La tortue luth - Muséum d`Histoire Naturelle de Marseille

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Parlons en...
Tortue luth
Dermochelys coriacea (Vandelli, 1761)
Philippe SIAUD,
Docteur en Biologie, Muséum d’histoire naturelle de Marseille
Arrêtons-nous un instant sur la biographie de cet homme
exceptionnel qui durant sa longue carrière au Muséum
enrichit la collection de naturalia de l’établissement. Né à
Strasbourg en 1856. Orphelin, il migre à Marseille après
la débâcle de 1870 pour fuir l’occupation allemande. Il
entre au service du Muséum de la ville de Marseille en
1880 comme préparateur et devient en 1889 le Directeur
du Jardin Zoologique de la ville. Durant la même période,
il étudie la médecine avec succès mais n’exerçe que très
peu, hormis lors de la guerre de 1914-1918.
Il fut un spécialiste reconnu des chauves-souris et des
papillons de Provence. Le Muséum possède encore une
partie de ses collections. Malheureusement, il donna sa
riche collection de papillon au musée anglais de Lord W.
de Rotschild car il pensait qu’elle serait dans de meilleures
conditions de conservation qu’à Marseille...
Fig.1 : Portrait du Docteur Pierre SIÉPI
@Muséum Marseille.
La tortue luth Suspendue au plafond de la salle « Terre du vivant » se trouve un spécimen
naturalisé de tortue luth trouvée échouée en 1883 sur la plage héraultaise de
Palavas-les-flots. Achetée 350 francs de l’époque à Mrs Montel et Curel, elle intégre
les collections du Muséum d’histoire naturelle de la ville de Marseille (MHNM) sous
le nom d’espèce Sphargis coriacea (Gray, 1831) avec le numéro d’entrée 1489.
Ce spécimen est naturalisé par le Docteur Pierre SIÉPI (1856-1822) (Fig. n°1),
préparateur au Muséum.
Il mourut en 1922.
1
Philippe Siaud - Docteur en Biologie, Muséum d’hisotire naturelle de Marseille
Parlons-en... Mai 2016
Le spécimen du Muséum de Marseille
N° Inventaire MHNM-1489
Fig.2 :
Photographie du spécimen
de tortue luth (MHNM-1489)
avant restauration.
Flèche rouge : nageoire
avant gauche partiellement
arrachée.
@Muséum Marseille.
Exposée quelques années au Muséum, la tortue luth est rangée dans les
réserves de l’établissement pour de longues décennies. Elle subit alors l’outrage du
temps et des mauvaises conditions de conservation d’alors (Fig. n°2). En 2005, pour
les besoins d’une exposition, un constat d’état est réalisé et il s’ensuit la décision de
faire restaurer d’urgence cette tortue luth.
Philippe Siaud - Docteur en Biologie, Muséum d’hisotire naturelle de Marseille
Parlons-en... Mai 2016
La tortue luth Une restauration en 2005
En effet des craquelures et des déchirures de la dossière et des pattes
postérieures sont constatées ainsi qu’un quasi arrachement du membre antérieur
gauche. La restauration est confiée, la même année, à Richard FANUCCI, taxidermiste
à Salernes dans le département du Var. Quelle n’est pas sa surprise en retrouvant
dans la carapace de l’animal une carte de visite de son illustre prédécesseur joint à
… un petit bouquet de violette (Fig. n°3 et 4). Avant de terminer la restauration de
cette tortue luth, Richard FANUCCI a pris soin de remettre la carte et le bouquet de
violette qui attendront d’être de nouveau découverts dans une centaine d’année.
Fig.3 :
Photographie de la tortue luth
(MHNM-1489) en cours de
restauration en 2005. La carte de
visite (Flèche jaune) et le bouquet
de violette flèche orange) déposés
par P. Siépi en 1883 sont visibles
et ont été remis en place après
restauration.
@Muséum Marseille.
Fig.4 :
Carte de visite de P. Siépi, préparateur au
MHNM, retrouvée dans la carapace de la
tortue luth. Des informations sur la tortue
sont écrites de la main de P. SIÉPI.
@Muséum Marseille.
2
Retour aux expositions
Ce spécimen de tortue luth est présenté de
façon classique avec les nageoires antérieures
repliées vers l’arrière et les postérieures
également tendues vers l’arrière (Fig. n°5). Fig.5: Vue dorsale de la tortue luth
Le corps et la tête sont recouverts d’une peau (MHNM-1489) après restauration accrochée entre 2006 et et 2013 dans le hall
brillante ayant l’aspect du cuir, de couleur d’entrée du Muséum.
bleu-noir mouchetée d’une multitude de @Muséum Marseille.
tâches blanchâtres. La restauration récente de
cet animal renforce la brillance et le contraste entre la peau sombre et les tâches
blanches du corps et de la tête. La répartition des tâches sur l’animal ne correspond
pas à celle d’origine car d’après le restaurateur, ces dernières n’étaient plus visibles.
La longueur de la pointe du museau à l’extrémité de la queue est de 173 cm, ce
qui suggère que l’animal vivant devait peser autour de 350 kg. Sous la peau, des crêtes
ondulées appelées carènes sont visibles sur la carapace de la tête vers la queue de
l’animal. Les 5 carènes dorsales longitudinales, complétées par deux carènes latérales
et 5 ventrales, renforcent la forme de luth caractéristique de cet animal, présentant
une zone frontale large et arrondie et une zone caudale triangulaire et pointue La crête
de chacune de ses carènes
est de couleur blanchâtre.
Fig.6A :
Le plastron, i.e., le dessous
Photographie de la
de la carapace est plus
tête du spécimen de
tortue luth du Muséum
clair que la dossière et
(MHNM-1489).
de couleur beige-rosé.
Tête : absence de chanLes nageoires sont plates
frein (flèche rouge)
et longues : 72 cm de
@Muséum Marseille.
long pour les nageoires
antérieures et 44 cm de
long pour les nageoires
postérieures.
Aucune
griffe ni écaille n’est visible
sur les nageoires. La tête
est énorme en forme de
La tortue luth Caratéristiques du spécimen du Muséum
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Philippe Siaud - Docteur en Biologie, Muséum d’hisotire naturelle de Marseille
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A son retour au Muséum, la tortue luth
est enregistrée sous le numéro d’inventaire
MHNM-1489 et sous son nom d’espèce actuel :
Dermochelys coriacea (Vandelli, 1761). Elle
est ensuite exposée dans le hall d’entrée
du Muséum de 2006 à 2013, présence juste
interrompue par un prêt au Musée Réattu,
Musée des beaux-arts d’Arles de juin à
décembre 2009. En 2013, elle est de nouveau
déplacée dans la salle Terre du Vivant pour en
illustrer le module « reproduction » où l’on peut
également observer des embryons de tortue
luth à différents stades de développement.
coin, d’une longueur de 38 cm sur une largeur de 22 cm (au plus large), aplatie sur
le dessus et se terminant par un museau court avec des narines bien visibles et un
bec supérieur portant deux pointes tranchantes en forme de dents lui permettant
d’attraper et de découper ses proies. Aucun chanfrein (tâche claire) n’est visible sur
la tête de cette tortue (Fig. n°6-A)) mais nous n’avons aucun moyen de savoir si cette
tâche existait à l’origine ou si son absence est liée au choix du restaurateur de ne pas
la représenter. La queue est de forme conique et mesure 34 cm.
Fig.6 B:
Photographie de la
queue du spécimen
de tortue luth du
Muséum (MHNM1489).
La queue dépasse
à peine de l’éperon
supra-caudal (flèche
rouge).
Philippe Siaud - Docteur en Biologie, Muséum d’hisotire naturelle de Marseille
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La tortue luth @Muséum Marseille.
Ce spécimen est décrit par
Pierre SIÉPI comme étant
un mâle. Cependant, deux
éléments :la faible concavité
de son plastron et la longueur
de la queue qui dépasse très
peu l’éperon supra-caudal
(Fig.
n°6-B))
suggèrent
plutôt le genre femelle. Mais
le préparateur Pierre SIÉPI
en
naturalisant
l’animal
a observé directement les
organes sexuels de l’animal
donc il ne peut y avoir aucun
doute, il s’agit d’un mâle.
L’espèce Dermochelys coriacea (Vandelli, 1761)
Statut UICN : espèce déclarée vulnérable depuis 2013
La tortue luth est une espèce marine pélagique facilement identifiable par sa
très grande taille, la complète absence d’écailles sur son corps et de griffes au bout
de ses pattes. La forme générale de la carapace évoque un instrument de musique :
le luth d’où son nom. Cette tortue, à l’âge adulte, n’a pas la peau écailleuse qui
caractérise les autres tortues. La peau de l’ensemble de son corps est lisse et soyeuse
et de couleur bleu foncé. Par contre, chez cette espèce, les tortues nouvellement
écloses sont recouvertes de petites écailles perlées sur tout le corps qui disparaissent
pendant la croissance. Elle est présente dans tous les océans du monde et en mer
Méditerranée. Elle vit toute l’année en pleine mer sauf les femelles qui viennent
pondre à terre. La longévité de cette tortue semble importante, autour de 50 ans,
mais n’est pas connue avec précision. On ignore encore beaucoup de choses sur la
vie marine de cette tortue.
La tortue luth est la plus grande des sept espèces actuelles de tortues marines
et la plus grande des tortues de manière générale puisqu’elle dépasse en taille les
tortues terrestres géantes des Galápagos. Sa dossière peut atteindre plus de deux
mètres de longueur et son poids, plus de 900 kilos. Une capture accidentelle au pays
de Galles d’un animal de 916 kg prouve que de vieux individus peuvent avoisiner une
tonne.
La dernière de la famille
La tortue luth est l’unique espèce du genre Dermochelys et de la famille des
Dermochelyidés
4
Les premiers fossiles de chéloniens (= tortues), dont sont issues les tortues
actuelles, apparaissent au trias supérieur, il y a environ 210 millions d’années. Ces
premières tortues sont pourvues de dents, qui vont ensuite disparaître pour faire
place à un bec corné, la rhamphothèque. Elles sont terrestres ou amphibies, dotées
de pattes courtes et massives. Certaines vont postérieurement s’adapter au milieu
marin ; leur carapace, initialement lourde, va s’alléger. On connaît, au crétacé, quatre
familles exclusivement marines : les protostégidés, les toxochélyidés, les chéloniidés
et les dermochélyidés. Ces deux dernières familles, les seules à subsister aujourd’hui,
ont compté jusqu’à 37 genres et plus d’une soixantaine d’espèces. Six genres
seulement ont survécu jusqu’à nos jours : cinq dans la famille des chéloniidés, et un
seul, Dermochelys, celui de la tortue luth, dans la famille des dermochélyidés.
La tortue luth est donc la seule représentante contemporaine de la famille des
Dermochelyidae, le clade des tortues à dos cuirassé, connu aussi par diverses espèces
fossiles, dont certaines géantes comme l’Archelon qui vivait au Crétacé supérieur et
mesurait environ 4 m de long (Fig. n°7). Il existe de nombreuses similitudes entre
cette tortue de l’aire secondaire et la tortue luth.
Fig.7 :
Vue d’artiste
d’un Archelon.
La tortue luth est la seule tortue marine qui ne possède pas une carapace
dure, ou cornée. Sa peau a un aspect de cuir brillant bleu-noir qui fait parfois donner
à cette espèce le nom de « tortue cuir » (leatherback en anglais, littéralement « dos
de cuir »). En réalité, il ne s’agit pas, comme chez la plupart des chéloniens, d’une
boîte osseuse où les organes sont enfermés et dans laquelle pattes et tête se replient
en cas de danger imminent, mais d’une pseudo-carapace dont la structure est unique.
Épaisse d’environ 4 cm, sous un cuir épais, elle se compose d’une couche très riche
de tissus conjonctifs graisseux et de cartilages sur laquelle se développe une sorte
de « cotte de maille » composée de milliers de petits nodules osseux , de forme
géométriques et articulés les uns aux autres. Les plus gros de ces osselets sont
tuberculés et disposés en lignes. Ces lignes, visibles sous la peau, forment des crêtes
ondulées appelées carènes qui sont visibles sur la carapace de la tête vers la queue
de l’animal lui donnant un aspect profilé comme les carènes de la coque d’un bateau.
Les 5 carènes dorsales longitudinales, complétées par deux carènes latérales et 5
ventrales, renforcent la forme de luth caractéristique de cette espèce, avec une zone
La tortue luth Une tortue pas comme les autres
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Philippe Siaud - Docteur en Biologie, Muséum d’hisotire naturelle de Marseille
Parlons-en... Mai 2016
Jacksonwarrier
@Dinopedia
frontale large et arrondie et une zone caudale
triangulaire. La pointe se présente en forme
d’éperon creux qui protège la queue.
Les vertèbres dorsales sont unies à cette
mosaïque dermique par des liaisons connectives
et fusionnées entre elles de façon à assurer la
rigidité de l’axe sagittal. Les 10 paires de côtes
dorsales sont d’une seule pièce et entièrement
libres. Le plastron osseux est composé d’un
anneau de forme ovale de 8 lames.
Le partie antérieure de la tête présente
une tache rose, le chanfrein (Fig. n°8). Comme
nos empreintes digitales, cette tache est
unique à chaque tortue luth et permet donc
aux biologistes qui travaillent sur cette espèce
de reconnaître les individus.
Comme toutes les tortues marines, la
tortue luth possède des nageoires antérieures
et postérieures, mais c’est la seule dont les
nageoires sont dépourvues de griffes. Les
chéloniidés, autres tortues marines, possèdent
une ou deux griffes coniques à chaque patte.
Ses grandes nageoires antérieures sont
généralement aussi longues que la moitié de la carapace.Les pattes antérieures, sorte
de rames, sont parfaitement adaptées pour la nage. Le squelette de l’avant-bras est
court, radius et cubitus sont d’égales longueurs et certains os carpiens sont fusionnés.
Par contre, métacarpiens et phalanges, habituellement trapus chez les chéloniens
terrestres, sont allongés en baguettes robustes et réunis dans une même enveloppe
tégumentaire. Les femelles utilisent également ces fortes pattes pour se hisser sur le
sable au moment des pontes. Comme toutes les tortues marines, la tortue luth ne
peut pas replier sa tête et ses nageoires sous sa carapace comme le font les tortues
terrestres et les tortues d’eau douce.
Philippe Siaud - Docteur en Biologie, Muséum d’hisotire naturelle de Marseille
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La tortue luth Fig.8 :
Photographie d’une tête de tortue vue
de trois quarts. La flèche rouge montre
le chanfrein, tâche claire à l’arrière de
la tête qui permet d’individualiser les
animaux.
@ CNRS.
6
Une grande voyageuse qui ne connaît que la marche avant
La tortue luth est une grande migratrice, traversant un bassin océanique d’une
côte à l’autre. Elle fréquente les eaux tropicales, tempérées et boréales des océans
Atlantique, Pacifique et Indien. On la retrouve aussi en Méditerranée. La latitude la
plus au nord où elle a été observée se situe à 71° et la latitude la plus au sud, à
environ 27° (Fig. n°9).
Bien que les scientifiques aient une idée de la répartition mondiale de la tortue
luth, ils commencent tout juste à comprendre les trajets exacts de ses migrations
des eaux tropicales à proximité des plages de nidification vers les eaux tempérées et
boréales où elle chasse le reste de l’année (Fig. n°9). Les efforts de conservation de la
tortue luth reposent sur ces renseignements. Depuis quelques décennies des études
faisant appel à la télémétrie par satellite aident les scientifiques à découvrir les voies
de migration de la tortue luth.
La tortue luth, puissante nageuse, peut couvrir d’énormes distances en
Fig.9 :
Vue satellite de la terre
montrant l’aire de
répartition et les zones
de pontes de la tortue
luth.
relativement peu de temps. Par exemple, une tortue baguée au large de l’île du CapBreton, en Nouvelle-Écosse, a été retrouvée quatre mois plus tard au sud que Trinidad
à Cuba. La tortue luth se déplace dans l’eau à l’aide de ses membres antérieurs
dans un mouvement rappelant fortement les battements d’ailes d’un oiseau. Elle peut
nager à une vitesse de 9,3 km/h, mais s’en tient à une vitesse moyenne d’environ 2,5
km/h.
La tortue luth n’a pas la capacité de nager à reculons, ce qui lui pose des
problèmes lorsqu’elle butte contre des filets de pêche et des cordages en mer, parce
qu’elle ne peut pas en sortir en reculant. Les scientifiques qui tentent de l’élever en
captivité doivent aussi composer avec ce problème majeur. Ils n’ont d’ailleurs jamais
réussi à élever une tortue luth jusqu’au stade adulte. Les animaux maintenus en
bassin se cognent continuellement aux parois de leur bassin et se blessent . Ces
blessures sont souvent vite envahies par des pathogènes fongiques.
Les trajets de migration de la tortue luth sont restés inconnus jusqu’aux
premières études de baguages puis aux suivis satellitaires. Ces observations ont
permis de mettre en évidence cette aptitude de la tortue luth à migrer de son site
de ponte à celui d’alimentation, situé à des milliers de kilomètres de distance. Les
femelles adultes retournant fidèlement sur la plage où elles sont nées, pour nidifier à
leur tour, rendant l’événement encore plus stupéfiant. Par contre, nul ne sait vraiment
dans quelles eaux nagent les jeunes tortues-luth durant les trois premières années
de leur vie. Il semblerait qu’elles restent dans les eaux côtières pour se nourrir et se
développer. Une fois sexuellement matures, les tortues luth adultes migrent vers un
nouveau site d’alimentation. C’est sur ce site qu’elles resteront tout au long de leur
vie sauf pendant la période de ponte. Une fois la période d’accouplement venue, les
mâles et les femelles quittent leurs sites d’alimentation pour retourner vers la plage
de nidification qui les a vu naître.
Le développement de nouvelles techniques de suivis satellitaires à partir de
balises fixées sur l’animal permet désormais de mieux connaître les déplacements de
ces tortues et confirme les données de reprises de bagues. Les informations collectées
sont vitales pour le développement des stratégies de conservation de ces espèces.
La tortue luth Migrations : des voyages au long cours ?
Dans l’océan Atlantique, la tortue luth migre depuis la mer des Antilles
jusqu’à l’atlantique Nord en suivant les eaux tempérées du Gulf Stream. Elles traversent
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Philippe Siaud - Docteur en Biologie, Muséum d’hisotire naturelle de Marseille
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@ NASA/JPL adaptée
par J.M. Magnan@
MHNM.
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La tortue luth l’Atlantique Nord à la hauteur du Canada puis descendre la côte Ouest de l’Europe et
de l’Afrique, traversant de nouveau l’Atlantique pour enfin revenir dans leur aire de
reproduction dans les Antilles. Elles parcourent ainsi à peu près 15000 kilomètres en
une seule migration.
Récemment, 25 tortues Luth femelles venues pondre sur les plages du Gabon ont
été dotées, par des scientifiques anglais, d’un émetteur satellite. Suivies pendant
une durée moyenne de 154 jours (de 39 à 504 jours), les observations satellites ont
permis de visualiser trois grands groupes de tortues en fonction de leur destination,
toutes influencées par la recherche de régions riches en nourriture. Quinze d’entre
elles se sont plutôt dirigées dans les eaux équatoriales de l’océan Atlantique, alors
que deux individus ont préféré longer les côtes africaines. Les plus courageuses ont
traversé l’Atlantique pour atteindre les côtes d’Amérique du Sud, au prix d’un voyage
d’une longueur moyenne de 5.378 kilomètres.
Dans l’océan pacifique, une autre étude a permis d’identifier les
caractéristiques migratoires et de recenser les principales zones d’alimentation des
tortues luth, après la ponte en Papouasie-Nouvelle Guinée et aux Îles Salomon.
L’analyse des mouvements des tortues luth a révélé que les tortues présentes dans
le Pacifique Sud ont tendance à se diriger vers des zones riches en méduses. Les
tortues ayant choisi les côtes de Papouasie-Nouvelle Guinée pour pondre se sont
principalement cantonnées aux eaux du golfe entre décembre et février. Une fois
la saison de ponte terminée, les tortues luth de Papouasie-Nouvelle Guinée ont mis
le cap vers le sud en direction de la mer de Tasman ou du sud-ouest de l’océan
Pacifique. De la même façon, les tortues qui ont choisi les Îles Salomon pour pondre
restent à proximité des îles de décembre à février. Lorsqu’elles quittent les eaux des
Îles Salomon, c’est pour aller rejoindre les côtes du sud-est de l’Australie et du nordouest de la Nouvelle-Zélande en quête de nourriture.
Trouver sa route
Les tortues luth qui ont des capacités visuelles très limitées, ne peuvent
sortir leur tête que de quelques centimètres hors de l’eau. Il n’existe aucun repère
visible à la surface de l’eau permettant de s’orienter. Cependant, la tortue navigue
régulièrement sur de très longues distances et semble capable de retrouver son
site de ponte voire sa plage de naissance. Comment font-elles ? Pour se repérer,
les tortues Luth disposent de nombreuses adaptations physiologiques telles que des
cristaux de magnétite présents dans des cellules de leur cerveau qui leur permet de
s’orienter en utilisant le champ magnétique terrestre. Elles sont à même de détecter
à la fois l’angle et l’intensité du champ magnétique terrestre. Se servant de ces 2
données, elles pourraient déterminer ainsi la longitude et la latitude, ce qui leur
permet de naviguer n’importe où. Elles sont capables également de s’orienter par
rapport à la position du soleil le jour, des étoiles la nuit mais aussi en fonction de
la forme du rivage, de la température et de la salinité de l’eau et par rapport aux
courants marins.
Un animal qui ne manque pas d’air…
En 2005, la WWF a publié un article relatif à l’observation de plusieurs
spécimens équipés de balises Argos: « Leurs plongées restent bien mystérieuses,
mais impressionnantes ; ainsi Yalimapo (nom d’une tortue équipée) est descendue à
8
1020 m de profondeur ! Pour quelle raison ? Recherche de nourriture, nécessité de fuir
un prédateur, ou un autre danger, nul ne le sait. » Quelles sont donc les adaptations
physiologiques qui permettent à la tortue luth de plonger si profondément et de
rester aussi longtemps sous l’eau ?
La tortue luth, comme les autres tortues, possède des poumons cloisonnés
où se logent de nombreuses bronches secondaires. Chez les chéloniens, dont les
organes sont emprisonnés dans une carapace rigide ou semi-rigide comme la tortue
luth, toute déformation du corps dans un processus respiratoire est impossible. En
mer ou à terre, la respiration de la tortue luth se caractérise par des mouvements
rythmiques du plancher buccal. Il est possible que, lors de la locomotion terrestre ou
aquatique, les divers mouvements de la tête et des pattes favorisent des contractions
musculaires et le passage de l’air d’un poumon à l’autre.
Des méduses et rien d’autre ?
La tortue luth consomme essentiellement des méduses mais son appareil digestif
lui permet d’assimiler également poissons, crustacés, mollusques, éponges, ascidies
aussi bien qu’algues ou herbes marines. Cependant, elle limite sa quête à des proies
tendres et gélatineuses, car son bec utile pour saisir les proies et en fragmenter les
parties molles, est incapable de broyer les carapaces ou autres parties dures. Le bol
alimentaire est conduit vers l’estomac par les papilles, et l’excès d’eau de mer ingéré
est évacué afin d’éviter une dilution gênante du suc gastrique. Son œsophage est
adapté à ce type de nourriture flasque.
Les muqueuses de la bouche et de l’œsophage sont tapissées de grandes
épines cornées nommées papilles œsophagiennes (Fig. n°10). Chaque papille est
La tortue luth … et qui ne craint pas le froid
La tortue luth peut survivre dans des eaux très froides où les autres tortues
de mer ne pourraient résister. Plusieurs adaptations rendent cela possible : la couleur
foncée du corps, l’épaisse couche de graisse et le rapport élevé du volume par rapport
à la surface du corps. C’est ce rapport très favorable qui lui permet de retenir la
chaleur qu’elle produit. La tortue luth possède surtout des échangeurs de chaleur «à
contre-courant» dans ses nageoires. Veines et artères y sont étroitement enlassés,
de sorte que le sang chaud arrivant du cœur par les artères réchauffe le sang froid
revenant au cœur par les veines après avoir irrigué le corps. Tous ces facteurs
permettent à la tortue luth de maintenir sa température interne à plus de 18 °C
souvent au-dessus de la température de l’eau où elle séjourne. Contrairement aux
autres reptiles qui sont ectothermes,i.e., dont la température interne varie en fonction
de la température du milieu où ils se trouvent, certains scientifiques pensent que la
tortue luth serait capable, dans une certaine mesure, de produire sa propre chaleur,
comme un mammifère.
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Philippe Siaud - Docteur en Biologie, Muséum d’hisotire naturelle de Marseille
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La tortue luth fait partie des vertébrés marins plongeurs qui descendent le
plus profondément sous la mer, la tortue luth peut atteindre une profondeur de 1
000 m, le maximum enregistré étant de 1 270 m. Cette tortue, qui utilise l’oxygène
de l’air comme tous les autres reptiles, peut en plongée cependant rester en apnée
pendant plus d’une heure : le record actuellement établi est de 80 minutes. En réalité,
la tortue-luth reste rarement plus d’une demi heure sous l’eau.
Philippe Siaud - Docteur en Biologie, Muséum d’hisotire naturelle de Marseille
Parlons-en... Mai 2016
La tortue luth constituée d’un pied souple reposant sur des structures musculaires et soutenant un
capuchon corné. La longueur de ces épines kératineuses varie, selon leur localisation,
de 0,8 à 5 cm. L’orientation de ces papilles dans le sens du transit le facilite et empêche
tout rejet de matière solide, lors de la régurgitation de l’eau de mer avalée lors de la
prise de nourriture. Le capuchon corné de ces papilles assure le déchiquetage et le
brassage des aliments.
Les papilles contribuent au broyage des aliments mais aussi emprisonnent
les méduses lors de la régurgitation de l’eau de mer. Ce dispositif devient hélas fatal
lorsqu’elle avale par erreur un sachet plastique dérivant dans l’eau car elle meurt alors
par obstruction des voies digestives. L’estomac est divisé en deux portions distinctes,
l’une en forme de sac ventru, l’autre tubulaire, bosselée et arquée en U. L’intérieur de
l’estomac tubulaire est cloisonné transversalement.
La tortue luth se nourrit essentiellement de méduses et de salpes. Elle mange
en moyenne 50 méduses Rhizostoma pulmo par jour, ce qui représente l’absorption
d’environ 200 litres d’eau et de 8 à 10 kg de protéines (Fig. n°11). L’énorme quantité
de sel marin ingérée chaque jour lors de son alimentation serait toxique si l’animal ne
pouvait s’en débarrasser par ses « glandes à sel » post-oculaires, glandes lacrymales
spécialisées, conçues pour excréter le sel en excès. Ces glandes permettent à la
tortue luth de maintenir son équilibre osmotique et ionique tout en se nourrissant de
méduses qui sont isotoniques à l’eau de mer.
10
Fig.10 :
Photographie du bec ouvert d’une tortue luth.
Les papilles œsophagiennes sont visibles dans
la bouche et dans l’œsophage.
@ Université Paris VII in AgoraVox.
Fig.11 :
Photographie d’une méduse Rhizostoma
pulma, proie privilégiée de la tortue luth.
@CNRS
Sea, sex and beach
La maturité sexuelle est atteinte entre 10 et 12 ans. Les mâles et les femelles de
la tortue luth sont morphologiquement très semblables. La coloration de la carapace
et de la peau est pratiquement identique chez les deux sexes. Le mâle se distingue
par la concavité de son plastron et sa longue queue qui dépasse d’une quinzaine de
centimètres l’éperon supra-caudal.
Les accouplements se font dans l’eau mais ont été rarement observés. Les
mâles rejoignent les femelles au large des sites de ponte mais il n’est pas certain
que les accouplements se déroulent exclusivement près des sites de ponte. Pendant
la parade, le mâle s’accroche à la dossière de la femelle au moyen de ses longues
nageoires souples et préhensiles.
Ensuite, la femelle nage, nuitamment, jusqu’à la plage sableuse pour pondre.
Le mâle ne gagne jamais la terre ferme. Dans la même saison, un mâle s’accouple avec
plusieurs femelles. Chaque femelle peut avoir de trois à douze pontes successives,
espacées entre elles de 10 à 15 jours au cours d’une saison. La tortue luth pond tous
les deux ans en zone tropicale ou subtropicale, de mars à juillet dans l’hémisphère
Nord et de novembre à février dans l’hémisphère Sud (Fig. n°12).
Après avoir choisi son lieu de ponte sur la plage, la tortue luth nettoie le sol en
projetant vigoureusement le sable vers l’arrière, à l’aide d’un mouvement alternatif
de ses pattes antérieures et postérieures. Ensuite , elle racle lentement le sol sous
sa queue, pendant près de 25 minutes, jusqu’à réaliser un nid profond de 80 cm,
composé d’un puits de 25 cm de diamètre et d’une chambre d’incubation élargie.
Le nid terminé, la ponte commence. Les œufs sont expulsés de son cloaque à la
cadence de deux ou trois à la fois. Couverts d’une membrane blanche et souple, les
oeufs sont sphériques et mesurent en moyenne 5 cm de diamètre. La tortue luth
pond entre 50 et 170 œufs (Fig. n°12). En une dizaine de minutes, tous les œufs sont
pondus et se trouvent dans la chambre d’incubation à la base du puits du nid.
Chaque femelle pond des œufs fertiles mais également dans la même proportion
des œufs stériles. En effet, la ponte se termine par une série d’œufs plus petits, de
formes diverses, dépourvus de vitellus, et donc incapables de se développer. A quoi
servent ces œufs non viables ? Nul ne le sait pour le moment.
Fig. 12 :
Photographie d’une
tortue luth femelle en
train de pondre dans
le sable.
La tortue luth @CNRS.
Philippe Siaud - Docteur en Biologie, Muséum d’hisotire naturelle de Marseille
Parlons-en... Mai 2016
La femelle aborde le rivage généralement de nuit et remonte la plage en
direction des dunes. Pour les tortues ayant déjà pondu les années précédentes, cette
plage est souvent la même d’une fois sur l’autre et pourrait être la plage de naissance
de la femelle mais ceci reste à confirmer.
11
La ponte terminée, la tortue protège ses œufs en les recouvrant de sable
qu’elle tasse en se servant de ses deux pattes postérieures. Le nid étant comblé, la
femelle balaie l’aire de nidification avec ses pattes tout en pivotant sur elle-même
pendant une trentaine de minutes. Le sable est ainsi remué sur une surface d’une
dizaine de mètre carré où il est très difficile de repérer l’emplacement précis du nid.
Ceci fait, la femelle retourne à l’eau.
Philippe Siaud - Docteur en Biologie, Muséum d’hisotire naturelle de Marseille
Parlons-en... Mai 2016
La tortue luth Les œufs vont rester dans le sable jusqu’à l’éclosion. Le temps d’incubation est
plus ou moins long selon la température du sable : de 60 jours environ à 32 °C jusqu’à
80 jours, quand la température est en dessous de 26,5 °C. De plus, la détermination du
sexe de la nouvelle génération issue de la ponte dépend également de la température
d’incubation dans le nid durant les premières semaines. En dessous de 28°C naîtront
les mâles et des températures supérieures donneront des femelles.
12
Lorsqu’il est prêt à éclore, l’embryon est entièrement couvert d’une pigmentation
bleu-noir, identique aux adultes. Les carènes sont également bien marquées. Sa
peau présente de petites écailles perlées. Pour éclore, la jeune tortue déchire la
membrane qui l’emprisonne en agitant la tête, grâce à un petit bec corné localisé
sur son museau, que l’on nomme dent d’éclosion ou oviruptor. Une fois écloses,
les tortues se regroupent et forment des colonnes qui se hissent lentement vers
la surface. Après trois à quatre jours de remontée, les colonnes, parvenues à une
dizaine de centimètres de la surface, attendent une chute de température, le coucher
de soleil ou une pluie diurne soudaine pour sortir à l’air libre. L’attente de ce stimulus
thermique évite aux nouveaux-nés d’affronter à la sortie du nid , un soleil tropical qui
les tuerait et certains prédateurs. L’espace laissé libre dans le sable par les premières
jeunes tortues qui sortent du nid, forme une cuvette dont les tortues suivantes auront
beaucoup de mal à s’échapper. Les nouveaux-nés mesurent environ 7 cm et possèdent
proportionnellement à l’adulte de très grandes nageoires antérieures (Fig. n°13).
Une fois à l’air libre, les jeunes tortues luth suivent la pente naturelle de la
plage et se dirigent précipitamment, comme les femelles, vers la brillance de la mer
(Fig. n°13). Les jeunes tortues sont alors la proie de nombreux prédateurs sur la plage
ou en mer. En effet, les jeunes tortues de quelques centimètres à la naissance sont
Fig.13 :
Photographie d’une tortue luth
venant d’éclore qui cherche à
rejoindre l’océan au plus vite
pour échapper aux oiseaux.
D’autres dangers l’attendent...
@CNRS.
menacées par les crabes, les caimans, les mammifères s’aventurant sur les plages et
surtout par les oiseaux qui survolent en masse les lieux de pontes lors de l’éclosion.
Une fois arrivées à l’eau, les jeunes tortues-luth ne sont pas encore en sécurité, elles
deviennent alors les proies des pieuvres et gros poissons mais également des oiseaux
de mer lorsqu’elles restent trop en surface.
De nombreuses menaces pèsent sur la survie de la tortue luth dont la plupart
sont liées aux activités humaines. En effet, bien que le taux de mortalité des jeunes
tortues imputable à la prédation soit élevé, les tortues adultes en pleine mer, sont,
quant à elles, soumises à une faible pression de prédation même s’il n’est pas rare de
trouver une tortue luth amputée d’une partie de nageoire suite à une attaque en mer
d’un requin ou d’un épaulard. A terre, même s’il arrive parfois que les jaguars ou plus
souvent des chiens attaquent les femelles sur les plages de ponte, c’est l’homme qui
représente le plus grand prédateur de la tortue luth. Cette prédation humaine reste
malgré tout relativement faible car la chair de l’animal est considérée comme non
comestible voire toxique. Elle contient de la chélonitoxine (une toxine non détruite
à la cuisson) et les symptômes liés à sa consommation vont de la nausée jusqu’au
coma voire à la mort. Par contre, des tortues adultes sont sacrifiées et vendues, tout
ou partie, pour la pharmacopée locale ou pour être transformées en bijoux et autres
objets de décoration. Au Togo, par exemple, des féticheurs réduisent la carapace de
l’animal en poudre, mélange cette poudre à du miel et s’en servent comme remède
contre certaines syncopes. La graisse est utilisée contre les rhumatismes. La carapace
ou la peau peut aussi être utilisée dans l’art traditionnel local et être transformée en
bijoux et autres souvenirs touristiques.
Une autre action humaine très dévastatrice est la récolte des œufs dont
la pratique ne cesse d’augmenter alors que les pontes sont de moins en moins
nombreuses (Fig. n°14). Les œufs sont utilisés traditionnellement dans l’alimentation
des Kali’nas (ethnie amérindienne que l’on retrouve dans plusieurs pays de la côte
caraïbe d’Amérique du Sud) ou des Indonésiens. Dans certains pays, les habitants
tuent les femelles sur leur nid et s’emparent des œufs. Mais aujourd’hui les œufs
La tortue luth Selon une mise à jour de la Liste Rouge de l’UICN en 2013, la tortue luth
(Dermochelys coriacea) n’est plus classée comme une espèce en danger critique
d’extinction mais comme une espèce vulnérable. Toutefois, cette espèce reste très
menacée et les populations déclinent rapidement. La taille de la population mondiale
de la tortue luth aurait chuté de plus de 70% depuis 1982. Cependant comme les
mâles ne reviennent pas à terre, il est difficile d’établir le nombre exact de ces tortues
vivant à l’état sauvage. Les biologistes établissent donc la taille de la population
mondiale en dénombrant les femelles au moment de la nidification. La plupart d’entre
eux sont d’avis qu’il existe, à l’heure actuelle, moins de 35 000 tortues luth à l’échelle
de la planète mais d’autres donnent le chiffre de 100 000 individus. Quoiqu’il en
soit, si la vitesse du déclin ne change pas, il ne sera plus possible d’éviter l’extinction
de l’espèce d’ici une vingtaine d’années. Dans une étude, publiée dans la revue
Ecosphere : 4 (2013)1-15, les auteurs estiment que le nombre de nids chute de 5,9 %
par an. Ce pourcentage est une extrapolation des résultats de cette étude basée sur
la surveillance annuelle, depuis 2005, des nids de la côte ouest de l’océan Pacifique
et représente le suivi le plus complet sur cette espèce.
Philippe Siaud - Docteur en Biologie, Muséum d’hisotire naturelle de Marseille
Parlons-en... Mai 2016
La survie de l’espèce : maintenant ou jamais…
13
de la tortue luth sont devenus, en plus, la
cible de nombreux braconniers, notamment
en Amérique du Sud car ils sont considérés
au Mexique comme ayant des propriétés
aphrodisiaques et font l’objet d’un énorme
trafic.
Philippe Siaud - Docteur en Biologie, Muséum d’hisotire naturelle de Marseille
Parlons-en... Mai 2016
En dehors, de cette prédation directe,
les activités humaines sont grandement
responsables de la disparition annoncée de la
tortue luth . En effet, l’urbanisation du littoral
entraîne la perte de nombreux lieux de ponte
en réduisant l’espace disponible et perturbe
leur tranquillité. La pollution des mers par les
plastiques est également une menace énorme
pour la tortue luth, comme en témoignent les
Fig. 14 :
Photographie d’une récolte illicite
nombreux cas rapportés de tortues mortes
d’œufs de tortue sur une plage d’Amésuite à l’ingestion de déchets, comme des sacs
rique Latine.
ou des feuilles de plastique ou de goudron,
@Université du Costa Rica
se trouvant en mer. La tortue-luth confond
ces macro-déchets avec des méduses, son aliment préféré, les mange et ne peut les
régurgiter, entraînant des occlusions gastriques ou intestinales.
La tortue luth 14
De nombreuses tortues sont aussi tuées accidentellement par des engins de
pêche : filets ou lignes (Fig. n°15). Lors de leur migration, les tortues sont vulnérables
car du fait de leurs déplacements, elles multiplient les possibilités de se faire prendre
dans des filets ou par des lignes de pêche . Prise dans un filet, la tortue luth, étant
incapable de nager à reculons, ne peut s’en extraire. De nombreux pêcheurs prennent
soin de libérer les tortues trouvées prisonnière, malheureusement ils ne le font pas
tous ou trop tard. Les tortues piégées sous l’eau meurent par noyade ou subissent de
profondes coupures et une nécrose (destruction) des tissus pouvant entraîner la perte
d’une nageoire ou la mort de l’animal.
Des mesures de protection et leurs premiers résultats
La tortue luth est une espèce protégée par de nombreuses conventions
internationales. L’espèce est classée à l’annexe 1 de la CITES (Convention sur
le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées
d’extinction). Elle reste l’une des espèces les plus étudiée et les plus protégée au
monde. En France, elle est intégralement protégée (vente ou chasse) depuis l’arrêté
ministériel du 17 juillet 1991. Malgré cette législation, son statut de conservation
établi par le comité français de l’UICN (International Union for Conservation of
Nature), n’est pas défini, faute de données sur sa présence sur le territoire français
métropolitain. Cette espèce en France est donc classée dans la catégorie IUCN : DD
data deficient. Les spécialistes ne sont pas d’accord sur l’avenir de cette espèce.
Certains pensent que c’est l’une des tortues marines les plus menacées et
qu’elle est en train de disparaître un peu partout dans le monde. D’autres pensent
que ces effectifs sont encore très importants.
Cependant, des mesures ont été prises pour augmenter nos connaissances
sur cet animal et ainsi, mieux le protéger. La mise en place de suivis par télémétrie et
balises Argos et une cartographie complète des lieux de ponte pourrait permettre, à
terme, la conservation durable de cette espèce.
En effet, une meilleure localisation des lieux de ponte permettra de protéger
les oeufs en créant des zones surveillées, de limiter la présence de filets de pêche
près de la côte, de faire de la prévention près de ces lieux et de valoriser la présence
de la tortue luth au niveau touristique. Par exemple au Gabon, en Afrique, la plage
où a lieu le plus grand nombre de ponte est officiellement protégée à la suite de la
création du Parc national Mayumba.
Grâce à ces premières mesures de protection mises en place, certaines
populations de tortues luth sont en train de se rétablir. C’est le cas, par exemple,
d’une population dans le Nord-Ouest de l’océan Atlantique (le long des côtes des
Etats-Unis d’Amérique et des Caraïbes). De même, en Afrique du sud, les d’efforts
de conservation ont permis de quadrupler la petite population qui vient pondre
chaque année. D’autres populations reste fragile ou trop peu connues pour tirer des
conclusions définitives sur leur évolution. C’est le cas de la population du Sud-Est de
l’Atlantique, la plus grande population au monde, pour laquelle les scientifiques ne
peuvent évaluer sa dynamique (en particulier au Gabon).
La situation des populations de l’océan Pacifique et des populations de l’océan
La tortue luth De même, une connaissance précise des déplacements de la tortue luth dans
les différents océans du monde permettra de localiser les points de recoupement
des zones de pêche actuellement connues avec les routes migratoires des tortues
luth pour réduire les prises accidentelles de l’animal dans les filets de pêche. Les
chercheurs identifient également les points de regroupement importants des tortues
et tentent de réduire l’activité de pêche dans ces lieux.
Philippe Siaud - Docteur en Biologie, Muséum d’hisotire naturelle de Marseille
Parlons-en... Mai 2016
Fig. 15 :
Photographie d’une tortue luth prise dans des filins de pêche.
@WWF-France
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Indien, en revanche, est moins favorable. En effet, la population dans l’Est du Pacifique
a diminué de 97% en trois générations et la population du Pacifique occidental a
chuté de 80% durant la même période.
Philippe Siaud - Docteur en Biologie, Muséum d’hisotire naturelle de Marseille
Parlons-en... Mai 2016
La tortue luth Les mesures de conservation déjà appliquées portant leurs fruits, il convient
de les renforcer en protégeant les sites de pontes et en persuadant les populations
locales que l’observation des tortues luth, à l’instar de ce qui ce fait pour les baleines,
peut être un facteur de développement économique bien plus durable que la collecte
des œufs qui entraînera irrémédiablement l’extinction de l’espèce. De même, les
efforts de recherches doivent continuer afin de mieux connaître le mode de vie et
les routes de migration de ces géants de la mer, ce qui permettra à terme de les
protéger contre les activités humaines et des conséquences de la pêche industrielle
en particulier.
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