1 Une « discipline scolaire » face à l`émergence d` « objets scolaires

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Une « discipline scolaire » face à l’émergence d’ « objets scolaires » interdisciplinaires :
la prise en compte de l’environnement par la géographie scolaire française.
Christine Vergnolle Mainar
Maître de conférences en géographie
GEODE UMR 5602 CNRS / Université de Toulouse 2
IUFM : 56 avenue de l’URSS 31078 Toulouse Cedex 04 (France)
Résumé
La période contemporaine est marquée par l’émergence dans l’enseignement secondaire
français d’objets scolaires transversaux aux disciplines instituées. L’environnement est l’un
d’eux. Objet complexe, porteur de valeurs autant que de connaissances, il émarge à plusieurs
champs scientifiques et interpelle les disciplines scolaires correspondantes. La géographie est
particulièrement concernée car la question de l’interface nature-société est depuis longtemps
au cœur de sa démarche. L’intégration explicite des questions environnementales dans les
contenus de la géographie enseignée, au cours des dernières décennies, a induit une double
évolution pour cette discipline scolaire : un décloisonnement interne et une redéfinition de
son champ, notamment par rapport aux sciences de la vie et de la terre.
Introduction
La période contemporaine est marquée par l’émergence dans l’enseignement secondaire
français de problématiques ou de thématiques nouvelles dont certaines s’inscrivent à la
croisée de plusieurs disciplines scolaires. Il en est ainsi de l’ouverture à l’Europe, de la
sensibilisation au patrimoine, de l’éducation à l’environnement… Ces objets scolaires
transversaux répondent à des objectifs civiques forts et accompagnent des projets politiques
dans lesquels le pays est engagé.
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Face à l’émergence de ces nouveaux objets scolaires, la question qui se pose est celle de
leur rôle dans la recomposition des savoirs et par voie de conséquence de leur interaction avec
les disciplines scolaires constituées.
En liaison avec les préoccupations environnementales qui traversent notre société
depuis plusieurs décennies, l’environnement entre dans les programmes scolaires. Cet objet
complexe, porteur de valeurs autant que de connaissances, émarge à plusieurs champs
scientifiques et interpelle les disciplines scolaires correspondantes. La géographie est
particulièrement concernée car la question de l’interface nature-société est depuis longtemps
au cœur de sa démarche. Pour cette discipline constituée depuis plus d’un siècle, la prise en
compte des préoccupations environnementales contemporaines a induit une profonde
réorganisation interne ainsi qu’une redéfinition de son champ propre et de ses frontières avec
d’autres disciplines, comme les sciences de la vie et de la terre.
1. Une profonde réorganisation interne à la discipline scolaire « géographie »
Les problématiques induites par la prise en compte des questions environnementales
s’inscrivent à la charnière entre la géographie humaine et la géographie physique. Pour cette
raison, elles sont un des facteurs contribuant au décloisonnement de la discipline. Cette
recomposition interne est particulièrement nette pour les niveaux traditionnellement consacrés
à la géographie générale, comme la classe de seconde.
1.1. L’environnement devient une problématique centrale : l’exemple du programme de
géographie de seconde (Fig. 1)
La question des rapports homme-nature n’est pas nouvelle dans la géographie
enseignée. Ainsi, elle était déjà présente dans les programmes de seconde de 1902 et de 1925.
L’ « influence de la nature sur l’homme » y était abordée de même que les « actions de
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l’homme sur la nature ». Mais cette préoccupation a perdu de l’importance après la seconde
guerre mondiale et dans le programme de 1963 seule la question des « ressources de la
nature » est présente. Elle est traitée en fin d’année principalement sous l’angle du
productivisme, de l’augmentation des rendements, de la recherche de nouvelles sources
d’énergie et de produits de synthèse.
Fig. 1 : L’environnement dans le programme de seconde de géographie : évolution au
cours du XX° siècle
1902
1925
1944-45
1981
1987
1996
2000
1950
2000
1900
Programmes Organisation interne
de la discipline
Place de
l’environnement
1963
1992
« L’homme et la nature »
(Un point parmi d’autres au milieu du
programme)
Aucune mention spécifique
« L’homme et les ressources de la nature »
(Dernier point du programme)
« Problèmes de l’environnement»
(Dernier point du programme)
L’environnement est la
problématique transversale
Géographie
physique
Géomorphologie
Climatologie
Océanographie
Hydrologie
Biogéographie
Géographie
humaine
C. Vergnolle Mainar 2003
Environnement
Aménagement
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Un changement de problématique et une réelle percée des questions sociales relatives à
l’environnement apparaissent dans le programme de seconde de 1981. L’interaction sociétés-
milieux y est à nouveau traitée mais en tant que « problèmes de l’environnement ». Elle
constitue la conclusion d’un programme où le concept d’écosystème fait son entrée et prend
une place centrale. Cette orientation est affirmée dans les programmes ultérieurs. En 1987, ce
qui n’était antérieurement que le dernier point du programme devient le fil conducteur du
travail de l’année.
Dans le programme de 1996, l’environnement est toujours présenté comme un thème
transversal. Il structure un programme consacré à l’occupation différenciée de la terre par les
hommes et dépasse la seule question des relations homme-nature ou sociétés-milieux pour
devenir une problématique permettant d’aborder aussi l’aménagement des territoires. Enfin
dans le programme de 2000, un nouvel infléchissement apparaît puisque l’accent est
désormais mis sur « les relations que les hommes établissent avec leur environnement ».
Cette évolution de la place de l’environnement dans le programme de géographie de
seconde témoigne d’un changement de statut : d’une thématique parmi d’autres,
l’environnement devient une problématique centrale. Ceci va de pair avec un glissement de
l’ancrage de l’approche environnementale, d’une entrée très naturaliste vers une approche
plus sociale, qui est à mettre en relation avec l’évolution interne de la géographie.
1.2. Un décloisonnement interne à la discipline (Fig. 1)
La géographie classique héritée de la fin du XIX° siècle était fortement cloisonnée. Au-
delà de la subdivision entre la géographie physique et la géographie humaine, les spécialités
étaient nombreuses. Dans l’étude des milieux, les entrées abordées dans l’enseignement
secondaire étaient l’océanographie, la géomorphologie, la climatologie, l’hydrologie, la
biogéographie et la pédologie. Chacune d’elles traitait d’une composante du milieu avec des
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méthodes et des concepts qui lui étaient propres et qui étaient directement transférés de la
recherche universitaire.
La pénétration des questions environnementales a induit, dès 1981, une évolution au
sein de la géographie physique, car les milieux ont été désormais abordés par une approche
plus systémique (C. Vergnolle Mainar 1998). Les composantes naturelles n’ont plus été
envisagées pour elles mêmes. L’accent a au contraire été mis sur leurs relations et les
connaissances ont été structurées par le concept d’écosystème ainsi que par les notions de
bilans ou de cycles.
L’affirmation de l’environnement dans les programmes ultérieurs se traduit par un
décloisonnement plus poussé encore. Ainsi en 1992, l’aménagement du programme de 1987,
apparaît comme particulièrement novateur. Le prima de la géographie physique est remis en
cause et la géographie enseignée s’inscrit résolument dans le champ des sciences sociales. Les
données naturalistes sont considérablement minorées au profit de questions relatives à
l’aménagement des milieux. Dans le prolongement de cet infléchissement, le concept de
géosystème se substitue à celui d’écosystème. Dans les programmes les plus récents (1996 et
2000), cette orientation s’affirme et débouche sur la disparition de la géographie générale
propre à l’école française de géographie. Celle-ci cède la place à des thématiques
correspondant aux questions environnementales qui traversent notre société : l’eau, les
risques, la production alimentaire, l’environnement urbain…
Ce décloisonnement qui a affecté la géographie scolaire française au cours des vingt
dernières années est, dans ses grandes lignes, synchrone de l’évolution de la géographie
universitaire vers une approche sociale des phénomènes naturels (M.C. Robic 1992, C. et G.
Bertrand 2002). Il affecte le clivage entre géographie humaine et géographie physique ainsi
que la subdivision interne à cette dernière. Il pose aussi la question de la redéfinition des
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