« Architecture et gouvernance de l`internet »

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Le "Mardi de l’AIGREF" du 2 juin 2009
« Architecture et gouvernance de l’internet »
avec
Bernard BENHAMOU
Délégué aux Usages de l’internet auprès du secrétariat d'État à l’économie numérique et
du ministère de l’Enseignement supérieur et de la recherche.
Marie-Claire Daveu, vice-présidente et chargée des
Mardis de l’AIGREF, présente Bernard Benhamou,
délégué aux Usages de l’internet auprès du secrétariat
d'État à l’économie numérique et du ministère de
l’Enseignement supérieur et de la recherche. Son
intervention porte sur l'architecture et la gouvernance
de l'internet.
Avec 1,3 milliard d’utilisateurs dans le monde, l’internet
est devenu l’outil d’échange privilégié sur la planète. La
gouvernance de l’internet est devenue un enjeu de
politiques publiques au même titre que la bioéthique ou
le développement durable.
1 - L’internet
Pour reprendre la définition de l’un de ses architectes, l’internet est :
-
un réseau de réseaux fonctionnant avec le protocole TCP/IP,
-
une communauté de personnes qui utilisent et développent ces réseaux,
-
l’ensemble des ressources mises à la disposition de ces communautés.
Gref actualités n° 28– Octobre 2009
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Le double protocole TCP/IP
L’internet est un réseau de réseaux fonctionnant avec le protocole TCP/IP : Transmission Control
Protocol/Internet Protocol. Ce protocole permet de construire un réseau décentralisé dans lequel l’acheminement des
informations se fait suivant un chemin aléatoire (principe du lâcher de ballons vers un entonnoir : l’information arrive en
une seconde, une minute, ou jamais).
Cette architecture décentralisée de l’internet a aussi permis au Britannique Tim Berners-Lee de développer
sans autorisation préalable le world wide web qui est devenu le média mondial connaissant la plus forte croissance de
toute l’histoire des moyens de communication. L’une des plus grandes contributions de son créateur fut de n’avoir pas
breveté son idée : le World Wide Web Consortium, qu’il préside, décida que leurs standards devaient être basés
uniquement sur des technologies libres de tout droit afin que chacun puisse les adopter librement.
S’il avait déposé un brevet, il serait sans doute devenu riche, mais il n’aurait pas créé un standard universel. Son nom
est largement méconnu du grand public mais aussi, probablement, de la plupart de la communauté des IGREF !
L’architecture :
L’architecture de l’internet repose sur la superposition de couches indépendantes entre elles :
-
une couche d’infrastructure physique liée au transport : afin d’acheminer les
informations sans les modifier,
une couche logique des (grandes) applications de l’internet que sont le web, le mail,
les systèmes d’échanges de pair à pair, etc,
une couche des contenus qui correspond aux informations échangées.
Le double protocole TCP/IP assure la séparation entre
les fonctions de transport et celles de traitement de
l’information, selon le principe de neutralité ou principe
dit du « end to end » (architecture de « bout en bout »).
L’intelligence de l’internet est située à l’extrémité des
mailles (au plus près des utilisateurs eux-mêmes) et
non centralisée dans le réseau lui-même. Les fonctions
nobles de traitement de l’information sont réservées
aux ordinateurs (et aux usagers) situés aux extrémités
du réseau. Cette particularité a permis à des
utilisateurs « isolés » de développer des technologies
et des services utilisés mondialement. C’est par
exemple le cas des logiciels gratuits « open source »
comme Linux ou encore OpenOffice.org qui ont été
adoptés récemment par le MAAP et le MEEDDM.
Trois principes pour la gouvernance de l’internet :
L’interopérabilité (des systèmes techniques et des informations)
Plusieurs systèmes, qu’ils soient identiques ou radicalement différents, peuvent communiquer ensemble. Comme l’ont
montré les récents débats sur les droits d’auteur, l’interopérabilité des logiciels et des formats de fichiers constitue un
enjeu crucial pour l’ensemble des acteurs de l’internet.
L’ouverture :
Ouverture à tous les utilisateurs pour recevoir des informations et pour contribuer à les enrichir.
La neutralité :
Le principe du « end to end » aussi appelé principe de neutralité. La couche de transport ne modifie pas les
contenus. On préserve ainsi l’égalité d’accès aux réseaux pour tous et on empêche l’appropriation des informations
par certains acteurs industriels ou gouvernementaux.
Gref actualités n° 28– Octobre 2009
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Ces trois principes de gouvernance ont été défendus par les 25 pays de l’Union auprès des Nations unies lors du
Sommet mondial sur la société de l’information en 2005. Revenir sur ces principes d’architecture, pour créer un réseau
en étoile (comme c’était le cas du minitel), pourrait avoir de lourdes conséquences techniques, économiques et
politiques. Cela reviendrait à centraliser la création des innovations qui sont diffusées via le réseau et cela pourrait
aussi limiter les capacités de diffusion des idées et des informations sur le réseau.
2 - Cartographie de l’internet
Le système de gestion des noms de domaines (Domain Name System ou DNS)
L’un des éléments clés pour le développement de l’internet est lié à la création d’un identifiant unique pour chaque
machine connectée : l’adresse IP. Or ces adresses IP (comme en d’autres temps les numéros de téléphone) sont
difficiles à mémoriser. D’où la nécessité de créer un système de conversion entre ces adresses et des noms usuels
facilement mémorisables. C’est le rôle du système de gestion des noms de domaine ou DNS. L’utilisateur tape un nom
de domaine (ex : www.engref.fr), le DNS convertit ce nom de domaine en une adresse numérique immédiatement
accessible par toutes les machines du réseau.
Ce système est organisé autour de 13 machines dites « serveurs racines » (10 serveurs racines aux États-Unis, 2 en
Europe) et un « serveur A » qui contrôle la répartition des noms de domaines en fonction des zones géographiques
(ex : eu, fr…) ou des secteurs d’activité (.com,..org…). Les informations présentes sur ce serveur A tiennent sur
une clé USB (environ 300 noms extensions ainsi que les coordonnées des personnes qui sont chargées de leur
gestion) . Mais ce serveur représente à lui seul un enjeu stratégique majeur pour l’ensemble des États. Ce serveur est
actuellement géré et contrôlé par le département du Commerce des États-Unis. Ceci pourrait donner, en cas de
conflit, un atout aux USA qui pourrait progressivement effacer de la carte de l’internet les ressources d’un
pays tout entier.
La gouvernance des noms de domaine :
Une société de droit privé californien l’ICANN (Internet Corporation for Assigned Names and Numbers), a été
créée en 1998 à la demande du Gouvernement des États-Unis pour assurer la gestion de l’ensemble de l’architecture
des noms de domaine (DNS). Depuis lors, la gestion de la Racine A est restée sous le contrôle des autorités
américaines. L’organisation du Sommet des Nations unies sur la société de l’information est en grande partie liée à
cette situation de contrôle « unipolaire » des ressources critiques de l’internet par les États-Unis.
Il est à noter que dans les conflits récents entre la Russie et la Géorgie, les machines du DNS en Géorgie furent
attaquées obligeant alors le gouvernement à transférer l’ensemble de ses serveurs officiels aux États-Unis pour qu’ils
puissent continuer d’être accessibles.
Les demandes répétées des pays de l’Union
européenne pour une gestion multilatérale du DNS se
sont vues rejetées par le gouvernement US (voir sur ce
point la lettre envoyée lors du Sommet des Nations
Unies sur la société de l’information par la secrétaire
d’État Condoleezza Rice « intimant l’ordre» à la
Présidence britannique de l’Union européenne de ne
pas réclamer une coopération renforcée sur la
gouvernance de l’internet).
3 - Évolutions et mutations du réseau
Des objets et des puces
Le réseau pourrait évoluer d’un internet des ordinateurs vers un internet des objets qui connecterait entre eux
l’ensemble des objets du quotidien. Ainsi, les téléphones portables qui sont utilisés par 4 milliards de personnes,
sont progressivement connectés à l’internet. La connexion de ces 2 réseaux multipliera par 2 le nombre
d’utilisateurs de l’internet dans les toutes prochaines années.
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À l’avenir ce sont les objets du quotidien qui pourraient être connectés à l’internet. Ainsi, les codes barres présents
sur les objets seront progressivement remplacés par des puces sans contact. Ces puces ou étiquettes « tags »
RFID (Radio Frequency Identification) stockent et récupèrent les données à distance. Ces puces assurent la
traçabilité des objets et permettront de relier entre eux les objets. De nouveaux services liés à la connexion de ces
puces avec le réseau internet pourront ainsi être créés pour donner par exemple des informations sur
l’environnement de leurs utilisateurs.
Ces liens entre les objets et les informations permettant de les identifier reposeront sur une nouvelle technologie
dérivée du DNS : l’ONS, Object Naming Service qui est contrôlé par un organisme international regroupant
l’ensemble des producteurs et distributeurs d’objets manufacturés (GS1/ EPC global).
L’intérêt et les risques de ces évolutions
Le développement de l’internet des objets représente un gisement d’opportunité considérable pour l’ensemble des
opérateurs de télécommunication et plus largement pour les industries des services sur internet. Ces évolutions
représentent aussi de nouveaux risques en termes de protection des libertés individuelles. En effet il deviendra
possible de connaître à distance la nature des objets que possède ou transporte une personne (qu’il s’agisse de
médicaments, de livres ou encore d’objets relatifs à son appartenance religieuse ou politique).
Les États devront donner la possibilité aux citoyens de désactiver les puces. Un droit au « silence des puces »
devra être mis en place (comme un « droit à l’oubli » devra être créé pour les données relatives aux personnes sur
internet).
Sur le plan de la gouvernance, les évolutions de l’internet des objets pourraient remettre en cause le contrôle de
l’internet par un seul État : les identifiants de ces puces devront être gérés de manière « décentralisée » (ou
« distribuée »).
L’enjeu politique et économique pour l’ensemble des États européens est lié à la mise en place d’une
gestion décentralisée de ces identifiants des puces RFID.
4 - Conclusion
À l’avenir, les problématiques de la gouvernance de l’internet reposeront sur :
-
le respect ou non des principes de base de l’internet actuel et en particulier de sa neutralité,
la manière dont l’internet des objets se développera et en particulier comment les puces RFID seront gérées à
l’échelle mondiale.
Ces problèmes politiques fondamentaux détermineront les formes de diffusion des idées dans nos sociétés, voire
d’organisation politique et sociale de celles-ci.
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Un exposé très clair pour un public non averti, et cependant très dense et très enrichissant. Il nous a fait
prendre conscience que, même si l’internet a permis de donner une place importante et égalitaire à l’individu en tant
que réseau autoadministré et décentralisé, sa gouvernance constitue néanmoins un enjeu politique de taille mondiale.
Compte rendu rédigé par Pierre-Henri Texier (ENGREF 1972)
Gref actualités n° 28– Octobre 2009
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