Trinité ou l' Incarnation soient des dogmes contradictoires ; ils soutiennent et montrent qu' on ne
sauroit leur prouver cela. Ainsi tous les théologiens, de quelque parti qu' ils soient, après avoir
relevé tant qu' il leur a plû la Révélation, le mérite de la foi, et la profondeur des misteres,
viennent faire hommage de tout cela aux piez du trône de la raison, et ils reconnoissent, quoi qu' 50 ils ne le disent pas en autant de mots (mais leur conduite est un langage assez expressif et
éloquent) que le tribunal suprême et qui juge en dernier ressort et sans apel de tout ce qui nous
est proposé, est la raison parlant par les axiomes de la lumiere naturelle, ou de la métaphisique.
Qu'on ne dise donc plus que la théologie est une reine dont la philosophie n' est que la servante,
car les théologiens eux-mêmes témoignent par leur conduite, qu' ils regardent la philosophie 55 comme la reine et la théologie comme la servante ; et de là viennent les efforts et les contorsions
qu' ils livrent à leur esprit, pour éviter qu' on ne les accuse d' être contraires à la bonne
philosophie. Plûtôt que s' exposer à cela ils changent les principes de la philosophie, dégradent
celle-ci ou celle-là, selon qu' ils y trouvent leur conte ; mais par toutes ces démarches ils
reconnoissent clairement la supériorité de la philosophie, et le besoin essenciel qu' ils ont de lui 60 faire leur cour ; ils ne feroient pas tant d' efforts pour se la rendre favorable et pour être d' acord
avec ses loix, s' ils ne reconnoissoient que tout dogme qui n' est point homologué, pour ainsi dire,
vérifié et enregîtré au parlement suprême de la raison et de la lumiere naturelle, ne peut qu' être d'
une autorité chancelante et fragile comme le verre. Si l' on cherche la véritable raison de cela, on
ne manque point de la trouver, c' est qu' y aïant une lumiere vive et distincte qui éclaire tous les 65 hommes, dès aussi tôt qu' ils ouvrent les yeux de leur attention, et qui les convainc invinciblement
de sa vérité, il en faut conclure que c' est Dieu lui-même, la vérité essentielle et substantielle, qui
nous éclaire alors très-immédiatement, et qui nous fait contempler dans son essence les idées des
véritez éternelles, contenuës dans les principes, ou dans les notions communes de métaphisique.
Or pourquoi feroit-il cela à l' égard de ces véritez particulieres, pourquoi les révéleroit-il ainsi dans 70 tous les tems, dans tous les siecles, à tous les peuples de la terre moïennant un peu d' attention, et
sans leur laisser la liberté de suspendre leur jugement ? Pourquoi, dis-je, se gouverneroit-il ainsi
avec l' homme, si ce n' est pour lui donner une regle et un critere des autres objets qui s' offrent
continuellement à nous, en partie faux, en partie vrais, tantôt très-confus et três-obscurs, tantôt
un peu plus dévelopez ? Dieu qui a prévu que les loix de l' union de l'ame et du corps ne 75 permettroient pas que l' union particuliere de l' ame avec l' essence divine (union qui paroît réelle
aux esprits attentifs et méditatifs, quoi qu' on ne la conçoive pas bien distinctement) lui
manifestât clairement toute sorte de véritez, et la garantît de l' erreur, a voulu néanmoins
présenter à l' ame une ressource qui ne lui manquât jamais pour discerner le vrai du faux ; et cette
ressource c' est la lumiere naturelle, ce sont les principes métaphisiques, auxquels si on compare 80 les doctrines particulieres qu' on rencontre dans les livres, ou qu' on aprend de ses précepteurs,
on peut trouver comme par une mesure et une regle originale, si elles sont légitimes ou falsifiées.
Il s' ensuit donc que nous ne pouvons être assûrez qu' une chose est véritable, qu' entant qu' elle
se trouve d' acord avec cette lumiere primitive, et universelle que Dieu répand dans l'ame de tous
les hommes, et qui entraîne infailliblement et invinciblement leur persuasion, dès qu' ils y sont 85 bien attentifs. C' est par cette lumiere primitive et métaphisique qu' on a pénétré le véritable sens
d' une infinité de passages de l' Ecriture, qui étant pris selon le sens littéral et populaire des
paroles, nous auroient jettez dans les plus basses idées de la divinité qui se puissent concevoir. Je
le répete encore une fois ; à Dieu ne plaise que je veuille étendre ce principe autant que font les
Sociniens ; mais s'il peut avoir certaines limitations à l' égard des véritez spéculatives, je ne pense 90 pas qu' il en doive avoir aucune à l' égard des principes pratiques et généraux, qui se raportent aux
moeurs. Je veux dire, que sans exception, il faut soûmettre toutes les loix morales à cette idée
naturelle d' équité, qui, aussi-bien que la lumiere métaphisique, illumine tout homme venant au monde.
mais comme les passions et les préjugez n' obscurcissent que trop souvent les idées de l' équité
naturelle, je voudrois qu' un homme qui a dessein de les bien connoître les considérât en général, 95 et en faisant abstraction de son intérêt particulier, et des coûtumes de sa patrie. Car il peut arriver
qu' une passion fine, et tout ensemble bien enracinée, persuadera à un homme qu' une action qu'