La tortue luth - Muséum d`Histoire Naturelle de Marseille

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La tortue luth
Philippe Siaud - Docteur en Biologie, Muséum d’hisotire naturelle de Marseille
Parlons-en... Mai 2016
Parlons en...
Tortue luth
Dermochelys coriacea (Vandelli, 1761)
Philippe SIAUD,
Docteur en Biologie, Muséum d’histoire naturelle de Marseille
Le spécimen du Muséum de Marseille
N° Inventaire MHNM-1489
Suspendue au plafond de la salle « Terre du vivant » se trouve un spécimen
naturalisé de tortue luth trouvée échouée en 1883 sur la plage héraultaise de
Palavas-les-flots. Achetée 350 francs de l’époque à Mrs Montel et Curel, elle intégre
les collections du Muséum d’histoire naturelle de la ville de Marseille (MHNM) sous
le nom d’espèce
Sphargis coriacea
(Gray, 1831) avec le numéro d’entrée 1489.
Ce spécimen est naturalisé par le Docteur Pierre SIÉPI (1856-1822) (Fig. n°1),
préparateur au Muséum.
Arrêtons-nous un instant sur la biographie de cet homme
exceptionnel qui durant sa longue carrière au Muséum
enrichit la collection de naturalia de l’établissement. Né à
Strasbourg en 1856. Orphelin, il migre à Marseille après
la débâcle de 1870 pour fuir l’occupation allemande. Il
entre au service du Muséum de la ville de Marseille en
1880 comme préparateur et devient en 1889 le Directeur
du Jardin Zoologique de la ville. Durant la même période,
il étudie la médecine avec succès mais n’exerçe que très
peu, hormis lors de la guerre de 1914-1918.
Il fut un spécialiste reconnu des chauves-souris et des
papillons de Provence. Le Muséum possède encore une
partie de ses collections. Malheureusement, il donna sa
riche collection de papillon au musée anglais de Lord W.
de Rotschild car il pensait qu’elle serait dans de meilleures
conditions de conservation qu’à Marseille...
Il mourut en 1922.
Fig.1 : Portrait du Docteur Pierre SIÉPI
@Muséum Marseille.
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La tortue luth
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Parlons-en... Mai 2016
Exposée quelques années au Muséum, la tortue luth est rangée dans les
réserves de l’établissement pour de longues décennies. Elle subit alors l’outrage du
temps et des mauvaises conditions de conservation d’alors (Fig. n°2). En 2005, pour
les besoins d’une exposition, un constat d’état est réalisé et il s’ensuit la décision de
faire restaurer d’urgence cette tortue luth.
Une restauration en 2005
En effet des craquelures et des déchirures de la dossière et des pattes
postérieures sont constatées ainsi qu’un quasi arrachement du membre antérieur
gauche. La restauration est confiée, la même année, à Richard FANUCCI, taxidermiste
à Salernes dans le département du Var. Quelle n’est pas sa surprise en retrouvant
dans la carapace de l’animal une carte de visite de son illustre prédécesseur joint à
… un petit bouquet de violette (Fig. n°3 et 4). Avant de terminer la restauration de
cette tortue luth, Richard FANUCCI a pris soin de remettre la carte et le bouquet de
violette qui attendront d’être de nouveau découverts dans une centaine d’année.
Fig.2 :
Photographie du spécimen
de tortue luth (MHNM-1489)
avant restauration.
Flèche rouge : nageoire
avant gauche partiellement
arrachée.
@Muséum Marseille.
Fig.3 :
Photographie de la tortue luth
(MHNM-1489) en cours de
restauration en 2005. La carte de
visite (Flèche jaune) et le bouquet
de violette flèche orange) déposés
par P. Siépi en 1883 sont visibles
et ont été remis en place après
restauration.
@Muséum Marseille.
Fig.4 :
Carte de visite de P. Siépi, préparateur au
MHNM, retrouvée dans la carapace de la
tortue luth. Des informations sur la tortue
sont écrites de la main de P. SIÉPI.
@Muséum Marseille.
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Retour aux expositions
A son retour au Muséum, la tortue luth
est enregistrée sous le numéro d’inventaire
MHNM-1489 et sous son nom d’espèce actuel :
Dermochelys coriacea (Vandelli, 1761). Elle
est ensuite exposée dans le hall d’entrée
du Muséum de 2006 à 2013, présence juste
interrompue par un prêt au Musée Réattu,
Musée des beaux-arts d’Arles de juin à
décembre 2009. En 2013, elle est de nouveau
déplacée dans la salle Terre du Vivant pour en
illustrer le module « reproduction » où l’on peut
également observer des embryons de tortue
luth à différents stades de développement.
Ce spécimen de tortue luth est présenté de
façon classique avec les nageoires antérieures
repliées vers l’arrière et les postérieures
également tendues vers l’arrière (Fig. n°5).
Le corps et la tête sont recouverts d’une peau
brillante ayant l’aspect du cuir, de couleur
bleu-noir mouchetée d’une multitude de
tâches blanchâtres. La restauration récente de
cet animal renforce la brillance et le contraste entre la peau sombre et les tâches
blanches du corps et de la tête. La répartition des tâches sur l’animal ne correspond
pas à celle d’origine car d’après le restaurateur, ces dernières n’étaient plus visibles.
Caratéristiques du spécimen du Muséum
La longueur de la pointe du museau à l’extrémité de la queue est de 173 cm, ce
qui suggère que l’animal vivant devait peser autour de 350 kg. Sous la peau, des crêtes
ondulées appelées carènes sont visibles sur la carapace de la tête vers la queue de
l’animal. Les 5 carènes dorsales longitudinales, complétées par deux carènes latérales
et 5 ventrales, renforcent la forme de luth caractéristique de cet animal, présentant
une zone frontale large et arrondie et une zone caudale triangulaire et pointue La crête
de chacune de ses carènes
est de couleur blanchâtre.
Le plastron, i.e., le dessous
de la carapace est plus
clair que la dossière et
de couleur beige-rosé.
Les nageoires sont plates
et longues : 72 cm de
long pour les nageoires
antérieures et 44 cm de
long pour les nageoires
postérieures. Aucune
griffe ni écaille n’est visible
sur les nageoires. La tête
est énorme en forme de
Fig.5: Vue dorsale de la tortue luth
(MHNM-1489) après restauration accro-
chée entre 2006 et et 2013 dans le hall
d’entrée du Muséum.
@Muséum Marseille.
Fig.6A :
Photographie de la
tête du spécimen de
tortue luth du Muséum
(MHNM-1489).
Tête : absence de chan-
frein (flèche rouge)
@Muséum Marseille.
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La tortue luth
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coin, d’une longueur de 38 cm sur une largeur de 22 cm (au plus large), aplatie sur
le dessus et se terminant par un museau court avec des narines bien visibles et un
bec supérieur portant deux pointes tranchantes en forme de dents lui permettant
d’attraper et de découper ses proies. Aucun chanfrein (tâche claire) n’est visible sur
la tête de cette tortue (Fig. n°6-A)) mais nous n’avons aucun moyen de savoir si cette
tâche existait à l’origine ou si son absence est liée au choix du restaurateur de ne pas
la représenter. La queue est de forme conique et mesure 34 cm.
Ce spécimen est décrit par
Pierre SIÉPI comme étant
un mâle. Cependant, deux
éléments :la faible concavité
de son plastron et la longueur
de la queue qui dépasse très
peu l’éperon supra-caudal
(Fig. n°6-B)) suggèrent
plutôt le genre femelle. Mais
le préparateur Pierre SIÉPI
en naturalisant l’animal
a observé directement les
organes sexuels de l’animal
donc il ne peut y avoir aucun
doute, il s’agit d’un mâle.
L’espèce Dermochelys coriacea (Vandelli, 1761)
Statut UICN : espèce déclarée vulnérable depuis 2013
La tortue luth est une espèce marine pélagique facilement identifiable par sa
très grande taille, la complète absence d’écailles sur son corps et de griffes au bout
de ses pattes. La forme générale de la carapace évoque un instrument de musique :
le luth d’où son nom. Cette tortue, à l’âge adulte, n’a pas la peau écailleuse qui
caractérise les autres tortues. La peau de l’ensemble de son corps est lisse et soyeuse
et de couleur bleu foncé. Par contre, chez cette espèce, les tortues nouvellement
écloses sont recouvertes de petites écailles perlées sur tout le corps qui disparaissent
pendant la croissance. Elle est présente dans tous les océans du monde et en mer
Méditerranée. Elle vit toute l’année en pleine mer sauf les femelles qui viennent
pondre à terre. La longévité de cette tortue semble importante, autour de 50 ans,
mais n’est pas connue avec précision. On ignore encore beaucoup de choses sur la
vie marine de cette tortue.
La tortue luth est la plus grande des sept espèces actuelles de tortues marines
et la plus grande des tortues de manière générale puisqu’elle dépasse en taille les
tortues terrestres géantes des Galápagos. Sa dossière peut atteindre plus de deux
mètres de longueur et son poids, plus de 900 kilos. Une capture accidentelle au pays
de Galles d’un animal de 916 kg prouve que de vieux individus peuvent avoisiner une
tonne.
La dernière de la famille
La tortue luth est l’unique espèce du genre
Dermochelys
et de la famille des
Dermochelyidés
Fig.6 B:
Photographie de la
queue du spécimen
de tortue luth du
Muséum (MHNM-
1489).
La queue dépasse
à peine de l’éperon
supra-caudal (flèche
rouge).
@Muséum Marseille.
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La tortue luth
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Les premiers fossiles de chéloniens (= tortues), dont sont issues les tortues
actuelles, apparaissent au trias supérieur, il y a environ 210 millions d’années. Ces
premières tortues sont pourvues de dents, qui vont ensuite disparaître pour faire
place à un bec corné, la rhamphothèque. Elles sont terrestres ou amphibies, dotées
de pattes courtes et massives. Certaines vont postérieurement s’adapter au milieu
marin ; leur carapace, initialement lourde, va s’alléger. On connaît, au crétacé, quatre
familles exclusivement marines : les protostégidés, les toxochélyidés, les chéloniidés
et les dermochélyidés. Ces deux dernières familles, les seules à subsister aujourd’hui,
ont compté jusqu’à 37 genres et plus d’une soixantaine d’espèces. Six genres
seulement ont survécu jusqu’à nos jours : cinq dans la famille des chéloniidés, et un
seul, Dermochelys, celui de la tortue luth, dans la famille des dermochélyidés.
La tortue luth est donc la seule représentante contemporaine de la famille des
Dermochelyidae, le clade des tortues à dos cuirassé, connu aussi par diverses espèces
fossiles, dont certaines géantes comme l’Archelon qui vivait au Crétacé supérieur et
mesurait environ 4 m de long (Fig. n°7). Il existe de nombreuses similitudes entre
cette tortue de l’aire secondaire et la tortue luth.
Une tortue pas comme les autres
La tortue luth est la seule tortue marine qui ne possède pas une carapace
dure, ou cornée. Sa peau a un aspect de cuir brillant bleu-noir qui fait parfois donner
à cette espèce le nom de « tortue cuir » (
leatherback
en anglais, littéralement « dos
de cuir »). En réalité, il ne s’agit pas, comme chez la plupart des chéloniens, d’une
boîte osseuse où les organes sont enfermés et dans laquelle pattes et tête se replient
en cas de danger imminent, mais d’une pseudo-carapace dont la structure est unique.
Épaisse d’environ 4 cm, sous un cuir épais, elle se compose d’une couche très riche
de tissus conjonctifs graisseux et de cartilages sur laquelle se développe une sorte
de « cotte de maille » composée de milliers de petits nodules osseux , de forme
géométriques et articulés les uns aux autres. Les plus gros de ces osselets sont
tuberculés et disposés en lignes. Ces lignes, visibles sous la peau, forment des crêtes
ondulées appelées carènes qui sont visibles sur la carapace de la tête vers la queue
de l’animal lui donnant un aspect profilé comme les carènes de la coque d’un bateau.
Les 5 carènes dorsales longitudinales, complétées par deux carènes latérales et 5
ventrales, renforcent la forme de luth caractéristique de cette espèce, avec une zone
Fig.7 :
Vue d’artiste
d’un Archelon.
Jacksonwarrier
@Dinopedia
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