Le ganglion sentinelle en routine dans les cancers du sein

Résumé
Depuis janvier 2000, la technique du ganglion sentinelle (GS) est devenue une acti-
vité de routine à l’Institut Curie, pratiquée par une équipe multidisciplinaire com-
prenant des chirurgiens, des médecins nucléaires, des radiologues et pathologistes
entraînés. Sur une période de trois ans, 738 patientes consécutives ont bénéficié de
cette technique dans le cadre d’un traitement conservateur d’un cancer du sein de
petite taille. Nos recommandations spécifiques pour la procédure du GS était la pra-
tique systématique des diagnostics pré-opératoires par cytoponction ou biopsie, le
choix d’un site d’injection des traceurs toujours péritumoral, un prélèvement chi-
rurgical premier du GS en vue d’un examen extemporané par coupe congelé et
enfin l’application de critères précis pour décider d’une ré-intervention chirurgi-
cale. Cet article est une évaluation des pratiques d’un centre spécialisé et permet de
dégager les points forts et les points faibles de la procédure.
Mots-clés : cancer du sein, ganglion sentinelle, lympho-scintigraphie mammaire,
micro-métastase.
Abstract
Since January 2000, sentinel lymph node detection is routinely performed at the
Institut Curie, involving a multidisciplinary team of trained surgeons, nuclear
medicine physicians, radiologists and pathologists. Thus during a three-year period,
739 patients undergoing tumorectomy with conservative surgical treatment of the
breast were included in the sentinel node procedure consisting of systematic pre-
operative tumor biopsies, peritumoral lymph tracer injections, primary surgical
removal of the first sentinel lymph node followed by sentinel lymph node biopsy
using a standardized pathological analysis and finally the application of precise cri-
teria to determine whether further surgery is necessary. This article is an evaluation
Le ganglion sentinelle en routine dans les
cancers du sein. Expérience de l’Institut
Curie (Routine sentinel node detection in
breast cancer. Experience of the Institut
Curie)
C. Nos, S. Delahaye, M. Benamor, A. Vincent-Salomon,
C. El Khoury, V. Doridot, K. B. Clough et le groupe Sein
de l’institut Curie
of the sentinel lymph node technique used and provides a breakdown of the strong
points and weak points of the procedure.
Key words : Breast cancer, sentinel lymph node, breast lymphoscintigraphy, micro-
metastasis.
Introduction
Depuis maintenant dix ans, l’individualisation du ganglion sentinelle (GS) comme
alternative au curage axillaire représente une avancée majeure dans la prise en
charge du cancer du sein (1-3). Les nombreuses publications sur le sujet, ainsi que
les résultats des études prospectives, ont permis d’aboutir à un consensus interna-
tional en 2001 (4) et français en 2003 (5).
Cette technique a imposé un changement de concept majeur dans la prise en
charge chirurgicale des cancers du sein, notamment par le développement de la
médecine nucléaire et des techniques spécifiques d’examen anatomo-pathologique.
La chirurgie du cancer du sein est, de par cette technique, devenue véritablement
multidisciplinaire. A l’Institut Curie, nous avons développé l’apprentissage chirur-
gical de cette technique depuis 1996 (6) et celle-ci a commencé a être pratiquée en
routine à partir de janvier 2000. Nous donnons ici les résultats de trois années d’ex-
périence (2000, 2001, 2002) du GS en routine, en développant particulièrement les
conséquences des spécificités de cette technique, notamment la recommandation de
diagnostic systématique pré-opératoire de cancer du sein invasif avant la pratique
d’un GS et la nécessité de ré-intervention systématique par curage en cas de GS
positif (5).
Matériel et méthode
Entre janvier 2000 et décembre 2002, la recherche du GS pour cancer du sein a été
effectuée selon une procédure définie. 8 chirurgiens ayant préalablement réalisé une
phase d’apprentissage comprenant un minimum de 30 patientes opérées ont parti-
cipé à cette étude.
L’indication retenue était les patientes présentant un cancer du sein infiltrant,
unifocal, dont la taille estimée de la composante infiltrante était inférieure à 15 mm
et sans atteinte ganglionnaire clinique. La taille des tumeurs était estimée clinique-
ment et échographiquement.
La procédure recommandée pour la pratique du GS prévoyait de connaître
avant l’intervention le diagnostic de carcinome par la pratique de cytologie, micro-
biopsie ou macro-biopsie (Mammotome®). Le but était d’éviter autant que possible
d’avoir recours à l’examen histologique extemporané diagnostique sur la pièce de
tumorectomie.
La technique de repérage du GS utilisait toujours un site d’injection péri-
tumoral. Mais nous utilisons trois types de protocole : la technique du bleu patenté
seul, le bleu associé à l’injection d’isotope, et une technique ajoutant à la précédente
la réalisation d’une scintigraphie.
346 Cancer du sein
La technique au bleu seul était indiquée pour les patientes non obèses, avec une
poitrine de volume petit ou moyen et présentant une tumeur en place de localisa-
tion plutôt externe (7). Dans cette technique, la coloration bleue devait pouvoir être
vérifiée par le médecin pathologiste (8). Dans les techniques combinées utilisant les
isotopes, la scintigraphie était pratiquée de préférence pour les tumeurs des qua-
drants internes et pour les patientes obèses, en raison d’une difficulté prévisible
pour la localisation de GS axillaire (9).
Dans la technique isotopique, les injections péri-tumorales de nanocolloïdes
étaient pratiquées à l’aide de deux seringues contenant chacune 40 MBq (1,1 mCi)
dans un petit volume de 0,2 ml et réalisées aux pôles interne et externe de la tumeur,
au niveau équatorial. En cas de tumeur infraclinique, les injections péri-tumorales
étaient pratiquées sous échographie ou sous mammographie stéréotaxique, dans
l’unité de sénologie interventionnelle autorisée à détenir des radio-éléments artifi-
ciels.
Lorsque la lympho-scintigraphie mammaire était réalisée, l’enregistrement
débutait une heure après l’injection et comprenait deux incidences, acquises en
mode statique, face antérieure avec bras en abduction à 90° (position chirurgicale)
et profil bras levé. Les images scintigraphiques obtenues permettaient la visualisa-
tion du drainage lymphatique tumoral (cartographie lymphatique) et le repérage à
la peau du (ou des) GS (premier point chaud à proximité de la tumeur), en position
axillaire le plus souvent, ou parfois extra-axillaire (mammaire interne). Si aucun
ganglion n’était vu, une nouvelle série d’images était enregistrée deux heures après
l’injection.
L’intervention chirurgicale était programmée le lendemain, soit dix-huit heures
après l’injection d’isotope. Dans les cas où la chirurgie était pratiquée le jour même
(soit deux heures après l’injection), la dose était réduite de moitié (soit deux fois 20
MBq (0,5 mCi).
Pour toutes les patientes, le protocole chirurgical consistait en l’injection de 1 à
4 cc de Bleu Patenté V Guerbet® en péri-tumoral. L’intervention débutait par
l’abord premier du creux axillaire et le prélèvement du GS chaque fois que le dia-
gnostic pré-opératoire de néoplasie était connu. Les GS ont été soumis à un examen
extemporané par coupe congelée à partir de 2001. En cas de positivité de l’examen
extemporané ou en cas d’échec de mise en évidence du GS, un curage complémen-
taire des niveaux I et II de Berg était réalisé dans le même temps opératoire.
Chaque GS prélevé a fait l’objet d’un examen histologique complet selon une
technique spécifique, utilisée en routine dans notre centre (10). La recherche de
micro-métastases était effectuée par coupes sériées à 150 µm d’intervalle colorées en
HES, puis par coloration immuno-histochimique (IHC). En cas de positivité du GS
(micro-métatases HES ou micro-métastases IHC), un curage axillaire était systéma-
tiquement proposé. De même, les patientes dont l’exérèse tumorale était incomplète
ont été réopérées.
Le ganglion sentinelle en routine dans les cancers du sein…347
Résultats
738 patientes ont été opérées en trois ans avec une croissance exponentielle du
nombre des indications (tableau 1). L’âge moyen des patientes était de 58 ans
(extrêmes 27-97 ans). Pour 4 % des patientes, il s’agissait d’un cancer bilatéral et,
parmi les 96 % des patientes présentant un cancer unilatéral, 9 % avaient un anté-
cédent de cancer du sein controlatéral traité antérieurement.
Sur l’ensemble des patientes, 22 % étaient réglées, 41 % étaient ménopausées
avec traitement hormonal substitutif, et 37 % étaient ménopausées sans traitement
hormonal.
Tableau 1 - Descriptif des techniques d’identification du GS de 2000 à 2002.
B : bleu seul, I+B : isotope + bleu, I+S+B : isotope avec scintigraphie + bleu.
2000 2001 2002
Nombre de patientes 116 249 373
Technique 34/38/28 28/33/29 50/8/42
d’identification
B/I+B/I+S+B (%)
Identification 94,9 % 96 % 96,%
du GS (%)
Nombre moyen 2,1 2,07 1,99
de GS prélevé
Diagnostic pré-opératoire (tableau 2)
Tableau 2 - Influence des résultats du diagnostic pré-opératoire sur le déroulement de la
procédure.
n (%)
Chirurgie débutant par le prélèvement du GS 591 (80,1)
Cytologie de la tumeur + 274 (37,1)
Micro-biopsie de la tumeur + 145 (19,6)
Cytologie et micro-biopsie de la tumeur * + 125 (17)
Macro-biopsie (Mammotome®)de la tumeur + 36 (4,9)
Tumorectomie diagnostique antérieure ** 11 (1,5)
Chirurgie débutant par extemporané de la tumeur 147 (19,9)
Cytologie et/ou micro-biopsie de la tumeur ambiguë 121 (16,4)
Pas de diagnostic pré-opératoire de la tumeur** 26 (3,5)
Total 738 (100)
* Cytologie et micro-biopsie faites en même temps.
** Procédure GS faite en dehors de la procédure pré-établie à l’Institut Curie.
348 Cancer du sein
Dans 80 % des cas, la chirurgie a débuté par le prélèvement du GS, comme prévu
dans notre protocole, et dans 20 % des cas la chirurgie a dû débuter par une tumo-
rectomie à visée diagnostique. L’examen extemporané diagnostique de la tumeur a
été fait, soit parce que le diagnostic pré-opératoire n’avait pas été proposé, soit parce
que les résultats des diagnostics pré-opératoires étaient suspects ou non interpré-
tables.
Identification du GS
Dans notre série, le GS n’a pas été identifié dans 4 % des cas, soit 30 patientes
(tableau 3). Nous n’avons pas pu mettre en évidence de différence significative entre
les trois méthodes utilisées pour l’identification du GS (p = 0,6). Sur ces 30 échecs
d’identification, 14 patientes avaient eu une identification au bleu seul, 7 patientes
au bleu associé aux isotopes et 9 patientes avec la technique scintigraphique.
Le GS a été identifié dans 96 % des cas, soit 708 patientes. 2 GS en moyenne ont
été prélevés et analysés par patiente. Pour la technique au bleu seul (296 patientes),
un contrôle de qualité de la couleur du GS transmis à l’anatomo-pathologiste a été
réalisé dans 100 % des cas, 90% des ganglions analysés étaient bien bleus.
Tableau 3 - Résultats des GS et du curage axillaire.
(%) n Curage positif* Curage axillaire
non fait
GS non identifié 4 % (30/739) 76 % (23/30) 0
GS identifié
indemne 69% (489/708) - 489
métastatique 16% (115/708) 37 % (41/112) 3
micro-métastatique HES 9 % (60/708) 8 % (4/50) 10
micro-métastatique IHC 6 % (44/708) 5 % (2 /38) 6
* Présence d’au moins un ganglion métastatique dans les ganglions du curage.
Examen anatomo-pathologique du GS
Examen extemporané
409 patientes, soit 58 % des patientes pour lesquelles le GS a pu être identifié, ont
eu un examen extemporané du GS par une coupe congelée. Dans 15 % des cas (61
patientes), l’examen extemporané a conclu à un envahissement métastatique du GS
et le curage axillaire a été réalisé dans le même temps opératoire.
Pour 348 patientes, soit 85 % des examens extemporanés, l’analyse extempo-
ranée était négative. Parmi ces 348 patientes, 16 avaient en réalité un envahissement
métastatique du GS, ce qui donne une sensibilité de l’examen extemporané par
coupe congelée pour la recherche de macro-métastases de 79 %.
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