prophète du Règne de Dieu

publicité
Daniel MARGUERAT, L'homme qui venait de Nazareth. Ce qu'on peut aujourd’hui savoir de
Jésus. Chapitre 1 (pages 19 à 22)
LE PROPHÈTE DU ROYAUME
Le judaïsme des années 30 en Palestine ressemble à une foule un jour de marché: chamarré,
bruyant, extraordinairement vivant et coloré. Ce judaïsme vit d'une profusion de groupes, de
mouvements et de spiritualités qui rivalisent de zèle, qui s'interpellent, toujours désireux de
grossir leurs rangs.
Jésus n'est pas passé inaperçu d'eux. Il a sûrement attiré l'attention des zélotes, qu'on appelle
également sicaires, du nom du poignard qu'ils portaient et qui symbolise leur mouvement
violent de libération du peuple d'Israël. Ils étaient intéressés à se faire des alliés. Un des
disciples de Jésus provenait de chez eux, Simon le Zélote (Lc 6,15).
Mais Jésus avait aussi de quoi susciter l'admiration des groupes pharisiens, ces cercles laïcs à
la piété intense, dont il est proche par son attachement à la Loi. Il a été également remarqué
des sadducéens, le mouvement conservateur proche de l'aristocratie et du Temple, très vite
indigné des attitudes provocatrices de ce rabbi. Pour ce qui est de la secte de Qumrân,
détruite en 68 par l'armée romaine, le Nouveau Testament ne fait jamais allusion à elle, et
les écrits de la secte ne font jamais allusion à Jésus.
Ailleurs, la foi culminait dans une attente fiévreuse: l'irruption toute prochaine de Dieu dans
l'histoire. Cette croyance, célébrée en des conventicules que l'on dit apocalyptiques,
marquait profondément la foi populaire du temps de Jésus.
On voit qu'à considérer Jésus comme un leader populaire, ou comme un spirituel, ou comme
un rabbi, ou comme un prophète, on le rapproche tour à tour de l'un ou l'autre de ces
groupes. Mais au fait, de qui Jésus était-il proche? Serait-il issu d'un de ces milieux?
Pour éviter des rapprochements superficiels, il faut d'abord se demander: quel est le coeur de
sa prédication et de son activité? Secondement: Jésus a-t-il eu un maître? Et si oui, quelle est
l'originalité de l'homme de Nazareth?
1. Dieu est tout proche
Les évangiles synoptiques mettent chacun en avant leur portrait théologique du Christ.
Cependant, pour ce qui concerne le coeur du message de Jésus, le coeur de son action, ils
concordent. Leur unanimité est impressionnante: au coeur, on trouve l'annonce que le
Royaume de Dieu est proche.
A la source de la parole et de l'action de Jésus
Tout au début de l'évangile de Marc figure ce résumé de la prédication de Jésus, qui sonne
comme un slogan: Le temps est accompli, et le Royaume de Dieu s'est approché; changez de
vie, et croyez à l'Evangile (Mc 1,15). La référence finale à l'Evangile provient de la
communauté chrétienne. Mais le slogan lui-même articule trois motifs: une attente s'achève,
le Royaume est proche, et cette proximité déclenche un appel au changement. Dans sa
relecture de Marc, Matthieu a maintenu ce slogan (Mt 4,17). Plus encore, comme Luc, il fait
de la proximité du Royaume de Dieu le thème unique de la prédication des disciples envoyés
en mission: Allez, et annoncez que le Royaume des cieux s'est approché (Mt 10,7; Lc 10,9.11).
Jésus a parlé du Royaume de Dieu. L'expresssion désigne en araméen à la fois un territoire (le
Royaume) et une autorité (le Règne de Dieu), et ce double sens géographique et dynamique
est passé au grec. C'est pourquoi nos traductions françaises de la Bible hésitent entre
Royaume de Dieu et Règne de Dieu. La réalité est la même: il s'agit de la royauté de Dieu
mise en action.
Cette royauté divine est devenue plus proche, voilà à quoi se résume la prédication de Jésus
et de ses disciples. Car nous n'avons pas là un thème du message de Jésus, un parmi d'autres,
le plus neuf ou le plus accrocheur, mais le thème-source. Je dois plutôt dire: l'événementsource de sa parole et de ses gestes.
Preuve en sont les paraboles: elles sont paraboles du Royaume. Preuve en sont les miracles: si
c'est par le doigt de Dieu que je chasse les démons, dit Jésus, alors la Royauté de Dieu vient
de vous atteindre (Lc 11,20; Mt 12,28). Preuve en sont l'interprétation que fait Jésus de la Loi
et ses fréquentations, dont le non-conformisme, comme on verra plus loin, est causé
directement par le Royaume proche. Donc, à la naissance de la parole de Jésus et de la
conscience qu'il a de lui, on trouve une perception aiguë de la proximité de Dieu et une
volonté de la faire partager.
Quand il y a urgence
La proximité de Dieu n'est pas pour Jésus un concept théologique; sa venue est attendue pour
un avenir immédiat. En vérité, je vous dis, certains de ceux qui sont ici ne goûteront pas la
mort avant de voir la Royauté de Dieu venue avec puissance (Mc 9,1). Le dernier repas de
Jésus avec ses disciples est placé sous l'horizon de ces retrouvailles imminentes: En vérité, je
vous dis, je ne boirai plus jamais du fruit de la vigne jusqu'au jour où je le boirai, nouveau,
dans le Royaume de Dieu (Mc 14,25). Quand Jésus envoie en mission les soixante-douze
disciples, il place leur envoi sous le signe de la moisson, qui ne symbolise pas du tout la
mission, mais, depuis l'Ancien Testament, le jugement attendu à la fin des temps. La moisson
est abondante, mais les ouvriers peu nombreux (Lc 10,2).
Il s'agit donc de préparer les hommes au jugement imminent. Et l'urgence est telle qu'il n'y a
pas un instant à perdre: N'emportez pas de bourse, pas de sac, pas de sandales, et ne saluez
personne en chemin (Lc 10,4). Pour qui connaît l'importance rituelle et la longueur des.
salutations à l'orientale, l'interdiction de saluer est tout à fait choquante. Mais le même
sentiment d'urgence conduit Jésus à plus fort encore: c'est l'interdiction de prendre congé de
sa famille ou d'enterrer son père avant de se joindre à ses disciples (Lc 9,59-62). On bouscule
ici les solidarités les plus intouchables (la famille) et les devoirs religieux les plus sacrés (les
rites funéraires). L'exigence totalement scandaleuse de Jésus, qui ne trouve son équivalent
que chez les Cyniques grecs, ne traduit pas chez lui une critique de principe des liens sociaux.
Elle concrétise l'urgence d'agir avant que s'abatte la catastrophe de la fin du monde.
Un retard qui a changé l'espérance
Est-ce bien la conviction de Jésus que nous touchons là? Il faut reconnaître que le meilleur
indice d'authenticité de ces paroles est l'embarras dans lequel elles ont plongé, très tôt, les
premiers chrétiens. Car la fin du monde, espérée par Jésus, ne s'est pas produite. Le Dieu
attendu n'est pas venu. Le cataclysme redouté n'a pas arrêté l'histoire. Et l'on s'aperçoit que
très tôt la déception de la première génération chrétienne, étonnamment bien surmontée
d'ailleurs, l'a conduite à modifier son espérance.
Les écrits de Paul offrent un bon point de repère: sa première lettre, adressée aux
Thessaloniciens en l'an 50, signale que le retour du Christ est tout proche (1Th 4,13-17). Au
fur et à mesure qu'on avance dans le temps, la perspective s'éloigne, et l'épître aux Romains,
qui date de 57 ou 58, ne fait plus état d'une urgence. En même pas dix ans, l'attente s'est
affaissée. Même si elle s'est maintenue plus tard en Syro-Palestine, l'érosion de l'attente de
Jésus est aussi nette. L'espérance du Royaume se recompose, hors de toute urgence du
calendrier.
Nous avons mis le doigt sur le foyer qui alimente la parole de Jésus, qui inspire son action, qui
leur donne une intensité à la limite du soutenable. Ce foyer est la conscience qu'a Jésus d'une
venue imminente de Dieu. Cette venue ne se produira pas, et la chrétienté a dû supporter
une crise de l'espérance
Ce constat conduit à nous interroger: cette conscience du Royaume proche, d'où Jésus la
tient-il? A-t-il eu un maître spirituel?
2. Jean le Baptiseur, maître de Jésus
Les chercheurs ont souvent attribué la conscience qu'avait Jésus du Royaume à la croyance
apocalyptique. Il est parfaitement exact que, dans les milieux apocalyptiques, le sentiment
de contradiction entre la royauté de Dieu et la situation d'Israël était exacerbé. C'est la
contradiction entre d'une part la royauté du Dieu d'Israël, concrétisée par le don de l'alliance
et la fidélité du peuple à la Loi, et d'autre part la situation de ce peuple, privé de ses chefs,
privé de liberté politique, souillé par la présence des impies. Mais l'heure viendra où cette
inacceptable promiscuité prendra fin, et ce jour-là, le Seigneur terrassera ses ennemis et sera
reconnu roi par la terre entière.
Le jour du triomphe de Dieu
Ce jour est attendu dans l'immédiat par les milieux apocalyptiques, sûrs d'être parmi les élus.
Il est attendu comme un événement cosmique, et dans un esprit de terreur délicieuse où se
mêlent à la fois la haine de l'occupant romain, le fanatisme d'un peuple humilié et l'allégresse
à la perspective du triomphe de Dieu.
l'aimerais vous en faire sentir les accents dans un passage de l'Assomption de Moïse (10,1-10),
dont la rédaction est exactement contemporaine de Jésus – les historiens la fixent entre 0 et
30:
Alors sur toute la création Son Règne sera manifesté. Alors c'en sera fait du diable et de
la tristesse avec lui.
Alors sera investi l'Envoyé, qui dans les hauteurs se trouve établi;
aussitôt il les vengera de leurs ennemis.
Car de son Trône royal se lèvera le Céleste, et il sortira de sa Demeure sainte,
enflammé de colère en faveur de ses fils.
Et la terre tremblera, Jusqu'à ses extrémités elle sera ébranlée;
et les hautes montagnes seront abaissées;
elles seront ébranlées et s'écrouleront dans les vallées.
Le soleil cessera de donner sa lumière...
Car Il se lèvera, le Dieu Très-Haut, seul éternel;
et Il apparaîtra pour châtier les nations, et détruira toutes leurs idoles.
Alors, Israël, heureux seras-tu!
Sur la nuque et les ailes de l'aigle tu monteras, et elles seront gonflées.
Et Dieu t'élèvera;
au lieu des étoiles, au lieu de leur demeure, Il te fixera.
Et regardant d'en haut, tu verras tes ennemis sur la terre;
et tu te réjouiras en les reconnaissant.
Et, en lui rendant grâces, tu confesseras ton Créateur.
L'attente de tous
On ne retrouve pas chez Jésus les accents nationalistes de ce texte, mais bien son envergure
cosmique (Lc 17,20-37). De mon côté, j'hésite à parler d'une filiation entre l'homme de
Nazareth et les conventicules apocalyptiques. Ce serait oublier que, même si l'attente du
Royaume proche était poussée là-bas jusqu'à l'incandescence, elle enfiévrait en réalité, au
1er siècle, l'ensemble du judaïsme. Tout croyant savait par coeur le Qaddish, cette prière en
araméen qui ponctuait l'office synagogal. Je la cite, et vous constaterez immédiatement que
le début du Notre Père en est quasiment le décalque:
Que soit glorifié et sanctifié son Nom si grand,
dans le monde qu'il a créé selon sa volonté!
Qu'il fasse régner son Règne pendant votre vie, et de vos jours,
et du vivant de toute la maison d'Israël, que ce soit bientôt et en un temps proche.
L'attente de Dieu pour bientôt n'est donc pas une spécialité apocalyptique; les pharisiens
aussi la partageaient. D'ailleurs, chez les apocalypticiens, l'attente vive conduit à un dégoût
du monde et au repli sur une spiritualité intérieure. Chez les zélotes, à l'inverse, la conviction
que la Royauté de Dieu ne tolère aucun autre pouvoir se traduit par un activisme, en
l'occurrence la guérilla anti-romaine. Jésus serait à voir plutôt à la ressemblance des zélotes,
dont il ne partage pourtant ni l'action violente ni sa dimension politique, mais bien l'idée que
la proximité de Dieu doit être accueillie par un comportement radicalement nouveau et
subversif.
Une affinité troublante
Mais il existe une affinité nettement plus étroite avec un homme dont le rôle a été
métamorphosé par la tradition chrétienne. Un homme que Jésus a honoré, et qu'il a élevé
plus haut que les prophètes de l'Ancien Testament (Mt 11,9; Lc 7,26). Il proclamait comme lui
un message de conversion. Les évangiles en ont fait le précurseur de Jésus, mais c'était
inverser les rôles: il était le maître, et Jésus l'élève. Je veux parler de Jean le Baptiseur.
Voyons les faits. Jésus s'est présenté au baptême de Jean, un baptême auquel est liée la
manifestation de la filialité divine de Jésus (Mc 1,9-11). L'activité publique de Jésus en
Galilée succède à celle de Jean (Mc 1,14). La figure de Jésus et celle de Jean sont associées à
plus d'une reprise, soit par Hérode: Ce Jean que j'ai fait décapiter, c'est lui qui est ressuscité
dans la personne de Jésus (Mc 6,16); soit par les foules: Qui suis-je au dire des hommes? Ils
lui dirent: Jean le Baptiseur!... (Mc 8,28; cf. 6,14); soit par Jésus lui-même, qui associe son
propre rejet au rejet du Baptiseur (Mc 11,27-33; Mt 11,18-19). Matthieu va jusqu'à attribuer
aux deux hommes la même prédication (Mt 3,2; 4,17), mais l'effet est probablement
rédactionnel.
Ces rapprochements sont-ils purement anecdotiques? Non, car, comme ce fut le cas à propos
de l'attente du Royaume, la proximité du Baptiseur et de Jésus est très vite devenue gênante
pour la chrétienté primitive. Gênante théologiquement: on admettait mal que Jésus se soit
soumis au baptême de Jean, d'autant plus s'il avait eu lieu en vue du pardon des péchés (Mc
1,4). Gênante stratégiquement: les communautés baptistes sont de fortes rivales du
christianisme naissant, ce qui conduira à subordonner le Baptiseur à Jésus; ce durcissement
est le plus net dans le quatrième évangile (Jn 1,19-36; 3,22-4,3). Mais le fait même de la
proximité de ces deux prophètes du Royaume était trop bien ancré dans la tradition pour être
occulté ou contourné.
Un mouvement populaire de réveil
Il est difficile de reconstituer la prédication de Jean, ce prophète ascétique habillé de peau
de chameau, nourri de sauterelles et de miel sauvage. Les évangiles synoptiques ne livrent
que des bribes de sa parole tranchante, axée sur la venue du jugement (Mt 3,7-12; Lc 3,7-17;
Mc 1,7-8). Déjà la hache est posée à la racine des arbres; tout arbre qui ne produit pas de
bon fruit va être coupé et jeté au feu (Mt 3,10). Il apostrophe pharisiens et sadducéens:
Engeance de vipères, qui vous a montré comment échapper à la colère qui vient? (Mt 3,7).
Jean est le messager de la colère de Dieu. Son retrait au désert vise à rassembler les
pénitents, mis à l'abri de la fureur de Dieu pour former le peuple du salut. Son baptême a
déclenché un important mouvement populaire de réveil, auquel Jésus – et sa famille? – s'est
affilié. On en sait un peu plus par Josèphe l'historien. Un fragment de son livre, Les
Antiquités juives, montre la faveur populaire que valaient à Jean sa prédication de réveil et
ses coups de gueule contre Hérode (18,117-119):
Jean surnommé Baptiseur... était un homme de bien qu'Hérode avait fait mettre à mort. Il
exhortait les juifs à pratiquer la vertu, à agir avec justice les uns envers les autres et avec
piété envers Dieu, pour être unis par un baptême... Comme les autres juifs se rassemblaient,
car ils étaient exaltés au plus haut point en écoutant les paroles de Jean, Hérode craignit
qu'une telle force de persuasion n'incitât à une révolte: chacun semblait prêt à faire n'importe
quoi sur les conseils de cet homme. Il estima bien préférable de prendre les devants et de le
supprimer avant que quelque trouble surgisse du fait de Jean, plutôt que de se retrouver luimême dans l'embarras si un bouleversement se produisait et d'avoir alors à le regretter... Les
juifs furent d'avis que c'était pour le venger que l'armée avait été condamnée à la
destruction: Dieu avait voulu frapper Hérode.
Jésus et Jean
Jean fut exécuté en l'an 28, et Jésus prit le relais de son maître (Mc 1,14). Les affinités entre
les deux hommes sont importantes. Comme le Baptiseur, Jésus appelle à la conversion, et en
fonde l'urgence sur la proximité du Royaume (Mt 3,8; 4,17). Comme le Baptiseur, Jésus
détruit toute sécurité spirituelle basée sur l'appartenance au peuple saint, et s'adresse à
l'individu (Mt 3,7; 12,41; 8,11-12). Ses premiers disciples proviennent du cercle de Jean (Jn
1,29-42). Jésus ne fonde pas une communauté séparatiste à la façon de Qumrân ou des
pharisiens, mais s'adresse comme Jean à tout le peuple, et surtout aux parias de la religion
officielle (Lc 3,12-14; 7,29; Mt 21,32; Mc 2,13-17). Les temps nouveaux commencent avec lui
(Mt 11,12-13). L'Eglise n'a pas inventé de telles affinités et de tels éloges; ceux-ci soulignent
le rapport qui unissait Jésus à son maître.
Cela dit, les affinités voisinent avec des écarts très nets, dont les contours balisent
l'originalité de Jésus. Nous allons les dessiner maintenant.
3. L'originalité de Jésus
Le fait même que le mouvement baptiste et le mouvement de Jésus soient devenus des
concurrents au 1er siècle signale que ces deux théologies, nées d'un même lieu, ne se
recouvrent pas.
Première différence: Jésus n'est pas un ascète. Il ne se retire pas au désert, mais s'ouvre à
tous. On lui reprochera de ne pas jeûner (Mc 2,18) et on le traitera de glouton (Lc 7,33-34).
Seule exception: comme Jean, Jésus ne se marie pas; mais son célibat, signe de marginalité
sociale, ne s'accompagne pas d'un refus de la femme.
Deuxième différence: Jean annonce la conversion sur le fond de la colère de Dieu. Le Dieu de
Jésus est un Dieu de la grâce, de l'amour sans limite, qui aime les mauvais comme les bons
(Mt 5,45). Avec Jésus, le primat du salut, appuyé sur les miracles, est évident; à cet endroit
précis, l'élève Inverse le message de son maître.
L'histoire bascule
L'essentiel reste à dire, et c'est la troisième différence. Si c'est par le doigt de Dieu que je
chasse les démons, dit Jésus, alors la Royauté de Dieu vient de vous atteindre (Lc 11,20). Par
ses actes d'exorcisme, qui mettent fin au pouvoir des démons, Jésus fait intervenir la Royauté
de Dieu comme une réalité non plus future, mais présente. Il ouvre un temps, qui n'est plus
d'attente, mais de plénitude du salut (Mc 2,19). Quand donc vient la Royauté de Dieu?
demandent des pharisiens à Jésus. Et lui de répondre: La Royauté de Dieu ne vient pas
comme une chose observable. On ne dira pas: « la voici », ou « la voilà ». Car voici que la
Royauté de Dieu est parmi vous (Lc 17,20-21).
Nous avions relevé plus haut une série de paroles de Jésus évoquant la venue imminente du
Royaume. Ici, la Royauté de Dieu est déjà présente. Contradiction? Non, si l'on considère le
présent comme l'extrême pointe de la proximité. L'avenir de Dieu est proche, pour Jésus, et il
presse à tel point le présent qu'il l'envahit déjà. L'histoire basculera. Elle bascule déjà. Dieu
est à la porte.
Le Royaume commence avec Jésus
Jésus n'annonce pas, comme Jean, la venue du Dieu de colère. Jésus se comprend comme un
instrument de Dieu, qui par son appel à l'amour, qui par ses miracles, qui par ses paraboles,
qui par ses invitations pressantes à s'exposer totalement à la volonté de Dieu, vient réaliser le
tournant de l'histoire annoncé par le Baptiseur et espéré par la foi apocalyptique.
Voici l'originalité foncière de Jésus: avec lui, la Royauté de Dieu commence. Cette conviction
s'étale dans un mot que rapporte Luc, mais dont la dureté a rebuté Matthieu: C'est un feu que
je suis venu apporter sur la terre, et comme je voudrais qu'il soit déjà allumé (Lc 12,49). Le
feu est celui du jugement, partie intégrante du Royaume. Jésus ne guette pas le feu; il
l'allume. Cet événement est si fort, si neuf, qu'il provoque un nouveau regard sur le présent
et requiert d'abandonner les comportements anciens. A vin nouveau, il faut des outres neuves
(Mc 2,22). Comment cela? C'est aux paraboles et aux gestes de miracle qu'il échoit de le faire
savoir.
Téléchargement