Sur le numéro 12 de 1922 de Recherches de
science religieuse (revue qu’il avait fondée
en 1910 avec le père de Grandmaison), le
père Jules Lebreton publiait un article intitulé Les
degrés de la connaissance religieuse d’après
Origène. Au cours des années 1923 et 1924,
sur la Revue d’histoire ecclésiastique paraissait
un long article (divisé en deux parties) du même
auteur sur le même thème ayant pour titre Le
désaccord de la foi populaire et de la théologie
savante dans l’Église chrétienne du IIIème
siècle. En 1972, la maison d’édition Jaca Book
publiait dans la collection “Strumenti per un lavo-
ro teologico”, sous la forme d’un petit livret, une
traduction italienne des deux articles de Lebreton
intitulée Il disaccordo tra fede popolare e teolo-
gia dotta nella Chiesa del terzo secolo (avec,
soit dit en passant, une erreur sur la date du se-
cond article). Bien que plus de vingt ans se soient
écoulés depuis l’édition italienne et plus de
soixante-dix depuis les publications originales, la
lecture que Lebreton propose de l’origénisme,
dont il souligne la distance qui le sépare du depo-
situm fidei, se révèle d’une lucidité inégalable; il
s’agit, de plus, d’un leçon de très grande actuali-
té, car l’origénisme est, dans l’entre-temps, loin
d’avoir disparu.
1. De la philosophie à l’hérésie
«Pour les simples fidèles, comme jadis pour saint
Clément de Rome, le mystère de la Trinité, le Pè-
re, le Fils et le Saint-Esprit, c’est la foi et l’espoir
des élus; ils voient tout dans la perspective du sa-
lut et, au centre, la croix du Christ, sa mort ré-
demptrice, sa résurrection, gage de la leur. Ils
peuvent dire, comme Origène le leur reproche,
qu’ils ne savent que Jésus-Christ et Jésus-Christ
crucifié. Les savants voient dans le même mystère
la solution de toutes les énigmes du monde: com-
ment un Dieu infiniment parfait a-t-il pu créer?
C’est par son Verbe. Comment ce Dieu invisible
s’est-il fait connaître? Encore une fois c’est par
son Verbe. Création par le Verbe, révélation par
le Verbe, ce sont à coup sûr des doctrines authen-
tiquement chrétiennes; mais, chez les écrivains
antérieurs, elles sont considérées surtout dans
leurs relations avec le dogme du salut: si Dieu a
créé le monde, c’est pour son Église, c’est pour
ses saints; ces considérations sont ici [chez les
Alexandrins] plus effacées; ce qui passe au pre-
mier plan, c’est le problème philosophique qui
préoccupait tous les penseurs. […] Attirés sur le
terrain des philosophes, les théologiens chrétiens
subissent leur influence: la génération du Verbe
de Dieu est décrite par eux en fonction du problè-
me cosmologique. Pour créer le monde, Dieu, qui
de toute éternité contient en lui son Verbe, le pro-
fère à l’extérieur» (Le désaccord de la foi popu-
laire et de la théologie savante dans l’Église
chrétienne du IIIème siècle, 2ème partie, p. 15).
2. L’humanité de Jésus-Christ
La chair que le Fils tient de Marie et que celle-ci a
mise au monde n’est pas soulignée comme le
lieu du salut mais elle sert à la résolution d’un
problème philosophique. «“Étant donc pous-
sés”, dit Origène, “par une vertu céleste et plus
que céleste, à adorer uniquement notre Créa-
teur, laissons de côté l’enseignement du com-
mencement du Christ, je veux dire l’enseigne-
ment élémentaire, et élevons-nous à la perfec-
tion, pour que la sagesse qui est manifestée aux
parfaits, nous soit manifestée à nous aussi” (cf.
Periarchon IV, 1, 7). Cette vertu “céleste”, c’est
celle qui nous permet de dépasser l’enseigne-
ment élémentaire, pour atteindre les réalités in-
telligibles, le monde “céleste”» (Les degrés de la
connaissance religieuse d’après Origène, p.
290). Lebreton s’empresse de faire cette re-
marque: «C’est là sans doute une conception
très fausse et dangereuse de l’incarnation du Fils
de Dieu et de ses abaissements; mais cette erreur
est bien dans le sens de l’origénisme, idéalisme
imprudent qui croit se rapprocher de Dieu en
perdant de vue l’humanité du Christ» (ibid., p.
286). Attention! Chez Origène le christianisme
spirituel n’exclut pas le christianisme corporel, le
christianisme secret n’exclut pas le christianis-
6730JOURS N.6 - 2011
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vetera
Nova
et
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30Jours - Mai 1994