Les photons dans tous leurs états Lasers infrarouges unipolaires dans les puits quantiques semi-conducteurs L’utilisation des transitions optiques entre niveaux confinés de la bande de conduction de puits quantiques semi-conducteurs pour la réalisation de lasers infrarouges (λ > 2 µm) a été proposée dès le début des années 70. L’effet laser a été démontré récemment sous pompage électrique ou optique de puits quantiques présentant trois niveaux électroniques confinés. Contrairement aux diodes lasers développées jusqu’alors dans des semi-conducteurs à faible énergie de bande interdite, ces nouveaux lasers n’impliquent qu’un seul type de porteurs de charge, les électrons (d’où l’appellation unipolaire), et l’émission peut être accordée dans tout le domaine moyeninfrarouge simplement en changeant l’épaisseur ou la composition des puits quantiques. es besoins pour la détection de gaz à l’état de trace ou le contrôle de la pollution poussent au développement de nouvelles sources lasers qui émettent dans le moyen-infrarouge (longueurs d’onde comprises entre 2 et 20 µm). En effet, la plupart des molécules présentent dans cette gamme de longueurs d’onde des bandes d’absorption entre niveaux de rotationvibration qui constituent une signature moléculaire. Une chaîne de détection qui inclut un laser infrarouge accordé sur l’espèce chimique à détecter permet d’effectuer des mesures de concentration avec une très grande sensibilité. Parmi les lasers qui fonctionnent dans le moyeninfrarouge, les lasers moléculaires tels que les lasers à gaz carbonique sont les plus connus. Cependant, leur domaine d’émission est limité à une fenêtre relativement étroite du spectre infrarouge (9-11 µm). Des sources lasers solides existent aussi. Leur fonctionnement repose sur la recombinaison électron-trou dans des semi- L – Institut d’électronique fondamentale, URA 22 CNRS, Bât. 220, Université Paris XI, 91405 Orsay Cedex. 30 conducteurs à faible énergie de bande interdite (alliages III-V, II-VI, sels de plomb). Ces diodes lasers permettent de couvrir la gamme de longueur d’onde jusqu’à ≈ 20 µm mais leurs performances se dégradent rapidement à grande longueur d’onde. Leur fonctionnement reste limité aux températures cryogéniques et à des puissances d’émission qui ne dépassent pas la dizaine de microwatts (k > 10 µm). L’utilisation de couches minces de semi-conducteurs pour fabriquer des lasers infrarouges a été proposée très tôt. Il a fallu néanmoins attendre le développement des techniques d’épitaxie par jets moléculaires ou par dépôt chimique de composés organométalliques en phase vapeur au milieu des années 70 pour être capable de synthétiser des empilements de différents matériaux semiconducteurs en contrôlant l’épaisseur des couches déposées avec une précision voisine de la monocouche atomique. En jouant sur la composition d’alliages semi-conducteurs lors de l’épitaxie, on crée artificiellement un puits de potentiel en bande de conduction ou de valence. L’archétype de ces hétérostructures est le puits quantique où les porteurs de charge, électrons ou trous, sont confinés dans une couche extrêmement fine d’épaisseur nanométrique mais restent libres de se déplacer dans le plan des couches. L’énergie du porteur s’exprime comme la somme de son énergie de confinement (quantifiée) suivant la direction de croissance et de son énergie cinétique (continue) dans le plan des couches. Cela se traduit par l’apparition de sous-bandes d’énergie au sein de la bande de conduction ou de valence dont la présence modifie radicalement les propriétés optiques et électriques du matériau semi-conducteur synthétisé. Le matériau à puits quantique devient ainsi actif aux longueurs d’onde infrarouges qui correspondent à des résonances optiques entre sous-bandes. Ces résonances inter-sous-bandes présentent des moments dipolaires et des forces d’oscillateur géantes (cf. Images de la Physique 1994). Elles sont en outre facilement accordables en longueur d’onde en ajustant l’épaisseur et la composition du puits quantique lors de l’épitaxie. Ces propriétés favorables ont déjà donné lieu à des applications remarquables dans le domaine de l’optique non linéaire ou de la photodétection infrarouge. Les photons dans tous leurs états La force d’oscillateur géante associée aux transitions inter-sous-bandes constitue aussi un atout essentiel pour un dispositif émetteur de lumière. La possibilité d’obtenir une émission infra-rouge entre sous-bandes a été proposée en 1971 par deux chercheurs russes, Karazinov et Suris. Expérimentalement, les recherches ont buté pendant près de vingt ans sur la difficulté d’observer l’émission spontanée inter-sous-bandes. La raison principale tient à la durée de vie très courte des électrons dans les sous-bandes excitées car ceux-ci se désexcitent très rapidement vers la sous-bande fondamentale en interagissant avec les phonons (quantas de vibration du cristal). Selon l’écart d’énergie entre sous-bandes, les modes de vibration des phonons impliqués sont de type acoustique ou optique. Les temps caractéristiques varient alors d’une picoseconde à quelques centaines de picosecondes selon que la relaxation s’effectue par émission de phonons optiques (k < 35 µm) ou acoustiques (k > 35 µm). Une autre difficulté est liée à la grande longueur d’onde des transitions inter-sous-bandes. En effet, le temps de vie radiatif des électrons excités, c’est-à-dire le temps caractéristique pour émettre un photon, est de quelques nanosecondes pour une émission à la longueur d’onde de 2 µm et il augmente rapidement avec la longueur d’onde. La compétition entre les mécanismes de relaxation radiative et non radiative est donc très défavorable au processus d’émission spontanée. Cela se traduit par une efficacité de luminescence extrêmement faible qui rend illusoire le développement de dispositifs luminescents performants qui reposent sur l’émission entre sousbandes. Au début des années 90, les conclusions étaient moins pessimistes sur la possibilité d’atteindre l’inversion de population et donc l’effet laser. En effet, pour atteindre l’inversion même avec des temps non radiatifs aussi courts, il suffit d’imposer que la durée de vie des électrons soit plus longue dans l’état excité que dans l’état final. Cette condition peut être satisfaite dans des structures à puits quantiques multiples bien conçues pour bénéficier de l’efficacité et de la sélectivité du transport des électrons par effet tunnel résonnant (cf. encadré 1). C’est suivant ce principe qu’une équipe des laboratoires de la Bell a réussi à montrer pour la première fois en 1994 l’existence d’une inversion de population entre sous-bandes sous pompage électrique. Ces travaux ont engendré une nouvelle génération de sources lasers unipolaires dits à « cascade quantique », où un seul type de porteurs de charge, les électrons, circulent à travers toute la structure en émettant un photon chaque fois qu’ils rencontrent les puits quantiques actifs. L’émission laser a été obtenue à des longueurs d’onde qui varient de 3,4 µm à 12 µm simplement en ajustant l’épaisseur des couches. Il est remarquable de pouvoir couvrir une telle gamme de longueurs d’onde avec le même couple de matériaux puitsbarrière. Les puissances d’émission vont de quelques dizaines de milliwatts au watt. Autre originalité de ces lasers, la longueur d’onde d’émission est peu sensible à la température. Enfin, la température T0 qui caractérise l’évolution du courant seuil avec la température, j = j0 exp(T/T0), est grande, de l’ordre de 120 K, avec des conséquences bénéfiques sur la température limite de fonctionnement du laser. Des lasers à cascade quantique fonctionnent en continu jusqu’à des températures supérieures à 140 K et en impulsions jusqu’à la température ambiante. Aux longueurs d’onde supérieures à 4 µm, les performances des lasers à cascade quantique surpassent déjà celles des diodes lasers infrarouges concurrentes fabriquées dans des semi-conducteurs à faible énergie de bande interdite (cf. encadré 3). La conception et la fabrication des lasers à cascade quantique représente l’état de l’art en termes d’ingénierie de bandes et de croissance épitaxiale. Il faut en effet maintenir la sélectivité du transport des électrons à travers les multiples périodes de la structure, ce qui implique la croissance de 600 à 700 couches différentes avec une précision d’épaisseur voisine de la monocouche atomique. En 1995, nous avons proposé un nouveau mécanisme d’émission inter-sous-bandes qui repose non pas sur une injection électrique, comme dans le cas des lasers à cascade quantique, mais sur le pompage optique de puits quantiques couplés. L’intérêt est que l’on peut grandement simplifier la conception et la fabrication des échantillons car le transport des électrons n’est plus nécessaire. Le prix à payer est de disposer d’une source extérieure pour l’excitation optique. Le principe de fonctionnement s’apparente à celui d’une fontaine quantique (cf. encadré 2). Il consiste à recycler optiquement les électrons entre les trois sous-bandes de conduction d’un puits quantique, la transition entre les sous-bandes d’énergie supérieure donnant lieu à l’émission infrarouge. OBSERVATION DE LA LUMINESCENCE INTER-SOUS-BANDES Les premières expériences ont porté sur l’observation de l’émission spontanée entre sous-bandes sous pompage optique par un laser infrarouge au gaz carbonique. Le rendement de luminescence attendu étant très faible, le signal de luminescence infrarouge avait toutes les chances d’être masqué par le fond de radiation du corps noir ambiant dont l’émissivité est maximale dans la bande 8-15 µm. Un système de détection bolométrique a été mis en œuvre. Les échantillons épitaxiés par jets moléculaires dans les laboratoires de Thomson sont constitués de 100 doubles puits quantiques en GaAs couplés par une fine barrière (1,7 nm) en Al0,22 Ga0,78 As (cf. figure encadré 2). L’épaisseur différente des deux puits (7,5 et 5 nm) permet de créer artificiellement une asymétrie dans la structure. Cette asymétrie est nécessaire pour permettre l’excitation directe des électrons 31 Encadré 1 LES LASERS INTER-SOUS-BANDES À CASCADE QUANTIQUE La figure montre le profil de bande de conduction d’un laser à cascade quantique lorsqu’une tension est appliquée aux bornes du dispositif. La présence de la tension de polarisation se traduit par une chute de potentiel le long de l’axe de croissance. La structure du laser comprend environ 25 périodes constituées chacune d’une zone d’injection et d’une zone active. La zone active consiste en deux puits quantiques couplés en InGaAs avec des barrières en InAlAs. Elle est conçue pour présenter trois niveaux d’énergie en bande de conduction. L’émission se produit du troisième niveau vers le second. Les zones d’injection sont formées de plusieurs puits quantiques dont les épaisseurs ont été choisies de façon à aligner leurs niveaux d’énergie fondamentaux pour une certaine valeur du champ électrique de polarisation. On bénéficie alors de l’effet superréseau qui se traduit par l’apparition de minibandes d’énergie (y compris dans le continuum) séparées par une bande interdite. Ces zones d’injection contribuent à l’inversion de population par trois phénomènes. La zone à gauche de la région active permet d’injecter sélectivement les électrons dans le niveau supérieur par effet tunnel résonnant. La zone à droite sert à dépeupler rapidement les deux niveaux inférieurs vers la période suivante. Elle contribue aussi à bloquer l’échappement par effet tunnel vers le continuum des électrons du troisième niveau grâce à la présence de la minibande interdite. Energie Mini-bande interdite Mini-bande zone d'injection zone active zone d'injection Axe de croissance de la sous-bande fondamentale e1 vers la sous-bande e3, autrement interdite par les règles de sélection. Le peuplement de la sous-bande fondamentale est assuré par dopage des barrières qui séparent chaque période de la structure et transfert des électrons dans les puits. Le spectre d’émission des puits quantiques à la température de l’hélium liquide révèle une résonance à la longueur d’onde de 14,1 µm qui correspond à la luminescence inter-sous-bandes e3 → e3. Le rendement de luminescence est effectivement très faible et 32 les puissances détectées n’excèdent pas 3 nanowatts pour une puissance de pompage optique de 1 watt. La luminescence persiste néanmoins jusqu’à la température ambiante. Le changement de température, de 4,2 K à 300 K, ne s’accompagne que d’un décalage minime vers le rouge (≈ 4 meV) de l’énergie de résonance alors même que l’énergie de bande interdite des puits GaAs et des barrières AlGaAs a fortement diminué ( ≈ 90 meV). Ce comportement est typique des transitions inter-sousbandes car leur énergie n’est sensible qu’à la différence d’énergie de bande interdite des matériaux qui constituent les puits et les barrières et non pas à l’énergie de bande interdite elle-même. Or cette différence varie peu pour des matériaux très proches tels que GaAs et AlGaAs. ÉMISSION STIMULÉE INTER-SOUSBANDES ET AMPLIFICATION OPTIQUE Les expériences de luminescence ne permettent pas de conclure sur l’existence ou non d’une inversion de Les photons dans tous leurs états Encadré 2 LES LASERS INTER-SOUS-BANDES À FONTAINE QUANTIQUE La structure active du laser inter-sous-bandes à fontaine quantique est formée de deux puits quantiques en GaAs d’épaisseur différente couplés par une fine barrière en AlGaAs. La figure montre le profil de potentiel en bande de conduction des puits quantiques suivant la direction de croissance (a) ainsi que la dispersion de l’énergie cinétique des électrons dans chaque sous-bande en fonction de leur vecteur d’onde k// dans le plan des couches (b). Sous pompage optique dans l’infrarouge (a), les électrons de la sous-bande fondamentale e1 sont excités dans la troisième sous-bande e3. Cette transition est permise par l’asymétrie de la structure. L’émission se produit entre les sous-bandes e3 et e2. Les électrons de la sous-bande e2 sont ensuite recyclés dans la sous-bande fondamentale par relaxation non radiative. Les flèches de la figure (b) représentent différents chemins de relaxation non radiative permis par conservation de l’énergie et de l’impulsion. De manière générale, la relaxation d’un électron entre deux sous-bandes avec émission d’un phonon optique d’énergie ELO s’accompagne d’une perte d’énergie correspondante et d’un transfert du vecteur d’onde du phonon q// à l’électron (Dk = u q// u ). L’amplitude du vecteur d’onde du phonon impliqué dans la relaxation augmente avec la séparation énergétique entre les deux sous-bandes. Or, le taux 2 d’interaction électron-phonon varie comme 1/ u q// u en première approximation. Une ingénierie des taux d’interaction électron-phonon est donc possible en imposant judicieusement la séparation énergétique entre les différentes sous-bandes. Ainsi, l’épaisseur et la composition des différentes couches peuvent être ajustées pour que l’écart d’énergie entre les deux premières sous-bandes soit proche de l’énergie du phonon optique. Cette situation de résonance conduit à une durée de vie très courte des électrons dans la sous-bande e2, s21 ≈ 0,4 ps, car l’amplitude du vecteur d’onde du phonon impliqué dans la relaxation e2 → e1 est proche de zéro (relaxation verticale sur la figure b). En revanche, le temps de relaxation non radiative est plus long entre les sous-bandes e3 et e2 dont l’écart d’énergie est grand devant l’énergie du phonon optique (s32 ≈ 1,9 ps). L’inversion de population entre les sous-bandes e3 et e2 est possible car le dépeuplement de la sous-bande e2 est plus rapide que la relaxation non radiative entre les sous-bandes e3 et e2 (s21 < s32). Energie AlGaAs e3 ELO e2 ELO e1 ∆k ∆k GaAs GaAs Axe de croissance (a) population entre sous-bandes car celle-ci n’est pas nécessaire au processus d’émission spontanée. L’obtention du régime d’inversion de population doit se traduire par une amplification stimulée de l’émission inter-sous-bandes des puits quantiques. Pour que celle-ci soit significative, il faut néanmoins que la longueur de propagation des photons infrarouges dans la couche active soit suffisante. Cette condition peut être réalisée si l’on bénéficie d’une propagation guidée dans le plan des couches. Pour ce faire, nous avons conçu des échantillons qui comprennent une couche épaisse en Al0,9 Ga0,1 As pour confiner l’émission infrarouge dans le cœur d’un guide d’onde formé d’une couche d’indice de réfraction plus élevé en GaAs dans laquelle sont insérés les 30 puits quantiques actifs. La structure dont k// (b) l’épaisseur totale est de 11,5 µm a été épitaxiée par jets moléculaires au laboratoire de Microstructures et Microélectronique (L2M) de Bagneux. Les puits quantiques couplés présentent trois niveaux d’énergie en bande de conduction avec une résonance de phonon optique entre les deux premiers niveaux (cf. encadré 2). Les expériences ont été menées avec un laser à électrons libres en 33 Encadré 3 INTÉRÊT DE L’UNIPOLARITÉ Des mécanismes Auger de relaxation non radiative existent aussi entre deux sous-bandes de conduction mais ils sont beaucoup moins effıcaces que la relaxation par émission de phonons. Leur influence est négligeable dans les lasers intersous-bandes car la densité de porteurs au seuil est environ cent fois plus faible que dans une diode laser interbande. Cela est une conséquence du caractère unipolaire de la source. En effet, l’inversion de population d’un laser inter-sous-bandes est obtenue dès que la densité d’électrons dans la troisième sous-bande est supérieure à la population thermique de la seconde sous-bande et l’on sait minimiser celle-ci en ajustant collaboration avec l’équipe de CLIO/LURE d’Orsay. Le laser CLIO délivre des impulsions accordables dans l’infrarouge dont la durée est voisine de la picoseconde et dont la puissance crête peut atteindre 10 à 100 MW. La particularité de ce laser est la possibilité d’émettre simultanément à deux longueurs d’onde accordables indépendamment, grâce à la présence dans la cavité de deux onduleurs séparés. Dans nos expériences, le faisceau pompe est accordé à la longueur d’onde de la résonance inter-sous-bandes e1 → e3 (9,8 µm) 34 le dopage des couches. L’autre intérêt des sources unipolaires est le caractère résonnant de l’émission, conséquence de la dispersion de même signe des deux sous-bandes (cf. figure encadré 2). Le gain du laser unipolaire est concentré dans une bande spectrale étroite, contrairement aux sources bipolaires. Ceci facilite l’obtention de puissances élevées. C Energie Pour obtenir l’inversion de population dans une diode laser interbande (bipolaire), il faut peupler la majorité des états du bas de la bande de conduction et du haut de la bande de valence. A température ambiante, cela met en jeu une grande densité de porteurs, notamment parce que la densité d’états en bande de valence est importante. Ce faisant, on favorise des mécanismes Auger de relaxation non radiative. Ces mécanismes de relaxation bande à bande impliquent trois porteurs de charge. Leur effıcacité est donc proportionnelle au cube de la densité de porteurs. La présence de plusieurs bandes de valence (trous lourds, trous légers, spin-orbite) multiplie le nombre de chemins de relaxation possibles. La figure illustre l’un des mécanismes les plus effıcaces impliquant deux électrons et un trou lourd. L’énergie d’activation est voisine de l’énergie de bande interdite. Son effıcacité augmente donc exponentiellement avec la longueur d’onde d’émission. Ce sont ces mécanismes Auger qui expliquent la faible puissance d’émission et le fonctionnement limité aux températures cryogéniques des diodes lasers bipolaires qui émettent à grande longueur d’onde. H L k Mécanisme Auger de relaxation non radiative dans un laser interbande (bipolaire). Sur le diagramme de dispersion de l’énergie, C désigne la bande de conduction, H et L les bandes de valence de trous lourds et de trous légers, respectivement. Dans ce processus Auger, un électron se recombine avec un trou lourd et l’énergie libérée est transférée au second électron en bande de conclusion. de manière à provoquer l’inversion de population. Le second faisceau fortement atténué est accordé au voisinage de la résonance e3 → e2 (12,5 µm) afin de sonder l’amplification stimulée dans l’échantillon. Le schéma expérimental repose sur un interféromètre de Michelson pour ajuster le retard entre les impulsions pompe et sonde. Les deux faisceaux sont ensuite focalisés sur la facette des échantillons refroidis à la température de l’azote liquide. La figure 1 montre le signal transmis par les échantillons à la longueur d’onde de 12,5 µm en fonction du retard entre la pompe et la sonde pour deux longueurs du guide d’onde. Le signal s’accroît de manière significative lorsque le retard diminue et devient maximal lorsque les deux impulsions sont simultanées. Cette augmentation de la transmission des échantillons est la manifestation du processus d’amplification stimulée. Le spectre de gain est résonnant à la longueur d’onde de la transition inter-sousbandes e3 → e2, ce qui confirme l’origine du processus d’amplification stimulée. Les photons dans tous leurs états 3 2 1 12 13 Longueur d'onde (µm) 2 0.7 mm 1 0 10 20 Retard pompe-sonde (ps) 30 Figure 1 - Transmission du guide d’onde à puits quantiques à la longueur d’onde de la transition inter-sous-bandes e3 → e2 (12,5 µm) en fonction du délai entre les impulsions pompe et sonde. Le signal transmis a été normalisé à l’unité lorsque les impulsions pompe et sonde sont décorrélées temporellement. L’augmentation de transmission lorsque les impulsions sont synchrones est la manifestation du processus d’émission stimulée. L’encart montre le spectre de gain obtenu en changeant la longueur d’onde de la sonde. LE LASER INTER-SOUS-BANDES À FONTAINE QUANTIQUE Pour atteindre l’oscillation laser, il faut maintenir l’inversion de population pendant un temps suffisant, de l’ordre de 10 ps. Ce temps correspond en effet à la durée de vie des photons dans la cavité formée par le guide d’onde et ses facettes clivées. Comme la durée de vie des électrons excités dans la sous-bande e3 est très courte (≈ 0,7 ps), l’inversion ne peut être maintenue que si la durée des impulsions de pompage délivrées par le laser est au moins comparable à la durée de vie des photons. L’oscillation laser ne pouvait donc pas être obtenue dans les expériences menées avec le laser à électrons libres dont les impulsions sont trop brèves. Les expériences de démonstration de l’effet laser ont été conduites avec un laser au gaz carbonique à décharge transverse. Ce laser infrarouge délivre des impulsions dont la durée voisine de 3 nanosecondes est largement suffisante. Pour réduire le seuil d’oscillation laser, l’échantillon en GaAs/AlGaAs a été encore optimisé pour renforcer la force d’oscillateur des transi- Emission (u.a.) 3 4 0.6 Puissance d'émission (W) longueur du guide : 2 mm Gain net Transmission à 12.5 µm (u. norm.) 4 tions de pompage et d’émission. L’échantillon épitaxié au L2M comprend un guide d’onde infrarouge et 100 puits quantiques couplés en GaAs/Al0.35 Ga0.65 As (cf. figure encadré 2). Le gain en petit signal mesuré avec le laser à électrons libres est voisin de 10 000 pour un échantillon de 2 mm de long. L’effet laser a été atteint en focalisant le faisceau du laser à gaz carbonique sur une facette clivée d’un échantillon de 3 mm de long. L’oscillation laser à la longueur d’onde de 15,5 µm a lieu parallèlement à cette facette (suivant la direction de plus grand gain) entre les facettes clivées perpendiculaires à la précédente. L’encart de la figure 2 montre le spectre d’émission du laser refroidi à 77 K. La longueur d’onde de pompage est 9,7 µm. Ce spectre est très étroit (< 1 meV), ce qui constitue une première signature de l’effet laser. L’élargissement spectral est en fait limité par la résolution du spectromètre dispersif. Une seconde signature est l’existence d’un seuil de pompage (figure 2). La puissance crête est voisine de 0,6 W à basse température. Le seuil en intensité de pompage, de l’ordre de 500 kW/cm2, est environ dix fois plus élevé que la 14 0.4 30 K 15 16 m m)17 Longueur d'onde (µm) 80 K 0.2 90 K 100 K 0 0 10 20 Puissance de pompage (kW) 30 Figure 2 - Puissance du laser à fontaine quantique émettant à 15,5 µm en fonction de la puissance de pompage optique à 9.7 µm. L’encart montre le spectre d’émission du laser. A basse température, le seuil d’oscillation laser correspond à une puissance de pompage de 10 kW. Il augmente à température plus élevée car la population thermique de la seconde sous-bande devient significative, ce qui a pour conséquence de réduire le gain du laser. valeur théorique attendue. Le seuil élevé de ce premier laser à fontaine quantique s’explique par le couplage médiocre du faisceau de pompage dans le guide d’onde. A titre de comparaison, le seuil des lasers à cascade quantique qui émettent à la longueur d’onde de 5 µm est environ 15 kW/cm2 et il augmente très rapidement aux longueurs d’onde supérieures à 10 µm. En effet, la présence de couches de contact métalliques et des couches semi-conductrices dopées, nécessaire à l’injection des électrons, conduit à des pertes d’absorption optique par les plasmons ou les porteurs libres qui se révèlent rédhibitoires à grande longueur d’onde. Au-delà de 12 µm, le seuil des lasers à cascade quantique devient trop élevé pour observer l’oscillation laser. Les sources intersous-bandes à fontaine quantique permettent d’obtenir une émission laser à plus grande longueur d’onde car, en s’affranchissant de l’injection électrique des porteurs, le dopage des couches est réduit aux seules couches actives et l’absorption par les porteurs libres est ainsi minimisée. Dans nos expériences, l’effet laser est observé jusqu’à des températures voisines de 110 K. A cette température, l’occupation thermique de la seconde sous-bande devient significative, réduisant simultanément l’inversion de population et le gain du laser. Plusieurs voies sont possibles pour augmenter la température de fonctionnement. Il suffit par exemple d’augmenter légèrement la séparation énergétique entre les deux premières sous-bandes de manière à réduire la population thermique du deuxième niveau. Mais la solution la plus efficace réside dans une diminution des pertes du laser. L’utilisation de guides d’onde à rubans, voire de microcavités adaptées à la longueur d’onde d’émission, pourrait se révéler déterminante. CONCLUSION L’effet laser dans le moyeninfrarouge entre sous-bandes de puits 35 quantiques a longtemps représenté une gageure pour les physiciens du solide car la durée de vie très courte des électrons excités, voisine de la picoseconde, semblait rédhibitoire. Les résultats spectaculaires obtenus récemment sur les lasers à cascade quantique ont montré que l’inversion était possible par pompage électrique au prix d’une sophistication des structures quantiques afin d’optimiser le transport des électrons. Nos travaux confirment que l’inversion peut aussi être atteinte par pompage optique des puits quantiques. La structure des lasers inter-sous-bandes à fontaine quantique est plus simple à concevoir et à fabriquer. En outre, le pompage optique des puits quantiques permet d’obtenir une émission laser aux longueurs d’onde supérieures à 12 µm, domaine jusqu’à présent interdit aux lasers à cascade quantique. Il est ainsi envisageable de couvrir la gamme de longueurs d’onde allant de 3 à 20 µm avec des lasers unipolaires à cascade ou à fontaine quantique. Contrairement aux diodes lasers interbandes qui émet- tent dans cette gamme de longueur d’onde, les lasers unipolaires ne sont pas limités par des mécanismes Auger de relaxation non radiative et l’optimisation des structures devraient permettre d’atteindre des puissances de sortie supérieures au watt et un fonctionnement continu à température ambiante. Enfin, une perspective intéressante pour les lasers unipolaires à fontaine quantique est le pompage optique interbande qui offre la possibilité d’une source infrarouge compacte et pilotée électriquement puisque l’on peut envisager à terme le pompage optique par une diode laser. Nos expériences préliminaires sur le pompage optique par un laser visible montrent déjà l’existence de luminescences intersous-bandes dans la gamme de longueurs d’onde comprise entre 7 µm et 11 µm. POUR EN SAVOIR PLUS Julien (F.H.), Boucaud (P.), Lourtioz (J.-M.), Planel (R.), « Transitions inter- Article proposé par : François H. Julien, tél. 01 69 15 62 99, e-mail : [email protected]. Dans cet article sont présentés les résultats d’un travail d’équipes auquel ont participé O. Gauthier-Lafaye, S. Sauvage, Z. Moussa, P. Boucaud, J.-M. Lourtioz à l’IEF, V. Thierry-Mieg, R. Planel au L2M, V. Berger, J. Nagle à Thomson-LCR, R. Prazeres, F. Glotin et J.-M. Ortega à CLIO/LURE, J. Leblanc et N. Coron à l’IAS. 36 sous-bandes dans les puits quantiques », Images de la Physique, 105, 1994. Faist (J.), Capasso (F.), Sivco (D.), Sirtori (C.), Hutchinson (A.L.), Chu (S.N.G.) et Cho (A.), « Quantum Cascade Laser », Science 264, 553, 1994. Julien (F.H.), Sa’ar (A.), Wang (J.) et Leburton (J.-P.), « Mid-infrared intersubband emission in optically pumped quantum wells », Electron. Lett. 31, 838, 1995. Gauthier-Lafaye (O.), Sauvage (S.), Boucaud (P.), Julien (F.H.), Prazeres (R.), Glotin (F.), Ortega (J.-M.), Thierry-Mieg (V.), Planel (R.), Leburton (J.-P.), et Berger (V.), « Intersubband stimulated emission in GaAs/AlGaAs quantum wells : pumpprobe experiments using a two-color free-electron laser », Appl. Phys. Lett. 70, 3645, 1997. Gauthier-Lafaye (O.), Boucaud (P.), Julien (F.H.), Sauvage (S.), Cabaret (S.), Lourtioz (J.-M.), Thierry-Mieg (V.), Planel (R.), « Long-wavelength (≈ 15,5 micrometer) unipolar semiconductor laser in GaAs quantum wells », Appl. Phys. Lett. 71, 3619, 1997.