cas, il peut s’agir de simples phénomènes propres
au français populaire et oral de toute la francophonie, ou alors de cas
typiques d’influence du créole sur le français régional (le créole a lui
aussi bien sûr des grammèmes, mais ce ne sont pas les mêmes que
ceux de la langue française: leur morphologie et leur syntaxe respectives
sont très différentes).
Absence du pronom sujet impersonnel (il ou ça)
Général en français populaire de toute la francophonie.
me semble « il me semble » (La fête à Paris, p. 113)
m’étonne pas « ça ne m’étonne pas » (Diab’-là, p. 80)
« Toujours est-il que toute la semaine [il] faut qu’ils se serrent les reins
[…]. » (Diab’-là, p. 98).
Absence de subordonnant
En créole, la subordination ne s’exprime parfois que par la syntaxe et le
sens de l’énoncé, et non par l’usage d’un mot grammatical reliant la
principale à la subordonnée. Ce phénomène, sans être tout à fait absent
du français oral du reste de la francophonie, y est plutôt rare; dans les
variétés de français en contact avec le créole, en revanche, il est
beaucoup plus fréquent.
Si ce phénomène est très rare en français standard, il est courant en
anglais dans les relatives: the man that I saw = the man I saw. Dans le
français de Zobel (mais pratiquement toujours dans des passages en
discours rapporté, c’est-à-dire dans de l’écrit conçu comme « oral »), ce
ne sont pas que les relatives qui sont touchées: il s’agit souvent aussi de
subordonnées COD.
Absence du pronom relatif que
« Eh bé, la quantité d’argent [que] tu as fait à Miquelon cette année ? »
(Les jours immobiles, p. 80).
« Cé grâce à quelques jours [que] j’ai fait[s] avec Diab’-là dans le
Morne… » (Diab’-là, p. 82).
« Juste sur la robe [que] j’allais mettre. » (Diab’-là, p. 107).
« Tu sais, le gros giraumon [que] nous avions près de la meule à
charbon, en bordure du sentier ? » (Diab’-là, p. 129).
« Elle a dit [que] cé [un] quimbois [que] celle-ci fait pour être bien vue de
Tintin. » (Diab’-là, p. 146).
« La quantité de jeunes gens [que] vous êtes dans le pays, vous laissez
une belle jeune femme se tracasser après un noyé. Tas de couillons
[que] vous êtes à présent ! » (Diab’-là, p. 149).
Absence du pronom relatif dont
« Voyez une personne [dont] Amboise m’a dit qu’elle souffre du cœur. »
(Les jours immobiles, p. 206).
« Et dire, à la façon [dont] les poules frisées grattaient dans le sable,
[que] j’avais prévu cette eau qui va nous tomber ! » (Diab’-là, p. 113).
Absence de la conj. de sub. que
introduisant une subordonnée COD
« Ah ! les femmes de la ville, tu crois [que] ce sont des chrétiennes ! »
(Les jours immobiles, p. 12).
« On dirait [que] cé de l’enfer [qu’]elle est sortie tout bonnement ! » (Les
jours immobiles, p. 147).
« Il a dit [que] ses bras sont de fer. » (Diab’-là, p. 32).
« On dirait [qu’]il piaffe ! » (Diab’-là, p. 39).
« Il croit [qu’]il est riche. » (Diab’-là, p. 71).
« Je crois [que] cé à la Ravine Jean-Bois, là-haut. » (Diab’-là, p. 88).
« Et dire, à la façon [dont] les poules frisées grattaient dans le sable,
[que] j’avais prévu cette eau qui va nous tomber ! » (Diab’-là, p. 113).
« Le gros giraumon, tu disais [qu’]il sera bon la semaine prochaine, tu
sais ? » (Diab’-là, p. 129).
Absence de la conj. de sub. que
introduisant une subordonnée COD
« D’ailleurs, je crois [que] je vais t’attacher ; tu es assez grand. » (Diab’-
, p. 131).
« Cé gens-là veulent pas comprendre [que] pas la peine de nous
voler, pense-t-elle tout haut. » (Diab’-là, p. 133).
« Elle a dit [que] cé [un] quimbois [que] celle-ci fait pour être bien vue de
Tintin. » (Diab’-là, p. 146).
« Messiés, Gros-Eugénie fait dire [que] les musiciens sont là. » (Diab’-
, p. 150).
« […] j’ai remarqué [que] l’herbe, ici, pourrait nourrir une bête de plus,
même dans le carême… » (Diab’-là, p. 154).
« Mais oui, madame m’a dit [que] nous aurons un petit homme, là, dans
quelques mois ! » (Diab’-là, p. 168).
« […] man-maille-là dit [que] je suis un Diab’ » (Diab’-là, p. 170).
Absence de la conj. de sub. que
dans les structures interrogatives avec est-ce
(aussi attesté en fr. pop. oral québécois)
« On voyait bien dépasser la tête d’un prunier et d’un avocatier, mais le
reste, on ne savait pas ce que c’était, quand est-ce [que] ça mûrissait,
quand est-ce [que] ça se récoltait. » (La rue Cases-Nègres, p. 53).
« Qu’est-ce [que] tu fais aujourd’hui ? » (Les jours immobiles, p. 95).
Absence de la conj. de sub. que
dans les structures emphatiques c’est… [que]
« On dirait [que] cé de l’enfer [qu’]elle est sortie tout bonnement ! » (Les
jours immobiles, p. 147).
« […] cé pas tous les jours [que] nous aurons le temps de nous voir à
terre pour rigoler un peu ! » (Les jours immobiles, p. 173).
« Cé comme ça [que] j’aimerais la mienne ! » (Les jours immobiles, p.
175).
« Ah ! cé toujours ça [que] tu dis ! » (Diab’-là, p. 70).
« J’ai une barre à mine, cé ça [que] j’apporte. » (Diab’-là, p. 89).
Absence de la conj. de sub. que, autres cas
Dans la structure emphatique temporelle ça fait… [que]
« Ça fait trois ans [que] vous avez promis ; mais vous voici enfin ! »
(Diab’-là, p. 154).
Dans la locution conjonctive temporelle dès [que]
« Dès [qu’]ils entendent ma voix, ils disent quelque chose. » (Diab’-là,
p. 161).
Absence de déterminant
En créole, il n’y a pas de déterminants antéposés; les actualisateurs et
autres déterminants sont toujours postposés: liv-la « le livre » (< le livre-
); liv-a-moin « mon livre » (< le livre à moi); liv-sa-la « ce livre » (< le
livre ça là).
Par conséquent, le français régional des Antilles tend parfois à faire
l’économie de l’article (défini, indéfini, partitif); le phénomène est
particulièrement fréquent au sein de locutions verbales, où il prolonge
une tendance déjà présente en français.
« Toujours est-il que toute la semaine faut qu’ils se serrent les reins, se
démènent pour acheter : [du] rhum, [de la] limonade ; faire [du] bouillon
chaud, payer [un] accordéoniste, et recevoir le samedi qui vient tous
ceux du premier bal. » (Diab’-là, p. 98).
art. ind. masc. sing. : « Elle a dit [que] cé [un] quimbois [que] celle-ci fait
pour être bien vue de Tintin. » (Diab’-là, p. 146).
art. ind. masc. sing. : « Maïotte eut [un] petit rire de ne pas y croire. »
(Les jours immobiles, p. 15).
art. ind. pl. : « Eh bé, l’argent cé pour acheter [des] bonbons. » (Diab’-là,
p. 71).
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